C- Les effets des changements climatiques
A la fin de l'A.E., au moment où les luttes politiques
avaient abouti à l'affaiblissement de la royauté, et que le
trésor royal était en difficulté, l'Egypte semble-t-il,
était en même temps en proie à des problèmes dus aux
mutations climatiques. En effet, vers -3000, lorsque s'établissait la
royauté pharaonique dans la basse vallée du Nil (au Nord du
24° N), le désert occidental égyptien était parvenu
à son degré de dessèchement actuel au
344 Pirenne J., op.cit., 1961, p.303
345 Moret A., op.cit., 1926, p.250
346 Pirenne J., op.cit., 1961, p.327
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terme d'une longue évolution amorcée vers
-4800.347 L'une des manifestations de cette situation avait
été la disparition dans le Sahara septentrional des points d'eau
dès le Ve millénaire et qui avait rendu impossible les relations
entre la vallée du Nil et les massifs du Sahara central sauf par la voie
des oasis parallèles à la côte Libyenne (Siwa, Djeraboub,
Aujila et Sokna).348 Cette situation allait avoir comme
conséquence, une plus grande dépendance de l'Egypte de
l'inondation annuelle du Nil.349
Il se trouve que le Nil, comme beaucoup d'autres fleuves,
prend sa source dans la zone intertropicale étendue jusqu'à
4° Sud, sur des hautes terres situées entre 1000 et 2000
mètres d'altitude avec des volcans dépassant les 4000
mètres.350 Sur ces montagnes, les pluies dépassent
souvent 1,5 mètre par an.351 Toutefois, si le Nil traverse le
Sahara sur près de 3000 km, il le doit en grande partie à
l'apport de ses affluents éthiopiens. En Ethiopie, il existe de vastes
plateaux volcaniques entre les 7° et 17° N qui se situent aujourd'hui
entre 2000 et 4000 mètres d'altitude et qui reçoivent entre 1 et
2 mètres de pluie par an.352 Cette situation laisse
apparaître que le Nil reflète les changements climatiques survenus
dans la zone intertropicale beaucoup plus qu'en Egypte
même.353 Or, si l'assèchement du Sahara septentrional
était continu (entre -5000 et -2500 il n'y a pas eu de retour
d'humidité dans l'actuel désert égyptien), ce ne fut pas
le cas dans le Sahara méridional où il y a eu un « Humide
néolithique » entre -4500 et -2500, encadré par un «
Grand Aride mi-Holocène » de -2500 à -1000
environ.354 Et les crues du Nil, alimentées par des eaux
venant au Sud 22° N, suivaient le rythme irrégulier du
dessèchement du Sahara méridional355. Si nous prenons
en compte cette situation au niveau du Sahara méridional, elle
traduirait une baisse de ces crues à partir de -2500, s'est à
dire au cours de la deuxième moitié de l'A.E. Et selon P. Rognon,
il a été constaté que vers 5000 B P (-3000 à
-2800), le volume des crues du Nil a diminué d'environ 25 à 30%
par rapport à son débit antérieur et cette diminution est
devenue catastrophique vers 4300-4000 B P (-2250 à
-1950).356
Cette analyse des conditions climatiques et hydrologiques a
montré que sous l'A.E., l'Egypte avait été
confrontée aux effets de la désertification, avec une baisse des
crues du
347 Cornevin M., op.cit., 1993, p.49
348 Ibidem
349 Vercoutter J., op.cit., 1992, p.353
350 Rognon P., Biographie d'un désert, Paris,
Plon, 1989, p.137
351 Ibidem
352 Id., ibid, p.140 353Id., Ibid,
p.293
354 Cornevin M., op.cit., 1993, p.67
355 Ibidem
356 Rognon P., op.cit., 1989, p.293
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Nil. Mais ce qui allait aggraver la situation, c'est qu'au
moment où les conditions naturelles devenaient de plus en plus
précaires, la situation politique rendait difficile toute action commune
pouvant permettre au pays de faire face aux calamités naturelles. Nous
avons vu qu'au cours de la VIe dynastie, notamment à partir
du règne de Pépi II, les nomarques avaient réussi à
gagner une plus grande autonomie et avaient tendance à gérer les
provinces de manière autonome. Cette large autonomie des provinces eut
comme effet immédiat, une absence de consensus national qui pouvait
permettre une utilisation rationnelle des eaux du Nil, afin de parer aux
difficultés qui pourraient découler de la baisse des
crues.357 Dès lors, la crise politique et financière
que traversait la monarchie à la fin de l'A.E., allait s'accentuer du
fait de la vulnérabilité du pays face à la
dégradation des conditions naturelles. Dans ce pays que fut l'Egypte, la
part de l'homme n'a jamais été négligeable dans la
fécondation de la terre.358 Il est vrai que par sa crue
annuelle, le Nil entretient le sol cultivable, en corrige l'évaporation
et lui rend l'humidité nécessaire dans un pays où la pluie
est rare.359 Toutefois, dans cette crue annuelle, le fleuve adopte
des situations qui sont toutes aussi dommageables pour l'Egypte.360
En effet, l'arrivée des eaux du fleuve peut signifier submersion de la
vallée, avec destruction ou démolition de tout ce qu'elle trouve
sur son passage. Elle délite le sol et déplace les limites des
propriétés.361 Mais, inversement, lorsque la crue est
insuffisante, le pays pouvait connaître une situation de famine. Au
début de l'A.E., sous le règne de Djeser, il semble que l'Egypte
avait connu à une situation similaire, où l'insuffisance des
crues avait provoqué une famine. C'est du moins la conclusion qu'on peut
tirer d'un document connu sous le nom de Stèle de la famine
où le pharaon Djeser, s'exprimant sur la situation disait : «
Mon coeur était dans une très grande peine, car le Nil
n'était pas venu à temps pendant une durée de sept ans. Le
grain était peu abondant, les graines étaient
desséchées, tout ce qu'on avait à manger était en
maigre quantité, chacun était frustré de son revenu. [...]
