2008
Université de Bretagne Occidentale -
Brest Master Sport Santé Société
Master 2
STAPS
Spécialité Recherche
Anthropologie des pratiques corporelles et apprentissages
moteurs
Anthony METTLER
De l'étudiant, lycéen au manifestant : étude
d'un rituel contemporain
Le cas des manifestations brestoises de novembre et
décembre 2007
Directeur de mémoire : Julien FUCHS
2
3
Remerciements
Tout d'abord, je tenais à remercier la personne qui
suit mes travaux de recherche depuis maintenant deux ans, qui me fait avancer
et qui m'apporte beaucoup, Julien Fuchs. Je n'oublie pas que « la
fièvre de la jeunesse permet au reste du monde de maintenir à
température, quand la jeunesse se refroidit, le reste du monde claque
des dents ».
Ensuite, je ne peux pas oublier les personnes qui m'ont
aidé à accomplir ce travail, Olivier Lemonon, Patrick Boumard.
Ainsi que celui avec qui j'ai beaucoup discuté de l'orientation de mes
travaux et qui m'a permis d'avancer sur mes projets, Antoine Marsac.
Enfin, merci à Madame la proviseure du Lycée
Dupuy De Lôme de Brest, Mme Pasgrimaud, d'avoir accepté de me
laisser diffuser les documents concernant le mouvement. Je pense
également à l'ensemble des étudiants, lycéens,
comme Ambre, jean Luc, sans qui ce travail n'aurait pas pu aboutir.
4
Sommaire
1. Introduction 5
2. Conceptualisation 7
3. Problématique : un rituel utilisant la
pratique corporelle 18
4. La démarche adoptée 20
5. Le mouvement brestois de 2007, un mouvement de
contestation 23
6. Un rite initiatique à la fois d'institution
et de renouvellement 27
7. L'utilisation d'un pouvoir médiatique par
la mobilisation de masse 32
8. Conclusion 38
9. Références 41
10. Annexes 43
11. Table des matières 55
5
1. Introduction
Cette étude de cas s'intéresse aux
manifestations qui se sont déroulées à Brest au cours des
mois de novembre et décembre 2007. Au cours de cette période,
deux populations n'ont eu de cesse d'interagir entre elles, d'un
côté nous avons les étudiants brestois issus de
différentes filaires de formations et de l'autre côté nous
avons les lycéens issus des établissements brestois, proposant
aussi bien des formations générales que professionnelles.
L'émergence de ce mouvement trouve sa source dans les
réformes proposées pas l'Etat. Le premier motif de la
mobilisation est la Loi de Responsabilité des
Universités1 (LRU) votée en août 2007 et qui
donne une plus grande autonomie de fonctionnement aux universités de
France. Le second motif est la note2 du Ministre de l'Education
nationale, Xavier Darcos, qui vise à alléger et restructurer les
formations des baccalauréats professionnels.
Au même moment, se cristallise d'autres problèmes
sur le territoire notamment chez les avocats qui contestent la restructuration
de la carte judiciaire. Finalement, le mouvement social brestois prend forme
dans un contexte social instable.
Dès lors, il est important de préciser le sens
des termes utilisés. En ce qui concerne la manifestation, nous pouvons
dire qu'il s'agit d'une « réunion organisée sur la voie
publique ayant comme but d'exprimer une conviction collective »
3. Or, cette définition est trop vaste dans notre contexte et
risque d'englober également les manifestations telles que les
rassemblements de motards par exemple. C'est pourquoi notre réflexion
nous pousse à préciser le sens du terme « manifestations
» par « mouvements sociaux » qui correspond, pour
Françoise Chazel4, à « une entreprise collective
de protestation visant à imposer des changements dans une structure
sociale et/ou politique par le recours à des moyens non
institutionnalisés ». Dès lors, cette définition est
plus précise dans le sens où elle pose l'idée de
protestation avec une intention de changement par des moyens non
institutionnels. Cette
1 Cf. annexe 1
2 Cf. annexe 2
3 Alpe,Y. Beitone, A. Dollo, C. Lambert, JR. &
Papayre S. (2007) Lexique de sociologie, Dallos, Paris
4 Chazel, F. (1993) Action collective et mouvements
sociaux, PUF, Paris
6
présentation nous permet alors d'être plus
précis concernant le sens des mots utilisés, c'est en ce sens que
l'on parle désormais de mouvement social et non plus de
manifestation.
Nous avons décidé d'aller au plus près
des manifestants en utilisant l'observation participante afin de rendre compte
des événements mais aussi de comprendre le motif d'un tel
événement. Cette étude s'intéresse à
l'explication des mécanismes internes permettant l'instrumentalisation
du corps. Nous avons suivi au jour le jour le mouvement social et notre
attention s'est portée sur les documents distribués, les
interviews de manifestants mais aussi sur l'observation du déroulement
du mouvement. En effet, il s'agit d'être présent au moment des
interactions entre les acteurs dans leur milieu. Au cours de cette
période, nous avons systématiquement récoltés des
données que nous avons conservées par l'intermédiaire du
carnet de terrain. Nous nous sommes immergés dans la « vie »
du mouvement afin d'en comprendre tous les aspects.
Afin de présenter l'objet de cette recherche, nous
avons fait le choix de présenter les écrits sur les mouvements
sociaux en traitant les différentes approches possibles ainsi que les
critères les caractérisant car il sera nécessaire de
définir la nature du mouvement qui se déroule sur Brest.
Ensuite, nous aborderons la question des rites et des diverses
formes possibles, en lien avec le concept de mouvement social. Enfin, nous
traiterons des conséquences des rites sur l'aspect identitaire par une
présentation du militantisme étudiant.
Nous présenterons la méthodologie
utilisée permettant de recueillir des données afin d'analyser
l'instrumentalisation du corps. Dans le cadre de notre étude, il s'agit
d'une méthodologie constituée d'une observation participante, un
journal de terrain ainsi que de l'étude de documents. Mais surtout, nous
proposerons une analyse qualitative qui a permis de qualifier le type de
mouvement que nous étudions. Notamment par le traitement des
interactions entre les populations de manifestants.
Suite à cela nous exposerons les éléments
qui structurent le regroupement de manifestants. Enfin, nous conclurons ce
travail en synthétisant les pistes de réponse et en proposant un
axe de réflexion pour la continuité de ce travail.
7
2. Conceptualisation
2.1. Les mouvements sociaux
D'après Erik Neveu5, « un mouvement
social est un ensemble d'actions, de conduites mettant partiellement ou
globalement en cause l'ordre social et cherchant à le transformer. Il
peut regrouper des classes mais aussi des groupes d'âges, des
minorités (ethniques, sexuelles...). Ils sont surtout portés par
des groupes issus de classes moyennes : ingénieurs, techniciens,
professeurs ». Un mouvement social comprend également l'idée
de mobilisation autour d'espoirs, d'émotions, d'intérêts
mais il s'agit aussi d'une occasion de mettre en discussion des enjeux sociaux,
de faire bouger la société. Ces mouvements sociaux illustrent
d'abord l'irruption d'individus dans la rue, du désordre mais aussi la
recherche de déstabilisation de l'Etat. Les mouvements sociaux sont
souvent décrits comme imprévisibles avec l'ambition de
défier l'autorité par un processus proche de la contagion. Un
mouvement social peut être entendu comme étant le regroupement
d'individus, avec une revendication à faire valoir. Dans notre cas il
s'agit de populations scolarisées qui expriment leurs demandes par des
moyens comme la grève, la manifestation, l'occupation d'un
bâtiment public. Dès lors, le sens commun associe à
l'idée de mouvement un ensemble de formes de protestation. Or
l'association entre mouvement social et expression d'un mécontentement
ne va pas de soi. Que peut-on dire de la forme de regroupement et des
caractéristiques qui composent les mouvements sociaux ?
2.1.1 L'action collective :
La difficulté naît ici de la polysémie de
l'adjectif « collectif ». En effet, il s'agit plutôt de
l'idée de l'agir ensemble comme projet volontaire avec
l'intention de coopération entre les acteurs. Raymond Boudon parle
d'effet pervers du processus qui résulte d'une agrégation de
comportements individuels, sans intention de coordination6.
L'exemple des chauffeurs routiers en opération escargot le
démontre car la différence est claire entre une action
concertée, liée à des revendications et un résultat
imprévu, parfois imprévisible, résultants de
5 Neveu, E. (2005) La sociologie des mouvements
sociaux, La découverte, Paris
6 Boudon, R. (1977) Effets pervers et ordre social,
PUF, Paris
8
milliers de départs en vacances individuels. La notion
d'action collective peut aussi s'appliquer à la plupart des
activités liées à l'univers de la production, de
l'administration.
En ce qui concerne la croyance dans l'action collective ou
individuelle, il n'est pas nécessaire d'avoir la foi dans des valeurs
sacrées de l'industrie automobile pour travailler dans un garage.
Cependant, il faut avoir un minimum de croyance pour manifester. De plus,
l'utilisation du corps est un moyen symbolique de contester comme nous avons pu
le voir avec les Jeux Olympiques de Pékin où des sympathisants du
Tibet ont simulés leur mort devant les caméras du monde entier.
Nous assistons là à une instrumentalisation ayant une orientation
spécifique qui est la défense du peuple Tibétain afin de
faire pression sur les pouvoirs politiques. Ce qui nous amène à
réfléchir sur le sens des engagements moraux et physiques des
actions collectives et individuelles.
2.1.2. L'action orientée pour une cause :
D'après Erik Neveu, il faut réintégrer
l'histoire de chaque mouvement social dans un contexte culturel et
intellectuel. La notion d'action collective examinée ici renvoie
à deux critères : l'agir-ensemble intentionnel, marqué par
le projet explicite des protagonistes de se mobiliser de concert, la
revendication, de défense d'un intérêt matériel ou
d'une cause. Il isole un type particulier d'action collective à laquelle
s'associent des pratiques comme la grève, la manifestation ou encore la
pétition. Cette action concertée autour d'une cause s'incarne en
entreprises collectives visant à établir un nouvel ordre de vie.
Dès lors, ce nouvel ordre de vie peut viser à des changements
profonds ou, au contraire, être inspiré par le désir de
résister à des changements. Il peut également impliquer
des modifications de porté révolutionnaire ou ne viser que des
enjeux très localisés. Enfin, il y a ceux qui refusent une
centrale nucléaire ou une autoroute au seul motif qu'elle est
près de chez eux mais il existe aussi des porteurs de revendications
plus désintéressées, plus universelles, tel l'abbé
Pierre. Donc l'engagement n'est possible que s'il existe une cause à
défendre ou bien une idée à faire passer.
9
2.1.3. Les mouvements de contestation et la politique
:
D'après Alain Touraine7, les mouvements
sociaux sont, par définition, une composante singulière et
importante de la participation politique dans l'idée d'agir
contre. Un mouvement social se définit alors par l'identification
d'un adversaire. Et l'acte de se mobiliser et de s'engager pour défendre
une hausse de salaire ou bien contester le vote d'une loi, ne peut se
déployer que contre un adversaire désigné : employeur,
administration, pouvoir politique. Ce qui nous concerne directement dans cette
étude en rapport avec une mobilisation contre les décisions de
l'Etat. Cela vise à répondre à un problème ou
à une revendication en mobilisant au sein du groupe, les moyens d'y
répondre. Cependant, un mouvement social n'est pas nécessairement
politique car ici cette notion fait appel aux autorités telles que le
gouvernement, les collectivités locales ou les administrations pour
apporter la réponse à une revendication. La publicité que
reçoivent ces conflits dans les médias, leur discussion dans
l'espace public ne suffisent pas à leur donner un caractère
politique. Celui-ci n'intervient que lorsque le mouvement social se tourne vers
l'Etat. Dès l'entrée du conflit dans l'espace public, il y a des
enjeux quant à la quantité de personnes rassemblées.
Dès lors il existe un enjeu de masse qui signifie que plus il y a
d'individus à se mobiliser, plus la manifestation sera
considérée comme significative et pesante sur le pouvoir. Donc,
un mouvement de contestation à une orientation contre un adversaire, ici
l'Etat, et tend à répondre à une revendication par la
mobilisation d'individus.
2.1.4. Un répertoire d'action :
Faut-il considérer que les mouvements sociaux sont les
armes des faibles en quelque sorte réduits à manifester et
à faire grève faute de pouvoir être entendus par des voies
plus institutionnelles. Pour Charles Tilly8, il existe des formes
d'institutionnalisation propres aux mouvements sociaux. En effet, tout
mouvement social est confronté à un répertoire
préexistant de formes protestataires plus ou moins codifiés,
inégalement accessibles selon l'identité des groupes
mobilisés.
