Hantise et épuisement: l'écriture du reste dans la resta de alia trabucco et la dimensià³n desconocida de Nona Fernandezpar Jérémie LANIEL Université de Bourgogne - Master Recherche en Littérature latino-américaine 2020 |
Annexes.................................................................................................133I) Alia Trabucco Zerán et Nona Fernández Silanes: deux filles de la dictature......133 II) Mémoire et écriture dans la littérature chilienne.......................................134 III) Parcours de l'Histoire chilienne.........................................................135 IV) Le témoignage de El Papudo : «El hombre que olía a muerte».....................136 V) Le 7 septembre 1983 ou la «Noche de los largos cuchillos» en images............153 VI) «La pieza oscura» de Enrique Lihn......................................................153 VII) La dimensión desconocida: couverture.................................................155 VIII) Peindre la mémoire collective chilienne : l'exemple de Los oberoles..............156 IX) Lettre de Ángel Parra à Víctor Jara (1987).............................................158 PROLÉGOMÈNES Morelliana Si el volumen o el tono de la obra pueden llevar a creer que el autor intentó una suma, apresurarse a señalarle que está ante la tentativa contraria, la de una resta implacable.2(*) À partir des années 1940, surgit le roman contemporain en Amérique latine3(*), qui atteignit son paroxysme durant les années 60-70, années du grand boom latino-américain, période de « «grandecristallisation syncrétique» [...] d'une narrative qui démontrera rapidementsa capacité àfaire partie de la culture universelleà partir d'une expérience purement américaine. »4(*) À la suite du succès retentissant du grand boom latino-américain au cours des années 60-70, la production littéraire latino-américaine de la fin du XXème siècle - début du XXIème siècle assista à l'émergence de nouvelles voix qui s'élevèrent contre la littérature du boom, amorçant ainsi le processus de desmacondización de la littérature latino-américaine. Le paradigme magico-réaliste tira sa révérence avec la publication par Jorge Volpi du Manifiestodel Crack5(*) au Mexique et la publication de l'anthologie McOndo6(*)-jeu de mots subversif réalisé à partir du nom du village mythique de Cent ans de solitude de Gabriel García Márquez, Macondo- du côté du cône sud par Alberto Fuguet et Sergio Gómez en 1996. En dépit de leur caractère local, ces deux tendances partagèrent « una sola inquietud : « una nueva perspectiva para ver la literatura », integrar de nueva cuenta en el espacio literario una realidad continental fragmentada geográficamente. »7(*) Ainsi: El mundo mágico y maravilloso que caracterizó a la narrativa de ?nales de la década del sesenta hasta los setenta y que fortaleció el universo de Gabriel García Márquez [...] se alej[ó], como las mariposas amarillas, por laberintos oscuros ahogando sus nostalgias en un universo donde reina la disolución de los valores, la presencia de la muerte, la racionalidad, la trivialidad y trivialización, la agonía y la degradación.8(*) L'espace américain auparavant propice à l'exotisme, à la récupération de l'origine sacré, laissa place, avec cette nouvelle « génération continentale », à un espace américain désormais déliquescent, profané par une modernité féroce, débridée: Nuestro McOndo es tan latinoamericano y mágico (exótico) como el Macondo real (que, a todo ésto, no es real sino virtual). Nuestro país McOndo es más grande, sobrepoblado y lleno de contaminación con autopistas, metro, tv-cable y barriadas. En McOndo hay McDonald's, computadores Mac y condominios, amén de hoteles cinco estrellas construidos con dinero lavado y malls gigantescos. En nuestro McOndo, tal como en Macondo, todo puede pasar, claro que en el nuestro cuando la gente vuela es porque anda en avión o están drogados. Latinoamérica, y de alguna manera Hispanoamérica (España y todo el USA latino) nos parece tan realista mágico (surrealista, loco, contradictorio, alucinante) como el país imaginario donde la gente se eleva o predice el futuro y los hombres viven eternamente. Acá, los dictadores mueren y los desaparecidos no retornan.9(*) McOndo et El Manifiesto del Crackouvrirent donc les portes de l'èrede la « post-littérature »10(*). Cette ère est marquée, comme le précise Alexandre Gefen dans son essai Réparer le monde, par un « déclin des fonctions collectives de la littérature et la désacralisation contemporaine de l'écrivain »11(*) qui « fabriqu[e] [...] des romancules qui ne s'engagent pas et qui n'engagent à rien »12(*). Toutefois, le panorama littéraire latino-américain offrant une grande hétérogénéité d'oeuvres, il y a des exceptions, tout comme c'est le cas de la génération de la post-mémoire13(*) en Amérique latine, qui a commencé à gagner l'espace littéraire latino-américain au début du XXIe siècle et qui a su, dans l'ensemble, résister aux exigences du marché contrairement à la littérature que nous avons coutume de qualifier de « light ». La post-mémoire, avec les mots de Marianne Hirsh, est une « structure intergénérationnelle et transgénérationnelle caractérisée par le retour du passé traumatique et de l'expérience physique du corps »14(*), qui « décrit la relation de la « génération d'après » par rapport au trauma personnel, collectif et culturel de la génération précédente. »15(*) Les enfants de la dictature « « se souviennent » par le biais de récits, d'images et de comportements au milieu desquels ils ont grandi »16(*), opérant, en ce sens, « [une] connexion [entre] post-mémoire [et] passé [...] qui ne transite pas uniquement par le souvenir, mais aussi par un investissement imaginatif, créatif et de projection. »17(*) Parmi les membres appartenant à ces « acteurs secondaires »18(*) de la mémoire, nous détachons deux « détectives de la mémoire »19(*), qui sont : la finaliste nominée au Man Booker 2019, avocate et éditrice Alia Trabucco Zerán (Santiago, 1983-) et l'actrice Nona Fernández Silanes (Santiago, 1971-). C'est à travers La resta (2014), opera prima de Alia Trabucco, oeuvre primée20(*) et La dimensión desconocida (2016), dernière oeuvre littéraire en date de Nona Fernández, oeuvre également primée21(*), que nos deux autrices procèdent à un «anti-entierro»22(*) de la mémoire collective chilienne anesthésiée par l'État. La finalité de leurs écritures qui incommodent est claire : « démolir la mémoire officielle qu'on a tenté d'imposer après la dictature pour en construire une autre, d'autres mémoires, hétérogènes, dissidentes, désarticuler la rhétorique de la réconciliation »23(*). En effet, rappelons avec Nona Fernández que: En esos años se le bajaron los decibeles al recuerdo de la violencia reciente para organizar una política de consensos que mantuviera la fiesta en paz. La democracia se mantenía cautelada por los militares con el mismo general Pinochet como Comandante en Jefe del Ejército y luego senador en el Congreso, entonces no era una buena idea usar el ayer inmediato como un arma de debate24(*) Face à la génération des parents, nous retrouvons donc une jeune génération qui, au moment de retracer « la épica de la generación anterior »25(*), fait face à « un silencio sepulcral »26(*), favorisé par la sphère politique. Une problématique essentielle se pose donc : Comment réarticuler l'expérience de ce violent échec, de cette déroute, alors que l'on se trouve au milieu d'un vide, d'une béance mémorielle de laquelle l'État se retrouve complice ? Les travaux critiques sur La resta de Alia Trabucco sont peu nombreux. En effet, nous comptabilisons actuellement seulement quatre récensions27(*) auxquelles s'ajoutent trois thèses de doctorat28(*)dans lesquellesLa resta fait partie du corpus étudié. Parmi ceux-là, nous retrouvons le travail de recherche de Constanza Ternicier qui, en prenant appui sur un pan assez ample de la littérature chilienne contemporaine, «se propone demostrar la existencia de una nueva subjetividad en el campo literario chileno y desprender sus elementos comunes»29(*) à partir de «dos sistemas de preferencia: uno próximo a una narrativa más apegada a la realidad, aunque no siempre minimalista [...] y otro más complejo y distorsionador de la realidad».30(*)En dépit des nombreux aspects de l'oeuvre abordés (allégorie du voyage, le conflit filial, la connexion entre la subjectivité de Felipe avec l'espace diégétique, sa sexualité subversive), le travail universitaire de Constanza Ternicier analyse La resta de manière très superficielle. En ce qui concerne La dimensión desconocida, nous relevons à l'heure actuelle seulement trois travaux critiques31(*) et deux récensions32(*). Si dans son travail critique Mariela Peller «explor[a] los modos en que las obras [de Nona Fernández] tejen espacios de resistencia al olvido de la violencia del pasado reciente [y sostiene] que esos espacios de resistencia se perfilan a través de dos figuras: los cuerpos y la escritura»33(*) et, plus précisément, se centre sur cette « política de la nominación »34(*) engendrée à travers la fiction et qui régit l'oeuvre entière de l'écrivaine, Luis Valenzuela Prado s'attache, en s'appuyant sur l'oeuvre littéraire entière de Nona Fernández, à dégager une esthétique du résidu. Toutefois, la démarched'écriture de ces deux oeuvres est souvent délaissée. Ainsi, dans notre travail, nous voulons interroger l'écriture de l'épuisement, qui se déploie tant dans La resta que dans La dimensión desconocida afin de relire, interpréter le passé récent traumatique35(*), mettant le roman à l'épreuve. John Barth, le critique du post-modernisme américain, est le premier à avoir introduit la notion d' « épuisement » et à l'avoir mis en corrélation avec l'état de la littérature nord-américaine post-moderniste36(*). En France, avant de se réfugier dans le travail de recherche de Dominique Rabaté, Vers une littérature de l'épuisement ?, qui suit le parcourt critique de John Barth, l'épuisement, en tant que pratique scripturale, nichait dans l'oeuvre de l'écrivain français, Georges Perec. Ce dernier, qui s'était déjà adonné à cette pratique dans Tentative d'épuisement d'un lieu parisien, le définit comme une démarche consistant en « décrire le reste : ce que l'on ne voit généralement pas, ce qui ne se remarque pas, ce qui n'a pas d'importance [...] »37(*). Cette affirmation syntonise avec les aspirations de nos deux jeunes autrices de la post-mémoire chilienne