1
La compétence de la Cour pénale
internationale face aux États tiers au statut de Rome
Mémoire présenté dans le cadre
du Certificat d'Études Internationales
Générales
Par
LAKHTER Shai
Année universitaire
2017-2018
2
Avertissement
L'université n'entend donner aucune approbation ni
improbation aux opinions émises dans ce mémoire ; ces opinions
doivent être considérées comme propres à leur
auteur.
3
LISTE DES ABRÉVIATIONS
A. G. Assemblée générale de l'Organisation
des Nations Unies
A.F.D. I Annuaire français de droit international
Art. Article
C.D.I Commission de droit international
C.E.D.H Convention européenne de sauvegarde des droits de
l'homme et des
libertés fondamentales
C.I.J Cour internationale de justice
C.J.C. E Cour de justice des communautés
européennes
C.P.I Cour pénale internationale
C.P.J. I Cour permanente de justice internationale
C.P. Code pénal français
C.P.P Code de procédure pénale français
C/ Contre
Ch. P. Chambre préliminaire
Coll. Collection
Cour E.D.H Cour européenne des droits de l'homme
I.L.R International law reports
Ibid. Au même endroit
No. Numéro
O.N.U Organisation des Nations Unies
Op. Cit. OEuvre citée
P. ex. Par exemple
P. Page
R.G.D.I.P Revue générale de droit international
public
Req. Requête
Res. Résolution du Conseil de sécurité des
Nations Unies
T. Tome
T.P.I.Y Tribunal pénal international pour
l'ex-Yougoslavie
Vol. Volume
Voy. Voyez
4
TABLE DES MATIÈRES
I. LA COMPETENCE DE LA COUR PENALE INTERNATIONALE SANS
LE CONSENTEMENT DE
L'ÉTAT TIERS AU STATUT 7
A. Une compétence universelle de la Cour
pénale internationale ? 7
1. Les enjeux de la compétence universelle 7
2. La compétence universelle pratiquée à
l'échelle nationale : l'exemple français 8
3. La controverse d'une compétence universelle de la Cour
pénale internationale 9
B. La saisine de la Cour pénale internationale par
le Conseil de sécurité 10
1. Les modalités d'exercice de la saisine 11
2. La pratique : la situation en Darfour 12
II. LA COMPETENCE DE LA COUR
PENALE INTERNATIONALE SUITE A L'ACCORD D'UN ÉTAT
TIERS AU STATUT 13
A. Le consentement d'une entité étatique
13
1. Le mécanisme de consentement à la
compétence de la Cour pénale internationale 13
2. Les conséquences du retrait d'un État membre de
la Cour 14
B. Le consentement par une entité à statut
ambigu : l'exemple de la Palestine 16
1. L'obstacle résolu : la notion d'État 16
2. Les obstacles subsistants : la gravité des crimes et
la complémentarité 17
BIBLIOGRAPHIE 20
ANNEXE 1 : PROPOSITION DE LOI DU 26 FEVRIER 2013
23
ANNEXE 2 : DECLARATION DE LA COTE D'IVOIRE DU 18 AVRIL
2003 26
5
Introduction
« Si tous les chemins mènent à Rome [...]
la route de La Haye reste beaucoup plus incertaine » 1. Ainsi s'exprimait
le professeur Decaux pour souligner l'importance de la création de la
Cour pénale internationale. En effet, la mise en place de la Cour par le
statut de Rome du 17 juillet 1998 constitue un événement marquant
dans la longue quête historique tournée vers la recherche d'une
justice internationale pénale.
Le premier procès « international » s'est
tenu en 1474 lorsque, Peter Von Hagenbach, chevalier bourguignon, a
été accusé de ce que, quelques siècles plus tard,
on qualifiera de crime de guerre. Malgré une défense qui se
basait sur le fait qu'il ne faisait que suivre des ordres de son
supérieur, il a été condamné à mort par un
tribunal ad hoc du Saint Empire romain germanique qui retient «
qu'un chevalier a un devoir de diligence »2.
L'affirmation d'une responsabilité pénale
individuelle se poursuit au lendemain de la Première Guerre mondiale.
Malgré une opposition du chef d'État italien, Vittorio Emanuele
Orlando, qui souligna que « jusqu'à aujourd'hui, les chefs
d'État ont toujours été considérés dans
leurs actions comme représentant de la communauté
»3, l'article 228 alinéa 1 du Traité de paix de
Versailles du 28 juin 1919 exigeait que les puissances allemandes traduisent
devant les tribunaux militaires « les personnes accusées d'avoir
commis des actes contraires aux lois et coutumes de la guerre ».
Un pas supplémentaire a été franchi,
à la suite des atrocités de la Seconde Guerre mondiale, par la
création par l'Accord de Londres du 8 août 1945, du tribunal
militaire international de Nuremberg. Premier tribunal pénal
international, il avait comme objectif de juger les grands criminels de guerre
nazis. Outre l'importance historique, le procès de Nuremberg a
donné lieu à l'édiction de ce qu'on qualifie de «
principes de Nuremberg »4.
Ce sont ces principes que la Commission de droit international
reprendra afin de rédiger un projet de code des crimes internationaux.
En effet, la résolution 177 (II) de l'Assemblée
générale des Nations unies du 21 novembre 1947 confie à la
C.D.I le soin de formuler « des principes du droit international reconnus
par le statut de la Cour de Nuremberg et dans l'arrêt de cette cour
». Un premier projet de Code est ainsi présenté en 1954.
Cependant, la confrontation entre les blocs de l'ouest et l'est ont
freiné son adoption. Dès la fin de la guerre froide, un projet
révisé est présenté en 1991, suivi d'un
deuxième en 1994 et d'un dernier en 1996.5 Ce code a
été reconnu par la T.P.I.Y comme étant « un
instrument international faisant autorité qui [...] peut constituer une
preuve des règles du droit coutumier »6.
Les travaux de la C.D.I ont abouti, suite à la
conférence tenue à Rome entre le 15 juin et le 17 juillet 1998,
à la création d'une Cour pénale internationale.
Représentant pour certains un échec des États7,
la Cour pénale internationale a ouvert ses portes le 1er
juillet 2002. Elle est
1 Decaux (E.), Actions au regard de la
souveraineté des Etats et moyens d'investigation, in La Cour
pénale internationale, Colloque Droit et Démocratie, Paris,
La documentation française, 1999, p.88.
2 Gordon (S.), Le Procès de Peter von Hagenbach
: Conciliation de l'histoire, historiographie et du droit international
pénal, 16 Février 2012, (nous traduisons), disponible (en
anglais) sur [
http://www.oxfordscholarship.com/view/10.1093/acprof:oso/9780199671144.001.0001/acprof-9780199671144-chapter-2]
3 Zappala (S), La justice pénale
internationale, Paris, Montchrestien, coll. Clefs politique, 2007,
p.12.
4 Ascensio (H.), La justice pénale
internationale de Nuremberg à la Haye, in La justice pénale
internationale, Limoges, Pulim, 2002, p. 29.
5 Greppi (E.), La cour pénale internationale
et le droit international, in La justice pénale internationale entre
passé et avenir, Paris, Dalloz,2003, p.84.
6 T.P.I.Y, Procureur c/ Furundizjia, 10 février
1998, It-95-17/1.
7 Pour une analyse, voy. Sur (S.), La convention de
Rome entre ONG et Conseil de sécurité, R.G.D.I.P, 1999,
T. CIII, pp.32-35.
6
compétente pour juger les accusés de crime de
guerre, de génocide et des crimes contre
l'humanité8.
Cependant, l'adoption du statut de Rome ne s'est pas faite
sans difficulté sans difficulté. La justice est, en effet, au
coeur de la souveraineté des États. Traditionnellement «
l'épée de la justice »9 se trouvait entre les
mains des États. Ainsi, tel que le rappelle le professeur Luigi
Condorelli 10, le statut met en place, pour la première fois,
un « mécanisme juridictionnel débouchant sur des
décisions obligatoires » en matière de droit international
pénal.
Toutefois, la conception souverainiste de la justice a pu
être dépassée grâce à deux
caractéristiques essentielles de la Cour. Outre son caractère
permanent qui ne nous retiendra pas11, l'article 1er du
statut dispose que la Cour « est complémentaire des juridictions
pénales nationales ».