7 Touraine, A. (1978), La voix et le regard, Seuil,
Paris
8Tilly, C. (1986), La France conteste de 1600à
nos jours, Fayard, Paris
10
De plus, cette domination touche également au fait que
les mouvements sociaux ont besoin de publicité notamment celle des
médias. Donc, l'élaboration de contestation s'opère sous
forme de discussions entre appareils « représentatifs »,
groupes de pression de la haute administration sans que cela ne soit
complété par une publicité ou d'un débat et des
enjeux dans l'espace public (Pierre Rosanvallon)9. A l'inverse,
l'action de la « rue » est contrainte de se développer dans
des conditions de publicité qui privilégie le jugement de
l'ensemble des citoyens. Les mouvements sociaux constituent une arme des
groupes dans un espace social et un temps donnés. Il existe bien une
affinité entre la position de dominé et le recours à des
formes moins institutionnalisées, moins officielles de prise de parole,
comme les médias ou bien l'opinion publique.
Toujours selon Charles Tilly, il y a apparition de nouvelles
formes d'engagements associatifs de dimension internationale telles que
Greenpeace complétée d'une montée des logiques
d'expertise. Il s'agit là d'une nécessité pour les groupes
de mobiliser à leur profit les arguments de la science et des projets
chiffrés. Puis, la dimension symbolique prend de l'importance par la
construction d'images autour des groupes et des causes comme la construction
d'une mythologie moderne du paysan à la fois entrepreneur et protecteur
de la nature. Nous pouvons dire que les mouvements sociaux ne sont pas un
univers de pure fluidité, de spontanéité absolue car ils
connaissent des dimensions d'institutionnalisation, des cadres
organisateurs.
2.1.5. L'organisation des mouvements sociaux :
Des mouvements sociaux peuvent émerger sans que des
organisations préexistantes n'en soient les initiatrices comme cela a
été le cas lors des violences dans les banlieues
françaises. Tout mouvement social qui tente de s'inscrire dans la
durée pour atteindre des objectifs est confronté à la
question de l'organisation qui coordonne les actions, rassemble des ressources,
mène un travail de propagande pour la cause défendue, ressort
comme une nécessité pour la survie du mouvement, ses
succès. William Gamson10 parle de « bureaucratisation
» des mouvements avec des statuts écrits, une tenue de fichier
des
9 Rosanvallon, P. (1981), la crise de l'Etat
providence, Seuil, Paris
10 Gamson, W. (1975), The strategy of Social Protest,
Wadsworth, Belmont
11
adhérents ou encore création d'échelons
hiérarchiques. Dès lors, les mouvements sociaux dotés
d'une telle organisation parviennent, dans 71% des cas, à être
reconnus par leurs interlocuteurs, contre 28% pour les mouvements moins
organisés. Une organisation fortement centralisée, mais surtout
unie, se révèle plus efficace. En pratique, l'immense
majorité des mouvements sociaux est structurée par des formes
plus ou moins rigides d'organisation tels que les relais partisans, les
syndicats, les associations, la coordination ou encore un rôle central
lié à quelques animateurs. Les mouvements sociaux ne sont donc
nullement au pôle d'une pure expressivité, d'un refus de toute
organisation. Entre un mouvement social et un groupe de pression la
différence n'est pas toujours évidente mais elle peut aussi se
penser en termes de trajectoire. Donc, un mouvement social est organisé
de façon à pouvoir fonctionner ce qui remet en question
l'idée de spontanéité de la contestation. N'y aurait il
pas une construction ou une incitation à la mobilisation.
Il existe un certain nombre d'éléments à
prendre en compte afin de pouvoir comprendre la structuration d'un mouvement
social. Tout d'abord, l'action collective et individuelle est une
coopération entre acteurs croyant en leur acte. Cette action est
orientée pour une cause, par un moyen qui est la grève, avec
l'intention d'agir ensemble après avoir élaboré un projet.
Cette action vise un changement profond du mode de vie ainsi que des enjeux
localisés. De plus, la participation des acteurs à agir contre un
adversaire identifié est primordiale et dans ce cas la mobilisation
massive d'individus est nécessaire pour faire pression. Il existe
également une domination à la fois dans les formes de
protestations, dans les moyens de communications ce qui implique une adaptation
du degré d'expertise des acteurs. Enfin, un mouvement social peut
émerger sans organisation, cependant, s'organiser permet de durer dans
le temps et d'être reconnu par l'institution. Dès lors
émerge la question de la fonction du mouvement social.
2.2. Les rites dans notre société
contemporaine
La question des rites, qu'ils soient de passages, initiatiques
ou bien politiques se pose ici. En effet, la manifestation regroupe une masse
ayant un objectif d'action au centre d'enjeux qui souvent dépassent les
acteurs aux mêmes. Dans cette partie nous posons la possibilité
que l'utilisation du corps pour contester soit un rite.
12
2.2.1. La question des rites :
Emile Durkheim11 Martine Segalen12
rappelle que les rites font prendre conscience à l'individu qu'il fait
partie d'une communauté dans notre société rationnelle et
utilitariste où le sacré a perdu de son importance face au
profane. Les rites sont des moments clés qui accompagnent la vie, tel
que la naissance, le mariage ou bien la mort. Nous pouvons dire que l'aspect
collectif du rite dans la célébration est important. En effet, un
rite prend son importance sociale quand il est célébré
collectivement. Pour comprendre le contexte des rites, il faut savoir qu'une
manifestation rituelle tranche avec le quotidien et dont l'aspect collectif est
important. Ces rituels ont pour effet de renforcer les sentiments
d'appartenance à une collectivité et de renforcer notre
dépendance à un ordre moral plus fort. Dans notre cas, le rite
semble répondre à une intention forte de contester le pouvoir de
l'Etat et donc de défendre des valeurs propres à un groupe
donné. Pourtant, les rites sont des événements
périodiques, coutumiers qui inscrivent les individus dans un groupe
donné.
Il y a des valeurs qui transcendent les individus d'une
société et ces valeurs permettent d'échapper au chaos. A
travers ces valeurs nous respectons un ordre social. Donc le rite est efficace
sur le plan social et individuel car il permet de maintenir certaines
règles sociales. Son effet est attendu, recherché et permet de
rassembler une collectivité humaine ce qui produit des états
mentaux collectifs qui sont suscités par le fait que le groupe soit
rassemblé.
Dans un rituel, se distinguent trois phases :
séparation, marge et agrégation. La forme et la durée des
phases de séparation et d'agrégation varient en fonction de la
chose célébrée. Ainsi les rites de séparation
seront plus marqués dans les cérémonies funéraires,
ceux d'agrégations pour le mariage. La marginalisation est effective par
les actions de contestation enfin la dernière phase est
l'agrégation, qui a pour objectif de réintégrer l'individu
dans la vie normale avec un nouveau statut.
11 Durkheim, E. (1912) Les formes
élémentaires de vie religieuse : le système
totémique en Australie, PUF, Paris
12 Segalen, M. (2005) Rites et rituels contemporains,
Armand Colin, Paris
13
2.2.2. Le rite d'institution et de renouvellement :
Pierre Bourdieu 13 propose de substituer au concept
de rite de passage celui de « légitimation », rite de «
consécration », rite « d'institution », en analysant la
ligne qui opère le passage d'un état à un autre, il
insiste sur la mise en évidence du pouvoir qui les instaure. Ce n'est
pas le passage qui compte mais plutôt la ligne qui sépare un avant
d'un après. Dès lors le rite institue, sanctionne, sanctifie le
nouvel ordre établi : il a un effet d'assignation statutaire et
encourage le promu à vivre selon les attentes sociales liées
à son rang. Le rite d'institution est un rite qui légitime une
différence de façon arbitraire. Par exemple, la circoncision
consacre et donc institue la différence entre l'homme et la femme. Plus
précisément, Van Gennep14 n'a jamais prétendu
que toutes les formes de rituels relevaient du passage, et à l'inverse,
il a souligné le caractère multiforme et complexe des
cérémonies. C'est pour cela qu'il est possible qu'un rite
d'institution ainsi qu'un rite de renouvellement au sein d'une
communauté puisse s'interpénétrer. Finalement, il existe
une nécessité de légitimisation des nouveaux arrivants par
les membres les plus anciens. Qu'il « institue » ou qu'il «
fasse passer », le rite ne peut être auto-administré, il faut
une autorité supérieure, qu'il s'agisse de l'Eglise, de l'Etat ou
d'un représentant laïc du pouvoir concerné par la
manifestation.
2.2.3. La transition et la communitas:
Les rites peuvent êtres considérés comme
des formes de négociation d'un nouveau statut au sein d'une
société donnée qui présente un système
structuré et hiérarchique de positions. L'étape de
transition définie par Victor Turner15 est importante car il
s'agit d'une étape où s'instaure une « anti-structure
». Mary Douglas16 ajoute à cela que le danger
réside dans l'étape elle-même puisque le passage d'un
état à un autre est indéfinissable. Elle complète
son idée par le fait que tout individu qui passe de l'un à
l'autre est en danger et ce danger émane de l'individu lui-même.
Dès lors, l'individu en phase liminale présente des
13 Bourdieu, P. (1982) Les rites comme actes
d'institution, Actes de la recherche en sciences sociales, 43
14 Van Genepp, A. (1909) Les rites de passages, Emile
Nourry, Paris
15 Turner, V. (1967) Le phénomène
rituel. Structure et contre-structure, PUF, Paris
16 Douglas, M. (1971) De la souillure. Essais sur les
notions de pollution et de tabou, Maspéro, Paris
14
traits spécifiques : il échappe aux classements
sociologiques puisqu'il est dans une situation de transition d'une phase
à une autre.
L'étape de liminalité conduit d'ailleurs
jusqu'à une anti-structure sociale que Victor Turner nomme
communitas, au cours de laquelle des liens peuvent se créer
hors des hiérarchies et des rapports sociaux ayant normalement cours
dans le groupe. Ce phénomène qui s'apparente à la
liminalité serait actuellement présent dans notre
société par des structures qui refusent de se fonder sur la
classe sociale et rejettent l'ordre social. En ce qui concerne les mouvements
sociaux, la participation aux manifestations semblerait répondre
à cette notion de communitas. C'est-à-dire un type de structure
éphémère dans le temps ayant comme objectif de contester
l'ordre social et la hiérarchie.
2.2.4. Les formes de l'engagement militant à
travers la corps :
Les individus peuvent subir des épreuves physiques
d'apprentissage, qui mettent en jeu le corps, qui auront pour effet de les
mettre dans un moule, de les sortir de leur « état
préliminaire » et de les acheminer vers leur plein «
état social ». Cette étape doit les rendre identiques aux
autres membres de la communauté. Brigitte Larguèze17
estime central dans le processus rituel le changement de d'apparence qui est
« l'opérateur principal » des cérémonies. Ces
formes de rituelles retrouvant les caractéristiques des phases de
transitions comprenant les anciens, maîtres du rituel, comme les
nouveaux, changeant d'attributs. Ces derniers qui voient pendant un temps leur
apparence brouillé et leur identité corporelle changée :
perte de patronyme, soumission à des exercices de souillures physiques
réelles, port d'un uniforme, coupe des cheveux. La course à pied
fait partie de ses espaces de ritualisation où l'activité
coureuse apparaît très riche sur le plan symbolique et rituel. En
s'appuyant sur les définissions données par Emile Durkheim,
Marcel Mauss, Arnold Van Gennep ou encore Victor Turner, le corps du coureur
est tout à la fois outil et but de l'action. Dans la mesure où la
course exige un engagement physique très important, l'activité
permet de dépasser un au delà du corps généralement
tabou. Pour chaque coureur, le sacré de la course réside ainsi
dans l'usage spécifique de son corps. Le côté rituel
relève alors de l'aspect collectif qui procure
17 Larguèze, B. (1996) Masque ou miroir : le
changement d'apparence dans le bizutage, rapport ronéoté,
Ministère de la culture, Paris
15
une effervescence émotionnelle partagée et
socialise l'individu. Quant au groupe des coureurs en compétition,
où se mêlent tout un tas d'individus de classes et d'âges
différents, la durée temporaire de l'« épreuve »
s'apparente à une forme de communitas telle que la
décrit Victor Turner. C'est sur cette idée d'épreuve
d'apprentissage physique que nous nous basons pour questionner le mouvement
social qui s'est déroulé sur Brest. Ces épreuves ont comme
objectif de faire intégrer, à des individus, l'ensemble des
caractéristiques d'un groupe par un rassemblement qui semblerait
être un rite.
Nous pouvons dire qu'il existe des rites, initiatique et de
renouvellement, qui utilisent le corps. De plus, ces rites permettent d'initier
les nouveaux membres aux normes ainsi qu'aux règles qui font
l'identité et la particularité de leur classe ou de leur groupe
par des épreuves d'apprentissage physique. Mais également de
perpétuer un renouvellement des membres de la communauté propre
à chaque type de classe. Ces rites sont nécessaires afin
d'assurer une pérennisation de l'identité et des logiques propres
à un groupe donné.
