8.1. Cadre théorique
La recherche en sciences sociales se construit dans un cadre
conceptuel qui repose sur une ou plusieurs théories. Pour analyser et
interpréter les faits, deux théories sont convoquées dans
ce travail : il s'agit de la matrice constructiviste et de la sociologie
dynamiste et critique.
8.1.1. La matrice constructiviste
La matrice constructiviste est une approche théorique
né du constructivisme développé par J. PIAGET (1964), qui
suppose que, les connaissances de chaque sujet ne sont pas une simple «
copie » de la réalité, mais une « construction »
de celle-ci. C'est-à-dire que, les réalités sociales
doivent s'appréhender comme des construits historiques et quotidiens des
individus en interaction. Ici, le réel existant et connaissant n'est pas
une donnée spontanée, mais relève des constructions
cognitivement construites auxquelles participent des groupes sociaux. Comme le
précise G. BACHELARD (1984 :14), « rien ne va de soi. Rien
n'est donné. Tout est construit ». Ce qui signifie de
façon prosaïque, que ce sont les individus qui construisent le
réel en le confrontant.
Mis à contribution dans cette étude, la matrice
constructiviste permet d'appréhender la prolifération des jeux
d'argent à Yaoundé, non pas comme un accident de l'histoire, ni
d'une nécessité fonctionnelle, mais plutôt, comme une
production consciente ou inconsciente, socialement instrumentalisée des
acteurs sociaux en quête d'argent. Cette approche théorique
caractérise bien la propension au « gain facile » qui anime
bon nombre d'individus à Yaoundé, tant-ils en viennent à
transformer leurs pratiques ludiques en des activités mercantiles en
rapport avec un environnement social jugé défavorable. Davantage,
cette théorie permettra à ce travail d'analyser les pratiques de
jeux d'argent quotidiennes, en tant « qu'ensemble de pratiques
socialement produites, matériellement codifiées et symboliquement
objectivées » A. MBEMBE cité par D.A.F. LEKA ESSOMBA
(2001). Ce modèle théorique, proche des préoccupations des
habitants de Yaoundé à partir duquel ils construisent leur
urbanité est mis à contribution dans l'argumentaire
développé sur les schèmes opératoires mis en place
par ces populations urbaines de Yaoundé, pour s'enrichir à partir
de leurs jeux.
Cette exigence fait donc intervenir l'approche dynamiste et
critique de la sociologie.
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8.1.2. L'approche dynamiste et critique
La sociologie dynamiste et critique est issue de
l'école générative, née pendant la période
des années soixante. Les promoteurs de cette théorie sont : G.
GURVITCH, A. TOURAINE, C. RIVIERE, G. BALANDIER etc. L'école dynamiste
et critique optait pour objectif selon lequel ; tout chercheur est investi
d'une attitude critique en rupture avec les catégories de l'ordre
social. Cette théorie met au centre de sa réflexion,
l'étude des changements, des mutations, du devenir des
sociétés. Toutefois, la thèse développée par
G. BALANDIER, est celle qui nous intéresse dans le cadre de cette
étude.
Selon G. BALANDIER (1971), la réalité sociale
n'est jamais donnée à l'observation première ou
superficielle. Les sociétés étant
caractérisées par une certaine « hypocrisie », toute
analyse sociologique mérite d'être réalisée à
deux niveaux au moins : le niveau patent et le niveau latent. Bien plus, le
sociologue doit considérer que le sens profond et réel de son
objet d'étude ne peut être conquis qu'à travers un
dépassement, voire une remise en cause de l'aspect officiel. Celui-ci ne
constitue qu'un voile d'occultation de l'aspect caché et plus
révélateur de la dynamique sociale. Les courants dynamistes et
critiques qui s'enracinent dans la sociologie des profondeurs mettent au centre
de leur réflexion l'étude des changements, des mutations, des
mouvements sociaux et du devenir des sociétés influencées
par des dynamiques multiformes.
Dans cette étude l'approche dynamiste aidera à
appréhender la pratique des jeux d'argent beaucoup plus sous l'angle des
transformations qui ont cours au sein de la société. Elle
permettra de voir de quelle manière différents mécanismes
influent sur l'enrôlement des acteurs dans ces jeux et aussi, comment
face à la libéralisation de ces pratiques et aux
difficultés d'ordre économique, les individus développent
des rationalités de gains à partir de leurs jeux.
L'approche critique quant à elle, se justifie par son
principe de lire la réalité à deux niveaux. De ce fait,
elle recommande au chercheur de se méfier du discours des acteurs ou
tout au plus, de partir de ce discours pour déceler après
critique et déconstruction, le sens profond de leurs agirs. À
travers cette seconde approche, il sera démontré comme l'a
souligné G. BALANDIER (1971 :9), « à quel degré
les configurations sont mouvantes ; constamment en voie de se refaire et de
déterminer leur sens ». En d'autres termes, cette approche
aidera à révéler les « écrans
déformateurs » J. ZIEGLER (1981 :13), des
représentations que les pratiques de jeux d'argent imposent
officiellement.
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La sollicitation de ces grilles d'analyse théorique se
fera à titre complémentaire, de telle manière que chaque
modèle complète les insuffisances de l'autre. Le cadre
théorique conceptuel de la recherche étant ainsi
présenté, il incombe de présenter dans le point suivant,
les techniques et outils de collecte des données.
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