La complémentarité de la Cour a
été déjà débattue lors des travaux
préparatoires. De ce fait, dès 1995, il a été
envisagé que pèserait une présomption selon laquelle
« la primauté de juridiction devrait être celle des
États et non de la Cour »12. Néanmoins, la
complémentarité n'est pas définie explicitement par le
statut. Afin de saisir la notion, il convient de se référer
à l'article 19-1 du statut qui prévoit que l'affaire doit
débuter par une enquête étatique, et ce n'est qu'à
défaut de la possibilité ou de la volonté de l'État
d'accomplir les actes nécessaires, que des poursuites pourront
être menées devant la Cour. Il convient de préciser que, du
moment où une action est initiée devant la Cour, elle seule peut
apprécier sa compétence en la matière13.
Le principe de complémentarité vient donc
contrebalancer la « perte » de souveraineté des États
afin d'aboutir à mettre « un terme à l'impunité
»14. Or, cette volonté se heurte au fait que l'ensemble
de la communauté internationale n'est pas membre de la
Cour15. Tiers au statut, les États en cause n'ont pas
consenti à voir leurs ressortissants jugés par une organisation
internationale.
Le consentement des Etats est en effet la clé de
voûte du droit international. Rares sont les situations où
l'État aura une obligation en vertu du droit international, sans avoir
préalablement exprimé, du moins implicitement, son
consentement16. Dès lors, il serait opportun d'analyser si le
consentement d'un État influence la compétence de la C.P.I.
Autrement dit, il convient de vérifier si la Cour est
compétente uniquement grâce au consentement de l'État (II),
ou bien si, dans un objectif de lutte contre l'impunité, elle peut s'en
dispenser (I).
8 Art. 5 du statut de Rome.
9 Edoardo (G.), La cour pénale
internationale et le droit international, op. Cit.
10 Condorelli (L.), La Cour pénale
internationale : un pas de géant, R.G.D.I.P, 1999, T. CIII,
p.8.
11 Pour une analyse, voy. Fernandez (J), Pacreau
(X), Statut de Rome de la cour pénale internationale : commentaire
article par article, Paris, Pedone, 2012, T. 1, Pp. 313-318.
12 Comité ad hoc pour la création d'une
cour criminelle internationale, 24 aout 1995, A/AC.244/CRP.9, p.6.
13 Voy. C.I.J, 18 novembre 1953, Affaire Nottebohm
(Liechtenstein c/ Guatemala), Recueil CIJ 1953, p.119 ; C.P.I, situation en
Ouganda, Le procureur c/ Joseph Kony, Vincent Otti, Okot Odhiambo, Domici
Ongen, ICC-02/04-01/05-377, §45.
14 Préambule du statut de Rome,
cinquièmement.
15 A ce jour 124 Etats sont membres de la Cour.
16 P. ex. voy. Affaire du temple de Préah
Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), Fond, Arrêt du 15 juin 1962 :
C. 1. J. Recueil 1962, p. 6.
7
I. La compétence de la Cour pénale
internationale sans le consentement de l'État tiers au statut
La question d'une compétence de la Cour malgré
le manque de consentement de l'État revient à se poser, en
premier lieu, la question de savoir si la Cour a une compétence
universelle (A). La réponse, qui n'est pas évidente, nous
amènera à examiner la compétence de la Cour dans le cadre
d'une saisine par le Conseil de sécurité des Nations unies (B)
A. Une compétence universelle de la Cour
pénale internationale ?
L'idée d'une compétence universelle des
tribunaux n'est pas récente. Elle a été initiée au
XIIIe siècle pour les vagabonds qui n'ont pas de domicile
fixe17. Quatre siècles plus tard, Grotius a distingué
les « délits ordinaires » qui ne concernent que les
particuliers, des « délits qui intéressent en quelque
façon la société humaine »18. Face
à la gravité de tels délits, les États en cause
avaient deux choix : juger ou extrader (aut dedere, aut
judicare)19.
La compétence universelle pose plusieurs enjeux (1)
qu'il convient d'identifier. Le principe de complémentarité de la
C.P.I rend nécessaire une analyse préliminaire du système
juridique français (2), avant de déterminer quel est le sort
d'une telle compétence pour la Cour (3).
1. Les enjeux de la compétence universelle
La notion de compétence universelle ne peut pas
être définie unanimement. Aux fins de la présente
étude, la compétence universelle s'entendra comme « la
compétence pénale basée sur la nature du crime,
indifféremment du lieu où celui-ci a été commis, de
la nationalité de l'auteur ou de la victime, ou de tout autre lien avec
l'État exerçant une telle compétence »20
La compétence universelle pose la question de savoir si
un État peut juger un suspect sans que le crime ait été
commis sur son territoire ou que ce dernier soit un de ses ressortissants. En
d'autres termes, il s'agit de la question de l'application de la loi dans
l'espace.
L'application de la loi dans l'espace ne pose pas, en
règle générale, de difficultés. De ce fait, il est
largement admis, en vertu d'une compétence personnelle, qu'un
État soit compétent pour juger des crimes commis par un de ses
ressortissants ou à l'encontre d'un de ses ressortissants, même en
dehors de son territoire21. De même, en vertu d'une
compétence réelle, l'État est compétent pour juger
des crimes touchants à ses « intérêts essentiels
»22
En revanche, la légalité d'une compétence
universelle est plus délicate, car elle touche au coeur de la
souveraineté des États. Hormis les cas précités, la
question consistait à savoir si le droit international autorise ou
prohibe une expansion de la compétence extraterritoriale des
États.
Telle était la question à laquelle était
confrontée la C.P.J.I dans l'affaire du Lotus jugée le 7
septembre 192723. L'affaire en question concernait le procès
en Turquie d'un commandant de navire français ayant détruit un
navire turc. Confrontée à la question de la compétence des
tribunaux, la Cour semble affirmer de prime abord le principe de liberté
en droit international. Elle décide ainsi que « Loin de
défendre d'une manière générale aux États
d'étendre leurs lois
17 Peyro- Llopis (A.), La compétence
universelle en matière de crimes contre l'humanité,
Bruxelles, Bruylant, 2003. p.2.
18 Ibid.
19 Carreau (D.), La compétence universelle
au regard du droit international, in Les droits et le Droit :
mélanges dédiés à Bernard Bouloc, Paris,
Dalloz, 2007, P.89
20 Article 1 des principes de Princeton sur la
compétence universelle (nous traduisons).
21 P. ex. art. 113-6 du C.P
22 Bailleux (A.), La compétence
universelle au carrefour de la pyramide et du réseau, Bruxelles,
Bruylant, 2005, Pp.16-29.
23 C.P.J.I, Affaire du lotus, arrêt du 7
septembre 1927, Série A- n°10
8
et leur juridiction à des personnes, des biens et
des actes hors du territoire, il [le droit international] leur laisse, à
cet égard, une large liberté, qui n'est limitée que dans
quelques cas par des règles prohibitives ; pour les autres cas, chaque
État reste libre d'adopter les principes qu'il juge les meilleurs et les
plus convenables ».
Cette liberté laissée aux États est
immédiatement tempérée. La Cour décide ainsi que
« il y a lieu de se demander si les considérations qui
précèdent valent réellement pour la matière
pénale ». La question de la compétence universelle n'a
pas été tranchée par cet arrêt. L'arrêt laisse
à se demander si, par son lien étroit avec l'ordre public, la
liberté des États est limitée en matière
pénale. Dès lors, la légalité d'une
compétence universelle en droit international reste incertaine, d'autant
plus que dans un récent arrêt24, la C.I.J s'est
abstenue de statuer sur la question.
Malgré l'ambiguïté de sa
légalité en droit international, il n'en reste pas moins que
« la compétence universelle est, en effet, une des méthodes
les plus efficaces pour dissuader et prévenir les crimes internationaux
en augmentant les chances de poursuite et de condamnation de leurs auteurs
»25.
Ayant cette conception à l'esprit, la compétence
universelle est exercée dans de multiples États à travers
le monde26. La présente étude se concentrera sur le
cas de l'État français.