dont les pratiques d'écriture visent à « (d)écrire le reste » du passé, balayé du devant de la scène socio-politique puis vilement jeté aux ordures. En effet, nous le savons : La modernité est experte pour multiplier les sanctions d'expulsion contre ce qui refuse d'obéir à la consigne de rupture temporelle qui utilise ce qui est nouveau pour congédier -sans considération- ce qui est obsolète, jetant à la poubelle, et au même rythme que la vitesse de production de marchandises, ce qui s'éternise. Toutefois, et malgré tout, « la modernité verra accroître à ses alentours le voisinage désagréable des détritus, amoncellement inattendu d'objets désuets et d'esprits sans utilités domestiques qui résisteront à être « éliminés » et menaceront de faire irruption dans le présent afin de délivrer la mémoire d'une temporalité captive.38(*) En d'autres termes,Alia Trabucco et Nona Fernández textualisent, présentifient à travers l'écriture épuisée « la mémoire comme reste »39(*), comme déchet qu'on ne veut plus voir et qui pourtant persiste. C'est par l'imagination créatrice que nos deux oeuvres s'érigent en espace de revenance où la voixfugitive, domptée, projectionniste, s'efforce de reconstruire, par bribes, ces espaces intimes familiaux anonymes violés, dotant les mêmes oeuvres d'une indéniable valeur intrahistorique et tendant à la construction d'une contre-mémoire collective critique de la dictature chilienne. La frontière entre intimité et extimité s'effondre. Cependant, pour exprimer le reste informe, la trace obsessionnelle du passé qui, dans nos deux oeuvres, ne s'observera pas uniquement à l'échelle des structures familiales, car elle sera aussi de nature « archivée », « éprouvée » et apparaîtra sous forme d' « empreinte corporelle, cérébrale, corticale »40(*), l'écriture se fera rudologie41(*) et s'effritera, s'abîmera, s'épuisera. En procédant au recyclage des obsessions du passé, l'intimité de l' « espace-corps »42(*) romanesque sera amenée à s'ouvrir en débordant de ses propres frontières génériques. De cette manière, l'épuisement, qui constitue paradoxalement le moteur de création de ces deux oeuvres43(*), signera « l'usure des formes accomplies »44(*), creusant l'abime avec le paradigme romanesque institutionnel. Afin de restituer le passé dans toute sa dimension sensible à travers l'écriture, ces transécritures abjectes, au sein desquelles pratique artistique et éthique du soin font corps, éveillent la sensibilité du lecteur. La matière verbale, qui déborde de ses frontières sémiotiques également, fera appel au sensoriel, au (syn)ésthésique, permettant au lecteur d'éprouver les traces persistantes et revivifiées dans la parole orale et poético-lyrique ou dans le témoignage. L'évidement, l'épuisement des capacités expressives et créatrices, source de la mise à l'épreuve du genre romanesque, inscrira donc nos deux poéthiques hors-cadresdans une tendance de « re-littérature »45(*), tendance « que l'on peut toujours traduire en deux sens : la fin, l'achèvement mais aussi la revenue, la grande relève »46(*). Alia Trabucco et Nona Fernández se situent dans : ce qu'il faudrait nommer une après-fin par laquelle un grand Après [se donne] à lire. Cette après-fin sera celle qui [...] laiss[e] entendre, depuis les fosses communes, une voix qui v[eut] recommencer après la fin, revenir de la mort non pour en témoigner mais pour refonder le Dire et oeuvrer de nouveau à la Littérature, depuis sa toute tremblante majuscule.47(*) C'est ce que ce travail s'attachera à démontrer. I- UNIVERS INTIMES DÉCOMPOSÉS Trato de recordar, buscar imágenes, imaginar voces, colores, pero me resulta difícil, casi imposible.48(*) 1) L'horizon post-dictatorial ou « la mémoire obstinée »49(*) a) Le roman : une recherche La génération de la post-mémoire, « détachement qui refuse de fixer l'écart de sa distance »50(*), offre un horizon décomposé, morcelé où les déchets du passé règnent en maîtres. La mémoire collective ayant été sauvagement dynamitée par l'État chilien « démocratique », et le conflit n'ayant pas été directement vécu, la génération de la post-mémoire trouve dans la relecture de cette partie sombre de l'Histoire collective chilienne un enjeu de taille. La mémoire qui leur parvient est ainsi donc indicible, informe, informulé, précaire, et sa textualisation poussera le roman dans ses derniers retranchements. La resta de Alia Trabucco et La dimensión desconocida de Nona Fernández illustrent toutes les deux à merveille la condition post-dictatoriale qui est, selon Nelly Richard, marquée par la perte d'objet et le deuil51(*). Les auteurs de la post-mémoire chilienne et, plus précisément, Alia Trabucco et Nona Fernández, abordent « [l]e roman comme [une] recherche »52(*) des morceaux de cet « objet irrémédiablement brisé »53(*). De telle sorte que le roman leur apparaît comme un espace-corps d'expérimentations, un « laboratoire »54(*) où l'écriture met en place diverses stratégies littéraires rebelles pour tenter de donner forme à l'informe, dire l'indicible, resémantiser l'expérience de l'Autre. Le roman se faufile par les interstices de la production culturelle institutionnelle et gagne un tout autre espace : celui de la dissidence inclusive. C'est en s'extraterritorialisant que le roman peut faire et dire la trace. L'appareil titulaire de l'oeuvre de Nona Fernández, La dimensión desconocida, qui évoque d'ores et déjà un lien intertextuel plus qu'évident avec la série The Twilight Zone confirmé par la couverture55(*), tout comme celui deLa resta de Alia Trabucco, met le doigt sur quelque chose qui a été soustrait, caché, et qui est sur le point de nous être restitué sous nos yeux par la parole littéraire. Comment interpréter le passé pour le comprendre et enfin le restituer dans toute sa sensibilité surtout lorsqu'il n'a pas été vécu ? La théoricienne du Nouveau roman historique Marta Cichoka relève dans son très récent ouvrage critique et théorique Estrategias de la novela histórica contemporánea : Pasado plural, postmemoria, pophistoriaque : La generación de la postmemoria accede al palimpsesto del pasado en su dimensión afectiva, a través del lenguaje, de los testimonios familiares, del discurso historiográfico en un interesante proceso de lectura y relectura, intertextualidad y traducción, y una constante interrogación sobre la naturaleza del original y el artificio, la realidad y la ficción, la historia y el olvido, la historia y el mito, la memoria y el olvido.56(*) Ainsi, ces sources, ces restes « affectifs » constituent l'héritage sur lequel la génération de la post-mémoire s'appuie pour réarticuler le passé présent traumatique. De plus, elles seront soumises à un processus de lecture et de relecture, d'épuisement donc, qui sera à la charge de la parole littéraire et, plus précisément, à la charge de procédés littéraires tels que l'écriture allégorique ou encore l'écriture parodique, présentes dans nos deux oeuvres et sur lesquelles nous nous pencherons prochainement. b) L'épigraphe : annonciatrice de la résistance politique et littéraire D'entrée de jeu, Alia Trabucco et Nona Fernández nos deux chiffonnières57(*)dévoilent,à travers leur épigraphe, leur volonté de recollecter, de recycler ces restes du passé présent en « fouill[ant] dans les poubelles de l'histoire ». « La recolección es nuestra forma de duelo »58(*), pouvons-nous lire avant de nous jeter corps et âme dans la lecture de La resta. Cette épigraphe, qui puise son origine dans l'oeuvre traduite en espagnol Todo lo que tengo lo llevo conmigo de l'écrivaine allemande Herta Müller, est très révélatrice. Effectivement, elle dévoile au lecteur le caractère belliqueux, violent de la prose effrénée de Alia Trabucco. Nona Fernández, quant à elle, manifeste au lecteur, également aux portes de son « roman », son aspiration à récupérer les traces du passé en exprimant, en donnant la parole aux lieux grâce à la « llave de la imaginación »59(*) qui lui permet ainsi de : Imagin[ar] y ha[cer] testimoniar a los viejos árboles, al cemento que sostiene [sus] pies, al aire que circula pesado y no abandona este paisaje. Imagin[ar] y complet[ar] los relatos truncos, rearm[ar] los cuentos a medias. Imagin[ar] y p[oder] resucitar las huellas de la balacera.60(*) Le visionnage, en compagnie de sa mère du documentaire élaboré par l'autrice même en collaboration avec la Vicaría de la solidaridad, est le moment précis où Nona Fernández mentionne la relation qu'elle entretient avec ces images du passé : Nací con ellas instaladas en el cuerpo, incorporadas en un álbum familiar que no elegí ni organicé. Mi escasa memoria de aquellos años está configurada por esas escenas. En la sucesión veloz de acontecimientos en la que habito, en el torbellino de imágenes que consumo y desecho a diario, éstas se han mantenido intactas frente al tiempo y al olvido. Como si fueran controladas por una fuerza de gravedad distinta, no flotan ni salen disparadas en el espacio dando tumbos sin dirección. Siempre están ahí, resistiendo. Vuelven a mí o yo vuelvo a ellas, en un tiempo circular y espeso como el que respiro en esta sala de cine vacía. He dedicado gran parte de mi vida a escudriñar en esas imágenes. Las he olfateado, cazado y coleccionado. He preguntado por ellas, he pedido explicaciones. He registrado sus esquinas, los ángulos más oscuros de sus escenarios. Las he ampliado y organizado intentando darles un espacio y un sentido. Las he transformado en citas, en proverbios, en máximas, en chistes. He escrito libros con ellas, crónicas, obras de teatro, guiones de series, de documentales y hasta de culebrones. Las he visto proyectadas en innumerables pantallas, impresas en libros, en diarios, en revistas. He investigado en ellas hasta el aburrimiento, inventando o más bien imaginando lo que no logro entender. Las he fotocopiado, las he robado, las he consumido, las he expuesto y sobreexpuesto abusando de ellas en todas sus posibilidades. He saqueado cada rincón de ese álbum en el que habitan buscando claves que puedan ayudarme a descifrar su mensaje. Porque estoy segura de que, cual caja negra, contienen un mensaje.61(*) Ici, Nona Fernández affirme son projet d'épuisement des éclats -au sens de fragments- du passé présent. Encore une fois, nous constatons que l'imagination joue un rôle considérable dans cette tentative d'épuisement de ces images pugnaces, tenaces. En effet, c'est en recourant au pouvoir subversif de la fiction que l'autrice exprime ces archives du