Paragraphe 3: PMI et intégration
économique à Meknès
Comme le suggère le titre de ce
paragraphe, notre intérêt pour l'analyse de l'intégration
se situe à un double niveau, celui du secteur des PMI comme
totalité et celui des branches le composant.
Nous cherchons sur la base des analyses menées au
niveau des deux derniers paragraphes d'avoir une idée sur le
degré d'intégration de ce secteur et sur la nature de
l'articulation et de la complémentarité entre ces
différentes branches et en relation avec d'autres secteurs
d'activité.
Il s'agit ici d'analyser dans un premier lieu les aspects
définitionnels de la notion de l'intégration et de ces
différents niveaux d'analyse et de perception (3-1) avant d'essayer dans
un second lieu d'examiner le degré d'intégration entre les
différentes
156
branches du secteur des PMI à Meknès (3-2) entre
ce secteur et l'ensemble du système productif local (3-3). Nous
tenterons dans un dernier lieu de mesurer l'intensité ou le degré
de cette intégration notamment par le biais du taux de valeur
ajoutée appliqué à chacune des branches composant ce
secteur à Meknès (3-4).
3-1: Aspects définitionnels et différents
niveaux d'analyse et de perception de
l'intégration.
La notion d'intégration est parmi les notions dont la
paternité revient à diverses disciplines notamment les sciences
économiques et les sciences politiques. Son utilisation a
été souvent rencontrée dans les analyses des
disparités entre régions, pays, secteurs économiques,
groupes sociaux, etc. Et c'est cette utilisation pluridisciplinaire de la
notion d'intégration qui rend sa définition assez difficile et
imprécise.
Dans le domaine de la discipline économique qui nous
intéresse ici, on trouve la notion d'intégration dans diverses
écoles et théories de pensée.
Pour les théoriciens de l'économie industrielle
notamment la théorie de la firme, l'intégration est
présentée comme constituant un des principaux déterminants
des
stratégies de croissance des grandes firmes
industrielles. Ainsi pour Morvan (Y) " qu'une firme
intègre ses activités si elle tend à faire passer sous son
contrôle des activités situées en amont de son processus de
production, réalisant par là une « intégration vers
l'amont » et/ou des opérations situées en aval de ce
processus, réalisant par là une « intégration vers
l'aval »"1.
C'est donc un processus d'intégration
d'activités situées en amont du segment de production ou se
trouve la firme intégrante ( approvisionnement en matières
premières ou en inputs semis - finis) ou en aval ( distribution) .
L'objectif étant d'endogeniser le maximum de surplus à travers la
réduction voire l'élimination de certains coûts de
transaction et de certaines marges intermédiaires.
D'autre part à un niveau plutôt
macro-économique, on trouve la notion de l'intégration chez les
économistes de développement, une définition plus
complète a été donnée par Dieebold (W): "
on peut considérer l'intégration soit comme un processus
d'accroissement des liens entre des centres d'activités
économiques séparés par des frontières nationales,
soit comme une condition obtenue quand par une estimation quelconque, les liens
sont plus marquants que les séparations»
2 .
Quant à la transposition de l'utilisation de cette
notion dans l'analyse du sous-développement, elle revient notamment
à Samir Amin et Gunnar Myrdal. Ce dernier considère que "
dans tous les pays sous-développés, le problème
du développement économique consiste avant tout à chercher
l'intégration nationale dans sa combinaison nécessaire avec le
progrès économique, l'un étant à la fois
résultat et condition de l'autre"
3
.
(1) MORVAN (Y) cité par AOUADI (S): "
Intégration et compétitivité du systéme productif
tunisien" Actes de journées études organisées par l'Union
Maghrebine des Economistes sous le théme de " Mondialisation de
l'économie, intégration régionale et restructurations au
Maghreb" Rabat le 30 Septembre 1995, pp 193- 218.
( 2) DIEEBOLD cité par AOUADI (S): " Intégration et
compétitivité du systéme productif tunisien" opp
cté pp:193-218.
