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Le décor comme instrument de dialogue entre la scène et le hors-scène

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par Alix Mercier
ENSATT - Formation continue SCENOGRAPHIE 2018
  

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Conclusion

Hamlet mis en scène par Peter Brook aux Bouffes du Nord48, m'a laissé un souvenir très précis. Polonius, dans le texte de Shakespeare, se dissimule derrière un pan de la tapisserie du château pour épier Hamlet, qui doit entrer pour converser avec sa mère. Dans l'espace presque complètement nu de Peter Brook, Sotigui Kouyaté (qui interprétait Polonius) ne trouve pour cachette qu'un tapis de sol qu'il dresse de toute sa (fort grande) hauteur devant lui. La scène tragique qui s'en suit prend dès lors un tour comique puisque l'espace vide mettait au centre de l'attention celui qui devait être caché. La brusquerie d'Hamlet, passant son épée à travers le tapis et donnant la mort à Polonius n'en fut que plus saisissante.

Cette scène reste gravée dans mon imaginaire de spectatrice. Et son souvenir me revint au moment de choisir un sujet de mémoire. Je partais de l'idée que l'objet posé sur une scène avait le double pouvoir de montrer et de cacher, et qu'il était parfois plus intéressant de cacher que de montrer. L'exemple du tapis n'entre précisément pas dans la définition du hors-scène. Je le découvrais plus tard, quand le travail de recherche balaya mes premières idées reçues.

Évidemment, la thématique, pour un scénographe dont la charge est spécifiquement de s'occuper de l'espace scénique, porte en elle sa contradiction. Et le début de mes recherches me le confirmait : les écrits existants portaient en grande majorité sur l'écriture dramatique et certains, moins nombreux, questionnaient le son, la mise en scène ou tentaient des approches psychanalytiques. Une seule et unique phrase, dans le magasine Coulisses consacré au hors-scène, laissait entendre que, malgré l'apparent paradoxe initial, le décor n'était pas sans lien avec le hors-scène et qu'une étude manquait sur le sujet.

Un retour aux origines du théâtre et de la scène en lien avec la skènè s'est imposé dès le début de la recherche. Il a élargi ce questionnement aux « visions » du public, questionnement nécessairement né en même temps que le théâtre si l'on considère comme Peter Brook que l'acte théâtral strict nécessite un acteur et un spectateur. La tentative de définition et l'exemple filé de Phèdre a permis d'élargir et de préciser - si je puis dire - les contours du sujet : celui-ci devint vaste, protéiforme, flou et insaisissable. Le cadre de ma recherche, que je pensais plutôt resserré au vu du petit nombre d'écrits traitant précisément du hors-scène (et qui plus est pour le décor), apparut au fur et à mesure de cette exploration, aussi large et infini que le sujet lui-même.

48 Hamlet de Shakespeare, mise en scène Peter Brook au Théâtre des Bouffes du Nord, à Paris, en 2000

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Dans un deuxième temps, l'exemple de Barbe-Bleue me permit de trouver une entrée plus ciblée à ce sujet devenu vertigineux. La confrontation de cet auteur (Maeterlinck) - qui intègre complètement le hors-scène à son écriture dramatique - avec des metteurs en scène contemporains m'a éclairé de plusieurs manières sur la responsabilité du scénographe face à la fragilité du hors-scène. En effet, la tentation de l'image scénique est grande, mais montrer trop est prendre le risque d'empiéter sur la place du spectateur. A l'inverse (et il y a une infinité de nuances possibles entre ces deux cas de figure), il est possible de laisser trop de place au hors-scène, et de l'exposer à un désintérêt du public. Par ailleurs, j'ai aussi découvert qu'il était possible de mettre plus hors-scène encore que l'auteur ne le suggérait lui-même et que des plateaux qui semblaient vides - même si, techniquement, ils ne l'étaient pas du tout -, parce qu'ils donnaient des sensations d'espace, pouvaient au contraire donner beaucoup à voir.

Ma volonté première d'essayer de lister et/ou classer exhaustivement les solutions techniques et les moyens à la disposition du scénographe pour permettre un dialogue entre scène et hors-scène n'a pas abouti. Elle s'est même avérée irréalisable dans le cadre de cette recherche, sorte d'ébauche de réflexion qui ne pourra que s'enrichir avec l'expérience et/ou un travail plus approfondi.

Néanmoins, si cette réflexion autour du lien problématique entre le hors-scène et le décor ne m'a pas apporté les réponses que j'avais fantasmées, elle m'offre finalement, à l'heure de cette conclusion, une nouvelle grille de lecture d'une oeuvre (spectacle ou texte dramatique) permettant de rester vigilant sur la place du spectateur, non comme client à contenter, mais comme créateur à solliciter, et une liste de questions dramaturgiques et scénographiques :

Quelle est la place du hors-scène dans ce texte ? Qu'est-ce que la parole dit déjà de l'espace et que je n'ai pas besoin de répéter ? Qu'est-ce qui gagnerait à ne pas être montré ? Qu'est-ce qu'au contraire je peux suggérer, allumer dans l'esprit du spectateur, et attiser par la suite ? Et comment le faire ?

