2- Repenser le modèle d'intégration
économique et monétaire pour le développement en zone
CEMAC.
« Parler d'intégration
monétaire, c'est, en réalité, évoquer une gamme
infinie de situations allant de l'absence de toute forme de coopération
à l'existence d'une monnaie unique. Tout arrangement
intermédiaire par lequel les effets de la monnaie totalement
indépendante sont amoindris, et par conséquent ceux d'une monnaie
commune approchés, est une intégration323 »
Il existe plusieurs arguments contre la précocité d'une
union économique et monétaire en Afrique en général
basées sur : la différence de taille des économies
africaines dont les plus importantes sont susceptibles de phagocyter les plus
faibles ; le processus d'aboutissement à l'union économique
passant par une zone de libre-échange, l'union douanière et enfin
l'union monétaire ; et la faiblesse du tissu économico-industriel
de l'Afrique où l'échange précède la recherche des
moyens de production, à l'inverse de l'Europe dont les pays peuvent
produire des manufactures qu'ils échangent. Cela étant,
« l'union économique [...] n'a jamais été
conçue, aussi bien dans la littérature économique [...]
que dans les faits, que comme une coopération pour faciliter
le
323 Joseph (TCHUNDJANG POUEMI), Monnaie, servitude et
liberté, ... op. cit, p 295.
92
mouvement des biens et des services [...] ou la
division du travail à l'intérieur pour se protéger contre
l'extérieur324. » Dès lors, la production
des biens manufacturés à plus ou moins forte valeur
ajoutée devrait précéder l'établissement d'un
marché commun. Autrement dit, à quoi sert-il de créer un
marché sans avoir des biens de valeur à échanger si l'on
veut parvenir au développement ? À l'évidence, la
situation de l'Afrique centrale caractérisée par son
économie de rente basée sur le commerce des matières
premières ne saurait favoriser à elle seule le
développement malgré la création récemment d'une
Zone de Libre Échange Continentale Africaine (ZLECAf) en janvier
2021325 à titre d'illustration. Un tel espace devient ainsi
majoritairement une opportunité pour les multinationales
étrangères en quête de débouchés pour leurs
produits manufacturés au détriment de l'Afrique. Face à la
précarité que traverse l'Afrique en général et
centrale en particulier, il est nécessaire que les États qui la
composent octroient davantage de souveraineté économique à
la CEMAC, en impactant par ricochet sur l'Union Africaine, dont la
consolidation de l'identité géopolitique est décisive pour
l'encrage d'un développement optimal. Cela dit, la BDEAC et la BEAC
devraient être renforcées dans leurs missions de financement des
projets d'intégration et de gestion des réserves
extérieures comme banque centrale pour répondre à la
question de la souveraineté monétaire. Pour en revenir à
la question monétaire en zone CEMAC, « le franc CFA permet
toujours à la France d'organiser sur les plans économique,
monétaire, financier mais aussi politique ses relations avec un certain
nombre de ses anciennes colonies, selon ses intérêts
326 .» Dans un tel contexte, les États de la CEMAC
ne sont encore que des « protonations »327.
En l'état actuel, la situation monétaire en zone CEMAC a
connu une petite évolution en 2019 avec hausse des crédits
à l'économie de 3,6% après un affermissement en 2018 de
4%. Cela étant, la masse monétaire a progressée en 2019
pour se situer à 12 151,7 milliards328.
SECTION II : LA LIBÉRALISATION DES
ÉCHANGES ET LE RÔLE DE LA FINANCE.
Les causes de la marginalisation de l'Afrique sont de
trois ordres : « premièrement, son incapacité croissante
à couvrir ses propres besoins à cause, entre autres, de la
décadence des cultures vivrières [...] Deuxièmement, la
place de l'Afrique dans le commerce a diminué, dans un contexte de
début de baisse du cours des matières premières,
oscillant, depuis lors, entre 3 à 4% du commerce mondial.
Troisièmement, l'Afrique souffre de son absence du
324 Ibid, p 296.
325 La création de la ZLECAf était
initialement prévue le 1er juillet 2020 et a
été reportée à cause de la pandémie du
COVID-19.
326 Fanny (PIGEAUD) et Sylla (NDONGO SAMBA),
L'arme invisible de la Françafrique, une histoire du
franc
CFA, La Découverte, Paris, 2018,
p 13.
327 Jean (ZIEGLER), Main basse sur l'Afrique,
... op cit, p 14. « J'appelle protonation (du grec protos : «
primitif », « rudimentaire ») la formation sociale qui gouverne
aujourd'hui les trois quarts du continent. La protonation ne désigne ni
une nation en formation - encore qu'elle produise pour ses membres les symboles
élémentaires d'un sentiment « national » - ni une
nation achevée qui se serait pervertie. Elle ne désigne pas non
plus une pseudo-nation, mais une sociabilité rudimentaire,
limitée dans sa construction, asservie aux seuls besoins de ceux qui
l'organisent de l'extérieur. Elle, est avant tout une création de
l'impérialisme. Elle n'exprime qu'une souveraineté fictive, la
totale dépendance de l'économie du pays à l'égard
du centre métropolitain. »
328 CEMAC, Rapport définitif de Surveillance
Multilatérale 2019 et Perspectives pour 2020 et 2021, 39e
édition, octobre 2020, p 49.