2. La compétence universelle pratiquée
à l'échelle nationale : l'exemple français
L'étude de la compétence universelle d'un
État, dans le cadre de cette étude, peut paraître à
première vue étrange. Il s'agit néanmoins d'une
étape décisive à la compréhension de la
compétence de la C.P.I. En effet, la compétence
complémentaire de la C.P.I implique l'étude de la
compétence des États.
Le droit pénal français connaît le
principe de la compétence universelle. Inscrite à l'article 6891
du Code de procédure pénale27, elle est
conditionnée par la présence de l'individu sur le sol
français, et se limite à certaines infractions. Peuvent
être citées à titre d'illustration, les crimes de torture
ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, les crimes de
terrorisme, les infractions relatives à la protection des
intérêts financiers de l'Union européenne et à la
lutte contre la corruption des fonctionnaires européens28.
Force est de constater que les crimes susmentionnés ne
coïncident pas avec les crimes qui relèvent de la compétence
de la C.P.I (voy. Supra). C'est pour cette raison, que le
législateur a introduit dans le Code de procédure pénale,
par la loi du 9 août 2010, l'article 689-11 qui prévoit que les
juridictions françaises sont compétentes pour juger « des
crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale
en application de la convention portant statut de la Cour pénale
internationale signée à Rome le 18 juillet 1998 ».
Il peut sembler, à première vue, que la
compétence universelle dont disposent les tribunaux français soit
absolue. Cependant, tel n'est pas le cas. En effet, les conditions
posées par l'article 689-11 du Code pénal font de l'application
d'une telle compétence une quasi-hypothèse d'école. Trois
conditions principales sont posées : l'individu doit résider
habituellement en
24 Mandat d'arrêt du Il avril 2000
(République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt, C.
I. J. Recueil 2002, p. 3
25 Bassiouni (C.), La compétence universelle
pour les crimes internationaux : perspectives historiques et pratiques
contemporaines, Revue de droit international de Virginie, Vol. 42,
2001, p.82 (nous traduisons).
26 Pour un panorama, voy. Blanco Cordero (I),
Compétence universelle. Rapport général, Revue
internationale de droit pénal, vol. 79, no. 1, 2008, pp. 13-57.
27 Pour la conformité d'une telle
compétence au droit de la C.E.D.H, voy. Cour E.D.H, 17 mars 2009, Ely
Oulb Dah c/France, Req. N° 13113/03.
28 Art. 689-2 à 689-11 du C.P.P
9
France ; les faits doivent être punis par l'État
où les crimes ont été commis ou bien l'État dont il
a la nationalité doit être partie à la Cour.
Face à ces conditions, certains parlent d'un «
projet chimérique »29. Ils rappellent à travers
un exemple certes caricatural, mais juridiquement correct que «
aujourd'hui, Bachar el-Assad, Kim Jong-un ou n'importe quel responsable de
milices coupables des pires crimes peuvent venir à Paris sans être
inquiétés »30. Il semble ainsi que, de nos jours,
il est plus facile en France d'échapper à des poursuites en
organisant un génocide qu'en corrompant un fonctionnaire
européen.
Cette situation paradoxale a conduit le sénateur Jean
Pierre Sueur à déposer devant le Sénat une proposition de
loi visant à reformer l'article 689-11 du Code pénal. La
proposition de loi, adoptée par le Sénat le 26 février
2013 (annexe 1), vise à supprimer les trois conditions prévues et
instaurer, par ce fait, une véritable compétence universelle.
Transmise à l'Assemblée nationale, cela fait cinq ans qu'elle
attend d'être inscrite à l'ordre du jour.
Dès lors, face à cet exemple d'une
compétence universelle limitée, il est désormais opportun
d'étudier la compétence universelle de la C.P.I.
3. La controverse d'une compétence universelle de la
Cour pénale internationale
La question de la compétence universelle a
été discutée lors de la conférence de Rome de 1998.
Les travaux préparatoires31 montrent ainsi que deux
thèses étaient en présence : certains
États32 et organisations humanitaires se prononçaient
en faveur d'une compétence universelle, tandis que d'autres souhaitaient
laisser une place majeure au consentement des États33.
Le statut de la C.P.I affirme la victoire des États
« consensualistes » puisque la Cour n'est compétente qu'en
vertu de certains critères34. Néanmoins, affirmer que
la C.P.I ne possède pas de compétence universelle paraît
incorrect. En effet, lorsque la Cour est saisie par le Conseil de
sécurité (voir infra), sa compétente peut
paraître universelle. Elle élargit ses compétences à
des États non parties au statut de Rome. Toutefois, les
résolutions du Conseil de sécurité ne lient que les
États parties à la Charte des Nations Unies.35. Il
s'agit certes d'une hypothèse marginale, mais de jure, la
compétence universelle de la C.P.I paraît limitée.
Le choix politique du consentement, opéré par le
statut de Rome peut être expliqué juridiquement par le principe de
l'effet relatif des conventions (res inter alios acta).
Exprimée à l'article 34 de la Convention de Vienne de 1969 sur le
droit des traités36, ce principe est « la
conséquence logique de l'exclusion de la catégorie des
traités lois et des traités créant des situations
objectives »37. Les États ne peuvent créer,
dès lors, ni droits38 ni obligations39 pour un
État tiers à la Convention. Or, donner à la C.P.I une
compétence universelle reviendrait à créer des obligations
envers des États tiers à la Convention.
29 Franck (A.), Le projet chimérique d'une
compétence universelle en France, Radio France Internationale, 21
octobre 2015.
30 Ibid.
31 A/CONF.l83/13(Vol. II)
32 Notamment l'Allemagne, le Belgique, le Luxembourg,
la Jordanie, les Pays-Bas, le Venezuela et l'Équateur
33 Notamment les Etats-Unis, Israël, l'Inde, la
France et le Mexique.
34 Art. 12 du statut de Rome.
35 Elles ne s'appliquent donc pas au Vatican, aux
Iles Cook (la question ne se pose pas car ils sont membres de la Cour) et a
Niué.
36 Il n'y a pas à rechercher une
ratification de la convention puisqu'elle s'applique en tant que coutume, voy.
Projet Gabcikovo-Nagymaros (Hongrie-Slovaquie), arrêt, C. I. J. Recueil
1997, p. 7.
37 Combacau (J.), Sur (S.), Droit international
public, Paris, LGDJ, 2016, p. 156.
38 Affaire de l'Ile de Clipperton, recueil des
sentences arbitrales, 28 janvier 1931, Volume II pp. 1105-1111
39 C.P.J.I., Affaire des Zones franches du
Haute-Savoie et des pays du Gex, 7 juin1932, Série /B, Fascicule
n°46.
10
Toutefois, l'extension des effets d'un traité peut
être faite par voie coutumière. C'est ainsi que l'article 38 de la
Convention de Vienne de 1969 dispose qu'une règle énoncée
par un traité peut devenir « obligatoire pour un État tiers
en tant que règle coutumière de droit international reconnue
comme telle ». Dès lors, il convient de prouver que, pour les
crimes pour laquelle la C.P.I est compétente, une compétence
universelle existe en tant que règle coutumière40.
S'agissant en premier lieu des crimes de guerre, plusieurs
conventions internationales obligent les États à avoir une
compétence universelle pour des crimes commis lors de conflits
armés internationaux 41 . Or, il est désormais admis
que ces conventions expriment des règles
coutumières42.
S'agissant du génocide, la Convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide de 1948
n'a pas instauré de compétence universelle43.
Cependant, dans l'affaire Eichmann de la Cour suprême d'Israël,
celle-ci a décidé que si la Convention n'autorisait pas une
compétence universelle, elle ne l'interdisait pas non plus44.
Ceci étant dit, l'article V de la Convention prévoit que «
Les Parties contractantes s'engagent à prendre, conformément
à leurs constitutions respectives, les mesures législatives
nécessaires pour assurer l'application des dispositions de la
présente Convention, et notamment à prévoir des sanctions
pénales efficaces frappant les personnes coupables de génocide ou
de l'un quelconque des autres actes énumérés à
l'article III ». Cette disposition, qui peut être
considérée comme obligeant à établir une
compétence universelle, a été reconnue comme une norme
coutumière par la CIJ45.