2.3. L'identité militante acquise par un rite du
corps
Fondamentalement, le militantisme, c'est « l'action
menée ensemble par un groupe de personne »18.
L'idée défendue par Tim Jordan est que l'essentiel dans le
militantisme n'est pas tant le fait d'être à plusieurs à
accomplir une même action mais plutôt la solidarité
existante dans l'objectif de la transgression. Chaque groupe de protestation
fut au départ formé de gens qui reconnaissent chez les autres
leurs propres frustrations, aspirations et désirs de transgresser les
règles actuelles du monde. La solidarité est le résultat
de ces interactions, la reconnaissance d'un « nous » fait de nombreux
« je » séparés.
C'est pour cela qu'il est intéressant de se pencher sur
l'ensemble des traits pertinents qui conditionnent le militantisme dans un
premier temps, puis de questionner l'identité militante, en effet les
rites utilisant l'apprentissage physique amèneraient à construire
une identité militante.
18 Jordan, T. (2003) S'engager, les nouveaux
militants, activistes, agitateurs ..., Autrement Frontières, Paris
16
2.3.1. Le militantisme étudiant :
McAdam et Paulsen19 cherchent à comprendre
pourquoi au sein d'un groupe donné, par exemple les étudiants,
certains militent tandis que d'autres demeurent passifs. Une étude sur
les étudiants volontaires au mouvement des droits civiques met en
évidence différentes variables : plus un individu est au contact
de personnes engagées dans l'action militante, plus sa situation
personnelle minimise les contraintes professionnelles et familiales, plus ses
projets d'engagement reçoivent l'aval de ceux dont il est affectivement
proche, plus la probabilité de le voir militer s'accroît.
Cependant, certains reproches lui sont formulés tels que le fait de
prendre peu en considération les profils sociaux de sa population
(origine familiale, trajectoires) mais aussi le fait qu'il n'a pas
mobilisé un groupe témoin d'étudiants n'ayant eu aucun
engagement. L'importance d'un paramètre psychoaffectif comme le soutien
des proches ou bien l'investissement d'amis dans un mouvement social sont des
facteurs important des recrutements mais également de l'initiation
à la culture manifestante.
Pour Daniel Gaxie20, une meilleure
compréhension du militantisme implique aussi de le penser au quotidien,
de comprendre le tissu de relations et d'interactions que suscite l'engagement.
A partir d'un travail sur les partis, il est l'un des premiers à
esquisser une théorie de la pratique militante. L'expérience
ainsi vécue ébranle les personnalités, suscite une
modification profonde des schèmes de perception de la vie. Dès
lors la vie est perçue sous un mode plus communautaire, vie plus
excitante, prenant un sens plus intense à travers la participation
à un mouvement dont les enjeux dépassent les projets et bonheurs
individuels. Donc, la participation à un mouvement social va
façonner l'identité militante de l'individu de façon
stable même après la mobilisation.
2.3.2. La question de l'identité militante :
Les mouvements sociaux sont aussi des moments
privilégiés de construction, de maintenance des identités.
En effet, la notion d'identité est en science sociale d'autant plus
19 McAdam, D. & Paulsen, R. (1993) Specifying
the relationship between social ties and activism, Americain journal of
Sociology
20 Gaxie, D. (1977) Economie des partis et
rétributions du militantisme, Revue française de science
politique
17
problématique qu'elle devient envahissante.
D'après Claude Dubar21, « l'identité est le
sentiment subjectif d'une unité personnelle, d'un principe
fédérateur durable du moi et un travail permanent de maintenance
et d'adaptation de ce moi à un environnement mobile ». De plus,
l'identité est aussi le fruit d'un travail incessant de
négociation entre des actes d'attribution, des principes
d'identification venant d'autrui et des actes d'appartenance qui visent
à exprimer l'identité pour soi, les catégories dans
lesquelles l'individu entend être perçu. Dès lors, l'action
protestataire constitue un terrain propice à ce travail identitaire que
les rites formalisent par un apprentissage physique. Elle constitue un acte
public de prise de position qui classe l'individu mobilisé dans le
regard des autres. Par exemple, la façon dont les cortèges sont
disposés ou bien les slogans chantés ou écrits sur les
banderoles ou les drapeaux rappellent l'appartenance à un groupe et
à une identité particulière. Concrètement, chaque
groupe contestataire ou syndicat à sa propre identité et
cherchera à imposer la sienne aux populations de manifestants afin de
renouveler les membres de la communauté.
La capacité d'un groupe à se doter d'une
identité forte et valorisante constitue une ressource de première
importance pour que ses membres s'affirment dans l'espace public. Cependant,
les biographies individuelles des individus qui se mobilisent sont
conditionnées par l'expérience extrême du militantisme et
ceci de façon définitive. Si la dimension identitaire est partie
intégrante des mouvements sociaux, elle prend une place éminente
dans une série de mobilisations spécifiques. Nous pouvons prendre
l'exemple des mouvements nationalistes dont le but est d'obtenir une
reconnaissance de son identité ou encore l'exemple des mouvements de
statut où les mobilisations ont comme enjeu de préserver, de
conforter le statut social d'un groupe, c'est à dire son prestige, la
considération qu'il estime mériter. Le processus passe par
l'affirmation ou la réaffirmation des valeurs et du style de vie du
groupe, de leur légitimité. Donc, il est nécessaire pour
un groupe contestataire de se forger une identité forte qui permettra de
s'affirmer sur un espace public d'enjeux.
L'aspect relationnel est important dans l'engagement au
mouvement. En effet, l'idée qu'un mouvement social est une fonction de
transgression qui amène à la solidarité va renforcer le
sentiment d'appartenance à un groupe donné mais contribue
également à la construction ainsi qu'au maintien des
identités. De plus, nous savons qu'il existe différentes
21 Dubar, C. (1991) La socialisation, Armand Colin,
Paris
18
variables qui conditionnent le militantisme comme l'aspect
psycho affectif ou encore l'aspect relationnel. Nous pouvons dire que l'acte
protestataire constitue un terrain propice à ce travail identitaire.
Plus précisément, il semblerait que ce terrain identitaire soit
un enjeu de prise de position qui s'effectue sur la place publique par un rite
d'apprentissage physique. Dès lors, la question de l'initiation du corps
à une culture contestataire permettrait de former les individus, par des
rites, à des logiques militantes.
3. Problématique : un rituel utilisant la
pratique corporelle
Lors des AG étudiantes nous avons été
attentif à une question simple mais riche en indication quant aux
raisons de l'implication du manifestant : « qui a lu la loi ? ». La
première fois que cette question a été posée nous
étions à l'AG de Segalen où s'étaient
regroupés près de 400 étudiants. Une vingtaine de mains se
levèrent afin de répondre à la question.
L'expérience se renouvela en AG en Science puis en AG en Staps. A chaque
fois nous faisions le même constat, c'est-à-dire que peu de gens
avaient pris connaissance de cette loi. Pourtant, le nombre de manifestants
étaient bien plus important dans la rue que le nombre personne l'ayant
lu.
L'engagement des étudiants et des lycéens semble
aller au-delà de la simple manifestation contre la LRU ou contre la note
Darcos. En effet, pendant les manifestations étudiantes et
lycéennes nous posions la question du « pourquoi vous manifestez ?
» à différentes personnes et beaucoup de réponses
s'orientaient vers « ba, en fait, j'avais pas cours aujourd'hui » ou
bien « j'aime bien manifester » aussi « je sais pas trop ... je
crois que c'est contre une loi ». Ces réponses semblent nous
indiquer que la participation à un événement commun se
suffit à lui-même pour mettre en action les individus. Dès
lors, l'utilité de mettre son corps en mouvement sur le bitume brestois,
si l'on ne connaît même pas les raisons concrète de la
manifestation, ne correspondrait il pas à une célébration
collective ?
Ce travail a pour ambition de questionner
l'instrumentalisation du corps qui semble conditionnée par un rite,
c'est-à-dire que l'activité corporelle d'un individu serait un
vecteur permettant de défendre des revendications lors d'une
célébration collective qui est le mouvement social.
19
Michel Foucault22 affirmait que dans la
société occidentale, le corps est le premier outil d'expression
de l'individu. Dans notre cas, la manifestation est une forme d'expression de
l'individu avec un objectif d'engagement corporel et collectif ayant des
actions concertées en faveur d'une cause. Marcel Mauss23,
précisait que toute technique à sa propre forme ou attitude car
il existe un art d'utiliser le corps propre à des objectifs mais
accessible uniquement par initiation. Ici, le mouvement social semble
être un lieu où différents rites, initiant les nouveaux
manifestants par une activité corporelle, opèrent afin de
construire ou de maintenir une identité militante.
Comment peut-on qualifier et préciser la fonction du
mouvement social brestois ? A quoi l'engagement physique d'un individu lors
d'un mouvement social permet-il de répondre ? De quelles façons
l'activité corporelle des manifestants peuvent être
utilisée ?
Nous montrerons que le mouvement social de Brest est un rite
permettant d'initier de nouveaux étudiants et lycéens à
des identités militantes et contestataires associées à des
groupes identifiés afin de répondre à des enjeux de
rapport de force contre l'Etat par un engagement corporel.
Premièrement, nous qualifierons le mouvement de 2007
à Brest comme le regroupement d'un certain type de personnes ayant des
objectifs identiques, c'est-à-dire que l'action des populations de
manifestants semble être orientée vers une contestation de l'Etat.
L'ensemble des actions menées collectivement sont organisé.
Cependant, ce mouvement social serait composé de multiples
communautés ayant émergée suite aux interactions entre les
populations étudiantes et lycéennes. Ces communautés
sembleraient avoir des modalités d'usage de l'engagement
différent.
Ensuite, nous questionnerons la fonction du mouvement de Brest
comme rite initiatique utilisant l'activité corporelle.
C'est-à-dire que nous chercherons à identifier les types de rite
utilisés mais également les moyens utilisés afin
d'instituer les individus dans les groupes donnés. Nous formulons
l'hypothèse que le mouvement social de Brest est à la fois un
rituel initiatique mais également un rite de renouvèlement.
22 Foucault, M. (2004) Surveiller et punir. Naissance
de la prison, Gallimard, Paris
23 Mauss, M. (1950) Notion de techniques du corps in
Sociologie et Anthropologie, PUF, Paris
20
Enfin, nous questionnerons les enjeux de l'engagement physique
par l'analyse des tracts et des affiches qui nous renseigneront sur les
facteurs influencent la mise en mouvement. On peut faire l'hypothèse que
les meneurs cherchent à mettre en mouvement le plus grand nombre de
manifestants afin de rééquilibrer le rapport de force contre le
gouvernement.
4. La démarche adoptée
4.1. Le cadre de la démarche :
L'étude de ce mouvement social a été
impulsée dans l'idée d'expliquer un phénomène vaste
plutôt que de multiples faits isolés à des populations
données. En effet, l'ambition de ce travail est de chercher à
comprendre un phénomène social particulier, celle-ci s'inscrit
donc dans une démarche microsociologique. Bien plus que la simple
description d'une pratique corporelle, nous nous intéressons ici
à expliquer l'instrumentalisation qui est faite du corps.
Nous avons la volonté d'étudier cette
instrumentalisation en questionnant le phénomène lui-même,
c'est-à-dire le mouvement social, la fonction de ce
phénomène, c'est-à-dire le rite, ainsi que le motif qui
fait émerger un tel phénomène, c'est-à-dire les
enjeux de la mobilisation.
Afin d'illustrer au plus juste l'esprit de cette
démarche, nous avons décidé de nous intéresser aux
travaux de Raphaël Desanti et Philippe Cardon24. Ils
précisent qu'il est important de distinguer et d'articuler
différents registres de notes lors du travail de terrain afin de prendre
en compte l'ensemble des significations des faits observés. Tout
d'abord, les notes descriptives du cadre spatio-temporel observé, soit
les éléments matériels du « décor ».
Puis, les notes méthodologiques, soit la manière dont
l'enquêteur est et s'intègre parmi des enquêtés et
relever les attitudes de ces derniers à son égard. Mais aussi,
les notes descriptives des individus, soit les éléments externes
caractéristiques des observés. Ensuite, les notes d'actions et
d'interactions permettant de rendre compte de la construction des
interactions
24 Desanti, R. & Cardon, P. (2007)
Méthodologie : l'enquête qualitative en sociologie, édition
ASH, Rueil-Malmaison
21
entre individus. Enfin, les notes théoriques qui
correspondent aux ressources théoriques utilisées par
l'enquêteur pour interpréter le champ qu'il observe.
