2. Les obstacles subsistants : la gravité des crimes
et la complémentarité
La reconnaissance de la qualité d'État, ne peut
suffire à elle seule au déclenchement de la compétence de
la Cour. Deux conditions supplémentaires doivent être
réunies : tout d'abord, les crimes doivent présenter une
gravité suffisante et puis, en vertu du principe de
complémentarité, aucune poursuite « réelle » n'a
dû être engagée par des autorités nationales.
S'agissant du principe de gravité d'abord, il convient
de rappeler l'examen préliminaire effectué par la procureure dans
l'affaire des îles Comores98. Suite au blocus imposé
sur la bande de Gaza, une flottille en provenant de la Turquie a essayé,
pour des raisons considérées comme humanitaires, d'y apporter de
la nourriture et médicaments. Arrêté par les forces
armées israéliennes, la confrontation a causé la mort de
10 personnes et la blessure d'une cinquantaine. Les îles Comores,
propriétaires d'un des bateaux, le Mavi-Marmara, ont saisi la
Cour pour que celle-ci mène des enquêtes sur des crimes de guerre
commis à bord.
Dans sa décision du 6 novembre 2014, la procureure
commence par rappeler que « L'appréciation de la gravité des
crimes tient à la fois compte d'aspects quantitatifs et qualitatifs
»99. Elle rajoute par la suite qu'« aux termes de
l'article 8-1 du Statut « [l]a Cour a compétence à
l'égard des crimes de guerre, en particulier lorsque ces crimes
s'inscrivent dans le cadre d'un plan ou d'une politique ou lorsqu'ils font
partie d'une série de crimes analogues commis sur une grande
échelle »100 et conclut ainsi que « les
événements se rapportant à la flottille ne seraient pas
suffisamment graves pour que la Cour y donne suite »101.
Cependant,
93 Ibid.
94 C.J.C.E., Farell, affaire C-356/05, arrêt du
19 avril 2007, Rec. p. I-03067
95 Pour l'état actuel de l'examen
préliminaire, voy. C.P.I, communiqué de presse, Le Procureur de
la Cour pénale internationale, Fatou Bensouda, présente son
rapport annuel sur les activités menées en 2016 en matière
d'examen préliminaire, 14 novembre 2016
96 Pellet (A.), Les effets de la reconnaissance par
la Palestine de la compétence de la Cour pénale internationale,
Op. Cit. p.337
97 Cour E.D.H, 23 mars 1995, affaire Loizidou c/
Turquie, Req. N°15318/89
98 Pour une description, voy. Scalia (D.), La
Palestine et la Cour pénale internationale, Op. Cit. p.382-390.
99 C.P.I, Bureau du Procureur, Situation relative
aux navires battant pavillons comorien, grec et cambodgien, rapport
établi, au titre de l'article 53-1 du Statut, 6 novembre 2014,
ICC-01/13-6-AnxA.
100 Ibid.
101 Ibid.
18
suite à un appel interjeté par les îles
Comores, la chambre préliminaire a invité la procureur à
apprécier de nouveau la situation102. La nouvelle
décision est à venir.
Transposant ce raisonnement à l'opération «
bordure protectrice », il serait difficile pour le procureur de
considérer que la gravité des crimes n'est pas suffisante. Cette
opération menée pendant 51 jours a causé la mort d'environ
2000 Palestiniens103, 67 soldats israéliens et 5 civils
israéliens. D'un point de vue quantitatif, les pertes subies pourront
être considérées comme suffisantes pour caractériser
une gravité. Toutefois, force est de constater que puisque l'article 8-1
du statut susmentionné exige un « plan organisé », ce
qu'en l'espèce paraît difficilement
défendable104, la décision du procureur ne sera pas
aisée.
S'agissant de la condition de complémentarité
(voir supra) en second lieu, on rappellera que la Cour ne pourra pas
être compétente si de véritables poursuites judiciaires ont
été déjà engagées à l'échelle
nationale.
Suite à l'opération « plombe durcie »
de 2009, le rapport Goldstone du Conseil des droits de l'homme de
l'O.N.U105, constatant « la réticence d'Israël
d'ouvrir des enquêtes pénales »106, a
encouragé les États à exercer une compétence
universelle conformément à la Convention de Genève de
1949.
Ce rapport, très mal accueilli par les autorités
israéliennes, a porté ses fruits. Ainsi, suite à l'affaire
du Mavi-Marmara, le gouvernement israélien a
désigné une commission d'enquête menée par l'ancien
juge de la Cour suprême israélienne, Jacob Turkel. Le 6
février 2013, le rapport Turkel a été publié. Il
prônait une intervention plus large du Procureur militaire
général dans les enquêtes menées.107.
Le rapport Turkel a été pris en compte. Ainsi,
suite à l'opération « bordure protectrice », 190
événements ont été déférés,
par des civils palestiniens, au Procureur militaire général.
Parmi les 190 événements, 27 ont donné lieu à des
poursuites pénales,108 dont trois ont abouti à des
condamnations109.
Les poursuites pénales ainsi engagées devront
être soigneusement prises en compte par le procureur lors de sa
décision. Si le procureur les considère comme étant de
véritables procès, elle sera dans l'impossibilité d'ouvrir
des enquêtes.
La compétence de la Cour dans cette affaire ne
révèle pas ainsi de l'évidence, et il conviendra
d'attendre la décision du procureur en la matière.
|