passé, leur arrache leurs derniers éclats -au sens cette fois-ci d'éclairement- pour « se figur[er] le contexte de vie, l'environnement social et culturel, bref, [...] le monde qui, aujourd'hui, manque, si l'on peut dire, autour de la relique »62(*), et ainsi illuminer « los ángulos más oscuros » de l'Histoire récente chilienne. Dans les deux cas, nous constatons que l'écriture du reste, de la trace,de nos deux autrices expulse le roman aux frontières du dicible et de l'indicible, aux frontières de l'ordre et du désordre. Cette expulsion, mène le roman à découvrir ses propres limites, à explorer l'espace de l'écart : L'expulsion est, en effet, aussi bien une impulsion. Venue du dehors, une énergie libère un élément et lui trace. La force de ce mouvement initial lui assigne une direction, celle d'une vie à faire, d'une histoire à poursuivre. Mais l'expulsé, c'est aussi ce qui choit et se détache. Mouvement cette fois non plus de mise en branle, mais de décharge, rejet vers le bas, objet abandonné et coupé de soi, comme une matière impropre. Le passage vers le dehors, qui donne naissance au récit peut ainsi s'entendre de deux façons, [...] progressif ou régressif [...]63(*) L'épuisement configure donc une dialectique au sein de nos deux oeuvres entre mouvement régressif, rétrospectif, dans la mesure où le souffle de l'écriture recollecte en se projetant dans le passé via des restes affectifs, qu'elle reprend, recycle, se faisant « décharge », et mouvement progressif dans la mesure où cette recollection et cette projection trace au roman un « passage vers le dehors », l'écart, l'impropre, afin de tisser une authentique « pensée de la trace »64(*) abjecte et « d'aller au loin des étranglements de système »65(*).Nous employons l'adjectif « abject » afin de nous référer à la trace car il ne faut pas oublier que : [l'] abject [...] est [...] une terre d'oubliconstamment remémorée. [...] [L]a cendre de l'oubli fait maintenant paravent et réfléchit l'aversion, la répugnance. Le propre (au sens d'incorporé et d'incorporable) devient sale, le recherché vire au banni, la fascination à l'opprobre. Alors le temps oublié brusquement surgit et condense en un éclair fulgurant une opération qui [...] serait la réunion des deux termes opposés mais qui du fait de cette fulguration se décharge comme un tonnerre. Le temps de l'abjection est double : temps de l'oubli et du tonnerre, de l'infini voilé et du moment où éclate la révélation.66(*) L'épuisement pousse donc d'une part à passer outre les bords de contention mémoriels imposés par : [un] consenso [que], al pretender forzar la unanimidad de voces y conductas en torno a la racionalización formal y tecnificada del acuerdo, [buscó limitar los] [d]esbordes de nombres (la peligrosa revuelta de las palabras que diseminan sus significaciones heterodoxas para nombrar lo oculto-reprimido fuera de las redes de designación oficial); [los] desbordes de cuerpos y de experiencias [...]; [los] desbordes de memorias (las tumultuosas reinterpretaciones del pasado que mantienen el recuerdo de la historia abierta a una incesante pugna de lecturas y sentidos).67(*) Et d'autre part à passer outre les bords de contention créatifs, car l'épuisement suppose un émiettement, une fragmentation, une mise en mouvement de l'oeuvre, ce qui va à l'encontre du paradigme romanesque institutionnel statique récalcitrant à toute irrégularité provenant des confins. L'épuisement est par conséquent l'expression de la contre-littérature qui, selon son théoricien Bernard Mouralis, regroupe : [l]es textes que récuse l'institution littéraire et qui, de ce fait, n'entrent pas dans le champ littéraire, ne sont pas seulement des textes en marge de la « littérature »- ou inférieures à celle-ci, mais des textes qui, par leur seule présence, menacent déjà l'équilibre du champ littéraire puisqu'ils en révèlent le caractère arbitraire.68(*) Néanmoins, l'écriture fragmentaire, que nous associons à l'épuisement et qui dévoie la paradigme romanesque de la norme institutionnelle, ne surgit pas avec l'avènement de la génération de la post-mémoire. En effet, depuis l'époque de la dictature pinochetiste, l'espace littéraire chilien apparaît scindé principalement en deux espaces : [...] entre la catégorie du structuré et celle de l'informe : opposition entre oeuvre (l'unité étant dans notre tradition culturelle du livre) et non-oeuvre (bribes, fragments, graffiti et autres traces), entre oeuvre « bien composée » et oeuvre « mal composée », entre brièveté et prolixité [...], entre expression « contrôlée » et expression « relâchée », entre vraisemblable et invraisemblable, entre simplicité et complication, entre originalité et banalité, etc.69(*) En ce sens, les pratiques artistiques néo-avant-gardistes « relâchées » de la CADA70(*), sont très illustratives, notamment celles de l'écrivaine Diamela Eltit, figure emblématique et modélique de la contre-littérature chilienne. Si d'un point de vue politique la fragmentation est une stratégie d'écriture grâce à laquelle « [l]'interdit est levé sur la lacune, la perte, l'inachevé [...] »71(*), d'un point de vue créatif : [...] le recours à la forme fragmentaire s'inscrit dans le sillage d'une triple crise aux manifestations déjà anciennes, et à laquelle on peut identifier la modernité : crise de l'oeuvre par caducité des notions d'achèvement et de complétude, crise de la totalité, perçue comme impossibilité et décrétée monstrueuse et enfin crise de la généricité, qui a permis au fragment de se présenter, en s'écrivant en marge de la littérature ou tangentiellement par rapport à elle, comme une alternative plausible et stimulante à la désaffection des genres traditionnels, jusqu'à s'imposer comme la matrice même du Genre.72(*) En faisant éclater « la belle ordonnance de l'oeuvre »73(*), La resta de Alia Trabucco et La dimensión desconocida de Nona Fernández, « s'accord[ent] à ce qui du monde s'est diffusé en archipels précisément, ces sortes de diversité dans l'étendue »74(*) mettant ainsi en partage l'expérience traumatique de l'Autre que l'espace institutionnel relègue à l'oubli. L'épuisement scriptural « est [ainsi donc] l'errance violente de la pensée qu'on partage »75(*). L'ossature de nos deux oeuvres achemine d'emblée le lecteur empirique vers de premières pistes d'interprétation grâce auxquelles il peut se préfigurer le contenu de la diégèse, de l'oeuvre. Si nous nous intéressons à l'architecture externe de La resta de Alia Trabucco, nous constatons que deux voix prennent part de manière équitable à la construction du récit : celle de Iquela d'une part et celle de Felipe d'autre part. En effet, tant la voix de Iquela que celle de Felipe font irruption onze fois, bien que dans le cas de Iquela, la numérotation traditionnelle des chapitres apparaisse remplacée par des parenthèses vides « que no abrigaban, no acogían palabra alguna »76(*) et qui figurent en tête des onze chapitres que nous comptabilisons, comme nous le remarquons grâce à l'exemple ci-dessous : Dans le cas de Felipe, la numérotation romanesque des chapitres apparaît très clairement. Cependant, les chapitres ne sont pas numérotés chronologiquement, mais de manière décroissante, de la même manière qu'une bombe. Ainsi, le lecteur commencera la lecture de La resta à partir du chapitre 11 : Et la terminera au chapitre 0 : Intimement convaincus que La resta fait partie de ces nombreux Nouveaux romans historiques, nous avons interrogé le nombre de chapitres : 11. Le premier élément qui nous est venu à l'esprit c'est évidemment la date fatidique du 11 septembre 1973, qui marqua le début d'une longue et féroce dictature comme l'Amérique latine en connaissait déjà. C'est en nous appuyant sur la théorie des nombres de Steve Desrosiers que nous sommes en mesure d'affirmer que le numéro 11 est porteur des principaux axes thématiques qui parcourent l'oeuvre car celui-ci : représente la transgression de la loi car il dépasse d'un le nombre dix, qui est celui du Décalogue. Pour ce fait, il représente l'armoirie du péché selon Saint Augustin. Le psaume 11 -numérotation du Vulgate - demande effectivement le châtiment des méchants. Les spéculations théoriques sur ce nombre confirment ce symbolisme. La somme des nombres 1 à 11 est de 66, qui multiplie onze par le nombre symbole du mal, le diabolique 6 ; par l'addition des deux chiffres qui le composent comme par sa lecture en chiffre romain, II, il rappelle le 2, nombre de la division et de la corruption.77(*) Le numéro 11 est d'ores et déjà porteur de la tension, de la dualité, qui structure l'oeuvre. Il peut aussi, à notre sens, dévoiler la nature spéculaire caractéristique des monologues de Felipe à laquelle nous reviendrons sous peu. En revanche, La dimensión desconocida de Nona Fernández ne s'organise pas en chapitres, mais en zones. Ainsi, de la même manière qu'un musée de la mémoire, nous traversons, main dans la main avec l'autrice, quatre zones : Zona de ingreso/ Zona de contacto/ Zona de fantasmas/ Zona de escape. Dans La resta et La dimensión desconocida, les grandes figures historiques sont évincées et font place à l'histoire des foyers intimes, privés anonymes. En recourant à la stratégie intrahistorique Alia Trabucco et Nona Fernándezdonnent la voix au peuple, aux anonymes, signant toutes les deux l'épuisement des grands récits historiques généraux. Ainsi relisent-elles les traces du passé en créant un univers privé anonyme fictif ou en revisitant ces intimités briséesen se projetant, par le biais de l'imagination, dans le témoignage du bourreau. 2) Rés(is)tance78(*) et intimité dans La resta a) Structures familiales dissoutes
De Alejandra Costamagna à Lina Meruane en passant par Andrea Jeftanovic ou encore Andrea Maturana, les récits intimes subversifs sont légion dans la littérature de la post-dictature chilienne79(*). Relire les traces du passé violent traumatique depuis une perspective intimiste forme une des matrices de la poétique du nouveau roman historique contemporain et semble s'inscrire dans la constitution d'une identité féminine de la réécriture historique à l'ère post-dictatoriale d'une part et dans ce « giro subjetivo »80(*) qui caractérise les discours des sciences humaines depuis les années 70 d'autre part. Effectivement, tout comme le relève Marta Cichoka évoquant Biruté Ciplijauskaité: Muchas de las autoras jóvenes insisten en el elemento afectivo, en una visión que no deje de ser personal. En esto coinciden con la revolución general de la historiografía; hoy se prefiere fijarse no en los grandes acontecimientos y las figuras destacadas, contando las victorias y las derrotas, las leyes y las infracciones, como se solía hacer en los siglos anteriores, sino en lo que Unamuno ha denominado la «intrahistoria». [...] Se trata de una presentación de ambientes de gestación más bien que de acción precipitada.81(*) Les autrices de notre corpus, qui font usage de la stratégie intrahistorique, s'engagentà reconstruire un évènement global, collectif à travers les traces laissées au sein la sphère intime. Au même titre que La dimensión desconocida, sur laquelle nous nous pencherons prochainement, La resta revêt une dimension intrahistorique notoire, définie par Luz Marina Rivas: como la narración ficcional de la historia desde la perspectiva de los subalternos sociales, que aunque víctimas de la misma, no son sus agentes pasivos; tienen un bagaje histórico por vía de la tradición entendida con vínculo entre pasado y presente dado por la costumbre y los modos culturales trasmitidos generacionalmente. [...] La intrahistoria es, por lo tanto, una visión de la historia desde los márgenes del poder y tiene como protagonistas a personajes cuya tensión entre espacio de experiencia o habitus y horizonte de espera resulta en una conciencia del subalterno de un pasado y de un futuro muy distantes a los de la historia oficial.82(*) Dans La resta les familles des deux personnages protagoniques, qui se sont liées d'amitié lors d'une «assemblée révolutionnaire émouvante»83(*)comme Iquela le rapporte en nous décrivant «la photo en noir et blanc qui demeurait intacte sur le mur»84(*), s'étaient sans nul doute promis de se protéger, de lutter, de s'épauler mutuellement. Cette promesse vola en éclats le jour au cours duquel Consuelo, Hans, Ingrid et Rodolfo planifièrent leur fuite du Chili, en tentant de rejoindre l'ambassade allemande : Consuelo iba en la parte de la embajada. La parte en que todos, salvo ella, decidieron partir. Cuando Hans, Ingrid y Rodolfo (Víctor, quería decir Víctor) elaboraron un plan para huir de Chile, una idea que ella consideró cobarde (ella quería luchar, quería resistir). [...] Habían acordado juntarse en la esquina de la embajada de Alemania. A las doce del mediodía saltarían la pared y se irían. Paloma, sin embargo, sabía que eso no había sucedido; que solo habían cruzado Ingrid y Hans. [...] Llegó la hora del cambio de guardia. Un paréntesis. Cuatro minutos. Lo tenían estudiando y calculado. Rodolfo (Víctor, Víctor, Víctor) tenía que llegar a tiempo. Eso era todo. [...] Lo que ocurrió fue que Rodolfo no llegó. El cambio de guardia terminó a las doce y no hubo tiempo que perder, dijeron, es nuestra única oportunidad. Pero Consuelo no pudo irse. No cruzaría la pared sin Rodolfo. Mi madre se quedaría. Consuelo resistiría. Se subió al auto y lo echó a andar. Aceleró y se montó sobre la cuneta. Pasó por encima de los arbustos y siguió hasta que la pared de la embajada quedó a solo un centímetro del parachoques. Regresé a la cocina y desde ahí escuché el desenlace (palabras embalsamadas a la orilla de su boca): cuando detuve el auto frente a la muralla tus padres se subieron al capó, Paloma, luego al techo y desde ahí treparon y saltaron. Fueron los únicos en cruzar. Eso los salvó, dijo mi madre. [...] El cambio de guardia terminó antes de tiempo y desde la esquina, montados en un auto sin patente, aparecieron cuatro hombres de civil. Rodolfo, sin embargo, no llegó. Rodolfo había caído en la madrugada, pero eso lo averigüé tiempo después, dijo Consuelo (mi madre, Consuelo, Claudia, la botella de pisco en la pantalla). Yo pasé a la clandestinidad, pero él desapareció por mucho tiempo. Ocho meses en que no se supo nada, o casi nada, en realidad. Se supo que seguía vivo porque sus palabras dejaban huellas (huellas de personas con nombre y apellido).85(*) Ce fragment-ci, où Iquela rapporte la douloureuse désagrégation de la famille politique, en raison de l'obligatoire exil politique, est clé dans la mesure où il est également fait mention du destin tragique du père de Iquela, Rodolfo (Víctor), retrouvé puis fait prisonnier par la police politique. Cette détention force la mère de Iquela, Consuelo (Claudia), à demeurer au Chili, et à continuer de mener la résistance intra-muros. Une fois embarqué, le lecteur devine entre les interstices blancs du texte que Rodolfo est torturé et qu'il lui a été nécessaire de trahir un de ses amis : Felipe Arrabal, qui est aussi le père du jeune Felipe : Nunca hablábamos de eso. Era un pacto de niños, de él y yo sentados sobre la alfombra pretendiendo que jugábamos, fingiendo que en realidad no las oíamos, que en el living no pasaba nada, mientras mi madre y su abuela discutían a los gritos y nosotros las escuchábamos sin querer, sin querer saber que mi madre lo tenía que cuidar (a Felipe) como una deuda: es lo mínimo que me debes, había dicho su abuela Elsa, esto es culpa de ustedes, Consuelo, por andar jugando a la guerra le pasó esto a mi Felipe, algo habrán hecho los que siguen vivos, sí, algo hicieron todos ustedes. Y mi madre explicándole que no tenía culpa alguna, no entiendes Elsa, fue terrible, fue un error, y el error ni siquiera fue de ella, el error había sido de mi papá (de Rodolfo, de Víctor, Víctor se había equivocado), porque soltó dos palabras cuando se lo llevaron preso, dos palabras que, como una traducción equivocada, un tropiezo de la lengua, transformaron todo lo que pasaría. Dijo Felipe Arrabal, con nombre y apellido, dos palabras para borrar un cuerpo, pero eso Felipe no lo sabía y se suponía que yo tampoco y tal vez ni siquiera importaba o al menos eso queríamos creer y nos prometíamos no hablar, nos jurábamos olvidarnos, no recordar nada de ese pasado que no habíamos vivido pero que recordábamos con detalles demasiado nítidos como para que fuera mentira.86(*) Cet extrait, qui place les enfants en tant que témoins indirects de la tragédie familiale, est très illustratif, car il corrobore la nature intrahistorique de la fiction de Alia Trabucco. Ici, l'Histoire collective est transposée au domaine intime, familial, offrant ainsi une représentation microcosmique de la politique mémorielle appliquée par le pouvoir et imposée à la collectivité chilienne. L'allusion à l'existence d' «un pacte conclu durant leur enfance »87(*) et qui nous rappelle inévitablement le pacte de silence établi durant l'ère post-dictatoriale, justifie pleinement notre analogie. La collision entre l'espace politique et l'espace intime, l'effritement du dernier générée par le premier, constitue un second élément clef que nous nous devons de relever dans ce fragment. La pénétration de l'espace politique dans l'espace intime engendra la dissolution des liens familiaux, poussant à une restructuration de la famille. La violence politique qui démembra nombre de foyers intimes familiaux chiliens, et qui trouvent leur écho dans La resta, influe également sur la subjectivité des personnages. Face à ces restes persistant, La resta nous présente deux cas de figure incarnés par Felipe et par Iquela, qui constituent un «hybride intentionnel»88(*) offrant une perception fragmentée du monde. Si la voix de Felipe semble perméable aux échos du passé, Iquela, son amie, soeur adoptive traductrice et à la tendance oublieuse, rejette n'importe quel élément provenant de ce passé qu'elle tente de fuir. b) Un héritage empoisonné : Iquela Iquela, tout comme l'a déjà relevé Constanza Ternicier, mais de manière sommaire, véhicule l'idéologie dominante de l'ère post-dictatoriale. La voix de Iquela, aux antipodes de celle de Felipe, apparaît imperméable aux ondes de choc du passé traumatique voire fuyante : Mis ojos eran el problema; no sabían sostener esa mirada (sostener el peso de todas las cosas que ella había visto alguna vez). Se posaban nerviosos en sus labios delgados, en las cicatrices de los clavos perforando las paredes. Y si yo conseguía forzarlos, si respiraba hondo y lograba por un momento sostener esa mirada, mi madre arremetía implacable: tienes mis ojos, Iquela, cada día te pareces a mí (y el peso de todas las cosas me devolvía la vista al suelo).89(*) [...] Entré a la cocina a buscar agua, así que no escuché por dónde comenzó el relato. De seguro le hablaría de la oscuridad: que esos días (sus días) se anunciaban más largos y oscuros [...] De niña yo le rogaba que me contara esa historia con protagonistas conocidos [...] Oí a Paloma pedirle que empezara por el principio, que no se saltara ninguna parte: cómo se conocieron?, dijo y yo cerré la puerta a mis espaldas.[...] Del otro lado de la puerta, frases entrecortadas, oraciones tercas que conseguían alcanzarme.90(*) [...] Llené un jarro con agua y volví al comedor. Mi madre narraba la parte de la célula (células sin mitocondrias, ni núcleos, ni membranas). Habían conformado una célula para preparar la lucha, intuyendo que se aproximaban los días negros (días aciagos en que esperaban, miraban, sabían). Hasta que sucedió: llegaron los días de la clandestinidad y yo me paré y salí del comedor, mi copa colmada de un vino que no era tinto, sino indudablemente rojo. Recorrí la casa deseando encontrar una puerta abierta, una salida.91(*) Face à la curiosité de Paloma, son amie d'enfance, le lecteur assiste à l'indifférence absolue et patente de Iquela -sentiment renforcé par l'action «llenar» et «colmar», qui indiquent, métaphoriquement, l'agacement, l'étouffement, et qui poursuit le lecteur tout au long du roman92(*)- envers l'histoire familiale, « cette histoire avec des protagonistes connus»93(*). L'étonnement qu'éprouve Iquela lorsqu'elle entend l'adjectif « rojo », stupeur mise en relief typographiquement par la mise en italique dudit adjectif : « ( había dicho rojo realmente ?) »94(*), est très significatif. Il est en effet nécessaire de rappeler qu'à ce moment-ci de la diégèse, la famille de Iquela et de Paloma attendent impatiemment les résultats du référendum de 1998 au Chili, où, rappelons-le, le « no » l'emporta. L'adjectif « rojo » connote inéluctablement ce passé présent douloureux et, plus précisément, la dissidence traquée et réprimée sous la dictature. Pour revenir à notre illustration, l'histoire familiale est narrée avec une langue qui, aux yeux de Iquela, est corrompue.Dans Les Yeux de la langue, Jacques Derrida nous rappelle que : La dette, [...]la culpabilité est inscrite dans la langue où elle laisse sa signature. Si une génération doit payer pour une autre [...] cela ne tient pas seulement à une logique propre de la vengeance [...]. [Elle] tient [...] au fait que la vengeance passe par la langue.95(*) De cette manière, dans La resta, « [i]l n'est [...] plus possible de penser l[a] [langue] comme système de signes -il nous faut plutôt l'envisager comme lieu d'affrontement entre forces adverses. »96(*) Les cendres du passé font retour dans la langue97(*), elle est corrompue. Rappelons à cet égard et aux côtés de Jean-Jacques Lecercle, dont les travaux se centrent sur la présence du reste dans la langue, que : La relation entre la langue et l'évènement (la langue nomme l'évènement ; à ce titre elle en est une partie, elle y contribue -les mots, lorsqu'ils pénètrent les masses, peuvent changer le monde) est réciproque. Car les évènements, à leur tour, changent la langue. Puisqu'ils y sont enregistrés, qu'ils y persistent, ils modifient son équilibre. En conséquence, la langue est surchargée de conjonctures anciennes. Parce qu'elle est stable, qu'elle conserve, elle est vouée à une instabilité constante, tandis que de nouvelles conjonctures viennent troubler son précaire équilibre98(*) En ce sens, Iquela ne manque pas de faire remarquer l'écart langagier entre sa génitrice et elle-même («mi madre narraba la parte de la célula (células sin mitocondrias, ni núcleos, ni membranas)»). Cet écart est typographiquement mis en relief par l'incise et contribue à creuser l'abîme entre Iquela et sa mère et tend à nous montrer qu' « [o]n n'écrit qu'avec les mots des autres, en reconnaissant qu'ils ne nous appartiennent pas, mais n'appartiennent pas davantage à ceux qui, avant nous ou à côté en ont usé. »99(*)Ainsi, le lecteur relève la volonté de la part d'Iquela, pour qui la «célula» fait appel à l'organisme biologique, de construire sa propre identité, sa propre histoire en refusant de parler une langue contaminée par la violence du passé, la langue « des autres » employée par sa propre mère pour qui la «célula» renvoie aux conciliabules qui se tenaient pour fomenter la rébellion contre l'ordre dictatorial établi. Iquela tente, vaille que vaille, de « trouver une porte ouverte, une sortie »100(*) pour semer ce passé trop présent à son goût, ainsi que des responsabilités qu'il implique. Iquela se refuse donc d'assumer un quelconque héritage tant physique que historique provenant de sa mère, cette personne « d'une autre époque »101(*), qui possède sa propre histoire dont les débris parviennent jusqu'à ses pieds. Il nous faut préciser que Iquela hérite d'un terrible fardeau : « l'erreur de [son] père»102(*) qui, rappelons-le brièvement une nouvelle fois, trahit le père de Felipe, son ami. C'est l'ambiguïté qui constitue toute la richesse du personnage diégétique de Iquela. Elle apparaît ainsi comme la figure en tension entre la fuite qui la pousse à se déraciner de son passé inachevé -la fermeture de la porte est, en ce sens, très illustrative-, et la culpabilité, qui l'enracine dans ce même passé et l'oblige à entreprendre la recherche du corps de la mère de Paloma. Pour Iquela, cette recherche est un acte rédempteur, car elle peut lui permettre de « réparer quelque chose qui a été irrémédiablement rompu »103(*) et fermer définitivement la porte du passé. L'arrivée des trois personnages, Iquela, Felipe et Paloma au hangar 7, à Mendoza, mérite également une grande attention, car c'est précisément à ce moment-ci que le caractère ambigu de Iquela se dévoile. L'alternative que propose Iquela, une fois positionnée « face au verrou »104(*) du hangar 7, métaphore spatiale de la mémoire collective, consistant en « fai[re] autre chose, profit[er] du voyage »105(*), est extrêmement symbolique, car elle manifeste l'inconfort, la crainte que ressent toute une collectivité déchirée dont les blessures restent vives. De plus, lorsque Iquela découvre le point de chute de la tombe de Ingrid dans ce labyrinthe mémoriel, elle hésite à le révéler à Felipe et Paloma. De là surgit l'alternative du mensonge, de l'effacement, puisque Iquela « consider[ó] quitar el papel y reemplazarlo por uno nuevo : un nombre genérico y cualquier apellido [...] Y luego pens[ó] en mentirle a Paloma [...] borrar a Ingrid [...] »106(*). Il aurait suffi d'une poignée de mots pour qu'un corps se fasse poussière... mais Iquela décidera de se rendre auprès de Paloma afin de lui dévoiler où le corps de sa mère repose. La relation qu'entretient Iquela avec sa mère illustre parfaitement la tension récemment évoquée entre la culpabilité et la fuite : Me paré para ir al baño y caminé por un pasillo que separaba dos ambientes. Al final del pasillo un cable enredado, un auricular brillante de grasa y una guía comercial desmembrada, me invitaron a acercarme como a un tesoro. Me detuve indecisa entre el teléfono y el baño, esperando que el azar definiera si hablaría o entraría [...] Imaginé qué iba a decirle (otro tono), cada una de las frases de las que podría deshacerme (otro más), pero no pude pensar en ninguna y como no hubo respuesta, corté.107(*) La fugue à laquelle aspire Iquela, suppose aussi une séparation avec sa mère. Bien qu'elle promette de tirer profit de son escapade à Mendoza, afin de prendre un souffle nouveau, oublier sa mère et « todo, todo, todo »108(*), une pulsion inattendue la pousse à appeler sa mère, appeler le passé. Mais celui-ci ne lui répondra pas. Cependant, « il n'est pas possible de représenter le monde idéologique de l'Autre sans lui donner sa résonance, sans découvrir ses propres paroles »109(*). Ainsi, Felipe est la voix qui incommode car, par la voie du délire, elle s'acharne à donner une forme à l'informe, à tenter de dire l'indicible, creusant l'écart avec le discours de Iquela. c) La « hantise par imprégnation »110(*) chez Felipe La dissolution de la structure familiale que nous avons évoquée précédemment affecte tout particulièrement le personnage diégétique Felipe, personnage hybride s'il en est. Tout au long de l'oeuvre le lecteur suit la quête de Felipe pour retracer, se reconstruire une toute nouvelle identité. L'hallucination lucide, « modalité pathologique de l'incrustation du passé au coeur du présent »111(*), pour reprendre Paul Ricoeur, transforme le corps et la subjectivité de Felipe en espaces d'interférences entre passé et présent. Au même titre que l'intimité familialeperméable, l'intimité de Felipe, par la voie/ voix de l'hallucination, s'ouvre aux souvenirs douloureux de l'Autre, tente de leur donner une forme en projetant dans l'univers sensible diégétique la présence de l'absence, l'abject: por eso yo los veo (los muertos-vivos), porque tengo otro punto de vista, en cada poro un minúsculo ojo nacido de esa córnea, y con todos ellos veo muertos si los hay112(*)[...] Por más que ande acompañado o que pasen otros por el mismo lugar, siempre soy yo el que los encuentra, una y otra vez mis cientos de ojos se dilatan y los ven, en cambio la Iquela no ve nada: ella va pavoneando, comentando el reflejo del sol en los ciruelos, describiendo cómo se estiran las sombras de los edificios sobre el piso, y yo solamente asiento, ajá, le digo, mmm, qué interesante Ique, pero nunca veo esas cosas yo, nunca veo cosas bonitas y claras y comunes, y ella por otro lado, no ve cosas feas ni raras ni importantes, no ve muertos113(*) Dans ce fragment qui s'étend face à nous dans toute sa profondeur sensorielle et qui met en scène, par un réseau important d'adversatives et de mises en relief, le phénomène du perspectivisme opposant le « yo » anamnestique de Felipe et le « ella » de Iquela, le lecteur assiste à la transmutation de la réalité triviale, qui n'est pas sans rappeler l'alchimie du verbe rimbaldienne. Cette « langue de l'alchimie »114(*), « langue maternelle de la rêverie cosmique »115(*)que parle Felipe, pousse l'écriture romanesque à buter contre les bords de contention créatifs institutionnels pour les fissurer, les violer et fusionner avec le champ/chant poétique. « Échappant, fuyant, déroutant, ce non-objet »116(*)qu'est la figure du « mort-vivant », qui rappelle incontestablement la violence dictatoriale cachée : n'est [cependant] saisissable que comme signe. C'est par le truchement d'une représentation, d'un voir donc qu'il se maintient. Hallucination visuelle qui rassemble en dernière instance les autres (les auditives, les tactiles...) et qui, faisant irruption dans une symbolicité normalement calme et neutre, représente le désir du sujet. À l'objet absent, un signe. Au désir de ce manque, une hallucination visuelle.117(*) L'hallucination visuelle mobilise la sensation corporelle chez Felipe, afin de toucher l'invisible, de retrouver « l'objet absent ». Felipe grandit au milieu de cette violence, qui a laissé de profondes traces dans sa psyché : en realidad me faltaba aire, sí, escaseaba el oxígeno, porque en esa época el Rodolfo seguía en la pieza enfermo y a mí no me gustaba su olor agridulce, a frutas podridas, a químicos que entraban por la nariz y bajaban a la guata, y en su desparramo todo se iba pudriendo, se iba poniendo triste, eso pensaba yo, porque hasta las chirimoyas estaban tristes en esa casa!, por eso me fui, ese olor me estaba matando y yo no me quería morir, no señor, así que agarré mis cosas y calladito recorrí el pasillo de la casa, crucé el antejardín y ya, pero cuando aún estaba a tres o cuatro cuadras no se me iba la sensación de tener arena en la garganta, por más que tragaba y escupía no se me pasaba, no, y me dio susto que el olor se me hubiera contagiado y circulara por mi sangre para siempre hedionda, por eso me puse a sacar flores, al principio rosas que aplastaba contra mi nariz hasta robarles todo su olor, hasta estrujarlas completas, sí, eran puñados de rosas las que usaba y tiraba al suelo para después perseguir a los acantos, con sus lenguas blancas y su olor dulce, tan rico que las chupaba como flautas, así iba yo comiéndome el néctar mientras dejaba a la ciudad sin flores, secuestrando pétalos descuartizados, separados de los sépalos y los estambres y las corolas y las antenas y los tálamos flotando en las canaletas, ahí con los guarisapos abandonaba las flores despedazadas, canoas blancas en el agua turbia para que los pirigüines navegaran, pistilos flotantes con sus bichos-capitanes, y yo paseaba por Santiago y me comía los tallos y el polen y colgaba mis ideas de los cables del tendido eléctrico por si se iluminaban, como esas zapatillas suspendidas como planetas blancos en el cielos negro, eso quería yo, dejar Santiago sin flores y adueñármelo118(*) Ce fragment monologique et en tension entre la soustraction et l'accumulation -opérée par les multiples conjonctions de coordination-, qui laisse voir un Felipe ivre de colère, s'organise autour de motifs qui suivent le lecteur tout au long de sa lecture, qui sont la maladie, la désintégration, mais surtout, la violence. Nous ne nous étonnerons donc pas de relever tout un réseau de verbes qui dénote cette violence féroce, antibiotique à l'égard de la flore. Cette violence est traduite ici par le dépouillement par l'absorption ou l'arrachement. Ce passage nous offre donc le portrait d'un Felipe tortionnaire dénué d'humanité. Felipe est également la figure qui se meut instablement sur la frontière entre l'humain et l'animal. Pour preuve voici un fragment où le lecteur assiste à sa déshumanisation : y ya de vuelta a Santiago, en el corazón de las cenizas, debo detenerme un segundo, arquearme y exhalar la calma embalsamada, y con cada exhalación hundir mis manos en un hoyo, un agujero que voy a hacer con mis uñas duras, porque voy a excavar hasta que la tierra negra esconda mis lúnulas, mis cutículas, mis uñas transformadas en pezuñas de quiltro, sí, y con mis cuatro patas peludas y mi hocico puntudo voy a escarbar, con mis garras sucias voy a arañar las cenizas hasta dibujar una línea que diga menos, sí, y ahí voy a enterrarlos, en ese menos hundirlos, clavarlos, bajarlos con cuidado a esa tierra reseca y mía, plantar esos huesos y tirarles tierra arriba, cubrirlos de polvo y después contemplarlos con mis ojos, mis cientos de ojos extáticos al ver ese montículo de tierra fértil, y entonces, cuando cada uno de mis muertos esté abajo, voy a escarbar otra vez el mismo hoyo, excavar y sacar la tierra para desenterrarlos, uno por uno exhumarlos, lamerlos y velarlos otra vez, todos los días y todas las noches de toda mi vida119(*) [...] Progressivement, Felipe s'animalise et obtient une physionomie identique à celle du « quiltro ». Cette animalisation n'est pas sans rappeler la figure mythologique de Cerbère, qui veille à ce qu'aucun mort ne s'échappe des Enfers et à ce qu'aucun vivant ne récupère ses morts. Ce parangon peut être justifié si nous rappelons la volonté d'appropriation du cadavre exsangue de Ingrid et la dissonance qu'il génère entre Iquela et Felipe. Ce dernier doit s'accaparer de ce corps tant convoité et tant recherché. L'angoisse que ressent Felipe lorsque Iquela révèle avoir trouvé le cercueil de Ingrid est en sens significative : [...] entonces me distraigo, la Iquela me habla, la Iquela grita fuerte que la encontró, eso dice, la encontré, y yo me acerco y no puede ser, porque nadie encuentra lo que no busca y la Iquela nunca quiso hallar a esta muerta, pero igual repite que la encontró y solo entonces la veo: hay un ataúd y un papel chiquitito con su nombre, y cierro los ojos espantado y toco la madera con mi palma transpirada, porque debo ser yo el que la encuentre, Iquela, yo, por la cresta , deja de meterte donde no te incumbe, porque la muerta es mía, es mi resta120(*)[...] Ainsi, Felipe se fonde une nouvelle identité autour de la figure du « quiltro », une identité ambivalente fondée par conséquent sur la déshumanisation. La lecture, ainsi que l'analyse des monologues de Felipe nous force à constater l'omniprésence de l'oralité populaire, qui constitue un premier pas vers le processus de féminisation de l'écriture. Ainsi, Felipe prend en charge la pensée féminine latino-américaine « que adhiere a [la] metafísica de lo primigenio [...] [y que se encuentra] en el reverso del modelo colonial como modelo blanco, letrado y metropolitano, es decir, en la oralidad popular. »121(*) : [...] al menos en eso fue considerada mi mamá, ni molestó con su funeral, de un zuácate se murió: cáncer de pena, chao pescao, ni restarla pude porque yo era chico122(*) [...] y el paco [...] llamó al sargento y repitió mi nombre: afirmativo, mi sargento, Arrabal con be larga, y yo ahí esperando mientras él buscaba entre papeles y carpetas con cara de no entender, arrugando su piel como un bulldog, igualito a Don Francisco, y entonces cortó el teléfono y me dijo: imposible, y después con un tono ronco y enojado: no estoy pa' que me aguarrís pal' hueveo, cabro culiao, cómo te llamai?, y yo diciéndole, Arrabal con be de burro, de bestia, de bocón, con be de bruto, le dije, Arrrrrrrabal123(*) [...] Ici, l'oralité populaire se manifeste à travers les crases, les élisions matérialisées par la présence de l'apostrophe, et à travers le voseo. D'autres phénomènes relevant de la langue orale figure dans la voix de Felipe, tel est le cas de la chute de la dentale « d » en position intervocalique (« pescao »). Parler une langue, employer les mots qui la composent, c'est inévitablement maintenir vives les racines des langues qui ont contribué à former un mot donné. Ainsi, dans l'emploi de l'oralité il nous faut relever l'emploi accru de vocables qui puisent leur origine dans la variété des langues de certains peuples indigènes (mapundungun, quechua ou encore arawakienne (Taïnos, plus précisément)): yo anoto en mi cuaderno como en el conteo de votos restando, desde el primero en adelante, ese que apareció entrada la noche, conmigo vagando distraído por la Plaza de Armas, viendo a los guarenes comerse los restos del maní confitado, en eso andaba yo, tomando aire de preemergencia, oliendo las flores negras en la noche negra, intentando ventilarme las ideas del día, cuando de repente veo una cosa rara en medio de la plaza, ahí donde había una horca, donde colgaban a los ladrones, a los ateos, a los infieles, en ese lugar veo algo inusual y me acerco, sí, y por un momento creo que es un quiltro durmiendo la siesta124(*) [...] en realidad me faltaba aire, sí, escaseaba el oxígeno, porque en esa época el Rodolfo seguía en la pieza enfermo y a mí no me gustaba su olor agridulce, a frutas podridas, a químicos que entraban por la nariz y bajaban a la guata125(*) [...] así iba yo comiéndome el néctar mientras dejaba a la ciudad sin flores, secuestrando pétalos descuartizados, separados de los sépalos y los estambres y las corolas y las antenas y los tálamos flotando en las canaletas, ahí con los guarisapos abandonaba las flores despedazadas, canoas blancas en el agua turbia para que los pirigüines navegaran, pistilos flotantes con sus bichos-capitanes, y yo paseaba por Santiago y me comía los tallos y el polen y colgaba mis ideas de los cables del tendido eléctrico por si se iluminaban, como esas zapatillas suspendidas como planetas blancos en el cielos negro, eso quería yo, dejar Santiago sin flores y adueñármelo: que todas las palomas fueran mis aves y también los zancudos y los pichones y las loicas126(*) [...] pero ella y yo no queríamos tener hijos, por ningún motivo, hijos sí que no, cómo íbamos a tener hijos si nosotros éramos los hijos?, ni loca choznos, dijo la Iquela y menos mal, porque andar pariendo solo enredaría las cosas, complicaría las matemáticas con guaguas y más guaguas empecinadas en nacer127(*) [...] y me perdí, sí, porque Santiago era grande-grande y no tenía mar para orientarme, y ahí sí que me asusté, pero un poquito nomás porque me encontré con un quiltro huacho128(*) [...] la Consuelo entró a la pieza de alojados y me dijo: prohibido pasarse a la cama de la Ique, cabrito, como si yo quisiera dormir con ella, si nosotros habíamos acordado que seríamos choznos o que ella sería mi papá y yo su hija, pero pololos nunca, claro que no!129(*) [...] La voixexcentrique de Felipedéfieainsi: el paradigma de autoridad de la « ciudad letrada » (A. Rama) -un paradigma trazado por la inteligencia razonante del conquistador [...] [y que] se ha impuesto sobre la pluralidad etnocultural de cuerpos y lenguas domesticadas a la fuerza por el canon erudito de la palabra occidental130(*) Felipe syntonise ainsi donc avec la « pluralité qui symbolise alors la contre-mémoire réprimée du féminin qui s'oppose au masculin-occidental. »131(*)En faisant usage de l'oralité populaire, l'écriture de Alia Trabucco dégage l'Autre, l'indigène et sa langue, des griffes de l'oubli. De cette manière, la voix de Felipe se démarque de celle de Iquela, car elle se montre plus inclusive, plus ouverte, hybride, sans limite. Dans La dimensión desconocida, l'exploration du témoignage de El Papudo poussera le yo de Nona Fernández à se faire rhizome. 3) Le yo disséminé de Nona Fernández a) L'exofictif Nona Fernández aborde la tragédie collective depuis une perspective novatrice. Si une grande partie des oeuvres de la post-mémoire chilienne s'attachent à relire le conflit depuis l'éternelle dichotomie victime-victimaire, Nona Fernández, en revanche, interroge la responsabilité de la société civile de l'époque et tente de comprendre, interpréter le conflit en adoptant le lieu d'énonciation du bourreau pour déboucher, finalement, sur le sort des victimes. Il convient de préciser ici que ce dernier élément est totalement novateur, car la perspective pour laquelle opte le plus souvent les écrivains s'oriente plutôt vers une dynamique victime-victimaire et non victimaire-victime. Pour autant, le point de vue des victimes n'est pas délaissé, tel que nous le verrons au fil de notre travail. Dans son discours intitulé « Escribir para salvar vidas », Nona Fernández déclare : Qué es escribir sino dar una especie de testimonio? Testimonio de una época, de una experiencia, de una memoria. Me gusta entender la escritura desde ese lugar, desde el lugar de las huellas. Señales que quedan en el cuerpo y en la biografía como enigmas a descifrar con el tiempo. Si nos pensamos como engranajes de una gran máquina, o como capítulos de una historia más grande, cada relato personal con el que aportemos otorga más carne y más sangre a ese relato general que a veces corre el peligro de encriptarse en museos, en historias oficiales, en versiones unívocas y clausuradas. La ficción entrega siempre esas «otras versiones». Versiones deformadas, bizarras, oscuras, delirantes, secretas, personales, pequeñas, domésticas. Y aunque no creo que sea su responsabilidad, porque la ficción es libre de responsabilidades, creo que si es obligación de cada autor mantener la ventana abierta hacia fuera [...] y mirar más allá de su ombligo.132(*) En se propulsant, en s'exilant dans l'effroyable témoignage livré par El Papudo, « trace archivée » contre-littéraire133(*), avec La dimensión desconocida, Nona Fernández ouvre une fenêtre vers l'Autre. Dans La dimensión desconocida, afin de témoigner pour les victimes, Nona Fernández est amenée à « exploit[er] les pôles »134(*) du réel et de l'imagination. Les mouvements qu'elle suppose entre le dedans et le dehors, mais surtout celui du dehors car c'est chez l'Autre -bourreau et victimes-, qu'elle se réfugie par le biais de l'imagination dans le but de déchiffrer l'énigme collective du passé, fait d'elle une authentique oeuvre exofictive. Rongé par les remords, El Papudo ou Andrés Antonio Valenzuela Morales, qui remplit les fonctions de tortionnaire sous la dictature pinochetiste de 1976 à 1984, finit par se rendre au siège de la revue chilienne Cauce, l'une des revues opposées au régime dictatorial, pour y avouer les crimes d'État commis auxquels il prit part. C'est précisément dans le témoignage qu'il livra que Nona Fernández se projettera.
b) Le témoignage : surface de projection En Amérique latine, la naissance du témoignage est fixée lors de la période des conquêtes : c'est la naissance du témoignage colonial. L'écriture testimoniale avait ainsi pour finalité de justifier l'entreprise de la conquête, dotant les écrits des conquérants d'une valeur indéniablement historique. Nous nous rangeons à l'avis de Noemí Acedo Alonso, pour qui le témoignage serait la dernière manifestation de : la línea predominante de la tradición literaria hispanoamericana, [que es aquella que cumple] con una funcionalidad ética y política de la imaginación discursiva [cuyo] punto de partida [se encuentra] en los cronistas de Indias, se afianza en el romanticismo político de Sarmiento, Lastarria y Echevarría, se continúa en la escritura naturalista, florece polémicamente en el indigenismo y el neorrealismo de 1940 para culminar en la vertiente testimonial135(*) Toutefois, définir le « genre testimonial » et retracer sa généalogie n'est pas chose aisée. En effet, «[e]l testimonio se ha convertido, más que en un género productivo, en un problema teórico que genera múltiples relecturas metacríticas. Nos encontramos, por lo tanto, con un proceso que conduce al género hacia su agotamiento creativo [...]»136(*). Nombreux furent les écrivains qui, sous le joug des dictatures ou consternés par des évènements intolérables, s'emparèrent de leur plume pour livrer un témoignage. Ainsi, le témoignage, qui détient une valeur historique précieuse,a très tôt coexisté avec la fiction romanesque, offrant au lecteur un espace de tension, de mouvements perpétuels entre « un pôle d'a-littérarité et un pôle de littérarité »137(*), faisant de lui « un genre de travers »138(*).Effectivement : le texte-témoin peut se couler dans de multiples « genres » au sens classique du terme. On le voit traverser les genres « autobiographiques » avec lesquels il s'est longtemps confondu (mémoires, récit de voyage, récit de soi, journal, lettres), et autres « genres factuels relevant d'une « poétique du savoir » (chronique, récit historique, essai, traité philosophique...) ; mais en traverser bien d'autres, relevant des trois grands « modes » nés de la vieille triade post-aristotélicienne : bien sûr le narratif, mais aussi le dramatique et le lyrique.139(*) Nona Fernández, « la mujer que está dispuesta a pintarse un bigote para asumir su rol [al verdugo] »140(*) et qui dirige le récit, se dédouble, s'exile et, par empathie fantasmatique, se glisse dans la peau du tortionnaire et de ses victimes. En d'autres termes, dans La dimensión desconocida le yo intime de Nona Fernández, telle une météorite qui entrerait au contact de l'atmosphère d'une planète inconnue, s'érode, s'émiette, se disperse et : Des permutations et des superpositions s'opèrent, signifiant que l'unité du sujet se divise et se multiplie, de sorte qu'il peut occuper en même temps toutes les instances du discours. Ces instances ne sont plus alors que des charnières qui permettent d'arrêter un instant le procès signifiant mais pour le relancer immédiatement vers d'autres instances.141(*) De telle sorte que si : la narration classique camoufle le fantasme par la convention des personnages, ou par des justifications logiques multiples, que les études des relations actancielles ont examinées [...] [e]n se libérant de ces conventions, le texte moderne présente le fantasme à nu, en tant que production d'un conflit dans l'instance du sujet de l'énonciation. Le texte moderne se destine même spécifiquement à présenter ce conflit en tant que tel.142(*) Les fragments que nous exposons ci-dessous sont à cet égard très illustratifs : De niña tuve debilidad por las historias de fantasmas. Viví en una casa larga y vieja que crujía por las noches y que según mi fantasía infantil estaba completamente habitada por aparecidos. Vi sombras que cruzaban el pasillo a medianoche y escuché el sonido de pasos taconeando el parquet. Sentí risas o conversaciones en la pieza del fondo de gente inexistentes. Oí muebles que se movían, vasos que se quebraban, escobas que barrían. Si todo era real o parte de mi delirio infantil nunca lo sabré, pero supongo que gracias a ese imaginario de niña sintonicé enfermizamente con las historias de ánimas. Me sentía emparentada con ellas como si hubieran sido escritas para mí. En cuanto aprendí a leer me sumergí en los libros que las contenían. [...] Imagino al hombre que torturaba así, como uno de los personajes de aquellos libros que leí de niña. Un hombre acosado por fantasmas, por el olor a muerto. Huyendo del jinete que quiere descabezarlo o del cuervo que lleva instalado en el hombro susurrándole a diario: Nevermore Ahora va en un bus sureño rumbo a Bariloche. Está rodeado de campesinos mapuches que viajan igual que él. En el bolsillo de su chaqueta trae su carnet y su pasaporte nuevos, listos para inaugurarse en el paso de los Andes a la Argentina. Atrás o adelante, en alguno de los asientos, no muy cercano, viaja otro abogado de la Vicaría. No lo conoce, pero sabe quién es porque son los dos únicos pasajeros no mapuches del bus. [...]143(*) Cuando leí este libro mi profesora nos dio una tarea. Debíamos escribir en una composición el relato de dos navidades. Una que recordáramos y otra que imagináramos en un futuro probable. No recuerdo qué habré escrito. [...]144(*) Quiero imaginar que esa tarde de diciembre de 1984, mientras huye del país y viaja nervioso, trasladándose rumbo a Argentina, entre medio de todos esos campesinos entusiasmados con las fiestas, con sus regalos en las maletas, en los canastos, con la fantasía de un pino navideño y algunas guirnaldas luminosas made in China, canturreando el Jingle Bells en ese paisaje nevado como los que traen las bolas de vidrio decoradas con trineos y viejos pascueros, el hombre que torturaba recibe la temible visita del Fantasma de la Navidad Presente. [...]145(*) En l'espace de quelques pages, une tension se dessine : le récit, où le fantasme est mis à nu et qui dévoile sans doute un autre dialogue intertextuel avec le poème « Nevermore » de Paul Verlaine146(*), se retrouve tiraillé entre le récit personnel rétrospectif et le récit impersonnel, entre mouvement centripète et mouvement centrifuge, entre le dehors et le dedans. Dans cet exemple, le récit autobiographique constitue une charnière, un espace d'impulsion extérieure, par rapport au récit biographique de El Papudo, car il permet d'une part la récupération d'un imaginaire enfantin hanté par la présence spectraleet d'autre part sa réutilisation pour la relecture d'une partie de la biographie du tortionnaire. La dimension autobiographiqueen collaboration avec le blanc typographique annonciateur de ce changement de perspective énonciative, tient lieu de charnière car elle « relanc[e] immédiatement [le procès signifiant] vers d'autres instances ». Or, ici ou là, c'est l'absence de guillemets qui met à mal la disposition typographique des paroles rapportées, qui engendre une superposition de voix : El abogado dice, y yo voy imaginando y escenificando mientras lo hace, porque conozco tan bien sus palabras que podría repetirlas de memoria imitando incluso la inflexión de su voz. Mire, yo voy a grabar, pero no me voy a quedar mucho con la grabación sino con sus palabras. Yo quiero que usted me hable y mientras lo haga yo voy a escribir. Para mí escribir significa fijar sus palabras. Para mí escribir significa darme cuenta y entender lo que usted dice y lo que le debo preguntar.147(*) [...] No quiero que mis hijos sepan lo que fui, dice. Voy a volver a mi trabajo y voy a pagar el precio de lo que he hecho. No me importa que me maten. El abogado ha estado durante tres días tomándole testimonio en el salón parroquial. Imagino que están cansados y mareados de tanto registro. Si yo estoy haciendo esto es para que no haya más muertes, le responde. Usted nos está ayudando con la verdad, pero no a cambio de su vida. No vamos a hacer nada con su testimonio si no lo ponemos a salvo primero. 