Dès lors, la méthode mise en place a permis de
construire une démarche de recherche et de réflexion par un
travail de terrain utilisant l'observation participante, le carnet
ethnographique ainsi que l'étude de documents. Nous avons porté
notre attention au fait de prendre toujours le point de vue du manifestant, ou
non manifestant, afin de rendre compte au plus juste de l'état d'esprit
des populations composant le mouvement.
4.2. Outils de recherche :
4.2.1. L'observation participante :
D'après Christian Bromberger25, il faut
rendre compte au plus près de la logique complexe des comportements
irréductibles à quelques catégories. Pour lui, la
démarche ethnologique est une affaire de proximité, visant
à saisir l'intérieur des choses en cultivant l'empathie qui va
permettre à l'observateur d'accorder « ce qu'il pense que les gens
pensent » avec « ce qu'il pense que lui-même penserait s'il
était vraiment l'un d'eux » selon les mots de Dan Sperber. C'est en
ce sens que la démarche ethnologique participe à une meilleure
connaissance de la société sans conformisme tout en questionnant
le statut des émotions et le degré d'implication de
l'observateur. Il ne s'agit pas de réduire un objet à une
fonction sociale ou symbolique mais plutôt d'appréhender les
valeurs contradictoires afin d'en faire ressortir les particularités. En
effet, l'idée de ce travail est de récolter un ensemble de
données de terrain puis de les analyser afin de mettre en avant les
occurrences et les différences.
Dans le cadre de notre étude, nous nous basons sur
l'idée que nous utilisions l'observation participante de type «
participant complet ». Concrètement, nous dissimulons notre
activité de recherche et d'observation tout au long de l'étude
sur le terrain, c'est-à-dire chaque jour de novembre à
décembre 2007. Il était important de s'intéresser aux
personnes qui prenaient la parole car nous savions à quelles
idées leur discours faisait référence ou encore nous
scrutions les moindre faits et gestes des meneurs ainsi que les incidences sur
la
25 Bromberger, C. (2004) Les pratiques et les
spectacles sportifs au miroir de l'ethnologie in Disposition et pratiques
sportives. Débats actuels en sociologie du sport, l'Harmattan, Paris
22
masse des étudiants. De plus, les interviews nous
auront permis de recueillir les opinions ainsi que le point de vue ou encore
les données permettant de décrire l'évolution du
mouvement.
Grâce à cette méthode nous avons pu
construire un outil permettant de décrire et d'analyser les objectifs de
mobilisation des étudiants et lycéens composant le mouvement
social. Cependant, la question de la distanciation entre le statut de
l'étudiant chercheur et les populations observées se pose ici. De
plus, malgré l'effort de neutralité, il subsiste toujours
4.2.2. Le carnet de terrain26 :
Le carnet de terrain est l'élément indispensable
de l'enquêteur afin de recueillir les données ainsi que les faits
qu'il observe. Un instrument de ce type nécessite de l'organisation
ainsi que de la rigueur afin de constater la régularité des faits
et des pratiques observés. Ce carnet nous a permis de prendre note de
l'ensemble des réflexions, des comportements du groupe et des personnes
observées mais aussi de l'organisation spatiale d'une manifestation. Il
nous a permis également de noter, par l'intermédiaire de
schémas, le type de personnes présentes lors de manifestations
étudiantes ou bien lycéennes. L'écoute des individus aux
moments d'interactions est importante dans le travail de recherche que nous
avons menée et le recueil sur papier ou par interviews des propos
permettent de ne pas dénaturer le sens ainsi que le contenu
exposé. Plus précisément, l'accès au sens que
donnent les acteurs à leurs actions est primordial afin de comprendre et
d'expliquer au plus juste le phénomène étudié.
C'est en ce sens qu'il est important de retenir l'ensemble du lexique, tels que
les mots ou expressions propres, utilisés par les observés afin
de ne pas perdre la signification des propos. Bien sûr, tout au long de
nos observations nous avons veillé au phénomène
d'ethnocentrisme, pratique de jugement consistant à interpréter
les comportements d'un groupe, d'un individu à partir de nos propres
codes et références culturelles, en prenant en note l'ensemble
des points de vue lors des AG par exemple. Au cours des observations sur le
terrain nous avons également recueillit des tracts qui nous ont
informés sur les objectifs des mobilisations, les revendications ou
encore les auteurs de ces documents.
26 Cf. annexes 3
23
5. Le mouvement brestois de 2007, un mouvement de
contestation
Dans un premier temps il nous a paru nécessaire de
qualifier le mouvement brestois en utilisant les caractéristiques
énoncées lors de la conceptualisation. Nous chercherons à
savoir si le mouvement brestois est un mouvement de contestation social
répondant à une action orientée pour une cause, une action
collective organisée et des interactions d'objectifs permettant la
mobilisation.
5.1. Quels objectifs pour quelles populations
Concernant la population étudiante, nous avons pu
observer que la mobilisation est orientée contre la Loi de
Responsabilité des Universités. Il existait différents
types d'étudiants que nous avons regroupés en trois orientations
distinctes. Tout d'abord, les grévistes/bloqueurs que nous qualifions
« d'irréductibles » c'est-à-dire les plus virulents
mais aussi les plus « politisés » dans le mouvement. Ils ont
comme objectif de participer à la grève mais surtout d'inciter
les autres étudiants à se mobiliser. C'est pour cela que l'on
parle de « bloqueur » car ils sont dans l'idée de bloquer la
fac afin de permettre aux étudiants, bousiers par exemple, de ne pas
suivre les cours et donc de se mobiliser. Comme cela a été le cas
le 15 novembre 2007 lorsque la faculté de Segalen a été
bloqué afin d'empêcher le bon déroulement des cours.
Puis, nous avions les grévistes/non-bloqueurs
participant à la grève mais sans pour autant bloquer la fac. Ils
sont dans un état d'esprit différent que les
grévistes/bloqueur en ce qui concerne la vision ainsi que l'utilisation
du blocage. En effet, au cours des AG, regroupant entre 300 et 400
étudiants, de sérieuses discussions avaient lieu entre les
étudiants de ces deux types autour la logique et la définition
d'un blocage. Les uns basés sur l'idée de l'utilisation du
blocage comme moyen de mobiliser la masse comme outil politique.
Enfin, la cinquantaine d'étudiants orientés vers
des objectifs anti-grévistes/anti-bloqueurs, manifestant sur les marches
de la faculté de Segalen un matin de bonne heure et qui contestent les
grèves et les blocages.
Dès lors, nous avons dans la même population des
étudiants souhaitant manifester en bloquant, d'autres souhaitent
manifester mais sans blocage enfin ceux qui manifestent pour ne
24
pas avoir de manifestation. Il est impossible de restreindre
les étudiants manifestant à de simples grévistes car
chaque type de mobilisation à sa propre logique.
La population étudiante oriente sa mobilisation contre
la LRU par une collaboration entre acteurs, la grève étant la
pratique permettant de montrer un désaccord. Chaque groupe
d'étudiant respecte une logique de fonctionnement qui lui est propre. Ce
qui nous amène à l'idée qu'il puisse y avoir
émergence de communautés éphémère,
c'est-à-dire des communitas, qui défendent leur
idée par un mouvement de contestation.
Concernant la population lycéenne, il existe trois
types distincts de manifestants. Les grévistes anti-LRU sont des
lycéens se mobilisant aux mêmes moments que les étudiants
contre la Loi de Responsabilités des Universités. Nous avons pu
noter au cours des observations que ce type de lycéens regroupe des
jeunes issus de lycées généralistes tels que le
lycée de l'Harteloire ou bien Kérichen dit « classique
». Ces lycéens avaient un comportement proche de celui des
étudiants, à savoir qu'ils avaient une certaine retenu face aux
forces de l'ordre, qu'ils n'étaient pas organisés mais qu'ils
suivaient plutôt l'organisation étudiante.
Les grévistes anti Darcos quant à eux se sont
mobilisés dès l'annonce de la note du ministre de l'Education
Nationale. Ils manifestent contre cette note et nous avons constaté que
les lycéens qui s'inscrivent dans cet objectif sont scolarisés
dans des lycées plus techniques tels que le lycée Vauban ainsi
que le lycée Dupuis de Lôme. Enfin les grévistes «
casseurs » qui sont des lycéens cherchant la confrontation avec les
forces de l'ordre plus que la volonté de revendiquer des convictions.
Donc, la population lycéenne oriente sa mobilisation
contre la LRU ainsi que contre la note Darcos. Au même titre que les
étudiants, il s'agit d'une action collective de contestation.
Le mouvement se termina mi décembre par des
affrontements dans un quartier brestois. Il permet de mettre en avant le fait
l'émergence d'une population de jeunes brestois qui s'oriente vers deux
objectifs : les grévistes-lycéens/« casseurs » et les
non-
25
lycéens/« casseurs » 27. Comme
nous le montre l'article de journal du Ouest France du 7 décembre 2007 :
« la manifestation lycéenne dégénère à
Brest ».
Ce que nous pouvons affirmer, en ce qui concerne les
populations étudiantes et lycéennes, c'est qu'il existe une
mobilisation orientée en faveur d'une cause. Cependant, une population
ne répond pas obligatoirement à une seule orientation. En effet,
il existe deux grandes orientations, l'une contre la LRU et l'autre contre la
note Darcos et permet d'affirmer également le caractère
contestataire du mouvement car l'ensemble des actions sont orientées
contre un adversaire : l'Etat. Il semble que des communautés se soient
créées autour d'objectifs communs suite à des interactions
entre populations. Enfin, il est important de noter que la pratique de la
grève est utilisée pour marquer le désaccord avec l'Etat
dans notre cas mais subit un changement au moment du glissement du mouvement
vers les lycéens car les affrontements qui n'existaient pas avec les
étudiants émergent avec les lycéens.
5.2. Y a-t-il une interaction des objectifs ?
Cette partie vise à rendre compte de
l'enchaînement des différents objectifs au sein du mouvement de
novembre/décembre 2007 afin de mettre en évidence le fait que les
individus se regroupent en fonction d'objectifs inter-population et que ses
interactions font émerger les communitas. Pour se faire, il a
été impératif de rendre compte de la réalité
ainsi que de la « vie » du mouvement c'est-à-dire que les
objectifs se sont enchainés de façon spatiale et temporelle. Nous
allons expliquer et démontrer de quelles façons les objectifs
étaient imbriqués à certains moments et pas à
d'autres. Nous ne présenterons que deux exemples proches afin
d'expliquer les liens entre en objectifs et les actions. Les dates sont
arrêtées à des moments clés et mettent en
évidence les interactions entre objectifs ou bien la migration du
mouvement d'une population à une autre.
Le premier exemple est daté du 20 novembre 2007
où a eu lieu une grande manifestation rassemblant différents
mouvements sociaux tels que les cheminots, les avocats et les scolaires. Nous
sommes là dans un contexte social fort de contestation sociale qui
agit
27 Cf. annexe 4
26
sur le mouvement lycéen étudiant lui-même.
Cet exemple met en avant trois éléments importants, dont le
premier est la mise en action des anti-bloqueurs anti-gréviste qui
étaient mobilisés jusqu'à présent,
c'est-à-dire qui ne s'étaient pas engagés dans le
mouvement de contestation. Le second élément est la mise en
action des lycéens anti-LRU. Pour preuve, le courrier de la proviseure
du lycée Dupuy De Lôme28 à destination des
parents d'élèves informant que les étudiants manifestants
invitent les lycéens à rejoindre les rangs. Le troisième
élément concerne la convergence des populations lycéenne
et étudiante autour de la lutte contre la LRU. En effet, les deux
populations se sont rassemblées pour tenter d'être plus efficaces
dans le mouvement de contestation. Plus précisément, ce qui a
permis l'interaction entre les dynamiques étudiantes et lycéennes
est l'objectif recherché : contester la LRU. C'est pour cela que ne sont
en action que les groupes ou communautés ayant le même objectif,
sans tenir compte de l'appartenance aux populations. Concrètement, nous
avons vu des étudiants et des lycéens manifester ensemble contre
le LRU dans les rues de Brest.
Le second exemple est daté du 13 décembre 2007.