Même les courtisans étaient dans le besoin ; et les temples
étaient fermés, les sanctuaires étaient sous la
poussière... »362. C'est pour faire face à
ces aléas des crues que, semble-t-il, très tôt les
Egyptiens cherchèrent à discipliner le fleuve. Ainsi, de
puissantes digues, parallèles au cours du fleuve furent mises en place
pour forcer le fleuve à suivre un lit régulier et des canaux
perpendiculaires au fleuve, partageant la vallée en un damier de
bassin,
357 Séne Kh., op.cit., 2003-2004, p.12
358 Drioton E Vandier J., op.cit., 1984, p.4
359 Moret A., op.cit.
, 1926, p.38
360 Id., Ibid, p.36
361 Ibidem
362 Grimal N., op.cit., 1988, p.80-81
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étagés du Sud au Nord les uns au dessus des
autres363. Toute cette énorme entreprise ne pouvait se
réaliser sans un labeur régulier et tenace, collectif et
coordonné. D'où la nécessité d'un chef pour
gouverner, assigner à chacun sa tâche et repartir avec
équité, l'eau du fleuve, à tous.364 C'est ce
qui explique l'importance de l'Etat qui symbolisait une organisation de masses
humaines, l'unité de la direction et la centralisation qui
étaient à la base de la prospérité de l'Egypte. En
effet, avec un pouvoir central fort, il était possible d'assurer une
véritable politique économique, en parvenant à discipliner
la crue, en coordonnant les observations nilométriques tout au long du
cours du fleuve et en mobilisant des milliers d'Egyptiens pour parfaire le
réseau des canaux.365 Tels sont là, quelques uns des
éléments qui rendaient indispensable, la présence en
Egypte d'un pouvoir central fort. En faisant une remarque sur l'Egypte sous
l'administration Ptoléméenne, Napoléon n'avait pas
manqué de relever cette situation. Selon lui, « Dans aucun
pays, l'administration n'a autant d'influence sur la prospérité
publique. Si l'administration est bonne, les canaux sont bien creusés,
bien entretenus, les règlements pour l'irrigation sont
exécutés avec justice, l'inondation est plus étendue. Si
l'administration est mauvaise, ou faible, les canaux sont obstrués de
vase, les digues mal entretenues, les règlements de l'irrigation
transgressés, les principes du système d'inondation
contrariés par la sédition et les intérêts
particuliers des individus et des localités. »366
Ce constat de Napoléon sur l'administration est une illustration du
rôle important de l'Etat pour l'Egypte. La faiblesse de celui-ci ne
pouvait qu'accentuer la vulnérabilité du pays face à la
dégradation des conditions naturelles. Or, la situation politique
à la fin de l'A.E. se caractérisait par une faiblesse de la
monarchie doublée, au plan naturel, par une baisse des crues du Nil.
Cette faiblesse de la monarchie laisse supposer que celle-ci était dans
l'incapacité de contraindre les nomarques, devenus plus ou moins
indépendants, dans leurs provinces, à maintenir en état
les canaux d'irrigation, indispensables pour assurer une bonne
répartition des crues367. La production agricole devait
nécessairement souffrir de cette situation qui allait avoir comme
effets, l'installation de la famine. Pharaon venait ainsi de se montrer
incapable dans ses fonctions nourricières qui constituaient une des
prérogatives les plus essentielles de son pouvoir. On a vu comment le
pharaon Djeser s'était attristé lorsque les baisses des crues du
Nil avaient entraîné une situation de famine sous son
règne.
363 Moret A., op.cit., 1926, p.38
364 Moret A., L'Egypte pharaonique, in, Hanotaux G.,
Histoire de la nation égyptienne, Tome II, Paris Plon, 1932,
p.14-15
365 Lalouette Cl., L'Empire des Ramsès, Paris,
Fayard, 1985, p.12
366 Moret A., op.cit., 1926, p.40
367 Ibidem
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Il apparaît ainsi, que la situation de l'Egypte avait
été particulièrement difficile à la fin de l'A.E.
En effet, l'institution royale, minée par les luttes politiques avait
fini par s'affaiblir politiquement et financièrement. Au même
moment, la crise financière à laquelle était
confronté l'Etat ainsi que les effets de la dégradation des
conditions climatiques, devaient plonger le peuple dans la misère. Le
comble de la situation allait être atteint à cause d'un autre fait
qui découle de l'affaiblissement de la monarchie : c'est l'invasion du
Delta par les Bédouins. A partir de cet instant, il semble que toutes
les conditions étaient réunies pour pousser le peuple à ce
soulever contre la royauté.
TROISIEME PARTIE :
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LES CONSEQUENCES
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