(3) MYRDAL ( G) cité par AOUADI (S): "
Intégration et compétitivité du systéme
productif tunisien"... , opp cité, pp 193218.
(4) LA JUGIE ( J) cité par AOUADI(S): "
Intégration et compétitivité du systéme
productif tunisien"... , opp cité, pp 193218.
157
Au niveau de l'économie régionale
destinée à l'analyse des disparités régionales,
l'intégration consiste selon Joseph La jugie à faire de l'espace
considéré " un ensemble
caractérisé par des éléments structurels
relativement comparables et par des relations étroites et continues
entre ces divers éléments " 4 .
Toutefois l'utilisation de la notion d'intégration
économique, dans le cadre global de l'économie de
sous-développement, s'est affinée au fil du temps en s'acheminant
vers un niveau méso-analytique, celui des branches d'activités et
des secteurs économiques. A ce niveau d'analyse, l'intégration
d'une branche ou d'un secteur traduit leur aptitude à développer
en leur sein, c'est à dire, au sein des entreprises locales ou
nationales les composant, la fabrication de la plus grande quantité
possible d'inputs concourant à l'élaboration d'un produit
fini.
Le terme d'intégration évoque ainsi, selon
S.Aouadi, un certain degré d'autonomie d'un système productif par
rapport aux approvisionnements extérieurs
3-2: Faiblesse des relations inter-branches au sein du
secteur des PMI
à Meknès
La notion de l'intégration dans un espace donné
suppose que chaque branche alimente les autres branches du même espace et
est alimentée par elles. Ainsi, l'activité industrielle, quelle
que soit, la dimension des entreprises la composant, ne signifie pas seulement
la création et le rassemblement d'un certain nombre d'usines, sans
cohérence fonctionnelle, mais c'est l'existence de
complémentarité entre ces usines pour que chacune d'entre elles
trouve à la fois dans l'autre un partenaire faisant les deux rôles
de fournisseurs et de clients.
En effet, l'intensité ou le relâchement des liens
entre les différentes entreprises constituant les branches d'un
système productif sont révélateurs du degré de
complémentarité ou d'articulation entre les différentes
composantes d'un secteur donné.
Dans ce cadre et à la lumière des
développements menés précédemment, nous pouvons
dire que les liens entre les branches formant le secteur des PMI à
Meknès sont très faibles. Ces liens qui se mesurent par les flux
d'échanges de produits et notamment des produits intermédiaires,
se limitent seulement à certaines sous-branches. C'est le cas par
exemple de la boulangerie et de la pâtisserie qui utilisent des inputs
(farine) achetés à des minoteries situées au niveau
local.
Cependant, ces échanges inter-branches demeurent
très limités au sein du secteur des PMI à Meknès,
tout comme le sont aussi les activités de sous-traitance comme nous
avons pu le constater dans le paragraphe précédent.
Ce sont justement ces types de liens qui contribuent à
la consolidation et à la complémentarité entre les
branches ou les entreprises locales formant un secteur de PMI à l'image
un petit peu des « districts industriels » définis comme
étant des " entités socio-territoriales
caractérisées par la présence active d'une
communauté de personnes et d'une population d'entreprises dans un espace
géographique et historique donné (ou existe) une osmose parfaite
entre communauté locale et entreprises...l'organisation territoriale et
la division du travail renforcent la circulation des compétences et
engendrent des effets
158
d'apprentissages collectifs spontanés, engendrés
par les complémentarités technologiques et l'existence des liens
étroits entre les hommes et les entreprises "1.
Pour G. Benko, M. Dunford et J.Heurley "
l'agrégation d'un nombre de petits ateliers, comme la
création de quelques grandes usines, permet d'atteindre les avantages de
la production à grande échelle "2,
formant ainsi, selon les mêmes auteurs une sorte « d'usines sans
murs » où un ensemble d'entreprises spécialisées se
substitueraient à une entreprise intégrée unique afin de
réaliser des produits finis .
Le fait que les PMI de Meknès soient situées, en
général, en aval du cycle de production, fait que ces entreprises
n'entretiennent pas de relations entre elles.