Le matin se déroule une manifestation anti-Darcos sans problèmes
avec des enseignants du secondaire. Là encore les lycéens et les
enseignants se regroupent afin de contester la note Darcos. Le mouvement de
l'après midi était orienté sur le rassemblement du plus
grand nombre de jeunes et avait comme objectif la confrontation avec les forces
de l'ordre. Cela peut paraître fort mais les discussions que nous avons
pu avoir avec les lycéens ou les Renseignements Généraux
de la police nous ramenaient toujours au même point, la volonté de
confrontation. C'est pourquoi cette manifestation s'est regroupée sans
tracts mais par du bouche à oreille. La volonté de confrontation
était si élevé que nous avons décidé de
suivre le cortège en faisant attention de ne pas être assimiler
à des policiers, vu la différence d'âge avec les
participants. Au cours de la manifestation, des jeunes ont attaqué la
présidence de l'UBO. A noter que des membres de syndicats travaillistes
étaient présent mais sans banderoles ni signes distinctifs. A
partir de ce moment nous pouvons voir que la population jeune « casseurs
» est convergente avec les lycéens « casseurs ». Ce
rapprochement est le signe de l'intérêt commun qu'ont les deux
populations, jeunes « casseurs » et lycéens « casseurs
», à vouloir se confronter physiquement aux forces de l'ordre. Il
n'y a pas de messages particulier ni de revendications, il s'agit là
de
28 Cf. annexes 5
27
la casse pour la casse. Pourtant en observant plus longuement
le mouvement, nous nous sommes rendu compte que la manifestation se termine aux
portes du quartier de Pontanézen, réputé pour être
« dur ». Là nous pouvons dire qu'il existe des
modalités de pratique de la contestation très différentes
entre les étudiants, lycéens et les jeunes « casseurs
». En effet, les étudiants ainsi que certains lycéens
n'utilisent pas la confrontation physique mais plutôt l'utilisation de
l'espace public tandis que les « casseurs » s'affrontent avec les
CRS. Dès lors, il semble exister des modalités de pratiques
corporelles propres à des logiques communautaires.
Pour conclure, le mouvement brestois de 2007 est un mouvement
de contestation sociale car nous avons vu qu'il existait un ensemble
d'objectifs visant à contester les décisions de l'Etat. De plus,
nous avons mis en évidence l'existence d'objectifs propres à
chaque population comme nous l'avons vu chez les étudiants et les
lycéens. Nous avons également mis en avant le fait qu'il existait
des interactions entre les différents objectifs et les acteurs, de fait,
ces interactions nous démontrent que les acteurs s'organisent afin
d'agir de concert. Plus précisément, les acteurs ont un objectif
en commun et coopèrent sans tenir compte de la population
d'appartenance. Dès lors, des communautés émergent le
temps du mouvement de contestation qui correspond avec leur objectif. Enfin,
nous avons relevé que le mode de contestation, soit la pratique
utilisée, est fonction d'une logique communautaire. Dès à
présent, il va être pertinent de caractériser le type de
rite que nous avons observé.
6. Un rite initiatique à la fois d'institution
et de renouvellement
Dans cette partie, nous nous intéresserons à
déterminer la fonction du mouvement social brestois permettant, par
l'apprentissage de codes et de symboles, l'inscription des individus dans des
logiques propres à certaines communautés. Nous questionnerons les
moyens permettant le rituel. Dans le cas du mouvement brestois, il existe
différentes communautés qui ont cherché à
rassembler le plus d'individus autour d'objectifs propres à leur cause.
Dès lors chaque communauté semble avoir ses propres codes et
particularités quant à la mise en mouvement.
28
6.1. La constitution de la communauté comme
rituel :
La production de sens par l'intégration des individus
dans une histoire commune ainsi qu'une mémoire crée et renforce
l'appartenance à une logique particulière qui fait émerger
une communauté. Dans un essai récent de Bernard Yack, on peut
noter qu'Aristote appelait « communautés » tous les groupes
sociaux composés de membres qui diffèrent les uns des autres sur
des points importants, mais qui en même temps partagent quelque chose et
interagissent en fonction de ce partage29. En effet, nous situons ce
type de structure sociale comme lieu d'apprentissage où les
échanges, par la mise en mouvement, et l'utilisation d'un
répertoire d'actions contribue à l'émergence d'une
communauté. Nous avons observé, au moment des manifestations
étudiantes et lycéennes, que la participation constitue le fait
d'apprendre et de comprendre (Etienne Wenger)30. En effet,
l'ensemble des moments de dialogue lors des AG ou bien des moments d'action et
de mise en mouvement permettait l'apprentissage de connaissances empiriques
mais surtout « l'incorporation » des valeurs communautaires. Nous
pouvons retrouver une « incorporation des techniques de danse » comme
le propose Sylvia Faure31 dont la volonté est de montrer que
ce qui s'apprend par corps, en danse, ne peut être saisi qu'à
condition d'analyser les pratiques en relation avec les configurations sociales
et historiques qui les rendent possibles. Cependant, il est nécessaire
de prendre de la distance car il ne s'agit pas du même contexte. Dans
notre cas, les communautés militantes sont donc un type de structure
sociale assurant l'affirmation de l'identité collective.
Le mouvement brestois est un mouvement social de contestation
qui regroupe différentes communautés qui ne correspondent pas
obligatoirement au niveau scolaire dans lequel est inscrit l'individu. De plus,
chaque communauté développe sa propre culture avec ses propres
principes et donc un sentiment d'appartenance particulier. Différents
éléments laissent penser que la manifestation brestoise soit un
rituel. En effet, la célébration par le collectif, le fait que le
mouvement social tranche avec le quotidien, le renforcement du sentiment
d'appartenance confirment l'idée du mouvement social comme rituel. Ce
qui nous
29 Yack, B. (1993) The Problems of a Political
Animal: Community, Justice and Conflict in Aristotelian Political Thought,
University of California Press
30 Wenger, E (1998) Communities of practice :
learning, meaning and identity, Cambridge University Press, Cambridge
31 FAURE, S. (2000) Apprendre par corps.
Socio-anthropologie des techniques de danse, La Dispute, Paris
29
intéresse à présent c'est de connaitre
les modalités et l'emploi des techniques corporelles utilisées
par ces différentes communautés militantes.
6.2. Les techniques du corps :
Lors du mouvement brestois qu'il existait des significations
propres aux populations de manifestants mais surtout que les pratiques
corporelles étaient fonction de la communauté d'appartenance. En
effet, si l'on se penche sur les techniques qui sont utilisées pour
contester, nous avons observé qu'il existe une différence entre
certaines communautés composées à la fois
d'étudiants et de lycéens.
Dans certaines communautés, les techniques
utilisées sont plutôt le cortège où l'ensemble des
manifestants marchent principalement sur la route, en chantant des slogans
à l'encontre des personnalités de l'Etat mais aussi en
brandissant des banderoles avec des revendications fortes. Nous avons
également observé que lorsque ce type de manifestants rencontre
les forces de l'ordre, il n'y a pas de rapport de force physique, bien au
contraire, les uns jouent avec les autres. Concrètement, les
manifestants dansent devant les CRS ou bien les ignorent complètement.
De plus, les visages et les vêtements sont marqués de signes
distinctifs qui renseignent également quant à l'appartenance d'un
individu à tel ou tel syndicat et donc à telle ou telle
communauté. Il existe des signes visibles qui nous permettent de mettre
en avant l'une ou l'autre des communautés militantes. Nous avons pour
exemple les membres de la CNT, syndicat travailliste, qui avaient des badges et
des drapeaux à l'effigie de leur groupe. Certains vont même
jusqu'à se peindre le visage afin de mettre en avant leurs idées
contestataires. Ainsi nous avons pu voir au moment des grèves, des
lycéens « tatoués » de revendication forte telles que
« non à Darcos » ou encore « la LRU dans le cul
».
D'un autre côté nous avons vu des
communautés dont les membres cachaient leur corps par des cagoules ou
bien des gants en raison de l'orientation de l'engagement physique. Comme
récit d'une personne commentant en direct les événements
du 11 décembre au centre ville de Brest :
C'était impressionnant, j'étais avec ma
copine en train de faire un tour en ville et j'avais l'impression d'être
sur un champ de guerre. Il y avait un affrontement à la Liberté
entre des jeunes et les CRS. On ne sait pas qui
30
c'était. Les jeunes cassaient tout sur leur
passage, les abris bus, les vitrines des magasins. Bref, c'était
énorme. J'ai même vu une fille en voiture se faire péter sa
vitre arrière alors qu'elle s'était arrêtée pour
laisser passer la foule. Céline et moi commencions a remonter, ca
devenait dangereux. Mais bon, je n'avais jamais vu ca, de la casse gratuite et
un plaisir à le faire. Incroyable. Même pas de banderoles.
Ce récit des affrontements nous renseigne sur plusieurs
points importants. Le premier concerne l'attitude des jeunes qui cassent tout
sur leur passage. Le second point nous renseigne sur les signes distinctifs, en
effet, il n'y en a pas. Nous avons vu par les deux exemples
précédents qu'il existe des formes de contestations
particulières à chaque communauté et qu'il existe des
signes distinctifs afin de montrer son appartenance à un groupe en
particulier ou non.
Donc, lors des manifestations les individus s'engagent
physiquement en utilisant un répertoire d'actions. Le type d'action et
les techniques corporelles utilisées permettent d'identifier
l'appartenance d'un membre à l'une ou l'autre des communautés.
Pourtant, se pose la question de l'apprentissage des significations et des
techniques corporelles qui inscriront le manifestant dans un groupe.
6.3. Une initiation à l'engagement physique :
Les nouveaux étudiants étaient initiés
par les étudiants les plus anciens au moment des manifestations. Par
exemple, nous pouvons dire qu'au moment des AG les étudiants militants
les plus anciens informent les nouveaux étudiants sur la façon
dont se déroule les manifestation, sur les actions possibles, sur les
personnes à éviter car trop éloignés des
convictions du groupe. Bref, le nouvel étudiant subit un rite
initiatique mais plus précisément nous pouvons parler ici de rite
d'institution car le pouvoir qui instaure est aussi important que le rite lui
même. On devient manifestant ou militant dès le moment où
l'on est institué par les pairs plus expérimentés.
Dès lors, c'est au travers d'actions d'engagement corporel des individus
que s'opèrent les changements. Les rites initiatiques d'institutions
accordent alors une place importante au corps dont l'objectif est de donner
à l'individu une nouvelle identité. Ici, l'initiation passe par
la mise en action corporelle sur l'espace public en utilisant les signes
distinctifs.
31
David Le Breton 32 précise que le signe
distinctif, par exemple un tatouage, est lié à des significations
précises au sein d'une communauté et qu'il est porteur d'une
valeur identitaire. Dès lors, il est important pour les membres des
communautés étudiantes et lycéennes d'initier un maximum
d'individu à ses signes.
Il ne faut pas oublier également le caractère
multiforme et complexe des cérémonies ainsi rite de d'institution
et rite de renouvellement ne s'excluent pas mutuellement. Etant donné
que la population étudiante et lycéenne est en perpétuelle
changement. Nous avons pu observer que les étudiants qui initient les
plus jeunes sont aussi les plus avancés dans les études. C'est
pourquoi il est possible qu'en plus du rite initiatique d'institution soit
effectué un rite de renouvellement qui vise à instituer les
nouveaux membres au sein des communautés déjà existantes
mais également de donner aux membres les plus avancés les moyens
d'instituer les nouveaux. Pour preuve, le plus souvent ce sont de jeunes
lycéens ou étudiants qui sont institutionnalisés. Ici, le
sens du terme « institutionnalisés » renvoit à
l'idée de la ligne qui opère le passage d'un état à
un autre et insiste sur la mis en évidence du pouvoir des
autorités qui les instaurent. Dans notre cas il s'agit des
étudiants ou lycéens les plus anciens.
Il s'agit d'un rite initiatique d'institution et de
renouvellement par l'apprentissage de techniques de corps qui inscrivent
l'individu dans une logique propre au groupe de référence. De
plus, l'apprentissage de l'engagement est possible par interaction et permet
à l'étudiant ou le lycéen d'intérioriser les
valeurs et les connaissances du groupe avec lequel il établit des
échanges grâce à une construction culturelle des
significations (Jérôme S. Bruner)33. Cet apprentissage
du corps répond à une intention forte de contester les
décisions prises par l'Etat et donc de défendre les valeurs
propres à un groupe donné, concrètement les
étudiants contestent la LRU car cette loi semble attaquer les «
valeurs » qui font l'université, revendiquées par les
étudiants comme la démocratie de l'enseignement ou l'accès
à tous à la connaissance. Cependant, nous posons la question des
enjeux sous-jacents à la mise en mouvement massive d'étudiants et
de lycéens.
32 Le Breton, D. (2002) Signes d'identités.
Tatouages piercing et autres marques corporelles, Métaillé,
Paris
33 Bruner, J.S. (1990) Acts of Meaning, MA: Harvard
University Press, Cambridge
32
7. L'utilisation d'un pouvoir médiatique par la
mobilisation de masse
Nous avons vu que les rites utilisés permettent un
apprentissage de techniques corporelles qui ont pour incidences de donner
à l'individu initié une identité militante correspondant
à un groupe particulier. Nous abordons ici les enjeux qui poussent les
groupes militants à l'initiation des plus jeunes.
