I.2.2. Objectifs annoncés de l'évaluation
anthropologique
Dans une monographie du dugong (Cléguer, 2010), le
consultant défend la pertinence de la réalisation d'une
étude sur la valeur culturelle et symbolique de l'animal en
Nouvelle-Calédonie. D'après ce document, sur les côtes du
Détroit de Torres en Australie, une enquête similaire a
été menée et a prouvée que la chasse au dugong
était réalisée pour des raisons culturelles.
Jusqu'à présent, l'effort de conservation s'était
concentré sur la biologie marine et un tel travail n'avait jamais
été réalisé sur le territoire calédonien.
Les acteurs du plan d'action ont pris en compte les suggestions du consultant
et ont compris que cela pourrait appuyer la mise en place de mesures de gestion
plus respectueuses et respectées par les populations locales. Ce stage
est donc sensé combler ce manque.
L'Agence des aires marines protégées, l'IRD et
le WWF-Nouvelle-Calédonie ont financé ce stage qui a pour mission
de compléter et renseigner les données scientifiques disponibles.
Une méthodologie indicative se basant sur une « bibliographie
des représentativités culturelles du dugong dans le Pacifique Sud
» a été proposée par le consultant dans la
monographie du dugong et a représenté le point de départ
du stage. Comme les productions d'artefacts et d'images représentant le
dugong, de textes littéraires et/ou en sciences humaines et sociales
relatifs au dugong et propres à la Nouvelle-Calédonie
étaient peu voire pas connues par les acteurs institutionnels, la liste
des finalités de l'étude commençait donc par un inventaire
de tous les contes, légendes, histoires, peintures, sculptures,
productions sonores et visuelles néo-calédoniens, mettant en
scène le dugong.19
Dans les Termes de Références (TDR) du stage, il
est écrit que l'étudiant est chargé de «
définir et analyser, par des approches diachronique et synchronique,
la place accordée au dugong parmi les autres espèces marines en
Nouvelle-Calédonie » par la population locale. Autrement dit,
l'objectif est de réaliser une ethnographie approfondie des perceptions,
savoirs et pratiques sociales liés à l'animal en tenant en compte
leur évolution dans le temps. Étant donné que la culture
kanak comporte des mythes liés aux espèces et possède un
système social basé sur ce que l'on appelle le «
totémisme », il paraissait pertinent de se pencher plus
spécifiquement sur les représentations de cette communauté
« majoritaire ».
Toutefois, l'étude a aussi été
élaborée pour enrichir le travail des acteurs de la
sensibilisation et des agents du volet sensibilisation-communication du plan
d'action : ils ont besoin d'une vision globale concernant les perceptions de
cet animal par les néo-calédoniens, et ce pour mieux
définir les priorités de sensibilisation et affiner les messages
à diffuser. Aussi l'objectif du stagiaire est-il de rencontrer et
d'enquêter le plus de représentants possibles de
communautés différentes : les Kanak mais aussi les
Calédoniens d'origine européenne, les Wallisiens-Futuniens, les
Tahitiens, les Vietnamiens, les Indonésiens, les
19 Le dugong n'avait jusque là jamais
été un sujet de recherche en sciences sociales avant ce stage, ni
n'a jamais fait l'objet d'inventaire par des archivistes et documentalistes.
L'intérêt pour la relation entre la population et un animal est
quelque chose de plutôt original en Nouvelle-Calédonie, à
en croire les propos du directeur de l'Agence de Développement de la
Culture Kanak (ADCK) : « Ca explique pourquoi dugong et tortue, on ne
les a jamais traité comme cela, de manière frontale. Ca ne fait
pas partie des problématiques qui sont propres au fonctionnement d'une
tribu, d'une chefferie... » (Emmanuel Tjabaou, ADCK, 21 juillet
2014)
Juin 2015 17
DUPONT A, ETHT7, La conservation du dugong en
Nouvelle-Calédonie : la mobilisation et la confrontation de savoirs
et
pratiques pour la protection d'une espèce «
emblématique » menacée
Métropolitains et Européens venus s'installer
sur l'île etc. Si certains d'entre eux sont devenus ou sont nés
Néo-Calédoniens, d'autres ont conservé leur
nationalité d'origine.
