Le geste de sauvegarde des objets numériques: L'éditorialisation de soi à l'épreuve des réseaux( Télécharger le fichier original )par Francois Pelissolo CELSA - Master 2 Recherche 2018 |
B.1. - Sylvie L. : perte de contenus et archivage des blogsEntretien réalisé au téléphone le 12/02/2017. Durée : 2 heures 30. Sujet proposé : la perte de contenus et l'archivage des blogs Sylvie est engagée dans plusieurs milieux associatifs, dont le rock et l'aide aux SDF. Elle est par ailleurs passionnée de numérique et se souvient d'avoir réalisé ses premières « pages » dans les années 90, mais n'est pas sûre d'avoir encore des sauvegardes disponibles. Elle pense avoir réalisé une quinzaine de blogs différents depuis 20 ans. En 1998, suite au plantage d'un Mac, elle perd un nombre « incroyable » de fichiers, car ils se retrouvent tous sans extension quand elle tente de réparer le disque dur. Elle décide alors « Plus jamais de Mac ! » et de gérer de manière méticuleuse « voire maniaque » les sauvegardes de ses propres données. Elle a d'abord utilisé des lecteurs de cartouches Iomega Jaz mais avoue se poser aujourd'hui la question de leur durabilité et de leur compatibilité. En 2000, elle entame un blog sur les sans-abris, hébergé sur une plateforme payante. Il est alimenté quasi quotidiennement par ses soins. Elle ne se pose pas la question de la sauvegarde « Puisque je payais, j'ai fait bêtement confiance. ». Un jour, elle n'a plus accès à la plateforme A-5 ni au blog. La hotline ne répond plus. Elle doit porter plainte pour obtenir l'adresse physique de l'hébergeur, s'y rendre (« c'était un pavillon de banlieue ! ») et réaliser elle-même sa propre recopie de ses données depuis les disques durs de l'hébergeur, en faillite. Depuis, pour ses contenus en ligne, elle veille à sauvegarder une copie spécifique (manuelle) du texte et des images. Elle paye 100 € par an pour une Dropbox (sauvegarde Cloud) en plus de ses disques durs. En termes d'usage, elle utilise aussi un site marchand (ZenCart) dans le cadre d'une activité semi-pro et la plateforme Overblog pour ses blogs. Elle a constaté que lors de la fusion des plateformes Overblog et Kiwi, il lui était devenu impossible d'effacer certaines « traces » de l'ancienne plateforme. Par méfiance vis-à-vis du risque de fermeture des comptes sur les tubes vidéo, elle crée une multiplicité de comptes distincts, évitant ainsi ce qu'elle appelle « l'effet château de cartes ». Elle dit aussi avoir éprouvé angoisses et cauchemars entre 1998 et 2005 sur la perte possible de contenus, mais est depuis nettement plus sereine sur le sujet. B.2. - Emma P. : sauvegardes de contenus personnels et semi-pro Entretien réalisé en présentiel le 04/05/2017. Durée : 2 heures. Sujet proposé : sauvegardes de contenus personnels et semi-pro Contexte général Emma, 53 ans, est scénariste et réalisatrice, et gère en parallèle un « petit » patrimoine immobilier qui l'oblige à superviser de nombreux chantiers, achats, et sous-traitants. Son métier exigeant de nombreux déplacements dans des environnements « tendus » (Afrique du Nord, RDC, Russie...) et pas toujours compatibles avec le haut débit, elle est partagée entre le besoin d'avoir « tout sur elle » (au sens des données nomades) et la double peur de perdre ses « devices » (smartphone en particulier, risque de vol ou même de racket) et de ne pas avoir accès à internet pendant des périodes assez longues. A cela s'ajoute le sentiment d'être particulièrement malchanceuse avec les objets physiques, puisqu'elle est une habituée des dégâts des eaux, dans au moins trois domiciles distincts. A-6 Elle a décidé depuis au moins 5 ans de « tout » digitaliser. Elle n'en garde pas