7.1. Une recherche d'équilibre du rapport de
force avec l'Etat :
Lors de nos discussions avec les lycéens du lycée
Dupuy de Lôme de Brest nous
avons recueillit un tract d'appel à la grève du
22 novembre 2007 qui à été édité par
des étudiants brestois34. Au moment de la distribution de
ce tract, le mouvement étudiant était presque fini et le
mouvement lycéen allait commencer. Dans cette ultime tentative de
mobilisation des « troupes » étudiantes nous pouvons relever
le durcissement du discours. Par exemple, « Valérie Pécresse
ment », « augmentation des pouvoirs du secteur privé »,
« la LRU introduit d'avantage de représentants d'entreprises
privées dans le CA » ou encore « la LRU impose une nouvelle
mission à l'université : servir l'emploi » sont autant de
phrases qui montrent le sentiment vécu de certains étudiants qui
diffusent ce tract. La peur de la LRU est présente mais les
étudiants souhaitent avant tout mobiliser et faire en sorte que le plus
grand nombre d'étudiants se mettent en mouvement.
On passe alors d'une défense de l'université
à l'attaque directe de la ministre en la citant comme menteuse. Il ne
faut pas oublier que depuis quelques jours le mouvement lycéen prend de
l'ampleur et que les partiels des étudiants se rapprochent dans le
temps. La peur sous jacente s'apparente alors comme une peur de
démobilisation de la masse étudiante, ce qui nous permet
d'affirmer que l'enjeu de l'engagement physique de masse est aussi important
que l'objectif de la contestation elle-même. En effet, la mobilisation
des étudiants sur l'espace public provoque un équilibre des
rapports de force entre l'Etat et les manifestants par l'utilisation des
médias afin de faire passer les revendications. Nous avons pu voir
l'impact qu'ont les médias sur l'opinion publique, d'une part, mais
également sur les étudiants qui ne
34 Cf. Annexe 6
33
sont pas mobilisés. Les exemples qui nous ont
marqué sont ceux des caméramans qui venaient filmer les AG
à Segalen ou encore l'exploitation des photos par la presse
écrite.
En effet, étant donné que le mouvement social se
développe dans un espace public et qu'il ne s'agit pas d'un moyen de
communication officielle, il sera nécessaire de faire passer les
revendications par un vecteur universel que sont les médias
(télévision, presse écrite). Concrètement, le plus
important sera de faire un maximum de bruit ou bien d'actions qui vont faire
que les journalistes vont se déplacer. Comme cela a été le
cas lors du blocage de la gare SNCF ou bien de la place Albert 1er.
N'ayant pas d'autres moyens pour se faire entendre et faire remonter les
revendications, les acteurs du mouvement vont faire de la publicité
autour de leur contestation. Il s'agit d'un débat et des enjeux sur
l'espace publique, au sens de Pierre Rosanvallon. Un autre type de média
beaucoup plus libre et moins contrôlé concerne internet et la
multiplication des blogs autour des événements
réalisés par les manifestants. En effet, le nombre de blog
contenant des vidéo, filmées par des téléphones
portables, et des photos n'ont cessés d'augmenter durant le mouvement de
contestation. Dès lors, l'utilisation d'internet comme outil de
communication de contre pouvoir est utilisé afin de
rééquilibrer le rapport de force avec l'Etat.
Nous avons également ramassé deux documents qui
ont été distribués dans les rues de Brest le même
jour, le 6 décembre. L'un35 vise à rassembler les
lycéens autour du retrait de la note Darcos tandis que l'autre
document36 vise à rassembler les étudiants ainsi que
les lycéens contre la LRU. L'analyse de ces deux documents montre que
les meneurs étudiants considèrent les lycéens comme
acteurs du mouvement de contestation et non plus uniquement les
étudiants. Cette prise de conscience s'est faite suite aux mouvements
antérieurs à cette date. Dès lors, les différents
syndicats ont intégrés qu'il existait une masse lycéenne
prête à se mobiliser contre la LRU. Donc, la recherche d'un
équilibre dans le rapport de force avec l'Etat passe également
par une « récupération » des force vives avec
l'idée de mobiliser toujours plus nombreux et toujours plus longtemps.
Concernant la manifestation lycéenne contre la note Darcos, au vu du
seul objectif demandant le retrait cette note, nous pouvons dire que le
mouvement étudiant a pris fin contrairement au mouvement lycéen
anti LRU qui
35 Cf. Annexe 7
36 Cf. Annexe 8
34
existe encore. Dès lors, nous assistons à une
réorientation des médias et des syndicats, des étudiants
vers les lycéens. L'effet recherché est l'utilisation de l'impact
médiatique d'une masse en mouvement. A présent, la question de la
mise en mouvement ne concerne plus l'individuel mais plutôt le
collectif.
Puis nous avons recueilli un autre document37
distribué le 10 décembre pour une manifestation qui se
déroule le lendemain, le 11 décembre. Il est important de noter
ici que ce sont les lycéens de Dupuy De Lôme qui font cet appel
à la mobilisation. Nous sommes dès à présent au
centre du mouvement lycéen et sans étudiants. L'objectif de la
manifestation est de continuer le mouvement de contestation contre la note
Darcos.
Nous avons également recueilli une copie du
courrier38 envoyé à M. le Sous-préfet de Brest
afin de prendre date d'un rendez-vous. Cette lettre explique clairement les
contestations ainsi que revendications souhaitées par l'ensemble des
lycéens. Il y a plusieurs éléments intéressants
à relever dans ce texte, en effet, les éléments qui
constituent ce courrier semblent démontrer la responsabilité dont
les lycéens font preuve. Nous avons identifié quatre points
importants suite à l'analyse de ce document. Le premier concerne les
relations liées avec la Police qui a permis l'élaboration du
courrier et qui traduit l'existence d'un lien entre les meneurs lycéens
et les forces de l'ordre. Le second point concerne l'expression claire des
objectifs de la contestation, à savoir « nous avons
manifesté ce matin et souhaitons être reçus pour que nos
messages soient entendus par le gouvernement ». Le troisième point
est la transparence dont les lycéens font preuve afin d'apporter de la
crédibilité à leur mouvement en présentant les
quatre membres de la délégation qui seront présents afin
d'être entendus ainsi que le numéro de téléphone
portable mentionné afin de prendre contacte avec les lycéens.
Enfin le dernier point concerne les moyens mis à disposition par l'UL
CGT afin de rendre possible l'ensemble de la démarche ce qui
démontre l'implication des syndicats non lycéen dans l'existence
d'un tel mouvement. Donc, l'exemple que ce courrier nous montre qu'il est
important pour les syndicats d'être près des lycéens afin
d'initier les membres du mouvement lycéen aux normes qui sont les leurs
mais surtout d'utiliser ces même protagonistes comme des instruments
médiatique pour faire valoir des revendications
37 Cf. Annexe 9
38 Cf. Annexe 10
35
syndicales. Mais également, que les manifestants
peuvent faire la publicité de leur mouvement par des moyens officiels et
montrent ainsi qu'ils peuvent se mobiliser en bloquant des ponts mais qu'ils
peuvent aussi prendre un rendez-vous avec le représentant de l'Etat afin
de discuter du fond du problème.
Dès lors les lycéens anti Darcos ont un objectif
de contestation affiché ayant comme principal but de se faire entendre
aux oreilles du gouvernement, sans intention de rapports de force avec la
Police. La volonté de responsabiliser le mouvement, de montrer la
civilité dont les lycéens font preuve est affirmée.
Pourtant, un mouvement de « jeunes brestois » commence a interagir
par des actions de casse sans revendications particulières
éclipsant la bonne volonté d'un certain type de lycéens
qui veulent réellement faire passer un message fort et sans violence.
L'ensemble des documents présentés ci dessus
renseignent sur cette recherche d'équilibre du rapport de force avec
l'Etat. Les étudiants sont mieux structurés en terme de
représentativité syndicale contrairement aux les lycéens.
Nous avons vu également que les étudiants manifestent contre la
LRU mais ne prennent pas conscience que les lycéens peuvent y être
associés jusqu'au moment où la masse étudiante diminue
pour une raison simple : les partiels. Dès lors, nous assistons à
une récupération de la mobilisation lycéenne par une
poignée d'étudiants que nous avons qualifiés «
d'irréductibles ». L'ensemble des éléments
démontrent qu'il y a des enjeux nationaux autour de la défense de
l'éducation ou bien des universités, mais il existe
également des enjeux locaux concernant les syndicats qui vont mener les
négociations ou bien qui seront les plus mobilisateurs. Plus que cela,
les syndicats seront les initiateurs des lycéens et les formeront aux
normes ainsi qu'aux valeurs de leur communauté. Donc nous pouvons dire
qu'il y a un vrai enjeu de pouvoir local. Pour confirmer cette idée,
nous avons questionné un meneur lycéen qui nous a raconte comment
s'est déroulé la manifestation du 6 décembre, nous avons
écrit conjointement écrit ce récit :
C'est la première manifestation organisée
par les lycéens de Dupuy de Lôme partis du lycée à
10h pour un rendez-vous à 11h à la place de la liberté. Un
petit moment de détente a été observé sur le pont
de l'Harteloire. L'organisation de la manif par les lycéens pro de Dupuy
était exemplaire car aucun débordement n'a été
constaté. Suite à une discussion avec une meneuse, l'organisation
s'est faite sur base du volontariat et c'est à partir
36
du 30 novembre, moment d'information des
élèves de Dupuy par leur proviseure, que les lycéens ont
décidé de manifester leur mécontentement. Lorsque les
lycéens de Dupuy sont arrivés à la Liberté, il y
avait déjà certains de l'Iroise. Le plan était de passer
dans les lycées brestois afin d'aller à la rencontre de leurs
pairs. Mais l'itinéraire a été modifié sur place au
dernier moment car l'intention été d'éviter la CNT. A
partir de ce moment là les lycéens ont pris l'axe central de la
ville, la rue Jean Jaurès, et au niveau de l'espace Jaurès la
rencontre entre la CNT et les lycéens a provoqué la confusion.
Dès lors la CNT s'est réapproprié le cortège qui
est allé à la Liberté puis ont été dans les
autres lycées brestois comme l'harteloire, la Croix Rouge et Vauban. A
ce moment là les lycéens de Dupuy ont arrêtés de
manifester tout en informant les forces de l'ordre que le cortège
était passé sous le contrôle de la CNT.
L'après-midi, un mélange de lycéens, étudiants et
autres sont allés à la gare et ont commencé à
bloquer les voies.
Ce récit nous renseigne sur l'intérêt de
certains syndicats étudiants à « récupérer
» le mouvement lycéen afin d'utiliser la masse pour mettre la
pression sur les représentants locaux de l'Etat. Là encore, il y
a une instrumentalisation du mouvement, c'est-à-dire une mobilisation
d'individus orienté vers un objectif d'intérêt politique,
qui permet de prendre place sur l'espace public. Un autre type
d'instrumentalisation du mouvement, recueilli lors d'un entretien avec une
personne des Renseignements Généraux, concerne le fait que «
le mouvement lycéen contre la note Darcos allait prendre de l'ampleur
car les syndicats professionnels souhaitaient faire retirer la note Darcos
». Cette citation nous montre que le fait que les syndicats annoncent une
intention qui va dans le même sens qu'un mouvement est suffisant pour
mobiliser encore plus les troupes. Mais également que les syndicats
souhaitent inscrire les manifestants dans leurs revendications.
Donc, le mouvement social de contestation est un lieu
important d'enjeux locaux mais également un outil de pression efficace
contre le gouvernement. En effet, nous avons pu voir qu'il existe une
volonté de la part des syndicats, des meneurs étudiants et
lycéens de mettre en action le plus grand nombre d'individus en raison
du fort pouvoir médiatique qui est conféré au mouvement.
L'engagement physique est recherché afin d'équilibrer le rapport
de force entre l'Etat et les manifestants, ceci sur l'espace public, par
l'utilisation des médias c'est-à-dire la presse écrite
comme internet ou la télévision. C'est en ce sens que peuvent
s'exercer des récupérations d'un mouvement par des
communautés mieux organisées. Enfin, les
37
syndicats jouent un rôle essentiel dans le rite
initiatique d'institution car ils transmettent les codes et les normes aux
futurs militants.