NB : Lors de la soutenance de ce mémoire au moment des questions du jury, est apparu un point que j'avais volontairement écarté lors de la rédaction de ce travail, mais qui, il me semble, mérite une précision ici. Pour délimiter mon champ d'étude, j'avais choisi comme base de réflexion des oeuvres imaginées en premier lieu par des auteurs dramatiques. Pour les opéras tirés du livret de Maeterlinck - à l'exception du Barbe-Bleue de Pina Bauch - les metteurs en scènes étudiés respectaient le texte et la musique sans les adapter, dans une tradition que l'on pourrait qualifier

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de « théâtre de texte ». Par ailleurs, le spectacle vivant étant par définition éphémère, travailler autour du texte me permettait de donner une base d'analyse fixe et un référentiel commun aux lecteurs. De même, les diverses interprétations de ce texte, comme base figée, révélaient les multiples rapports au hors-scène des scénographes et metteurs en scènes.

Néanmoins, ce choix écartait tout un pan du théâtre dit d'image, porté par des artistes comme Kantor, ou plus récemment Roméo Castellucci, Phia Ménhard, Philippe Quesne pour ne citer qu'eux, où la problématique du hors-scène s'articule de manière un peu différente. Ce n'est plus le verbe, mais l'image scénique qui amène l'image mentale. L'épure comme chemin d'accès au hors-scène, évoquée à la fin de la deuxième partie du mémoire, ne se joue plus nécessairement dans la scénographie, mais à un autre niveau dramaturgique par exemple l'économie de la parole ou de la parole signifiante ou illustrative. Ici, le visuel fait texte et la problématique serait renversée.

A la suite de ce mémoire, le dialogue scène/hors-scène dans le théâtre d'image s'avérerait une autre piste de recherche scénographique à explorer.

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Annexe : Proposition de dialogue scène/hors-scène dans une scénographie fictive

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Lors de la soutenance de ce mémoire, j'ai fait le choix de présenter des dessins afin de mettre en application le rapport scène/hors-scène. Il sont le prolongement pratiques des questionnements et des recherches menées tout au long de ce travail théorique.

Ces dessins et esquisses sont à considérer comme une proposition scénographique que j'aurais pu faire à un metteur en scène souhaitant monter Phèdre de Racine au cours d'un premier entretien de travail.

C'est en analysant le hors-scène dans Phèdre, dans la première partie de ce mémoire (voir p14, exemple filé numéro 1), que l'eau m'est apparût comme l'élément omniprésent : depuis la recherche de Thésée sur les bords du Styx au début de la pièce jusqu'à la mort de Phèdre ayant bu un liquide fatal et fait « couler dans [ses] brûlantes veines / Un poison ». J'ai alors imaginé le château de Thésée comme un radeau fragile au milieu de la mer. Sans vouloir le représenter explicitement, j'ai cherché à donner une sensation d'inconstance au décor par une mécanique capable de prendre et rendre objets ou personnages à la scène à l'instar de la mer, tantôt calme tantôt agitée, aux profondeurs insaisissables.

Limite physique de la scène.

J'ai pris le parti de délimiter très clairement la scène en faisant coïncider ses limites avec celles du plateau, situant le hors-scène à l'endroit des coulisses, soit un lieu de l'ombre, vivant mais obscur. Ce cadre imposant (trois murs montant jusqu'aux cintres et un sol) permet de suggérer au spectateur une sensation d'isolement ou d'enfermement de l'espace scénique.

Mouvement

Pour la matière, j'ai choisi l'utilisation du tissu pour donner à ce mur instabilité et fragilité : un mur mouvant contre lequel on ne peut s'appuyer. La légèreté de cette matière permet également différentes qualités de mouvements, des plus doux aux plus vifs, un possible déploiement dans l'espace ou au contraire une soudaine disparition du décor. Le sol, ainsi recouvert de tissu pourrait glisser, se dérober et créer un plateau toujours possiblement déstabilisé où ni les murs ni le sol ne seraient fiables. Enfin, l'utilisation de la soie pour certains pans permettrait d'évoquer plus spécifiquement la mer ou les voiles d'un bateau.

Porosité

L'évocation d'une vie hors-scène serait renforcée par des matières laissant percevoir de la lumière ou au contraire des ombres, voir de distinguer parfois un ailleurs ou des matières plus stretch laissant paraître des volumes ou des corps dans le tissu.

Ouvertures infinies

N'ayant ni porte ni fenêtre fixes, ce sont la fluidité et la mobilité des murs de tissu qui permettent une infinité d'ouvertures/fermetures vers le hors-scène par lever ou lâcher de rideau, aspiration, entaille ou déchirure, voire par des systèmes de tringles plus classiques. Chaque ouverture donnerait sans cesse sur un autre tissu (peut-être de nature différente) afin de susciter une sorte de désir infini de voir derrière et de créer des possibilités d'apparition/disparition d'objets ou de personnages.

Les objets et costumes

Le décor ne figurant pas un espace signifiant et précis, l'attention portée aux objets ou aux costumes devra donner les clefs de l'identification des personnages, de la temporalité et des lieux si la nécessité s'en fait sentir. Le tissu pourrait par exemple rejeter des chaises, des valises ou des morceaux d'épaves de bateau.

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Illustration 1 : Hippolyte face à la mer se retirant (p 53)

2 : Rideaux, mers et escaliers

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3 : Exemple d'entrée de Thésée au milieu des tissus s'écartant telle la mer devant Moïse

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery