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Jeux d'argent et changement social a Yaounde

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par Badel ESSALA
Université de Yaoundé I - Master en sociologie 2018
  

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CONCLUSION

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Parvenus au terme de la présente étude où il était question d'analyser ce que nous avons nommé « jeux d'argent et changement social à Yaoundé », il s'est agi à partir de l'espace urbain yaoundéen, d'esquisser une analyse des mutations sociales qui réfèrent aux pratiques de jeux d'argent qui prennent de l'ampleur dans nos métropoles. Dans le contexte camerounais actuel, une telle étude s'est appuyée sur un double constat : d'entrée de jeu, il s'avère que depuis près d'une décennie, autant que définie par D.A.F. LEKA ESSOMBA (2001 :119), « la société camerounaise se laisse percevoir comme un lieu de rupture des « consensus » classiques ». Une rupture qui se range en droite ligne avec la prolifération des jeux d'argent et qui symbolise avec le même auteur, « l'obsession du gain facile » qui anime bon nombre d'individus à Yaoundé. D'autre part, l'étude a été motivée à partir des observations faites sur les comportements des joueurs. Ces observations ont révélé un état d'esprit, un imaginaire collectif et symbolique visant un changement social régressif que J.P. ONANA ONOMO (1990 :63), présente de la manière suivante :

Un changement social peut être régressif s'il échappe au contrôle de ceux qui y sont intéressés, il est d'autant plus régressif en Afrique si on le considère dans le processus de développement, le milieu sociohistorique. En ce sens, la dépendance est beaucoup plus un changement régressif qu'un développement assisté. Elle est le développement du sous-développement. Le développement dépendant est une régression qui indique le comportement pathologique de l'individu qui recule dans le temps à un stade moins développé de l'organisation de sa personnalité en relation avec son milieu.

Pour ainsi dire, les jeux d'argent apparaissent comme une voie idéale de régression, du fait qu'un argent hautement investi au jeu et se soldant rapidement par une perte équivaut à une perte de soi. Ce point de vue de J.P ONANA ONOMO peut bien traduire la dimension d'une pratique invétérée du jeu qui aboutit inévitablement à des comportements dépendants et à l'impécuniosité chez les acteurs. Dans ce sens, les jeux d'argent sont à l'origine d'un changement social qui donne l'illusion d'un développement mais qui en réalité est une forme de mirage qu'il s'est agi de présenter.

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C'est dire que, le domaine de la recherche que nous avons choisi est si vaste et complexe que cette étude ne constitue qu'une modeste contribution à la Sociologie de Yaoundé et des villes camerounaises en général. Réfléchir sur ce phénomène signifiait deux choses : Primo, il n'était pas question de montrer que la pratique des jeux d'argent est une déviance, encore moins une délinquance urbaine des populations de Yaoundé et celles des autres métropoles. C'est un loisir socialement acceptable, qui n'est autre que le prétexte dont les mauvaises moeurs ont fait l'objet de cette étude. Secundo, il s'est agi d'appréhender les changements sociaux à différents niveaux de participation des acteurs sociaux de la ville de Yaoundé à ces jeux et sur la société urbaine prise de manière globale.

Pour conduire la présente étude, deux catégories d'hypothèses ont été élaborées : il s'agit de l'hypothèse principale et des hypothèses de recherche. L'hypothèse principale stipulait que : la prolifération des pratiques de jeux d'argent dans la ville de Yaoundé, génère dans l'imaginaire collectif, l'esprit de lucre, l'appât du gain facile, et l'illusion de l'enrichissement rapide.

Parvenus à ce stade de la recherche, nous pensons que cette hypothèse est vérifiée ; en effet, en observant qu'il existe dans la société plusieurs types de jeux, les individus n'adhèrent volontiers, qu'à ceux qui sont susceptibles de leur offrir la possibilité d'aspirer à une promotion financière significative. Autrement dit, il s'agit d'une intention inavouée de quête d'argent par un chemin moins contraignant, qui se lit à travers l'engouement observé dans les cercles de jeux à Yaoundé.

La première hypothèse de recherche posait que, les publicités de jeux et les médias de masse agissent de façon diligente dans la persuasion du sens commun. En brandissant l'illusion d'un bonheur rêvé par un simple coup de chance, ces facteurs contribuent à rallier plusieurs « incertains » aux pratiques de jeux d'argent. Tout au long du développement du présent travail, l'on a pu montrer en quoi la publicité et les médias sont des modérateurs du pouvoir d'enrôlement des acteurs sociaux. À travers les émissions, les slogans et propagandes du jeu diffusés, ils contribuent à la construction et au renforcement de « fausses croyances » au gain et de fait, suscitent l'adhésion massive des individus. Cette hypothèse est donc vérifiée.