S'agissant des crimes contre l'humanité, la question
est plus délicate. Réprimés depuis la création des
tribunaux de Nuremberg et Tokyo, les crimes contre l'humanité n'ont pas
fait l'objet d'une convention. Même si certaines résolutions de
l'Assemblée générale consacrent implicitement en la
matière une compétence universelle en tant que norme
coutumière46, la faible pratique étatique paraît
un obstacle à la reconnaissance d'une telle coutume47.
Si les organisations internationales48 et les
tribunaux internationaux49 peuvent être à l'initiative
d'une pratique coutumière, il apparaît que, réciproquement,
celles-ci pourront se reconnaître une compétence universelle sur
une base coutumière. Il semblerait dans ce cas que la C.P.I pourrait se
reconnaître une compétence universelle, à titre coutumier,
pour des crimes de guerre et crimes de génocide.
En tout état de cause, il convient à
présent d'examiner la partie « certaine » de la
compétence universelle de la C.P.I, celle qui résulte de la
saisie par le Conseil de sécurité.
B. La saisine de la Cour pénale internationale
par le Conseil de sécurité
L'article 13 du statut de Rome prévoit trois modes de
saisine de la Cour : par un État parti, par le procureur, ou par le
Conseil de sécurité. L'idée d'une saisine de la Cour par
le Conseil de sécurité a été débattue lors
de la conférence de Rome. L'ancien président de la Cour, Philippe
Kirsch, décrit une méfiance des certains États quant
à l'intervention du Conseil de sécurité50.
D'autres, et notamment les États Unis, ont voulu faire du Conseil de
sécurité, l'organe de
40 Définie par l'article 38 du statut de la
C.I.J comme une « preuve d'une pratique générale
acceptée comme étant le droit ».
41 Voy. art. 49 de la Convention (I) de
Genève pour l'amélioration du sort des blessés et des
malades dans les forces armées en campagne, 12 août 1949.
42 Licéité de la menace ou de l'emploi
d'armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996, p. 226.
43 Bailleux (A.), La compétence universelle
au carrefour de la pyramide et du réseau, Op. Cit.
44 Cour suprême d'Israël, 29 mai 1962,
Procureur c. Eichmann, I.L.R, n° 36, Pp 5-35.
45 Réserves à la Convention sur le
Génocide, avis consultatif : C. I. J. Recueil 1951, P. 15
46 Res. AG2840 (XXVI), Res. AG3020(XXVIII), Res.
AG3074(XXVIII)
47 Bailleux (A.), La compétence universelle
au carrefour de la pyramide et du réseau, Op. Cit.
48 Economides (C.), Les actes institutionnels
internationaux et les sources du droit international, A.F.D.I, 1988, p.142,
cité in Barberis (J.), Réflexions sur la coutume internationale,
A.F.D.I, 1990, p.34.
49 C.P.J.I, 27 juillet 1927, Affaire de l'usine de
Chorzów, Série A, n°9.
50 Discours prononcé le 16 février 2018
lors de la 3eme journée de la justice pénale internationale.
11
saisine principale51. La divergence
d'appréciation du rôle du Conseil de sécurité a
conduit à un résultat hybride. Le Conseil de
Sécurité pourra saisir la Cour à certaines conditions
qu'il conviendra d'expliciter (1). Toutefois, derrière l'utopie
théorique, l'avenir pratique est incertain (2).
1. Les modalités d'exercice de la saisine
Les modalités d'exercice de la saisine de la Cour par
le Conseil de sécurité ont fait couler beaucoup
d'encre52. Il ne s'agit pas, dans le cadre de cette étude,
d'en faire un exposé exhaustif, mais plutôt d'en décrire
les grandes lignes nécessaires à la compréhension de la
pratique.
De prime abord, la saisine par le conseil est une source
d'élargissement de la compétence de la Cour, du moins
rationae loci. La Cour pourra dans ce cas, mener des enquêtes
concernant des États non parties. Autrement dit, la saisine du Conseil
de sécurité neutralise le besoin de recueillir le consentement
d'un État. Face à cet élargissement de la
compétence, le Soudan a crié à une forme de
néo-colonialisme. Toutefois, cette affirmation paraît incorrecte.
Même si l'État en cause n'a pas exprimé son consentement
à la compétence de la Cour, il a bel et bien exprimé son
consentement à se soumettre aux résolutions du Conseil de
sécurité en ratifiant le traité de San Francisco du 26
juin 194553. La conception souverainiste du droit international
public est dès lors préservée.
L'article 13b du statut prévoit ainsi que la Cour peut
exercer sa compétence « si une situation dans laquelle un ou
plusieurs de ces crimes [visés à l'article 5] paraissent avoir
été commis est déférée au Procureur par le
Conseil de sécurité agissant en vertu du Chapitre VII de la
Charte des Nations Unies »
Notons à titre préliminaire, que le statut
emploi le terme de « situation »54 et non pas celle
d'affaire. Dès lors, la saisine du Conseil de sécurité ne
peut pas viser un individu nommément désigné.
Le statut pose en outre la condition selon laquelle le Conseil
de sécurité ne peut agir qu'en vertu du Chapitre VII de la Charte
des Nations unies. Autrement dit, il doit constater « l'existence d'une
menace contre la paix, d'une rupture contre la paix ou d'un acte d'agression
» et que la saisine est nécessaire afin de « maintenir ou
rétablir la paix et la sécurité internationales
»55.
Si ces conditions sont remplies, le Conseil de
sécurité est libre de procéder à la saisine. En cas
de saisine, « le Secrétaire général transmet
immédiatement la décision écrite du Conseil de
sécurité au Procureur avec les documents et autres pièces
pouvant s'y rapporter »56.
Force est de constater que la saisine du Conseil de
sécurité s'inscrit dans une vision d'ensemble de
coopération entre l'O.N.U et la Cour. La Cour, ne possédant pas
de force armée propre, cette coopération est rendue
nécessaire. La Cour peut ainsi, à titre d'illustration, saisir
le
51 Voy. Fernandez (J), Pacreau (X), Statut de
Rome de la cour pénale internationale : commentaire article par
article, op. Cit, p.611.
52 Voy. Notamment, Blaise (N.), Les interactions
entre la cour pénale internationale et le conseil de
sécurité : justice versus politique ? Revue internationale de
droit pénal, vol. 82, no. 3, 2011, pp. 420-444. ; Bourguiba (L.),
Modèles de saisine et limites, Confluences
Méditerranée, vol. 64, no. 1, 2008, pp. 25-41.
53 Le soudan a ratifié le traité le 12
novembre 1956.
54 Blaise (N.), Les interactions entre la cour
pénale internationale et le conseil de sécurité : justice
versus politique ? Op. Cit.
55 Art. 39, Chapitre VII de la Charte des nations
unis.
56 Art. 17 de l'accord négocié
régissant les relations entre la Cour pénale internationale et
l'Organisation des Nations Unies du 4 octobre 2005.
12
Conseil de sécurité en cas de manquement
à une obligation d'un État partie57. Le Conseil pourra
dans ce cas prendre une résolution qui liera juridiquement
l'État58.
À ce jour, le pouvoir de saisine du Conseil de
sécurité a été ainsi exercé à deux
reprises : le premier s'agissant de la situation en Darfour59 et le
second s'agissant de la Libye60.
2. La pratique : la situation en Darfour
Le 31 mars 2005, pour la première fois, le Conseil de
sécurité décide de « de déférer au
Procureur de la Cour pénale internationale la situation au Darfour
depuis le 1er juillet 2002 ». Il ne s'agirait pas ici de revenir sur le
contexte historique de la situation,61 mais plutôt de dresser
l'état actuel de l'affaire. On notera ainsi que depuis juin 2005, le
procureur mène des enquêtes concernant le génocide et des
crimes commis au Darfour à partir du 1er juillet 2012.
Six mandats d'arrêt ont été émis,
dont deux concernent le chef de l'État soudanais Omar Hassan Ahmad Al
Bashir. Le premier mandat d'arrêt a été émis le 4
mars 200962 et le second le 12 juillet 201063.