De plus, ce travail apporte des éléments qui
aident à mieux cerner « les attentes locales en terme de
gouvernance et de préservation de l'espace marin et de ses ressources,
particulièrement du dugong » (Termes de
références du stage rédigés par l'AAMP et l'IRD).
La récolte de données s'axe donc aussi sur les perceptions par la
population de la règlementation et de ses applications. L'étude
doit mettre en avant les revendications locales, les attentes et les craintes
des néo-calédoniens relatives aux politiques de conservation de
l'animal et du milieu marin en général. Elle pourra
déjà brosser à grands traits les prémisses d'un
diagnostic de situation sur la pertinence et l'efficacité des mesures
légales et administratives mises en place. En effet, elle permet
d'avancer le travail de définition des hypothèses et
stratégies d'action à partir de la prise en compte de l'analyse
des réalités locales. (Blet, 2014). Cette phase est un moment
d'un projet puisqu'il « d'analyser la situation partagée par
les populations locales et les acteurs institutionnels afin de définir
les actions pertinentes à mener, mais également d'établir
une relation de confiance » (Ibidem : 6).
Pour résumer, cette étude anthropologique
comporte trois moments principaux :
- l'inventaire des productions artistiques et
littéraires liées au dugong. Ce dernier, associé à
une micro-analyse anthropologique à partir de ces objets, est à
la fois une source d'information et un point de la comparaison pour l'analyse
des données récoltées sur le terrain.
- l'ethnographie sur les représentations, les savoirs
et les pratiques sociales relatives au dugong dans les zones d'enquête -
définies collectivement - pour caractériser la place du dugong
dans la société de Nouvelle-Calédonie.
- l'état des lieux sur les perceptions de la
règlementation et de son application, ce qui permettrait
d'améliorer la gouvernance des acteurs institutionnels en matière
de conservation de l'espèce.
Tous ces objectifs participent d'une «
méthodologie partagée » avec les encadrants du stage, les
acteurs institutionnels et associatifs du plan d'actions, étant
donné que l'organisation d'un travail collectif et d'un espace de
discussion avec les partenaires est également l'une des visées du
projet. Cette recherche anthropologique sert donc l'action de plusieurs
façons, par la production d'un rapport qui peut servir les actions de
sensibilisation ou encore par la mobilisation des acteurs environnementaux
autour de ce travail. Elle n'a de sens que si elle est accessible au plus grand
nombre des organismes concernés par la sauvegarde du dugong. Ce faisant,
cette étude « doit se soumettre simultanément aux
règles de la recherche et à celles de l'action, sous peine de
n'être qu'une mauvaise recherche et une mauvaise action »
(Olivier de Sardan, 1995 : 248).
I.3. Méthodologie de
recherche
« En tant que processus de connaissance, la
recherche-action est soumise aux mêmes exigences méthodologiques
et épistémologiques que toute recherche » (Ibidem).
Parmi ces exigences, l'étude doit suivre un certain protocole
scientifique afin de pouvoir retirer des données du terrain une analyse
solide et viable. Ainsi, la présente étude s'est
déroulée suivant
Juin 2015 18
DUPONT A, ETHT7, La conservation du dugong en
Nouvelle-Calédonie : la mobilisation et la confrontation de savoirs
et
pratiques pour la protection d'une espèce «
emblématique » menacée
quatre moment : la recherche bibliographique - qui permet de
mieux appréhender son terrain et son objet d'étude, la production
des outils méthodologiques - envisagés pour récolter les
données, la récolte des informations - qui amène toujours
l'anthropologue à adapter sa méthode originale, et enfin le
traitement des donnée et l'analyse - qui « font parler le terrain
». J'ai tenté de rendre compte le plus fidèlement possible
de toute la complexité de la réalité que j'ai
vécue, observée ou entendue dans la production d'un rapport final
de stage, qui cherchait à respecter mon souci d' «
objectivité » et de scientificité. En réalité,
dans ce travail d'écriture, j'ai essayé de taire mes propres
jugements de valeurs ou, en tout cas, de les confronter à la
subjectivité des autres. Cette démarche d' « objectivation
» s'apparente ainsi à l'approche réflexive et comparatiste
du point de vue de l'anthropologue. De plus, le caractère «
objectif » de mon analyse s'est construite autour d'une description
détaillée des faits observées et une argumentation solide,
et s'est manifesté par l'emploi de formules finalement consensuelles.
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