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La deuxième hypothèse de recherche stipulait que : les difficultés d'insertions socioprofessionnelles, la proximité des lieux de jeux et l'insatisfaction des salariés quant à leurs revenus développent un instinct de vulnérabilité à l'argent chez les yaoundéens pour qui le jeu apparaît comme une solution rapide et efficiente à leurs gênes. Cette hypothèse corrobore en réalité le fait que dans chaque catégorie sociale, le recours au jeu n'intervient que dans le souci de garder autant que possible, l'espoir d'aspirer à une vie meilleure. Ou tout au moins, d'essayer d'assurer un certain équilibre financier quotidien chez les acteurs sociaux impliqués. Sans être assez prétentieux, nous pensons que cette hypothèse à l'image des précédentes est aussi vérifiée.

Quant à la troisième hypothèse de recherche, elle présumait que : la prolifération des jeux d'argent en cours à Yaoundé, engendre d'une dégénérescence sociale à travers la dépendance aux jeux, délinquance, le défaitisme, la déchéance sociale du joueur etc.

Dans cette réflexion l'on a pu observer, qu'il s'agisse de la chance ou des pertes aux jeux, le résultat reste le même. Le jeu d'argent s'apparente à un « labyrinthe » où le joueur éprouve des facilitées à développer des comportements dépendants. Car une fois s'y étant mis, il éprouvera des difficultés non seulement dans son cadre de vie familial et professionnel, mais aura du mal à se passer du jeu pour éventuellement s'engager sur une voie plus laborieuse dans sa quête permanente d'argent. Toutes ces hypothèses sont donc vérifiées.

Le présent travail s'est articulé sur trois chapitres : il s'est agi d'emblée, de présenter la manifestation du phénomène des jeux d'argent dans la ville de Yaoundé et d'en dresser une typologie des jeux rencontrés. Le second chapitre s'est penché sur les mécanismes d'enrôlement, ainsi que des modalités de participation des différentes catégories sociales de la population urbaine de Yaoundé dans ces jeux. Le chapitre troisième pour sa part a mis en lumière les transformations sociales en cours dans la ville de Yaoundé. Dans cette partie, il était question d'analyser ce type de jeux comme des catalyseurs de la dépendance, des ruptures familiales et sociales ainsi qu'un espace de désengagement des individus vis-à-vis de la société.

Pour la réalisation de ce travail, nous avons concomitamment fait appel à la matrice constructiviste et à la sociologie dynamiste et critique. Ces approches théoriques convoquées à titre complémentaires ont permis de comprendre non seulement les modalités à partir desquelles les acteurs sociaux élaborent les mécanismes et schèmes pour se construire une

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perspective dans la vie sociale, mais davantage, ont été d'un important apport dans la recherche d'éléments d'analyses permettant de comprendre comment les jeux d'argent deviennent un phénomène à partir duquel les populations de la ville de Yaoundé construisent leur urbanité.

S'agissant de la collecte et de l'interprétation des données, ce travail s'est servi d'entrée de jeu de l'observation directe qui a constitué l'étape fondamentale de la recherche. L'observation directe a permis de se confronter aux réalités quotidiennes sur les lieux où se produisent les faits à savoir les salles de jeux, les Visio club et les rues. Elle a donné à ce travail un caractère scientifique, tant il est vrai qu'un phénomène ne peut prendre une nature scientifique que s'il est « conquis construit et constaté » G. BACHELARD (1984 :14). La recherche documentaire a favorisé le recueil d'informations relatives à la question du jeu en général et des jeux d'argent en particulier. Elle a permis d'avoir une idée plus construite des concepts clés du thème à savoir, les « jeux d'argent » et le « changement social », davantage, elle a favorisé la synthèse des recherches antérieures sur le sujet. Les entretiens notamment semi-directifs, ont facilité le recueil d'un ensemble d'informations et points de vue dont sont dépositaires les différents acteurs sociaux impliqués dans cette pratique à Yaoundé.

En somme, les données utilisées dans le cadre de ce travail sont multiples mais le corpus principal de la recherche repose sur une enquête par questionnaire. L'enquête en elle-même s'est déroulée principalement dans les quartiers Ékounou, Mvog-Ada, Marché Mokolo et Ngoa-Ekelle où, à partir de la technique d'échantillonnage non probabiliste, l'on a pu recueillir des informations auprès de cent trente individus joueurs d'argent sans distinction de sexe ni d'âge. Bien que réduit, cet échantillon met en évidence les variables qui déterminent de façon significative les modalités d'usages urbains des acteurs sociaux en matière de jeux.