En effet, le processus de l'industrialisation au Maroc s'est
réalisé par import-export. Aussi, la majorité des
entreprises marocaines et celles situées à Meknès ont
été créées pour satisfaire les besoins du
marché local. En conséquence, et comme l'a bien montré
A.Kaioua pour le cas de Casablanca, les filières techniques de
production industrielle sont très courtes au Maroc, celles qui sont
susceptibles d'être longues, comme par exemple, le textile demeurent dans
la plus part des cas incomplètes .
La structure détaillée des PMI enquêterais
à Meknès suivant leur position dans le processus de fabrication
permet de constater que la majorité de ces entreprises se situent en fin
de chaîne au dernier stade de la production industrielle.
Tableau n° 61: Situation des PMI de Meknès
dans la chaîne de production des biens.
Position
Branche
|
Amont
(Fabrication . biens de base)
|
Centre
(Fabrication biens intermédiaires)
|
Aval
(Fabrication . biens finals)
|
N/bre
|
%
|
N/bre
|
%
|
N/bre
|
%
|
Industrie Agro-alimentaire
|
-
|
-
|
-
|
-
|
17
|
32.70
|
Industrie Chimie et Parachimie
|
-
|
-
|
04
|
7.70
|
12
|
23.10
|
Industrie Textile et Cuir
|
-
|
-
|
01
|
1.90
|
09
|
17.30
|
I.M.M.E.E
|
-
|
-
|
04
|
7.70
|
05
|
09.60
|
Total
|
-
|
-
|
09
|
17.30
|
43
|
82.70
|
Source: Enquête-PMI. Juillet/Août. 2000.
Il ressort de la ventilation ci-dessus que la majorité
des PMI enquêterais à Meknès se situent en fin de
chaîne au dernier stade de la production. Elles représentent plus
de 82,70 % de l'ensemble de l'échantillon enquêté. Quant
aux unités produisant des biens intermédiaires, elles sont
très peu nombreuses ( 17,30 %) alors que celles produisant des biens de
base sont inexistantes.
( 1) BECATINI cité par LONGHI ( C) : " La dynamique des
éspaces urbains " in Les Annales de la Recherche Urbaine
N° 76 - Septembre 1997 , pp: 134- 145.
(2) BENKO (G), DUNFORD (M), HEURLEY (J) : " Districts
industriels: Vingts ans de recherche" in revue éspaces et territoire
n°88/89, Année 1997, pp 305-321.
159
Ainsi à l'exception de certaines PMI qui
relèvent notamment des branches des industries chimiques et
parachimiques et des industries mécaniques et électriques, toutes
les autres unités produisent exclusivement pour la consommation
finale.
Un tel système limite considérablement les
possibilités d'échanges entre ces unités de production et
fait que l'essentiel de l'activité s'organise au sein de filières
de production industrielle très courtes.
La faiblesse du degré d'intégration du secteur
des PMI à Meknès ne se limite pas aux relations inter-branches
mais concerne également les relations de ce secteur avec l'ensemble du
système productif local.
3-3: Faible intégration au système
productif local
Un secteur est dit plus au moins intégré au
système productif local lorsqu'une bonne partie des biens
intermédiaires ou des matières premières qu'il utilise
pour élaborer sa production est d'origine locale, c'est à dire
qu'il recourt peu à l'importation ou à l'acquisition de ses
inputs dans d'autres régions ou localités.
Concernant le secteur des PMI à Meknès, nous
pouvons dire de manière générale qu'il est faiblement
lié au système productif local. Cependant ce degré
d'intégration diffère d'une branche à une autre.
Ainsi pour la branche des Industries agro-alimentaires,
celle-ci tire le principal de son approvisionnement en matières
premières des récoltes au niveau local ou régional. Elle
présente ainsi des rapports variés entre les unités de
transformation et l'intégration dépend de loin de la
matière première traitée.