moins des versions papier de la plupart des documents, à la fois par peur de la perte de la version numérique et par manque de certitude dans le fait que les documents soient « bien » digitalisés. Compte-rendu détaillé de l'entretien Q : Pouvez-vous vous présenter et nous dire de quoi sont constituées vos « données numériques » ? R : Je suis scénariste et réalisatrice en cinéma et en publicité. Je gère également plusieurs appartements que j'ai refaits et mis en location. Dans le cadre de ces deux activités, j'ai à gérer pas mal de factures, des frais de sous-traitance, etc. De plus je voyage souvent, y compris dans des pays où le réseau est de qualité inégale. Donc mes données numériques contiennent à la fois des objets « pro » (textes, vidéos, photos), « semi-pro » (pour les appartements) et « perso » (photos, musique...). Q : Pouvez-vous commencer par nous dire s'il vous est arrivé de perdre des données ? R : En fait, comme je ne suis jamais sûre à 100% de ce que j'ai sur mes différents appareils, je ne suis jamais sûre non plus d'avoir réellement perdu des choses. Pour ça, il faudrait que je puisse fouiller partout pour vérifier. Mais il m'est arrivé plusieurs fois d'avoir des « grosses inquiétudes », et, dans tout cela, il est certainement arrivé que je perde réellement des données. Mais ça reste incertain. Par exemple j'ai eu un gros problème de synchronisation de mes données sur mon iphone. Mon objectif était de recopier des données de mon téléphone vers un premier ordinateur, puis vers un second. Mais, suite à une mauvaise manipulation, j'ai « tout perdu ». Enfin tout ce qui était synchronisé. Et en premier lieu l'essentiel de ma collection de photos personnelles. Je ne me suis d'abord pas trop inquiétée, parce que je pensais les avoir sur un « vieux » téléphone. Mais je me suis alors rendue compte que le seul moyen apparent de les récupérer était de les renvoyer de cet appareil à un appareil plus moderne par texto, une par une. Or il y en avait environ 3 000 ! En gros, toutes les photos depuis que j'étais passée de l'argentique au numérique (vers 1996). J'étais prête à payer un petit jeune pour faire le travail de recopie, mais j'ai attendu et... je me suis fait voler ce deuxième appareil. A l'époque, je traversais une mauvaise période personnelle, et j'ai vécu ça de manière assez A-7 fataliste. Je me considère facilement comme un « super boulet » dès qu'il s'agit de technique. Une autre fois, j'ai voulu « alléger » un ordinateur qui ramait. J'ai donc sauvegardé plein de données « lourdes » (vidéos de famille « historiques » numérisées à partir de l'analogique, et films importants de travail) sur une carte de sauvegarde. Mais j'ai perdu cette carte par mégarde. En fait, je passe mon temps à essayer des sauver des données sur des clés USB par exemple, mais je les perds facilement. Plus exactement, je ne sais plus où elles sont. Peut-être que je les ai quelque part. A ce moment, elle nous montre sa « collection » de boîtes « réelles » (cf. photos en annexe). On distingue des rubriques telles que « factures garanties », « piles », « modes d'emploi », « dvds / clés usb », « impôts », « bail », « relevés », « merci », « factures », « droits d'auteur », et beaucoup d'autres encore. Les tiroirs sont étiquetés au moyen de rubans adhésifs Dymo, dont Emma nous dit qu'elle peine à en retrouver des recharges. Suite à cette période « difficile », j'ai essayé d'adopter une nouvelle organisation (entre 2012 et 2014). J'ai choisi de mettre « tout » sur mon iphone. Il dispose de 125 Go de stockage. J'essaye d'utiliser le Cloud, mais je galère, entre erreurs d'utilisation et inquiétudes sur ma « privacy ». En plus j'ai eu pas