93
peloton de tête de l'industrie mondiale
(moins de 2%), des circuits financiers internationaux et des courants
d'échanges scientifiques 329 ». Sachant cela, la
libéralisation des échanges (paragraphe I) et l'accroissement des
investissements directs étrangers (paragraphe II) seraient des outils
nécessaires pour sortir de « L'étau 330 »
du sous-développement.
PARAGRAPHE I : L'ACCÈS AUX MARCHÉS
INTERNATIONAUX PAR LA LIBÉRALISATION DES ÉCHANGES.
A- La consolidation du SPG à partir de la
reconsidération des normes contractuelles.
1- De l'aveu d'échec de
l'opérationnalité du SPG...
Bien avant l'avènement des systèmes de
Lomé I et II qui ont donné lieu à la mise en oeuvre du
STABEX et du SYSMIN, le SPG créé en 1968 à New Dehli lors
de la Deuxième Conférence du CNUCED, a été
adopté par la CEE le 1er juillet 1971 et est en vigueur
jusqu'en 2023 dans le cadre de la coopération entre l'Union
Européenne et les pays en voie de développement ACP. Ce
système qui a la particularité de reposer sur le principe de
l'unilatéralité ou inégalité compensatrice, vise en
effet à favoriser les exportations des PED sans
réciprocité, comme pilier de la politique d'aide au
développement. Cela étant, « c'est la France, avec ses
plus nombreuses colonies, qui draina, bien sûr, la plus grande partie des
exportations en provenance de ces territoires331.»
Toutefois, l'opérationnalité de ce système connait
des difficultés liés à : l'inégalité des
recettes d'exportation, la lenteur d'exécution des programmes de
développement, la complexité du système en l'occurrence vu
la pléthore de ses mécanismes. Ces différents arguments
justifient l'échec du SPG européen malgré la
volonté affichée de promouvoir le développement des PED
notamment en zone CEMAC. Ainsi, de nombreux pays ACP y compris ceux de la CEMAC
ont éprouvé la difficulté d'équilibrer leurs
balances de paiement, d'assurer le service de la dette, à financer les
importations, à assurer les dépenses publiques pour la promotion
de l'éducation, de la santé, de la réalisation des
infrastructures de qualité telles que l'immobilier, les voies de
transports ou de télécommunication, ainsi que le
développement du réseau hydroélectrique. D'où
l'interventionnisme des Institutions de Bretton Woods dans le cadre des PAS qui
n'ont pas à leur tour réaliser la promesse des
fleurs.
2- ... vers la reconsidération des
conditionnalités du SPG.
Il serait judicieux de reconsidérer les termes
de référence du Système de Préférences
Généralisées européen envers les pays de la CEMAC
dont le champ d'action reste limité. Par déduction,
l'amélioration du SPG pourrait se faire en accroissant son taux de
couverture. En effet, ce mécanisme n'a pas d'impact sur les
barrières non tarifaires tout comme les services et les infrastructures.
Parmi les mesures non tarifaires (MNT), figurent : les obstacles techniques au
commerce (OTC) définis comme étant des «
règlements techniques et normes, y compris les prescriptions en
matière d'emballage, de marquage et d'étiquetage, et les
procédures d'évaluation de la conformité aux
règlements techniques et aux normes qui sont
329 Emmanuel (WONYU), L'Afro-pessimisme, un alibi
français ?... op. cit, pp 60-61.
330 Aminata (TRAORE), L'étau : l'Afrique dans
un monde sans frontières, Paris, Actes sud, 1999, 185
p.
331 Lantame Jean (NIKABOU), Les conventions ACP-EU et
les sanctions économiques ... op. cit, p 8.
94
un frein au commerce international
»332, et les mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS).
Sous le couvert de ces différentes mesures prises en principe pour
assurer la sécurité et la santé des personnes et la
sauvegarde de l'écosystème, un État peut adopter une
posture protectionniste d'où la portée négative de ces
mesures. Cela dit, 60%333 des produits agricoles sont exclus du SPG
alors que l'agriculture reste un des piliers de la relance économique en
zone CEMAC conformément à sa vision à l'horizon 2025. Pour
en revenir aux barrières non tarifaires, elles limitent
considérablement l'exportation des produits textiles dans le territoire
de l'Union Européenne. D'autre part, même s'il est
indéniable que les Firmes multinationales (FMN) jouent un rôle
majeur en matière de création d'emplois, il se pose une
contradiction entre la récupération des retombés du SPG
par les Firmes Multinationales et les objectifs qui lui sont assignés en
termes de réduction de la pauvreté des PED. Cet état de
fait devrait être jugulé par le renforcement du tissu industriel
et économique local de la CEMAC par l'émergence des PMEs et PMIs
sans compter le déploiement avec le concours des pouvoirs publics des
pays de la CEMAC, de l'industrie lourde tant il est vrai que le
développement passe par la promotion de la technologie de pointe. Si cet
ensemble de proposition est pris en compte, le SPG devrait permettre à
terme de lutter efficacement contre la pauvreté et partant favoriser le
développement de la CEMAC.
B- L'accession aux marchés internationaux pour
soutenir l'intégration en zone
CEMAC.
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