7.2. Les facteurs influençant la mise en
mouvement :
Il est important de parler de l'influence des sources
d'informations utilisées par les manifestants pour prendre connaissance
des événements sur l'ensemble du territoire que ce soit pour les
étudiants ou pour les lycéens. Lors des AG étudiantes de
novembre 2007, nous avons souvent entendu « j'ai vu à la
télé hier que... » ou bien « on m'a dit que ». Cet
exemple montre que les étudiants s'informent avec les moyens
d'informations les plus « instables » que ce soit la
télévision ou bien les oui dire. Chez les lycéens, nous
avons noté un fonctionnement foncièrement différent. En
prenant comme exemple le lycée Dupuy De Lôme nous avons
relevé que les meneurs de ce lycée étant internes,
prenaient connaissance du contexte national par les journaux et non pas par la
télévision. C'est en ce sens que tous les matins avaient lieu une
revue de lecture ainsi qu'une prise d'information auprès de la direction
de l'établissement. L'esprit des meneurs lycéens était de
présenter l'ensemble des points de vue et de voter la grève en
connaissance de l'ensemble des possibilités. Un travail d'objectivation
de l'information qui a été félicité par le
préfet lui-même. Ce qui n'a empêché ces mêmes
lycéens de se mettre en grève et de dénoncer la note
Darcos avec ardeur. C'est en ce sens que nous pouvons dire que les
médias influencent fortement sur le type d'action utilisé ainsi
que sur la course, pour les syndicats, à la médiatisation. Nous
avons également observé durant les AG étudiantes à
Segalen que des journalistes étaient présents et que les discours
s'adaptés en fonction de la présence ou non des médias.
La façon dont certains meneurs étudiants
s'expriment par une théâtralisation et une utilisation leur corps
pour faire passer un message influence également. En effet, nous avons
suivit avec attention le parcours d'un ancien meneur anti CPE qui était
également meneur en 2007. Son cas est très intéressant du
point de vue de l'utilisation du corps comme outil de communication, voir de
persuasion. Concrètement, cette personne avait un discours très
politisé c'est-à-dire qu'il utilisait un registre lexical
relevant du militant convaincu, avec une mise en scène du corps par de
grands gestes permettant d'attirer l'attention des plus dissipés mais
aussi par une occupation de l'espace sur l'estrade permettant d'attirer et de
conserver l'attention sur lui. Cette personne, très absente au
début du mouvement, a été très présente
par
38
la suite aussi bien chez les étudiants que chez les
lycéens. Nous pouvons dire que cette personne fait partie des exemples
que les étudiants ou lycéens ont suivi afin d'apprendre comment
utiliser son corps afin d'attirer l'attention. Le cas de ce protagoniste nous
démontre que parfois il suffit d'avoir un meneur bien motivé et
persuadé pour qu'une foule de personnes le suive. En plus de cette
théâtralisation du corps sur la scène publique, cette
personne a démontrée des qualités exceptionnelles,
grâce auxquelles il a pu exercer son influence sur d'autres individus.
Pour Max Weber39, le charisme est l'un des fondements possibles de
la légitimité et dans notre cas il s'agit d'un charisme dit
personnel, c'est-à-dire que l'individu possède un charisme qui
est propre tel un chef de guerre ou bien un chef politique.
Nous pouvons dire qu'il existe différents facteurs qui
influencent la mise en action et peuvent être d'ordre médiatique
comme la télévision, les journaux mais aussi peuvent
également prendre la forme de rumeurs. Les meneurs ont conscience du
pouvoir médiatique qui s'exerce sur eux. Cependant, certaines
communautés militantes ont développées des techniques
d'objectivation et de distanciation par rapport aux médias afin de
prendre une décision en connaissance de l'ensemble des points de vue.
Ensuite, nous avons vu que le caractère charismatique d'un meneur semble
contribuer à mettre les individus en action par son attitude et sa
théâtralisation du corps. Pour autant, il est important de
souligner qu'un certain nombre d'étudiants et de lycéens
participent au mouvement en raison de l'aspect collectif de celui-ci. Nous
affirmons que le mouvement suffit à lui seul pour certain car
l'intérêt est de participer à la célébration
du rite.
8. Conclusion
Le mouvement social brestois que nous avons
étudié nous apporte un certain nombre de renseignements quant aux
rites utilisés ainsi que les enjeux qui conditionnent l'activité
corporelle des individus. Tout au long de cette étude, nous avons
utilisé une méthodologie comprenant l'observation participante,
le carnet de terrain ainsi qu'une étude de documents
39 Weber, M. (2006) Sociologie de la religion, traduit
par Kalinowski, I., Flammarion, Paris
39
afin d'expliquer au plus juste les faits qui se sont
déroulés mais surtout de comprendre la fonction rituelle d'un
mouvement social.
Dans un premier temps, nous avons mis en avant le fait que le
mouvement brestois de novembre et décembre 2007 a une orientation de
contestation à l'encontre du pouvoir en place mais surtout des
décisions qui sont prises, dans notre cas la loi LRU ainsi que la note
Darcos. Nous avons pu qualifier le mouvement brestois de contestataire car il
s'agit d'une action collective menée contre un adversaire
identifié, l'Etat, utilisant un répertoire d'actions, le tout
étant organisé afin de chercher à persévérer
dans le temps. Pourtant, nous avons mit en évidence l'émergence
de communitas suite aux interactions des objectifs et des
individus.
Puis, nous avons questionné le mouvement social de
contestation comme rite utilisant l'activité corporelle. En effet, c'est
la pratique physique de la grève qui est dénominateur commun
à l'ensemble de communautés qui émergent. De plus, nous
avons observé que les modalités d'action, c'est-à-dire
l'utilisation de techniques corporelles, correspondent à des logiques
communautaires. Concrètement, les modalités de mise mouvement
utilisées lors des manifestations par les communautés sont
différentes de l'une à l'autre. Enfin, chaque communauté
développera sa propre identité composée des codes et des
principes qui la rende originale et aura pour incidence de donner un sentiment
d'appartenance aux individus.
Le mouvement social est bien un rite du fait de sa
célébration collective, visant à institutionnaliser les
individus et à renouveler les forces vives par l'engagement physique et
permettant l'acquisition d'une identité militante. De plus, nous avons
vu que les syndicats ainsi que les étudiants les plus anciens initient
les nouveaux venus.
Ensuite, le processus rituel utilisant l'engagement corporel
comme outil d'apprentissage répond à divers type d'enjeux. Nous
avons démontré que le mouvement social brestois est un outil de
pression sur un espace social et publique visant à
rééquilibrer le rapport de force entre l'Etat et les
manifestants. Dès lors, l'existence d'un fort pouvoir médiatique
incite les syndicats ainsi que les meneurs à mettre en mouvement le plus
grand nombre d'individus et c'est ce qui explique le phénomène de
récupération. D'autre part, sachant que le mouvement social est
un rite qui institue les nouveaux membres permettant de
40
forger une identité plus militante, les
communautés ont pour intérêt d'intégrer le plus
grand nombre de personnes afin de s'affirmer sur un plan politique.
Enfin, nous pouvons dire que la mise en mouvement est
influencée par les médias ou bien par les meneurs qui ont une
certaine connaissance empirique du fonctionnement des communautés et qui
utilisent la théâtralisation ainsi que la mise en scène de
leur corps afin d'inciter les individus à s'engager, aussi ils
deviennent des exemples pour les profanes. Pourtant, certaines
communautés ont développé des techniques qui servent
à objectiver au maximum ses influences afin de prendre des
décisions en connaissance de cause.
Nous tenons également à ouvrir une piste de
réflexion quant l'utilisation de l'observation participante. En effet,
nous adaptions régulièrement notre statut d'observateur au moment
de l'étude. En se basant sur les écrits de Raymond
Gold40, Peter et Patricia Adler41, nous avons
commencé comme observateur participant passif interne (OPPI),
c'est-à-dire que nous observions sans prendre part aux débats
tout en étant étudiant inscrit de droit donc appartenant à
la population observée. Puis nous étions observateur participant
actif interne (OPAI), c'est-à-dire que nous étions dans les
manifestations avec les étudiants. Ensuite, nous étions
observateur participant passif externe (OPPE), dans le sens ou nous
étions dans le mouvement lycéen et que nous observions sans
prendre part aux débats. De plus, n'étant plus lycéen nous
étions externes. Enfin, nous étions observateur participant actif
externe (OPAE) car nous participions aux manifestations lycéennes sans
être lycéen. Il s'agit d'un changement de statut qui s'est
opéré au fur et à mesure des observations et qui a permis
de rester conscient de la place qu'occupe le chercheur par rapport à la
population observée.
L'ensemble de ce travail nous montre qu'il n'est pas simple de
traiter la question de la fonction rituelle des mouvements sociaux. Bien plus
qu'un rite, ce mouvement social est un outil de construction identitaire qui
est un terrain de conflits et de pressions où évoluent des
communautés. C'est en ce sens qu'il serait intéressant de
réfléchir quant à l'élaboration d'une typologie des
différentes communautés militantes qui participent à la
construction identitaire lors de mouvements sociaux ?
40 Gold, R. (1958) Roles in sociological field
observations, Social Force, 36
41 Adler, P. & Adler, P. (1987) Menbership roles
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41
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43
10. Annexes
Annexe 1
Pour information, la LRU a été votée en
plein mois d'août, semble t-il sans concertation réelle des
différentes parties et acteurs sociaux. Les citoyens français
avaient élu Nicolas Sarkozy à la présidence de la
République en mai 2007, sur un programme de campagne incluant une
restructuration de l'université en France. Cette réforme avait
été plus ou moins clairement annoncée, à travers
ses meetings médiatisés, ce qui avait incité le
président de l'UNEF (B. Juliard) a prévoir une rentrée
difficile.
La LRU est affichée comme une loi visant à une
autonomie plus importante des universités Françaises. Il
s'agirait en fait d'une adaptation de la Loi de 1984 pour répondre aux
besoins ainsi qu'à la volonté de rendre l'université plus
« compétitive » avec les universités
étrangères. Cette Loi met à jour de façon officiel
des us et coutumes universitaires déjà existants, comme par
exemple la constitution des commissions de spécialistes pour le
recrutement des enseignants chercheur à l'université.
Cependant, cette Loi a t- elle été
foncièrement bien préparée ?
Ne contient-elle pas des éléments propres
à inquiéter la population étudiante, comme la
liberté donnée en matière de recrutements, l'ouverture du
Conseil d'Administration aux entreprises mécènes, la
déréglementation d'une partie des frais d'inscription ?
44
Annexe 2
La note Darcos
Le 29 octobre dernier, X. Darcos, par une circulaire
envoyée aux Recteurs d'Académie, ordonne que 25% des
élèves entrant en LP soient inscrits en Bac pro et non en BEP
(dont 5O% dans la filière tertiaire). Il décide aussi que 2008
doit être l'année de préparation à la
généralisation du bac pro en 3 ans. Au final, les
élèves de LP perdront Une année de formation (BEP 2 ans +
bac pro 2 ans). Dans le secteur industriel, cela correspond à une perte
d'environ 1000 heures de formation d'enseignement général et
professionnel.
En 2005, un rapport de l'inspection générale
(rapport Prat) tirait un bilan peu convaincu des expérimentations
effectuées depuis 2001 : « la grande majorité des
élèves ou apprentis n'a pas la possibilité de suivre un
parcours en 3 ans et il y a lieu de ne pas oublier ce type de public en fermant
trop rapidement les sections de BEP ».
La disparition du BEP ou son remplacement par un diplôme
en fin de seconde année de bac pro risque d'aggraver la sortie
prématurée et sans diplôme du système scolaire des
élèves les plus fragiles. Pour les autres, les
débouchés au sortir du bac pro seraient en BTS et IUT. Quelles
seront leurs chances de réussite avec une formation tronquée
d'une année ?
La généralisation du bac pro en 3 ans interroge
sur le devenir de la filière technologique, la réforme STG a eu
pour résultat de voir diminuer le nombre de lycéens inscrits, la
réforme STI a été repoussée. Bacs pros et bacs
technologiques vont rentrer en concurrence directe. Quel peut être
l'avenir de l'enseignement technologique qui est une spécificité
française en Europe alors que notre ministre a la volonté de
réduire le nombre des diplômes ?
Cette réforme lancée à la hussarde permet
à court terme de mettre en oeuvre les décisions
budgétaires du gouvernement, c'est-à-dire réduire le
nombre de fonctionnaires, 11200 dans notre secteur, appauvrir l'offre
d'éducation et aggraver la déqualification des diplômes.
Des diplômes dévalués seront-ils reconnus par les
employeurs ?
45
Annexe 3
vendredi 07 décembre 2007
La manifestation lycéenne
dégénère à Brest
A Brest, le rond-point de Pen-ar-Chleuz a
été dégagé en fin d'après-midi après
une charge des forces de l'ordre.
Nombreuses manifestations de lycéens, hier, contre la
réforme des BEP et celle des universités. À Brest, elle
a été émaillé de scènes de violence.
Six interpellations - cinq jeunes dont un majeur, et un
automobiliste -, un policier blessé ainsi qu'une lycéenne...