mal de dégâts des eaux (elle nous montre son appartement effectivement localement dévasté par l'humidité) et mes « objets physiques » ont été touchés (elle nous cite le cas d'une photo rare de Man Ray). Mais je ne suis pas sûre pour autant d'avoir « tout » perdu. Mes filles n'ont rien gardé, je n'ai pas non plus de doubles sur les réseaux sociaux. Mais je sais que j'ai envoyé des photos des enfants à leurs grands-parents, des « photos à la con », bien sûr, mais c'est mieux que rien. Eux au moins je sais qu'ils les ont gardées. Q : Y a-t-il eu d'autres pertes ? R : J'ai récemment perdu toute ma musique. J'avais rippé plein de CD, je les avais mis sur ITunes Music, mais tout a disparu. Je n'accède plus à rien en téléchargement. Apparemment c'est un problème d'incompatibilité entre supports, mais je n'y comprends pas grand-chose. Alors j'ai décidé de me mettre à acheter des disques durs et de gérer mes sauvegardes moi-même. J'ai commencé en 2012 par un disque wifi d'Apple. C'était pratique, ça me faisait un « Cloud perso » à la maison, il gérait bien les sauvegardes. Mais un jour, les sauvegardes se sont arrêtées. Apparemment il y avait trop de données. A-8 Alors je me suis mise à acheter des disques durs tout simples, de 2 ou 3 TO. J'en ai 3 ou 4. J'ai aussi des disques plus vieux mais ils ne sont pas tous compatibles avec mon matériel. Je colle des Post-it pour dire ce qu'il y a dessus, et petit à petit, ça s'empile dans un coin. Mais ensuite je me suis mise à avoir peur que mes disques durs s'abîment, alors j'essaye de revenir au Cloud. Le premier Cloud d'Apple (MobileMe), auquel j'étais abonnée, a fermé. J'ai essayé Google Drive, mais sans insister. J'ai acheté plusieurs abonnements pour rien. Je suis passée finalement à iCloud mais je ne me sens pas rassurée avec un seul fournisseur. Comme je ne sais pas trop comment fonctionnent les synchronisations, j'ai peur qu'une erreur de manip efface en même temps la donnée de référence et sa copie miroir. J'ai aussi un côté parano lié à mes lectures (j'aime les histoires de survivalisme). Alors j'essaie d'avoir un Cloud en Europe et un autre aux US. Mais un seul d'entre eux permet une restauration globale. L'autre permettait une recherche sélective (Dupplica). C'était génial mais ça a fait faillite ! J'ai donc remplacé Dupplica par Cloud HQ. Au final, à ce jour, j'utilise : - Cloud HQ, avec 75 Go. Je l'aime bien parce qu'il me permet une sauvegarde synchronisée d'Evernote, sans même avoir besoin de fermer l'appli - Crash Plan - iCloud Apple J'ai quand même eu de temps en temps des accidents de sauvegarde avec Cloud HQ sur Evernote. Je ne sais pas si je m'y prends de la bonne manière. J'ai conscience « d'empiler » les solutions. Mais ça correspond à mon côté accumulatrice. J'ai besoin de tout avoir près de moi, y compris à l'étranger. Par exemple les baux de mes locataires, les factures... Pour ça, Evernote sur mon ordinateur fonctionne très bien. Q : Vous imaginez-vous ce qui pourrait vous arriver de pire ? R : J'aime bien penser à des scénarios de fin du monde, comme une guerre nucléaire. Il n'y aurait plus d'internet, plus de bibliothèques. Je suis fascinée par la culture survivaliste. Il y a de plus en plus de livres pour expliquer comment survivre à une telle catastrophe. (on lui parle d'Henri Langlois qui gardait des bobines de films pendant la Guerre, avant de fonder la Cinémathèque Française). Oui, c'est un peu comme ça que je me vois, avec mes sauvegardes Evernote (rire). A-9 Q : Comment utilisez-vous Evernote ? R : j'ai commencé à classer par rubriques, mais j'ai plus ou moins abandonné. Il y a un système d'indexation qui permet par exemple de reconnaître tout seul