Pour les céréales, l'intégration semble
être parfaite. La première transformation réalisée
au niveau des minoteries de la ville débouche sur la consommation finale
( si les produits sont livrés aux foyers) ou sur une deuxième
transformation si les produits sont retravaillés encore au niveau des
unités alimentaires situées en aval de la chaîne: la
production des pâtes alimentaires, des gâteaux et du pain.
En transformant directement des matières
premières agricoles brutes pour produire des biens courants
destinés à la consommation finale, les PMI de la branche
agro-alimentaire contribue ainsi à la valorisation des produits
d'origine locale tels que les céréales, les olives ou autres les
fruits et légumes.
La même remarque peut être formulée
à l'égard de certaines sous-branches des industries chimiques et
parachimiques et particulièrement celles des matériaux de
construction ( Briqueteries, agglomérés et articles en ciment,
etc.) et du travail du bois ( Scieries, menuiseries).
Par contre , la branche des industries du textile et cuir se
présente comme la branche la plus extravertie de l'activité
industrielle dans son ensemble à Meknès. Toutes les unités
dont dispose la ville s'approvisionnent en quasi-totalité de leurs
intrants à partir de l'étranger et Casablanca constitue dans la
plupart des cas un relais.
3-4: Mesure du degré d'intégration du
secteur des PMI à Meknès
Dans ce dernier point, nous cherchons à travers un
essai de mesure de l'intégration du secteur des PMI à
Meknès, à caractériser autant que possible l'articulation
et la complémentarité entre ces différentes branches, leur
contribution propre à l'effort
160
productif et le degré d'autonomie ou de
dépendance de ce secteur par rapport aux approvisionnements
extérieurs.
Il existe plusieurs manières de mesurer
l'intégration d'un secteur déterminé notamment par le
biais de la valeur ajoutée et des consommations intermédiaires.
Toutefois, et à défaut de statistiques et d'informations fines et
fiables, nous nous contenterons dans ce qui suit du premier critère pour
essayer de mesurer l'intégration du secteur des PMI à
Meknès.
L'intégration par la valeur ajoutée est
calculée en rapportant la valeur ajoutée au chiffre d'affaires ou
à la production. Dans ce cadre une firme ou une branche est dite
relativement intégrée si son taux de valeur ajoutée est
relativement élevé.
Le tableau ci-après indique les différents
degrés d'intégration par la valeur ajoutée des branches
constituant le secteur des PMI à Meknès.
Tableau n° 62: Intégration par la valeur
ajoutée du secteur des PMI à Meknès par branches
d'activité.
Branches
|
Intégration par la valeur
ajoutée
Valeur Ajoutée/ Production ( en %).
|
Industries agro-alimentaires
|
12, 75
|
Industries textile et cuir
|
36,76
|
Industries Chimiques et parachimiqes
|
25,76
|
Industries mécaniques et électriques
|
32,08
|
Total PMI
|
22,18
|
Source: Elaboré à partir des données de la
Direction de L'industrie. Rabat. 1998.
Le taux d'intégration de l'ensemble du secteur des PMI
à Meknès est de l'ordre de 22,18 %. même si l'on ne dispose
pas d'une norme de référence communément admise, nous
considérons intuitivement ce taux comme faible en soi et comme faible au
taux calculé pour l'ensemble du secteur industriel au niveau national
pour la même année et qui est d'environ 34 % 1 .
La faiblesse du degré d'intégration
caractérise notamment la branche des Industries agro-alimentaires avec
un taux de valeur ajoutée de 12,75 %. Cette branche apparaît donc
comme la branche la plus désintégrée du secteur des PMI
à Meknès.
Par contre les autres branches affichent des taux relativement
meilleurs avec 32,76 % pour les industries textile et cuir, 25,76 % pour les
industries chimiques et parachimiqes et 32,08 % pour les industries
mécaniques et électriques.
De façon globale, la désintégration ou le
faible degré d'intégration du secteur des PMI à
Meknès, saisie de ce point de vue, peut s'expliquer par le
positionnement des entreprises relevant de ce secteur à l'aval des
filières de production à un stade peu avancé et peu
générateur de valeur ajoutée.
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