Malgré ces deux mandats d'arrêt, le président soudanais
bénéficie d'une liberté de mouvement et n'a guère
été arrêté lors de ses voyages.
La liberté de mouvement de Al Bashir s'exerce au sein
des États parties à la convention (Voy. Infra) comme
dans des États tiers. On mentionnera particulièrement ses voyages
en République fédérale démocratique
d'Éthiopie le 12 juin 2017 et les 3 et 4 juillet 2017, le Royaume
d'Arabie saoudite le 19 juin 2017, le 18 juillet 2017 et du 29 août au 4
septembre 2017, les Émirats arabes unis le 17 juillet 2017, le Royaume
du Maroc le 3 août 2017 ou aux alentours de cette date et la
République du Rwanda le 18 août 201764.
Avant chacun de ces voyages, la Cour a adressé des
« notes verbales » aux pays concernés, mais n'a obtenu aucune
réponse. Étant des États tiers à la Cour, le
Conseil de sécurité aurait pu et même dû intervenir
en la matière. Cependant, aucune résolution de sa part n'a
été prise.
Cette liberté de voyage du président soudanais,
notamment dans les pays africains, s'explique en partie par la position en la
matière de l'Union africaine. En effet, l'Union africaine a
demandé au Conseil de sécurité de reporter les poursuites
contre le président soudanais65. Voyant sa demande
rejetée, l'Union africaine a décidé que « les
États membres de l'UA ne coopéreront pas conformément aux
dispositions de l'article 98 du Statut de Rome de la C.P.I relatives aux
immunités dans l'arrestation et le transfert du Président Omar El
Bashir du Soudan à la C.P.I »66
S'agissant cette fois, des États parties à la
Cour, la C.P.I a envoyé des demandes d'explications au Chad67
et à l'Ouganda68. La Jordanie, pour sa part, a essayé
de justifier le manque de
57 Art. 87§7 du statut de Rome.
58 Les résolutions du Conseil de
sécurité ont un effet erga omnes, voy. T.P.I.Y, Affaire Blaskic,
29 juillet 2004, IT-95-14.
59 Résolution 1593 (2005) du 31 mars 2005.
60 Résolution 1970(2011) du 26 février 2011. Le
cas de la Libye ne sera pas traité dans la présente étude.
Pour un regard journalistique de l'affaire, voy. Maupas (S.), Le joker des
puissants : le grand roman de la Cour pénale internationale, Paris,
Don Quichotte, premier chapitre.
61 Aumond (F.), La situation au Darfour
déférée à la CPI : Retour sur une résolution
« historique » du Conseil de Sécurité,
R.G.D.I.P., T. CXII,2008, pp. 111-114.
62 C.P.I, Ch. P. I, 4 mars 2009, le Procureur c/ Omar
Hassan Ahmad Al Bashir, ICC-02/05-01/09-1
63 C.P.I, Ch. P. I, 12 juillet 2010, le Procureur c/
Omar Hassan Ahmad Al Bashir, ICC-02/05-01/09-95
64 Vingt-sixième rapport du procureur de la
cour pénale internationale au conseil de sécurité de
l'organisation des nations unies en application de la résolution 1593
(2005), p.6.
65 L'article 16 du statut de Rome prévoit la
possibilité au Conseil de sécurité de demander la
suspension de toute enquête ou poursuite.
66 Assembly/AU/Dec. 245 (XIII) Rev.1
67 C.P.I, Ch. P. II, 26 janvier 2018, le Procureur c/
Omar Hassan Ahmad Al Bashir, ICC-02/05-01/09-311
68 C.P.I, Ch. P. II, 26 janvier 2018, le Procureur c/
Omar Hassan Ahmad Al Bashir, ICC-02/05-01/09-310
13
coopération avec la Cour en se basant sur les
immunités des chefs d'État en exercice. Elle a invoqué que
le Conseil de sécurité aurait pu ordonner la levée de
l'immunité du président soudanais, mais que tel n'était
pas le cas. La Cour a rejeté cette argumentation et a constaté un
manquement aux obligations de la Jordanie69. La Jordanie a
néanmoins interjeté appel70. Au jour de la
rédaction de l'étude, aucune décision n'a
été encore rendue.
Force est de constater que les États ne sont pas les
seuls à ne pas coopérer avec la Cour. Ainsi, lors du sommet de
l'Union africaine du 29 janvier 2018, le secrétaire
général des Nations unies Antonio Guterres a
rencontréé le président soudanais71 alors, que
rappelons le, il fait l'objet de deux mandats d'arrêt.
De tout ce qui précède, pour reprendre l'image
du Professeur Frederic Mégret72, il apparaît que le
Conseil de sécurité se comporte comme un enfant qui se
désintéresse de ses jouets. Le Procureur de la Cour est dans
l'obligation de présenter tous les six mois un rapport au Conseil de
sécurité sur la situation des enquêtes. Vingt-six rapports
ont déjà été présentés à nos
jours, mais aucune avancée de la part du Conseil n'a été
ressentie. On peut donc se demander à quoi sert de déférer
une situation à la Cour, pour ensuite, exprimer un tel
désintéressement. On peut supposer que, tant que le Conseil de
sécurité comportera des membres permanents motivés par des
ambitions politiques, la Cour n'arrivera guère à mettre fin
à l'impunité du président soudanais.
Ayant ainsi analysé la compétence de la Cour
malgré le manque de consentement des États, il est opportun
d'examiner à présent, sa compétence née d'un accord
d'un État tiers au statut.
II. La compétence de la Cour pénale
internationale suite à l'accord d'un État tiers
au statut
A priori, l'État étant maître de sa
souveraineté, la situation dans laquelle il exprime son consentement
à la compétence de la Cour ne devrait pas susciter des
difficultés particulières (A). Autre est la situation d'un
consentement donnée par une entité ayant un statut ambigu (B).
A. Le consentement d'une entité étatique
Un État tiers au statut est libre de consentir à
la compétence de la Cour. L'exercice de cette compétence
n'appelle que peu de remarques (1). Une question plus délicate est celle
de savoir que devient la compétence de la Cour dans le cas du retrait
d'un État membre (2).
1. Le mécanisme de consentement à la
compétence de la Cour pénale internationale
L'article 12§3 du statut de Rome offre aux États
tiers au statut la possibilité de consentir à l'exercice de la
compétence de la Cour en déposant une déclaration
auprès du Greffe.
Une telle possibilité peut paraître, de prime
abord, surprenante. En donnant compétence à la Cour,
l'État déclare que de facto, il est dans
l'incapacité de juger. Or, la justice est un des pouvoirs
régaliens de l'État. Cette affirmation doit être
nuancée : l'État peut consentir à ce qu'on juge ses
nationaux ou biens pour qu'on juge des crimes commis sur son territoire.
L'État n'abdiquera sa souveraineté que dans la première
des hypothèses. En effet, s'agissant de la seconde hypothèse,
l'incapacité de l'État d'exercer la justice constitue une
incapacité
69 C.P.I, Ch. P. II, 11 décembre 2017, le
Procureur c/ Omar Hassan Ahmad Al Bashir, ICC-02/05-01/09-309-tFRA, notamment
§27-33.
70 C.P.I, 18 décembre 2017,
ICC-02/05-01/09-312.
71 Kouassi (C.), Recherché par la CPI, Omar
el-Béchir en tête-à-tête avec le chef de l'ONU, 30
janvier 2018. Disponible sur [
http://www.cameroonvoice.com/news/article-news-32710.html],
consulté le 19 février 2018.
72 Discours prononcé le 16 février 2018
lors de la 3eme journée de la justice pénale internationale.
14
matérielle plutôt qu'une incapacité que
l'on pourrait qualifier d'institutionnelle qui s'entend comme une
incapacité qui provient d'un motif politique.
Le consentement à la compétence de la Cour se
fait suivant les règles habituelles du droit international public.
Puisqu'en principe, l'État ne peut pas être attrait en justice
sans son consentement73, il peut modifier sa situation juridique
processuel par le biais d'un acte unilatéral. Telle est en effet la
qualification qui doit être retenue s'agissant de la
déclaration.