Au cours de la recherche, la collecte des données ne s'est pas faite sans contraintes. Les biais auxquels nous avons été confrontés sont liés aux refus, à l'indisponibilité de certains enquêtés et au difficile accès à la documentation. Sur le terrain, la première difficulté a été la méfiance de certains enquêtés qui se sont montrés réticents et furieux devant le questionnaire. Ce qui fait que malgré toutes les explications données au début de l'enquête, certains d'entre eux non habitués à ce genre d'exercice, ont préféré s'abstenir de répondre à certaines questions ou simplement ont refusé de se soumettre à cet exercice. L'autre difficulté rencontrée a été de pouvoir s'entretenir avec les responsables de quatre structures de jeux à

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savoir, le PMUC, Premier BET, et les directeurs des casinos « el Blanco » et « golden city » de Yaoundé.

Lorsque nous sommes allés dans leurs offices respectifs pour prendre contact et éventuellement rendez-vous, leurs secrétaires nous ont demandé d'adresser des demandes écrites. Lesdites demandes sont restées lettres mortes plus d'un mois après. Malgré plusieurs autres tentatives, les personnels trouvés sur place n'hésitaient pas de prétexter l'indisponibilité de leur patron, ce qui nous a contraints à replier au niveau des salles de jeux, pour obtenir des entretiens avec les gérants trouvés sur place. Les limites de cette étude se situent donc d'abord au niveau de l'échantillon, qui « pourrait ne pas être assez représentatif de la population étudiée » VERKEVISSER et al. (1993 :202). En ce qui concerne l'accessibilité à la documentation portant sur les jeux d'argent, l'approvisionnement n'a pas été tout aussi aisé. Dans les bibliothèques et centres de documentation, on rencontre un nombre considérable d'ouvrages en Sociologie qui traitent du jeu et du loisir en général, mais très peu d'ouvrages et articles scientifiques sont consacrés aux jeux d'argent en particulier. Tout compte fait, les documents exploités ont été d'un apport considérable dans la recherche documentaire.

En outre, autant il est difficile de faire « métier de sociologue » P. BOURDIEU (1968), que mettre en lumière les changements sociaux qui découlent de la mercantilisassions des pratiques ludiques en milieu urbain n'est pas une sinécure. Telle est la seconde difficulté à laquelle s'est confronté ce travail. Néanmoins, nous nous sommes essayés à partir des facteurs qui influencent le changement social tels que ; l'impact des médias et le rôle de la mobilité sociale des acteurs. Ces facteurs ont permis de mettre en lumière l'influence du statut social des acteurs sociaux sur leur participation aux jeux d'argent. En guise de synthèse, essayons tout de même d'appréhender les différents changements sociaux qui s'opèrent à Yaoundé, à travers ce phénomène. À l'image de six questions majeures que se posent G. ROCHER (1968 :30-31), ces questions se formulent ainsi qu'il suit :

À la question de savoir qu'est ce qui change dans notre société ? Force est de constater que la société camerounaise et la ville de Yaoundé en particulier est dynamique à plusieurs niveaux. C'est pourquoi cette étude a choisi de s'intéresser uniquement aux jeux qui s'accompagnent des transformations dans la définition des stratégies de quête d'argent dans l'imaginaire populaire. Le revers ici est que cette pratique entraine la paupérisation, la déstabilisation des individus, des familiales etc. Ensuite, l'on s'interrogerait sur le « comment » s'opère ce changement ? À ce niveau, le changement à partir des pratiques

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ludiques des populations est continu. Il rencontre cependant quelques résistances avec une intensité plus ou moins significative des non joueurs. Ceux-ci plus réalistes de la dépossession par le jeu, (bien que cette étude ne s'étant pas intéressée à eux) semblent constituer le principal obstacle de l'envahissement de la société yaoundéenne par les jeux d'argent. Ce qui n'arrête pour autant pas certains acteurs sociaux adeptes de ces pratiques.

À la question de savoir quel est le rythme du changement ? Les observations révèlent qu'avant les années deux mille et l'arrivée de la gamme des paris sur les matchs de football et des loteries numériques instantanées, la mercantilisation des jeux d'argent était moins perceptible avec le seul PMUC et les casinos. Mais avec le foisonnement des sociétés de jeux dans les métropoles camerounaises et la multiplication des offres de jeux au public, le rythme du changement est accéléré : désormais, il est beaucoup plus perceptible et plus rapide.