une facture. Donc je fais un mélange de structuré et de vrac. J'ai environ 4 500 « notes » (c'est le nom des objets élémentaires Evernote). Je ne connais pas le volume, Evernote ne l'affiche pas, mais « ça pèse que dalle » : je ne stocke pas de vidéos dans Evernote. Q : Et pour le reste ? R : j'ai 47 Go de données iCloud sur mon ordi local. Plus de musique, pas ou peu de vidéos/films. Q : Le « geste de sauvegarde », ça vous inspire quoi ? R : je ne comprends pas trop la question. (On lui propose de décrire ses propres procédures de sauvegarde) Alors, pour la compta, j'ai des factures. Parfois en papier, alors je les scanne, parfois en mail. C'est pas très bien organisé, alors quand je scanne une facture, je commence par me l'envoyer par mail, et au moins je sais que c'est là. Le problème ce sont les opérateurs qui ne gardent les factures qu'un an : si on oublie de les télécharger, on n'a plus de traces après. J'ai d'autres sauvegardes que je fais en automatique, donc je n'ai pas besoin de me poser de questions. Ah oui, j'ai aussi essayé un nouveau soft : Zoolz. Mon besoin c'est de retrouver un document isolé même si je perds mon ordi. Je paye 70 € par an et j'ai consommé 115 Go sur les 1000 auxquels j'ai droit. J'ai droit à 5 users. Je fais des copies mensuelles complètes pour avoir des versions complètes de mes historiques, mais quand je travaille sur un document, j'ai tendance à faire des « enregistrer sous » au moins tous les deux jours pour avoir les différentes versions. Q : Avez-vous besoin de faire du ménage dans vos données ? R : Si je jette c'est plus pour trier/sélectionner que pour des raisons d'espace. Mais j'en ressens A-10 assez peu le besoin. Q : Avons-nous oublié quelque chose d'important ? R : Je réalise qu'en plus des sujets dont j'ai parlé, j'ai oublié de dire que suis curieuse, et j'aime bien garder des articles web sur tout un tas de sujets, personnels ou pro (sur les sciences, la psycho par exemple). Je fais ça avec une fonction d'Evernote qui permet de capturer la copie d'une page web. Même s'il y a là aussi quelques bugs. J'ai aussi eu un crash de mail. J'avais une adresse perso sur gandi.net et mon mail était saturé mais je ne le savais pas. J'ai voulu sélectionner une page en local, et pfff, j'ai tout perdu d'un coup. Le local et le serveur, donc ça ne me rassure pas du tout sur les fonctions de synchro. Le pire, c'est que je venais de m'envoyer des mails avec toutes mes factures Amazon, qu'il a donc fallu que je récupère de nouveau. A l'arrivée je n'ai pas perdu grand-chose. Juste des mouvements de banque et des dossiers qui étaient en vrac. Et beaucoup de temps... J'ai dû reprendre toutes mes factures et j'ai soigneusement reclassé tout ça dans des dossiers. Q : Et du côté des données « d'admin » (mots de passe, etc.) ? R : je les range sous Evernote, un peu « maquillés ». Je n'ai pas réfléchi à l'accès à mes comptes pour mes enfants si je disparaissais subitement. L'entretien se termine par une discussion informelle sur la valeur des objets, en particulier dans le contexte présent de dégât des eaux. Emma fait remarquer que la plupart du temps, la valeur de remplacement n'a pas de sens pour des objets ayant une importance sentimentale, et que donc il est vain d'espérer « s'assurer » contre ce genre de dommages. Il y aura une suite à cet entretien, car, en essayant de reproduire par nous-mêmes l'utilisation d'Evernote décrite par Emma dans cet entretien, nous avons dû la réinterroger téléphoniquement, pour en arriver ensuite à sa description de l'utilisation de ScanBot sur son smartphone (qui figure dans une autre partie du mémoire). A-11 |
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