Néanmoins, la déclaration en cause
présente une particularité. Pour certains auteurs74,
le consentement ne peut être exprimé qu'après la survenance
d'infractions. Le consentement à la compétence de la Cour ne sera
pas général, mais se limitera à une situation
donnée. L'alinéa second de la règle 44 du règlement
de procédure et de preuve75 fait en effet
référence à une « situation ». La
déclaration du 18 avril 2003 de la Côte d'Ivoire (annexe 2)
corrobore cette interprétation.
L'article 12§3 a été mis en oeuvre tant
pour des incapacités matérielles que des incapacités
institutionnelles. S'agissant des incapacités matérielles,
peuvent être citées les déclarations de l'Ukraine du 17
avril 2014 et 8 septembre 201576 et celle de la Palestine du 31
décembre 2014 (voy. Infra). Concernant les incapacités
institutionnelles, peuvent être citées la déclaration
ivoirienne susmentionnée ainsi que les déclarations du 14
décembre 2010 et 3 mai 2011.
À ce jour, seules les deux dernières
déclarations ont abouti à l'ouverture d'un procès devant
la Cour. Suite aux émeutes électorales en Côte d'Ivoire en
2010, le procès de l'ancien président ivoirien Laurent Gbagbo a
été ouvert le 28 janvier 201677.
Si le consentement d'un État tiers élargit la
compétence de la Cour, le retrait d'un État, et donc de son
consentement, a-t-il un impact sur cette compétence ?
2. Les conséquences du retrait d'un État
membre de la Cour
Le consentement d'un État à la compétence
de la Cour peut être retiré. Ainsi, en retirant son consentement,
l'État en question ne sera plus membre de la Cour et par
définition deviendra un État tiers au statut de Rome. Cette
hypothèse, prévue par le statut, soulève des questions
relatives au sort de la compétence de la Cour.
L'article 127 du statut prévoit ainsi que « Tout
État Partie peut, par voie de notification écrite adressée
au Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies,
se retirer du présent Statut ». C'est ainsi que, suite à la
décision du procureur d'ouvrir un examen préliminaire pour des
crimes commis en Burundi78, ce dernier a décidé de se
retirer de la Cour. Le projet de loi de retrait a été
adopté par le parlement le 12 octobre 2016 et promulgué par le
président le 18 octobre 2016. Le retrait nécessite une
notification pour entrer en vigueur et c'est ainsi que celle-ci a
été déposée le 27 octobre 2016.
73 C.P.J.I, avis du 23 juillet 1923, Statut de la
Carélie orientale, Série B, n°5.
74 Fernandez (J), Pacreau (X), Statut de Rome
de la cour pénale internationale : commentaire article par article,
Op. Cit, p.594.
75 « Lorsqu'un État dépose auprès du
Greffier ou fait savoir à celui-ci qu'il a l'intention de déposer
la déclaration prévue au paragraphe 3 de l'article 12, ou lorsque
le Greffier agit selon la disposition 1 ci-dessus, le Greffier informe
l'État concerné que sa déclaration emporte acceptation de
la compétence de la Cour à l'égard des crimes visés
à l'article 5 auxquels renvoie la situation considérée, et
que les dispositions du Chapitre IX du Statut ainsi que toutes les
règles qui en découlent concernant les États Parties lui
sont applicables ».
76 La situation en Ukraine se trouve au stade de
l'enquête préliminaire.
77 Pour une présentation de l'affaire et les
derniers développements, voy. Mattei (F.), Procès Gbagbo : pour
qui sonne le glas ? 5 février 2018. Disponible sur [
https://www.investigaction.net/fr/proces-gbagbo-pour-qui-sonne-le-glas/],
consulté le 21 février 2018.
78 Déclaration du Procureur de la Cour
pénale internationale, Mme Fatou Bensouda, à propos de l'examen
préliminaire entamé dans le cadre de la situation au Burundi du
25 avril 2016
15
Le retrait du Burundi n'affectait pas l'examen
préliminaire à ce stade, puisque le l'article 127 prévoit
que « Le retrait prend effet un an après la date à laquelle
la notification a été reçue, à moins que celle-ci
ne prévoie une date postérieure ».
La question se posait surtout de savoir, si la Cour peut
exercer sa compétence au-delà de la date du retrait du Burundi,
à savoir le 27 octobre 2017. Les doutes étaient permis puisque le
second alinéa de l'article 127 est rédigé de façon
peu claire. Il dispose ainsi que « le retrait n'affecte en rien la
poursuite de l'examen des affaires dont la Cour était déjà
saisie avant la date à laquelle il a pris effet ». Les
interrogations majeures se posaient quant à l'interprétation des
termes « examens » et « Cour »79.
Face à ces interrogations, on pouvait penser recourir
au droit général des traités80. En effet
l'article 70-1-b de la Convention de Vienne sur le droit des traités de
1969 prévoit qu'« À moins que le traité n'en dispose
ou que les parties n'en conviennent autrement, le fait qu'un traité a
pris fin en vertu de ses dispositions ou conformément à la
présente Convention [...] ne porte atteinte à aucun droit, aucune
obligation, ni aucune situation juridique des parties, créés par
l'exécution du traité avant qu'il ait pris fin ».
Une première lecture de la disposition conduirait
à affirmer que le retrait du Burundi ne devrait pas avoir des
conséquences sur la compétence de la Cour. Telle n'était
cependant pas la lecture faite par la doctrine : ainsi si certains ont
affirmé que faute d'enquête ouverte, il ne peut pas être
parlé de « situation juridique »81, d'autres ont
crié à l'inapplication de la Convention de Vienne puisque le
statut de Rome constituerait une lex specialis82.
Cependant, la position de la doctrine a été en
partie désavouée par la Cour. Ainsi, par une décision en
date du 25 octobre 2017, soit 2 jours avant l'entrée en vigueur du
retrait du Burundi, la Cour a autorisé le Procureur à ouvrir une
enquête83.
Dans sa décision, la Cour se déclare
compétente pour juger les crimes commis au Burundi, et ce avant le 27
octobre 2017. Ainsi, le retrait du Burundi a pour effet de réduire
uniquement la compétence rationae temporis de la Cour. Elle
rappelle que les crimes de l'article 5 étant
imprescriptibles84, les poursuites peuvent être
exercées sans limites de délai. En outre, la Cour fait
expressément référence à l'article 70-1-b de la
Convention de Vienne ce qui désavoue la position des auteurs
précités.
Cependant, il est regrettable que la Cour ne se prononce pas
sur la question de savoir quel serait l'effet du retrait quant à une
enquête ouverte après la date du retrait. Elle estime en effet
« qu'il n'est pas nécessaire qu'elle résolve cette question
[puisque] la [...] décision est rendue avant le 27 octobre 2017, date de
prise d'effet du retrait ».
De ce fait, si le retrait du Burundi n'affecte pas la
compétence de la Cour quant aux enquêtes en cours85, la
question des effets du retrait sur des enquêtes intervenues
postérieurement au retrait, mais pour des faits commis avant celui-ci,
reste ouverte. Ainsi, le mécanisme du
79 Sur ce sujet, voy. Capizzi (P.), Le retrait du
Burundi du Statut de la Cour pénale internationale : quelles
conséquences ? La Revue des droits de l'homme [En ligne],
consulté le 22 février 2018.
80 Ibid.
81 Pellet (A), Entrée en vigueur et
amendement du statut, in Cassese (A.), Gaeta (P), Le statut de Rome de la
Cour pénale internationale : un commentaire, Oxford, Presse
universitaire d'Oxford, 2002, p. 172 (nous traduisons), cité in Capizzi
(P.), Le retrait du Burundi du Statut de la Cour pénale internationale :
quelles conséquences ? Op.cit.
82 Voy. Fernandez (J), Pacreau (X), Statut de
Rome de la cour pénale internationale : commentaire article par
article, op. Cit, T. II, p. 2215-16, cité in Capizzi (P.), Le
retrait du Burundi du Statut de la Cour pénale internationale : quelles
conséquences ? Op.cit.
83 C.P.I, Ch. P. III, 25 octobre 2017 (publication
le 9 novembre 2017), Situation en République de Burundi,
ICC-01/17-9-Red-tFRA, notamment §22-26.