Plus encore, en s'interrogeant sur la question de savoir quels sont les facteurs qui rythment le changement dans la pratique des jeux d'argent ? Cette étude a pu démontrer que les médias et la mobilité sociale sont plus illustratifs. Car, on observe que chacun de ces facteurs crée des conditions favorables à la propension de certains camerounais aux jeux d'argent. Cependant, ils ne constituent pas les seuls facteurs, il faudrait aussi noter l'appétit de certains individus à l'enrichissement facile et rapide à travers ces jeux. En outre, l'on chercherait à identifier les agents actifs dans ce changement ?

En effet, un regard porté sur l'échantillon révèle que les pratiquants des jeux d'argent à Yaoundé, sont dans une proportion relativement large, les jeunes. La classe d'âge la plus nombreuse est celle qui se situe entre vingt et un et vingt-neuf ans, avec un effectif de cinquante-cinq personnes. Elle est immédiatement suivie par la classe d'âge qui va de trente à trente-neuf ans, qui compte trente-huit individus. Ceux-ci semblent donc être plus actifs dans le changement parce qu'ils sont plus nombreux. Dans cette configuration, les principaux agents qui résistent au changement semblent être les femmes et dans une certaine mesure l'entourage familial du joueur qui est souvent hostile à ces jeux.

En fin, en posant la question de savoir s'il est possible de voir le cours futur des jeux d'argent à Yaoundé ? Nous pensons qu'il serait très osé d'essayer de prévoir l'avenir des pratiques de jeux d'argent sur la société urbaine à Yaoundé, à travers une étude aussi embryonnaire. Seules les perspectives données par cette étude permettent de constater que 21.53 % des joueurs interrogés sur la question de savoir s'ils mettraient fin à leurs pratiques

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ludiques, avouent qu'ils n'arrivent pas à s'en passer. Tandis que 46.15 % d'entre eux n'y ont jamais pensé. À ceux-là, viennent s'ajouter les 32.30 % de joueurs qui sont restés sans réponse (voir tableau 6). Plus que jamais à Yaoundé, la tendance penche vers une société de consommation des jeux d'argent et un accroissement significatif de mauvaises moeurs telles que : crises familiales, paraisse, délinquance, paupérisation ou encore des tentatives de suicide.

Les résultats de cette étude mettent donc en relief le caractère négatif de la pratique obsessionnelle des jeux d'argent dans la société, afin d'amener ceux qui s'y livrent à comprendre que loin de les enrichir, ces jeux les appauvrissent plutôt. Pour que cela soit possible, les populations doivent être suffisamment sensibilisées. C'est cette mission que ce travail s'est proposé de faire non seulement pour les joueurs eux-mêmes, mais aussi pour ceux qui sont susceptibles de le devenir. Par ailleurs, le drame est ce que cette étude peut causer dans la conscience collective à Yaoundé. En effet, au moment où plusieurs individus croient avoir trouvé un nouvel itinéraire d'accumulation, une voie aisée de promotion financière, cette recherche tente de dévoiler leurs intentions, ou tout au moins leur capacité à construire l'environnement socioculturel de leur génération. Mais loin de vouer ces adeptes du PMUC, du pari foot, du poker, du black jack ou de la Carte au découragement, il nous était simplement impossible de rester muet face à un phénomène qui fait l'actualité dans la capitale camerounaise.

Le fait que le changement social en lui-même soit un concept de nature complexe, cette recherche a permis de saisir dans le même temps, des processus sociaux intéressants. Pour ainsi dire, trois spécialisations de la Sociologie à savoir : la Sociologie Urbaine, la Sociologie du ludique et la Sociologie du quotidien émergent de la présente étude. Elle devient de ce fait, une invitation permanente à la recherche en termes de rapports aux pratiques ludiques des populations urbaines. Car, malgré l'ampleur que prennent les jeux d'argent au sein de notre société et les travaux de certains chercheurs dans ce domaine, cette recherche est la première à s'intéresser aux mutations sociales qui émergent de la pratique des jeux d'argent au sein de la société urbaine à Yaoundé. Considérant par la même occasion qu'elle contribue à l'ouverture d'un nouveau champ de recherche dans la littérature académique, nous souhaitons ainsi présenter des avenues de recherches futures qui pourraient être empruntées par d'autres chercheurs dans le domaine du ludique.

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo