Conclusion du titre troisième
Malgré ses implications diverses en faveur de la cause
des femmes, l'action de John Stuart Mill pour le suffrage féminin
fût, à l'évidence, la plus retentissante. En tant qu'auteur
reconnu, il bénéficiait d'ores et déjà d'un certain
crédit. Son entrée dans la sphère politique lui a permis
d'atteindre un nombre de personnes encore plus important. Cet engagement est
finalement en accord avec la doctrine utilitariste à laquelle il
adhère et qui vise à s'appliquer à tous les domaines de la
vie en société : politique, économique, juridique, moral,
et cætera.
CONCLUSION DE LA TROISIEME PARTIE
L'activisme de John Stuart Mill peut être
considéré comme une conséquence de son éducation
utilitariste. Toutefois, nous avons pu démontrer
précédemment que sa vie personnelle a également eu un
impact considérable sur son engagement féministe. Il semble que
Mill ait toujours été favorable à l'égalité
entre les hommes et les femmes. Cependant, rien ne nous permet
d'acquérir la certitude que son action féministe aurait pris une
telle importance sans l'influence notamment de sa femme et plus tard de sa
belle-fille. Ainsi, nous pouvons affirmer que son féminisme n'est pas
une curiosité au sein de son parcours intellectuel et philosophique sans
toutefois diminuer l'influence qu'ont pu avoir les circonstances de la vie sur
ses idées.
273 John Stuart Mill à Charles Dilke, 28 mai 1870 in
« L'affranchissement des femmes » p.202
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Son engagement demeure, à cette époque,
relativement exceptionnel. Les opinions féministes qu'il défend
commencent, certes, à se diffuser dans les milieux aisés et
éduqués ; mais la grande majorité de l'opinion publique y
reste hostile. En tant qu'auteur reconnu de sexe masculin, il a sans aucun
doute contribué de façon significative, par son oeuvre et son
activisme, à l'émancipation des femmes et à la diffusion
du mouvement pour l'égalité des sexes.
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CONCLUSION DU MEMOIRE
Nous ne reviendrons pas, ici, sur les éléments
qui composaient notre sujet et ont fait l'objet des précédents
développements. Nous nous emploierons plutôt à mettre en
exergue certaines limites auxquelles les thèses milliennes peuvent se
heurter. Pour ce faire, nous nous rapporterons à la préface de
De la liberté rédigée par Pierre
Bouretz274. En effet, bien qu'il ne s'agisse pas de l'oeuvre
principale de cette étude, les thèses qui y sont
développées peuvent être appliquées à la
question particulière
L'un des objectifs avoués de cet essai est de «
trouver le juste milieu entre indépendance individuelle et
contrôle social »275 et ainsi régler « les
rapports de la société et de l'individu »276.
Autrement dit, il s'agit de trouver un équilibre entre liberté et
diversité individuelles et jugement moral de l'opinion ou (si l'on
s'intéresse à la doctrine utilitariste de Mill) morale unique
tournée vers le bien public. Or, bien que John Stuart Mill semble
convaincu de la possibilité de cette conciliation, il est possible d'en
douter.
En effet, à première vue, la doctrine
utilitariste fait primer l'intérêt général, le
bonheur du tout qui va à l'encontre de « l'universalité de
l'amour de soi, de l'égoïsme individuel »277. La
morale utilitariste a pour ambition d'amener les individus à faire du
bonheur général une priorité. Cela semble en contradiction
avec l'idée que défend Mill de la diversité humaine et de
l'intérêt de la considérer et de la respecter. L'auteur
défend certes la liberté comme condition du bonheur mais semble
surtout lui accorder de la valeur en tant qu'instrument mis au service de la
morale utilitariste. Pour Mill, cette conciliation est rendue possible car les
individus sont mis « sur la voie du progrès grâce à la
conviction ou la persuasion »278. Cela nous renvoie notamment
aux développements du philosophe sur l'art de l'éducation mis au
service d'un but ou encore sur la thèse de l'association des
idées appliquée aux bonheurs individuel et
général.
Une autre limite éventuelle aux thèses de
l'auteur est constituée par la tension entre les idéaux
d'égalité et de liberté. Cette tension est décrite
par Pierre Bouretz à propos des principes propres à la
démocratie représentative. Mais il les expose également
comme les axiomes de la
274 Préface de « De la liberté, op.cit. Pierre
Bouretz est un spécialiste de la philosophie et directeur
d'études à l'EHESS
275 Stuart Mill (J.), « De la liberté », op.cit.
p.67
276 Stuart Mill (J.), op.cit. p.74
277 Stuart Mill (J.), op.cit. p.32, Préface.
278 Stuart Mill (J.), op.cit. p.76
société moderne. Or, l'on peut facilement se
représenter comment ces deux idéaux peuvent entrer en conflit si
l'un devient dominant par rapport à l'autre. La société
démocratique moderne serait ainsi « une société
où le goût pour l'égalité finit par éteindre
celui de la liberté »279.
Cette tension peut tout aussi bien s'appliquer à la
question de l'égalité hommes-femmes. Dans son essai, De
l'assujettissement, John Stuart Mill défend à la fois
l'égalité naturelle des deux sexes, l'égalité
juridique qui selon lui devrait être consacrée. Mais il plaide
également pour l'émancipation, l'affranchissement des femmes et
la reconnaissance de leur liberté, élément
nécessaire à leur bonheur. S'agissant de l'égalité
juridique, celle-ci ne peut véritablement entrer en conflit avec le
principe de liberté. Toutefois, nous pouvons assister, aujourd'hui,
à l'apparition de cette opposition entre deux principes autrefois
associés. L'égalité juridique n'est, à notre
époque, plus remise en cause. Il s'agit désormais de savoir si le
souhait d'obtenir l'égalité de fait peut, ou non, justifier de
prendre des mesures parfois contraires à l'idéal de
liberté tel que l'envisageait John Stuart Mill notamment.
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279 Stuart Mill (J.), op.cit. p.58, Préface.
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