84 Article 29 du Statut de Rome.
85 On notera que si le Burundi souhaitait
échapper à la compétence de la Cour, elle pouvait,
conformément à l'article 18 du statut, présenter au
procureur dans un délai d'un mois à compter de la notification de
l'ouverture de l'enquête, sa volonté de juger par elle-même
les crimes allégués. Aucune démarche en ce sens n'a
été effectué.
16
consentement d'une entité étatique étant
acquis, il convient d'analyser à présent le cas du consentement
d'une entité à statut ambigu.
B. Le consentement par une entité à
statut ambigu : l'exemple de la Palestine
Dans le cas de la Palestine, on ne peut plus parler,
désormais, d'un État tiers au statut. Les autorités
palestiniennes ont en effet ratifié le statut de Rome86.
Toutefois si un obstacle concernant la compétence la Cour a
été progressivement levé (1), deux autres peuvent toujours
s'y subsister (2).
1. L'obstacle résolu : la notion d'État
Le statut étatique ou non de la Palestine est un
terrain fertile de controverse87. On se contentera de rappeler que,
de façon générale, la notion d'État en droit
international public requiert la réunion de quatre
éléments : la présence d'une population, d'un territoire,
d'une forme de gouvernement et de la capacité d'entretenir des relations
diplomatiques.
La question de la reconnaissance ou non d'un État
palestinien relève plutôt d'une appréciation politique que
juridique88. Néanmoins, cette question était au centre
de la décision du Procureur d'accepter ou de refuser l'ouverture d'un
examen préliminaire des crimes allégués par
l'autorité nationale palestinienne lorsque celle-ci a
déposé une première déclaration en application de
l'article 12§3 du statut, le 22 janvier 2009. En effet l'article 12§3
prévoit qu'un « État non membre » peut saisir la Cour
(voy. Supra).
Ainsi, pour déterminer si la Palestine était un
État au sens du statut, le procureur s'est basé sur le statut de
la Palestine au sein de l'Organisation des Nations Unies. De ce fait, le
procureur a décidé que « le statut d'« entité
observatrice » dont jouissait alors l'Autorité palestinienne
à l'O.N.U, contrairement à celui d'« État non membre
», l'empêchait de signer ou de ratifier le Statut de Rome
»89.
La position du procureur a changé suite à la
transformation du statut de la Palestine d'une « entité
observatrice » à un « État observateur non membre
» par la résolution 67/19 de l'Assemblée
générale des Nations unies du 29 novembre 2012. Constatant que
« Le Statut est en effet ouvert à l'adhésion de « tous
les États » », la Palestine a pu ratifier le statut de Rome et
devenir le 123e membre de celui-ci.
La position du procureur ne reconnaît pas la Palestine
en tant qu'État. Elle reconnaît la Palestine en tant
qu'État au sens de l'article 12§3 du statut. Cette position du
procureur, critiqué par Damien Scalia90, a néanmoins
son mérite. Tel qu'invoque le Professeur Scalia91, la
reconnaissance d'un État purement et simplement impliquerait le
tracé de frontières dudit État. Or, il apparaît que
ce rôle ne devrait pas appartenir au procureur.
Sur ce point, on adhérera volontiers à la
position du Professeur Alain Pellet92. Il est en effet concevable,
que le procureur analyse la qualité étatique ou non de la
Palestine, non pas d'une
86 C.P.I., communiqué de presse, 7 janvier
2015, L'État de Palestine ratifie le Statut de Rome.
87 David (E.), Le Statut étatique de la
Palestine, disponible sur [
http://cdi.ulb.ac.be/wp-content/uploads/2012/12/6.-Statut-e%CC%81tatique-Palestine.pdf],
consulté le 23 février 2018.
88 A ce jour, 108 Etats ont reconnu la Palestine.
89 C.P.I., Communiqué de presse, 16 janvier
2015, Le Procureur de la Cour pénale internationale, Fatou Bensouda,
ouvre un examen préliminaire de la situation en Palestine
90 Scalia (D.), La Palestine et la Cour
pénale internationale, in Fernandez (J.) (dir.), Justice
pénale internationale, Paris, CNRS Edition, 2016, p.395.
91 Ibid. P. 396.
92 Pellet (A.), Les effets de la reconnaissance par
la Palestine de la compétence de la Cour pénale internationale,
in mélanges en l'honneur de Madjid Benchikh, Paris, Pedone, 2011, p.
329
17
façon abstraite, mais plutôt d'une façon
concrète, ou pour reprendre le terme du Professeur Pellet selon une
« approche fonctionnelle »93.
Cette approche fonctionnelle est ainsi utilisée,
à titre d'exemple, par la Cour de Justice de l'Union européenne
s'agissant des effets directs d'une directive94 .
En tout état de cause, malgré cette «
controverse » doctrinale, suite son adhésion à la Cour, le
procureur a ouvert un examen préliminaire s'agissant des crimes des
guerres allégués commis en Cisjordanie et dans la bande de Gaza
durant l'opération « bordure protectrice »95.
En outre, la compétence de la Cour n'est pas
conditionnée par une condition de
réciprocité96. Le déclenchement d'une
enquête peut se faire suite au consentement d'un seul État ayant
un lien territorial ou de nationalité suffit. Ce raisonnement
emprunté à celui de la Cour E.D.H qui a affirmé que,
« la reconnaissance d'un gouvernement requérant par un gouvernement
défendeur n'est pas le préalable [...] d'une instance
»97, signifie que le déclenchement d'une enquête
ne dépend pas d'un consentement israélien.
Cependant, même si la condition étatique est
résolue, il n'est pas certain que l'examen préliminaire
débouchera sur une enquête.
2. Les obstacles subsistants : la gravité des crimes
et la complémentarité
La reconnaissance de la qualité d'État, ne peut
suffire à elle seule au déclenchement de la compétence de
la Cour. Deux conditions supplémentaires doivent être
réunies : tout d'abord, les crimes doivent présenter une
gravité suffisante et puis, en vertu du principe de
complémentarité, aucune poursuite « réelle » n'a
dû être engagée par des autorités nationales.
S'agissant du principe de gravité d'abord, il convient
de rappeler l'examen préliminaire effectué par la procureure dans
l'affaire des îles Comores98. Suite au blocus imposé
sur la bande de Gaza, une flottille en provenant de la Turquie a essayé,
pour des raisons considérées comme humanitaires, d'y apporter de
la nourriture et médicaments. Arrêté par les forces
armées israéliennes, la confrontation a causé la mort de
10 personnes et la blessure d'une cinquantaine. Les îles Comores,
propriétaires d'un des bateaux, le Mavi-Marmara, ont saisi la
Cour pour que celle-ci mène des enquêtes sur des crimes de guerre
commis à bord.
Dans sa décision du 6 novembre 2014, la procureure
commence par rappeler que « L'appréciation de la gravité des
crimes tient à la fois compte d'aspects quantitatifs et qualitatifs
»99. Elle rajoute par la suite qu'« aux termes de
l'article 8-1 du Statut « [l]a Cour a compétence à
l'égard des crimes de guerre, en particulier lorsque ces crimes
s'inscrivent dans le cadre d'un plan ou d'une politique ou lorsqu'ils font
partie d'une série de crimes analogues commis sur une grande
échelle »100 et conclut ainsi que « les
événements se rapportant à la flottille ne seraient pas
suffisamment graves pour que la Cour y donne suite »101.
Cependant,
93 Ibid.
94 C.J.C.E., Farell, affaire C-356/05, arrêt du
19 avril 2007, Rec. p. I-03067
95 Pour l'état actuel de l'examen
préliminaire, voy. C.P.I, communiqué de presse, Le Procureur de
la Cour pénale internationale, Fatou Bensouda, présente son
rapport annuel sur les activités menées en 2016 en matière
d'examen préliminaire, 14 novembre 2016
96 Pellet (A.), Les effets de la reconnaissance par
la Palestine de la compétence de la Cour pénale internationale,
Op. Cit. p.337
97 Cour E.D.H, 23 mars 1995, affaire Loizidou c/
Turquie, Req. N°15318/89
98 Pour une description, voy. Scalia (D.), La
Palestine et la Cour pénale internationale, Op. Cit. p.382-390.