C'est le triste bilan d'une journée de manifestations lycéennes
qui a dégénéré, hier, à Brest. Dès le
matin, le ton était donné avec des poubelles brûlées
dans la cité de Kérichen. Ils étaient environ 800, dont
des casseurs.
Au lycée privé Brest-Rive Droite, les jeunes ont
jeté des pierres et des cannettes de bière. Bilan : une vingtaine
de vitres cassées, deux voitures endommagées, et une
élève de l'établissement blessée par des
éclats de verre. L'après-midi, ils étaient environ un
millier à bloquer le rond-point de Pen-ar-Chleuz. Un conducteur
exaspéré a renversé un lycéen et l'a blessé.
Il a été interpellé.
Peu avant 17 h, les policiers ont chargé à coups de
tirs de gaz lacrymogène. Une centaine de jeunes ont riposté avec
des pierres et des cannettes. Le rond-point a été rapidement
dégagé.
46
Cinq jeunes ont été interpellés dont un
meneur étudiant, pour des faits commis mardi lors du blocage de la gare
SNCF. La situation est redevenue calme vers 18 h.
À Quimper, la journée d'action des
lycéens a rassemblé près de 850 élèves hier,
dans le centre-ville. Le gros des troupes venait de Thépot et de
Chaptal. Mais il y avait aussi des jeunes du lycée Laennec et de
Saint-Gabriel à Pont-L'Abbé, du lycée Paul-Gauguin de
Concarneau et quelques-uns du lycée Jean-Moulin de Châteaulin.
Les manifestations ont démarré dès 6 h par
un blocage du lycée Thépot. Une centaine d'élèves
ont barré les entrées de l'établissement ne laissant
entrer personne. Dans le courant de la matinée, ils se sont rendus au
rond-point d'Ergué-Armel, perturbant la circulation.
L'après midi, la manifestation s'est
déroulée dans le calme. Les quais le long de l'Odet ont
été bloqués à la circulation. Un sit-in a eu lieu
devant La Poste et la préfecture.
À Carhaix, les lycéens de
Paul-Sérusier et de Diwan sont une nouvelle fois descendus dans la rue
hier après-midi. Sous la pluie, ils étaient plus de 200 à
défiler dans le centre-ville en scandant des slogans hostiles à
la réforme Darcos concernant les BEP et les bac pros ainsi qu'à
la loi Pécresse sur les universités.
À Landerneau, hier matin, cent cinquante
élèves, principalement du lycée de l'Elorn, ont
bravé la pluie pour s'emparer de quelques points de la ville,
encadrés par les gendarmes. Ils ont également arrêté
les voitures au rond-point du Family pour distribuer des tracts afin de
« faire connaître » leurs
inquiétudes.
À Châteaulin, près de 400
lycéens ont défilé dans les rues hier après-midi,
bloquant pendant une demi-heure le pont à la circulation avant d'aller
porter leur refus de la réforme jusqu'à la
sous-préfecture. Solidaires des élèves, les enseignants
des deux LEP de Pont-De-Buis et Pleyben, représentants des syndicats
CGT, FSU et Sud Éducation demandent à être reçus ce
matin par le député Christian Ménard.
À Pont-l'Abbé, une soixantaine de
lycéens de Laennec ont manifesté hier matin. Après un
sit-in, ils sont allés distribuer des tracts sur le marché de
Pont-l'Abbé.
Journée d'action jeudi
Les organisations syndicales de l'enseignement public et
privé (Snuep-FSU, CGT-Education, CGT-SNPEFP, FEP-CFDT, SNETAA-EIL,
UNSA-éducation, Sud-éducation) annoncent une journée
régionale d'action de l'enseignement professionnel, avec préavis
de grève, le jeudi 13 décembre. Pour les syndicats, il s'agit de
marquer leur « opposition à la généralisation
des bacs professionnels et à la suppression des BEP ».
47
Annexe 4
Extrait du carnet de terrain
8 novembre 2007
Les étudiants de l'Université de Bretagne
Occidentale décident de se réunir à la faculté de
lettres de Segalen afin de décider de la façon dont les
étudiants brestois doivent se positionner par rapport au mouvement de
contestation social.
L'assemblée générale regroupa près
de 400 étudiants majoritairement de l'UFR Lettres de Segalen et
très peu des autres UFR de l'université. On pouvait y voir
quelques parents et des journalistes comme le télégramme, Ouest
France ou encore France Inter. Etaient présents, l'UNEF, Sud
étudiant, des « anars », des élus étudiants mais
aussi la CNT. Il n'y avait pas de leader visible mais un groupe de quatre
personnes qui semblait piloter l'AG. L'ensemble des votes se faisaient à
main levée et l'instauration du tour de parole fut mis en place,
malgré ces règles un sentiment de désordre régnait
dans l'amphi. Les étudiants n'ont pas beaucoup pris part au
débat, ils sembleraient être là plus en attente
d'informations.
Cette organisation aura pour incidence de passer beaucoup de
temps sur la forme que le débat doit avoir, vote à main
levée ou non, et pas sur le fond. C'est-à-dire de débattre
sur le pourquoi du rassemblement. La proposition de l'ordre du jour a
été dure à mettre en place, une fois les points importants
listés, la tribune avait des difficultés à maintenir le
débat.
Cette « perte de temps »42 a eu pour
conséquence de lasser les étudiants et a entrainé un
faible taux de participation de votants. Nous avons vu, au moment du vote de la
grève, 30 personnes qui ont levé la main et les autres personnes
n'ont même pas participé au vote. Une autre conséquence
d'une tribune constituée de personnes actives dans le mouvement est que
les idées qui allaient à contre sens du discours de mise en
grève était systématiquement non respectées. Enfin,
la tribune a laissé transparaître qu'elle n'était là
que pour motiver les étudiants à se mettre en grève,
malgré le manque d'informations sur la loi. Dès lors, nous avons
vu le glissement d'une information sur la loi vers un vote de grève.
D'ailleurs, lorsque la question « qui a lu la loi ? » a
été posée, il n'y avait qu'une dizaine de personnes qui
ont levé la main. La seule disposition pour permettre aux
étudiants de se rendre compte de la loi LRU est une affiche qui reprend
les points problématiques de cette loi, cependant ces points ne seront
pas débattus en AG. Nous avons retenu suite à l'observation que
l'attitude générale des étudiants était de suivre
les autres universités en France en ayant comme source d'information
principale les journaux télévisés.
Les idées véhiculées par l'ensemble des
échanges traduisaient l'aspect foncièrement mauvais de cette loi.
Notamment que le principe d'autonomie des institutions était un choix
non réfléchi qui ne répondait pas aux attentes des
étudiants. L'idée du blocus a été soulevée
à un moment au cours de l'AG mais succinctement et sans
précision. La multiplicité des thèmes abordés a
dispersé le débat jusqu'à ne plus être directement
en lien avec la problématique de la LRU. Les idées et les
revendications sont reprises de celles d'autres universités et de la
coordination nationale, sans qu'elles soient analysées ou
critiquées.
48
42 Discours d'étudiants dans
l'assemblée
Annexe 5
BREST, le 19 novembre 2007
|
La proviseure
Aux Parents d'Elèves internes
|
49
Madame, Monsieur,
Certains étudiants en grève invitent les
lycéens à les rejoindre dans leur mouvement.
Etablissement d'enseignement et d'éducation, nous avons
pour mission d'aider les élèves à devenir des citoyens
éclairés et responsables.
Je tiens donc à rappeler que le droit de grève est
un droit des salariés,
D'autre part, tout élève qui quitterait
l'établissement pour se rendre à une manifestation rejoindra
automatiquement le domicile familial dans la soirée et ne pourra
être admis à l'internat ni au service de restauration.
Naturellement les familles seront avisées par le service
Vie Scolaire et devront prendre les dispositions utiles pour la prise en charge
de leur enfant.
Persuadée que vous comprendrez le bien fondé de
cette décision, je vous remercie de votre aide et vous prie de croire,
Madame, Monsieur, en mes très sincères salutations.
50
Annexe 6
51
Annexe 7
Annexe 8
R U
Un Cadeau empoisonne' ·'
Nous étudiants, lycéens sommes
mobilisés contre la loi.,stiti
l'autonomie des uni dont nous demandons le retrait.
Cette loi n'est en rien une réforme progressiste mais
plutôt ;Destructrice pour l'ensemble de notre. université :
Augmentation des droits d'inscriptions
Augmentation de la discrimination sociale tendant a
l'élitisme. Augmentation des inégaltés dans l'accès
à une Education pour Muss Fermeture des filières ditEs non
rentables-tina ta eurent t.lëftrest STAPS) Diminutitn fies
crédits de l'Ltat accordés aus unisersitits en rue d'une
privatisation de la Fac.
Main misé des entreprises dans les conseils et autres
instances
decisionnai re s.
,~oIls, Jeunes ne voulons pa,c voir lei4Eire tzntie
éu'ucaitou a21 profil des' marres entreprises.
Nous voulons un avenir ci' chacun pourrait avoir accès au
savoir,
· à la culture, a l'enseignement sans distinction de
couleur, ci" argent ni d'aucunes sortes de éritères.
Nous appelons a poursuivre
lamôbilisâtidn et rejoindre l`cnsomble des. lycéens
et étu j al is déjà en co iAve-our
le territelire.--national.
Jeudi 6 Décembre
14H30
Place de la Liberté
Pour notre Futur...Soyons nombreux !!!
Annexe 9
INFOS :
Le recteur de l'académie de Rennes n'a pas suspendu les
mesures liées à la note Darcos. Il faut donc continuer a se
mobiliser en exigeant la suspension du projet Darcos.
Les syndicats d'enseignants appellent à la grève
et à manifester Jeudi 13 décembre 2007 (manif à 10h30 RDV
Place de la Liberté).
Le recteur de l'académie de Bordeaux a gelé les
mesures de la note Darcos pour ouvrir des négociations. C'est un premier
recul, le recteur de Rennes peut faire la môme chose si notre
mobilisation est forte.
LE BAC PRO 3 ANS C'EST :
> Des suppressions de formation en BER 0. Des effectifs plus
élevés en classe.
D Moins d'offre de formation : actuellement il existe 69 bacs
pros, il devrait en rester 20, à terme.
> Des diplômes au rabais.
0' Das suppressions d'emplois dans l'Education nationale
CE QUE NOUS VOULONS :
D Le maintien du BEP comme formation et diplôme à
part entière. 0' Des diplômes nationaux reconnus clans les
conventions collectives.
· Des diplômes de qualité.
Car nous voulons après nos études avoir un
vrai travail avec un vrai salaire.
Nous devons être nombreux pour gagner
!
C'est pour cette raison qu'il faut manifester le mardi
11 décembre 2007.
Nous devons être entendus pour cela nous irons
à la sous préfecture afin d'être reçus.
Le parcours : Rendez-vous 10 heures Place de la
Liberté avec des banderoles, des tracts, des slogans... rue de Siam,
puis Sous Préfecture.
21)
10 HEURES Place de LE Min
EST
T EIE ILI
53
DES LYCEENS DE DUPUY DE LOME
Brest fe 10 décembre 2007
54
Annexe 10
55
11. Table des matières
1. Introduction 5
2. Conceptualisation 7
2.1. Les mouvements sociaux 7
2.1.1 L'action collective : 7
2.1.2. L'action orientée pour une cause : 8
2.1.3. Les mouvements de contestation et la politique :
9
2.1.4. Un répertoire d'action : 9
2.1.5. L'organisation des mouvements sociaux : 10
2.2. Les rites dans notre société
contemporaine 11
2.2.1. La question des rites : 12
2.2.2. Le rite d'institution et de renouvellement :
13
2.2.3. La transition et la communitas: 13
2.3. L'identité militante acquise par un rite du
corps 15
2.3.1. Le militantisme étudiant : 16
2.3.2. La question de l'identité militante :
16
3. Problématique : un rituel utilisant la
pratique corporelle 18
4. La démarche adoptée 20
56
4.1. Le cadre de la démarche : 20
4.2. Outils de recherche : 21
4.2.1. L'observation participante : 21
4.2.2. Le carnet de terrain : 22
5. Le mouvement brestois de 2007, un mouvement de
contestation 23
5.1. Quels objectifs pour quelles populations 23
5.2. V a-t-il une interaction des objectifs ? 25
6. Un rite initiatique à la fois d'institution
et de renouvellement 27
6.1. La constitution de la communauté comme rituel
: 28
6.2. Les techniques du corps : 29
6.3. Une initiation à l'engagement physique :
30
7. L'utilisation d'un pouvoir médiatique par
la mobilisation de masse 32
7.1. Une recherche d'équilibre du rapport de force
avec l'Etat : 32
7.2. Les facteurs influençant la mise en mouvement
: 37
8. Conclusion 38
9. Références 41
10. Annexes 43
|