99 C.P.I, Bureau du Procureur, Situation relative
aux navires battant pavillons comorien, grec et cambodgien, rapport
établi, au titre de l'article 53-1 du Statut, 6 novembre 2014,
ICC-01/13-6-AnxA.
100 Ibid.
101 Ibid.
18
suite à un appel interjeté par les îles
Comores, la chambre préliminaire a invité la procureur à
apprécier de nouveau la situation102. La nouvelle
décision est à venir.
Transposant ce raisonnement à l'opération «
bordure protectrice », il serait difficile pour le procureur de
considérer que la gravité des crimes n'est pas suffisante. Cette
opération menée pendant 51 jours a causé la mort d'environ
2000 Palestiniens103, 67 soldats israéliens et 5 civils
israéliens. D'un point de vue quantitatif, les pertes subies pourront
être considérées comme suffisantes pour caractériser
une gravité. Toutefois, force est de constater que puisque l'article 8-1
du statut susmentionné exige un « plan organisé », ce
qu'en l'espèce paraît difficilement
défendable104, la décision du procureur ne sera pas
aisée.
S'agissant de la condition de complémentarité
(voir supra) en second lieu, on rappellera que la Cour ne pourra pas
être compétente si de véritables poursuites judiciaires ont
été déjà engagées à l'échelle
nationale.
Suite à l'opération « plombe durcie »
de 2009, le rapport Goldstone du Conseil des droits de l'homme de
l'O.N.U105, constatant « la réticence d'Israël
d'ouvrir des enquêtes pénales »106, a
encouragé les États à exercer une compétence
universelle conformément à la Convention de Genève de
1949.
Ce rapport, très mal accueilli par les autorités
israéliennes, a porté ses fruits. Ainsi, suite à l'affaire
du Mavi-Marmara, le gouvernement israélien a
désigné une commission d'enquête menée par l'ancien
juge de la Cour suprême israélienne, Jacob Turkel. Le 6
février 2013, le rapport Turkel a été publié. Il
prônait une intervention plus large du Procureur militaire
général dans les enquêtes menées.107.
Le rapport Turkel a été pris en compte. Ainsi,
suite à l'opération « bordure protectrice », 190
événements ont été déférés,
par des civils palestiniens, au Procureur militaire général.
Parmi les 190 événements, 27 ont donné lieu à des
poursuites pénales,108 dont trois ont abouti à des
condamnations109.
Les poursuites pénales ainsi engagées devront
être soigneusement prises en compte par le procureur lors de sa
décision. Si le procureur les considère comme étant de
véritables procès, elle sera dans l'impossibilité d'ouvrir
des enquêtes.
La compétence de la Cour dans cette affaire ne
révèle pas ainsi de l'évidence, et il conviendra
d'attendre la décision du procureur en la matière.
Conclusion
L'ensemble de l'étude conduit à affirmer que la
Cour pénale internationale peut voir sa compétence
affirmée dans de nombreux cas. L'appartenance ou non d'un État
à la Cour aurait
102 C.P.I, Communiqué de presse,16 juillet 2015, La
Chambre préliminaire I de la CPI demande au Procureur de
reconsidérer sa décision de ne pas enquêter sur la
situation renvoyée par l'Union des Comores, ICC-CPI-20150716-PR1133.
103 L'armée israélienne évoque uniquement
761 morts civils, Voy. Cohen (G.), La version de l'armée
israélienne : 761 civils ont été tués durant
l'opération bordure protectrice, soit la moitié du chiffre de
l'O.N. U, Haaretz, 2 juin 2015 (nous traduisons)
104 Il pourrait s'agir plutôt d'une légitime
défense suite au 3253 envoyé sur le territoire israélien,
voy.
https://www.20minutes.fr/monde/1425139-20140804-bordure-protectrice-10-chiffres-resument-dernier-conflit-israelo-palestinien
105 A/HRC/12/48
106 Ibid. §127
107 Cohen (A.), La publication du rapport Turkel, l'institut
israélien pour la démocratie, 28 février 2016 (nous
traduisons), disponible (en hébreu) sur [
https://www.idi.org.il/articles/8003],
consulte le 24 février 2018.
108 Les décisions du Procureur militaire
générale quant à des événements
exceptionnels arrivés durant l'opération « Bordure
protectrice », 11 juin 2015 (nous traduisons), disponible (en
hébreu) sur [
http://www.law.idf.il/163-7350-he/Patzar.aspx],
consulté le 24 février 2018.
109 Notamment pour des actes de pillage.
ainsi, en principe, peu d'influence quant à sa
compétence. Cette problématique étant résolue, il
convient de souligner que le véritable défi de la Cour à
l'époque actuelle est de susciter la coopération des
États. Même si ceux-ci y sont contraints par le
statut110, seule une intervention du Conseil de
sécurité pourrait conduire à lutter efficacement contre
l'impunité.
19
110 Article 88 du Statut de Rome.
20
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23
Annexe 1 : Proposition de loi du 26 février
2013
PROPOSITION DE LOI
Adoptée le 26 février 2013
N° 101
S É N A T
PROPOSITION DE LOI
ADOPTÉE PAR LE SÉNAT
Tendant à modifier
l'article 689-11 du code
de procédure pénale
relatif à la compétence territoriale
du juge français concernant les
infractions visées par le statut
de la Cour pénale internationale.
Le Sénat a adopté, en première lecture,
la proposition de loi dont la teneur suit :
Voir les numéros :
Sénat : 753 (2011-2012),
353 et 354 (2012-2013).
24
- 2 -
Article 1er
L'article 689-11 du code de procédure pénale est
ainsi rédigé
:
« Art. 689-11. -- En dehors des cas prévus
au sous-titre Ier du
titre Ier du livre IV du présent code pour
l'application de la convention portant statut de la Cour pénale
internationale, ouverte à la signature à Rome le 18 juillet 1998,
peut être poursuivie et jugée par les juridictions
françaises, si elle se trouve en France, toute personne
soupçonnée de l'une des infractions suivantes :
« 1° Les crimes contre l'humanité et crimes de
génocide définis aux articles 211-1, 211-2, 212-1 à 212-3
du code pénal ;
« 2° Les crimes et les délits de guerre
définis aux articles 4611 à 461-31 du même code.
« La poursuite de cette personne ne peut être
exercée, si aucune juridiction internationale ou étrangère
ne demande sa remise ou son extradition, qu'à la requête du
ministère public, lequel s'assure au préalable de l'absence de
poursuite diligentée par la Cour pénale internationale ou un
État compétent. Lorsque, en application de l'article 40-3 du
présent code, le procureur général est saisi d'un recours
contre une décision de classement sans suite prise par le procureur de
la République, il entend la personne qui a dénoncé les
faits si celle-ci en fait la demande. S'il estime le recours infondé, il
en informe l'intéressé par une décision écrite
motivée. »
25
- 3 -
Article 2 (nouveau)
La présente loi est applicable à
Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en
Nouvelle-Calédonie.
Délibéré en séance publique,
à Paris, le 26 février2013.
Le Président,
Signé : Jean-Pierre BEL
Annexe 2 : Déclaration de la Cote d'ivoire du 18
avril 2003
République de Côte d'Ivoire
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Déclaration de reconnaissance de la
Compétence de la Cour Pénale Internationale.
Conformément é l'article 12 paragraphe 3 du
statut de la Cour Pénale internationale, le Gouvernement ivoirien
reconnaît la compétence de la Cour aux tins d'identifier, de
poursuivre, de juger les auteurs et complices des actes commis sur le
territoire ivoirien depuis les évènements du 19 septembre
2002.
En conséquence, la Côte d'ivoire s'engage A
coopérer avec la Cour sans retard et sans exception conformément
au chapitre IX du statut.
Cette déclaration, faite pour une durée
indéterminée, entrera en vigueur dés sa signature.
Fait A Abidjan, le 1 AV ;. 2003
POUR LE GOUVERNEMENT DE LA REPUBLIQUE DE COTE
D'IVOIRE LE MINISTRE D'ETAT, MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES
BAI -ABA Mamadou
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