148(*) La suppression délibérée des guillemets dévoile le refus d'accepter les conventions littéraires artificielles de mise en forme des paroles rapportées de la part de l'autrice, teintant son oeuvre d'une dimension clairement méta-fictive et laissant entrevoir le conflit dans l'instance du sujet de l'énonciation. Le yo de Nona Fernández acquiert une dimension miroir, favorisée par le franchissement des niveaux narratifs. Il est en conséquence : [r]assembleur de temps et d'espace, [...] un point de concentration : centre de diffusion aussi bien, son rayonnement est tel que, à l'instar d'une pierre jetée dans une eau calme, il donne naissance, sans déperdition d'énergie, à une multitude de cercles concentriques qui gravitent autour de lui.149(*) Ainsi, le premier fragment cité donne-t-il à voir le reflet du «yo» de l'avocat («Mire, yo voy a grabar, pero no me voy a quedar mucho con la grabación sino con sus palabras. Yo quiero que usted me hable y mientras lo haga yo voy a escribir. Para mí escribir significa fijar sus palabras. Para mí escribir significa darme cuenta y entender lo que usted dice y lo que le debo preguntar.») sur le«yo»métaleptique150(*)de l'autrice («y yo voy imaginando y escenificando mientras lo hace, porque conozco tan bien sus palabras que podría repetirlas de memoria imitando incluso la inflexión de su voz.»), tandis que le second fragment cité donne à voir la réflexion entre le «yo» du tortionnaire («No quiero que mis hijos sepan lo que fui, dice. Voy a volver a mi trabajo y voy a pagar el precio de lo que he hecho. No me importa que me maten.»), le «yo» de l'autrice («Imagino que están cansados y mareados de tanto registro.») et le «yo» de l'avocat, qui fut d'une grande aide pour le tortionnaire car c'est, rappelons-le, grâce à lui qu'il obtint de nouveaux papiers d'identité pour fuir le Chili sans éveiller le moindre soupçon. («Si yo estoy haciendo esto es para que no haya más muertes, le responde. Usted nos está ayudando con la verdad, pero no a cambio de su vida. No vamos a hacer nada con su testimonio si no lo ponemos a salvo primero.») En l'absence de guillemets, ces deux niveaux narratifs se frôlent dangereusement au point de mettre le lecteur dans une position instable. Toutefois, cette superposition ne demeure qu'une simple impression. En effet, la présence de verbes de parole tels que « dice », « le responde » ou encore les blancs typographiques, permettent d'éclairer la situation d'énonciation qui s'offre à nous. c) Un musée intime de l'horreur Retisser un épisode de la vie du bourreau pousse l'autrice à démultiplier sa propre subjectivité, à explorer « [l]'immense mer obscurede la quatrième dimension [...] »151(*). Carol Flores, los hermanos Weibel Navarrete, CarlosContreras Maluje, Miguel Ángel Rodríguez Gallardo, Alonso Gahona Chávez, Bratti Cornejo, Lucía Orfilia Vergara Valenzuela, Sergio Peña Díaz, Arturo Jorge Villavela Araujo, Hugo Norberto Ratier Noguera, Alejandro Salgado..., de la même manière qu'un « musée de la mémoire », le lecteur découvre « un puzzle d'enlèvements »152(*) à reconstruire. Bien que le témoignage de El Papudo constitue une surface de projection indéniable grâce à laquelle Nona Fernández s'octroie la possibilité, par le biais de l'imagination, de rejoindre ce « morceau d'espace extérieur où elles [les victimes] sont perdus, à la dérive, tels des astronautes ayant perdu tout contact, tousces visages qui ont été avalés par une autre dimension »153(*), l'autobiographie constitue également un espace de projection. En guise d'exemple, lisez plutôt: La alarma del reloj suena a las 06 :30 todos los días. Desde ese momento, lo que se viene es una larga cadena de movimientos acelerados y torpes, que intentan comenzar la mañana espantando el sueño y guardando la compostura entre los bostezos y las ganas de seguir durmiendo. Muebles que se abren, tazas que se llenan de café y leche, llaves de agua que comienzan a correr, duchas, cepillos de dientes, desodorantes, peinetas, pan tostado, mantequilla, las noticias de la mañana, el locutor anunciando el portonazo de turno o el colapso diario en las vías públicas. Luego calentar el almuerzo para mi hijo, meterlo en el termo, prepararle una colación para el recreo. [...] Cuando mi hijo era chico comenzó esta rutina. En ese tiempo no teníamos auto, y cada mañana lo despedía en la puerta de la casa desde donde partía caminando de la mano de su papá al jardín infantil. Yo lo besaba y lo abrazaba con fuerza porque secretamente sentía pánico de que esa fuera la última vez que lo viera. Pensamientos terroríficos me acechaban cada vez que nos separábamos. Imaginaba que una micro se le venía encima y lo atropellaba, que algún cable eléctrico se desprendía de los postes callejeros sobre su cabeza, que un perro loco salía de una casa y se le tiraba al cuello, que algún degenerado lo pasaba a buscar al jardín infantil, que el hombre del saco lo raptaba para no devolverlo nunca más. Las posibilidades dramáticas eran infinitas. [...] Con el tiempo esa locura terminó.154(*) [...] Imagino el reloj de los Weibel marcando la hora del inicio, quizá las 06:30 también, lo mismo que nosotros aquí. Imagino a José y a María Teresa, los padres de la familia, levantándose con rapidez de su cama y delegándose las misiones de la mañana. Alguien hará el desayuno, mientras el otro despertará a los niños, mientras el otro los ayudará a vestir, mientras el otro los acarreará al baño, mientras el otro calentará los almuerzos, mientras el otro preparará las colaciones, mientras el otro se dedicará a lanzar los apúrense, ya es tarde, estamos atrasados. Una maquinaria perfecta y aceitada, probablemente más aceitada que la nuestra, porque en la casa de los Weibel Barahona el año 1976 había dos niños [...] El 29 de marzo de 1976 a las 07:30 horas, la misma hora en la que mi hijo y su padre se van a diario de nuestra casa, José y María Teresa salieron con sus niños para llevarlos al colegio. En un paradero cercano a la casa esperaron la micro junto a uno de sus vecinos [...] A las 07:40 horas, como todos los días, en su propio rito, los Weibel Barahona tomaron una micro de la línea Circunvalación Américo Vespucio que los dejaría en su destino. [...] Imagino que José y María Teresa viajan en silencio. Dada la tensión, seguramente prefieren no hablar. Imagino que responden las preguntas de sus hijos, que siguen el hilo de sus comentarios, pero que en su fuero interno van pensando en lo que les deparará el futuro de ahora en adelante. Seguramente observan los rostros de la gente que los rodea. Disimuladamente intentan reconocer alguna mirada sospechosa, algún gesto amenazante. Se mantienen alerta, pero es difícil tener el control ahí dentro. Son muchos los que viajan a esa hora, muchos los que suben y pagan su boleto. Muchos los que pasan hacia atrás y se sientan y se duermen. Muchos los que viajan de pie. Muchos los que miran por la ventana. Es por eso que aunque hacen sus mejores intentos no lo distinguen en medio del grupo. Es por eso que incluso cruzando miradas, no lo ven. Es él, el hombre que torturaba. El agente de inteligencia de las Fuerzas Armadas Andrés Antonio Valenzuela Morales, número de identificación 66.650, soldado 1°, carnet de identidad 39,432 de la comuna de La Ligua. Alto, delgado, de pelo negro, con un par de bigotes gruesos y oscuros. [...] [...] Todos los agentes se han subido por separado, camuflándose con la gente, y ahora observan a los Weibel Barahona sin que ellos se den cuenta.155(*) Ces quelques fragments, où s'instaure une discontinuité, une superpositiontemporelle et qui nous montrent que dans La dimensión desconocida« [n]ous ne vivons le temps comme continuité qu'à certains moments »156(*), nous permettent de constater la nature projectionniste de l'autobiographie et indéniablement intrahistorique decette dernière. Ainsi, après offrir au lecteur une vision triviale d'un début de journée, l'autrice nous fait part de la peur qui la ronge -une peur héritée de ce passé traumatique auquel elle prit part très jeune157(*), mais qui finit par s'estomper au fil du temps-, Nona Fernández seprojette et projette le lecteur, par l'imagination, dans l'intimité familiale des Weibel, interrompant le flux autobiographique. L'univers trivial de Nona Fernández se fissure, et l'imagination ouvre une brèche qui donne sur une « réalité parallèle, infinie et obscure »158(*). L'autobiographie constitue donc la matière à partir de laquelle l'imagination déploie tout son pouvoir projectionniste au service de la reconstitution du moment où la sphère intime familiale des Weibel a violemment éclaté. José Weibel, assiégé par les militaires et injustement accusé d'avoir volé le portefeuille d'une passagère -ce qui lui vaudra d'être arrêté et d'être acheminé jusqu'à sa mort- est une des premières victimes dont le destin tragique est lié à la figure de El Papudo. L'épiphanie joue un rôle significatif, car c'est grâce à elle que se met en place le suspense, un temps d'attente, avant que surgisse sur la page l'identité complète de « el hombre que torturaba », et que son visage se matérialise dans l'imagination réceptrice du lecteur. La stratégie projectionnisteéthique, liée à l'exofiction, entraîne une subjectivisation des victimes et met à mal l'objectivité journalistique qu'on a coutume d'attribuer au témoignage historique. Pour autant, le témoignage revisité que nous offre Nona Fernández ne cesse d'être une source historique précieuse.L'imagination projectionniste de l'autrice tend à fournir les images sensibles, émouvantes, d'un passé horrible où ces personnes, anonymes aux yeux de tous jusqu'alors, perdirent la vie. C'est donc un yo sensible qui reconstruit, dépeint tous les cas d'enlèvement, de torture liés à la figure de El Papudo. En guise d'illustration, voiciquelques fragments percutants qui retracent les tortures subies par don Alonso Gahona : El hombre que torturaba dice que al compañero Yuri le hicieron eso. Lo amarraron a la parrilla, como le decían a esos catres de fierro y ahí lo golpearon y le aplicaron corriente. El hombre que torturaba dice que luego de una larga sesión lo colgaron en la ducha de este baño que ahora el compañero director me muestra. [...] El compañero Yuri tenía mucha sed a causa de la corriente que le habían aplicado en la pieza de las torturas. El hombre que torturaba dice que el compañero Yuri pidió agua y que uno de los centinelas dejó correr la llave de la ducha para que el compañero Yuri bebiera. El hombre que torturaba dice que el centinela cerró la llave, pero que el compañero Yuri siguió quejándose de sed. Débil, como estaba, ocupó sus escasas fuerzas en abrir nuevamente la llave del agua, pero no logró beber, ni tampoco volver a cerrarla. El hombre que torturaba dice que el agua corrió la noche entera sobre el cuerpo del compañero Yuri. El hombre que torturaba dice que al día siguiente el compañero Yuri amaneció muerto de una bronconeumonía fulminante. [...] Imagino al compañero Yuri inmovilizado en ese baño. Las pocas energías que tiene las ocupa para beber del agua que cae por su cuerpo desnudo. No hay ventanas, pero si cierra los ojos puede imaginar una redonda en el techo, justo por su cansada cabeza. Imagino que el compañero Yuri observa a través de esa ventana imaginaria. Es una noche estrellada. El agua sigue corriendo por su cuerpo, pero todo se ve tan hermoso y azul allá afuera, que es difícil concentrarse en otra cosa. De pronto, en medio de ese cielo que lo acompaña, cree ver una pequeña mancha blanca en movimiento. Al comienzo piensa que se trata de una estrella fugaz y hasta tiene ese viejo impulso de pedir un deseo. Pero no, rápidamente se da cuenta de que lo que ve no es una estrella, es algo aún más fascinante.159(*) Dans ces bribes empreintes d'empathie, c'est un yo sensible, délicat, auquel nous avons affaire. La voix narrative autodiégétique de Nona Fernández devient par la suite hétérodiégétique. Dans le dernier fragment cité, le yo de l'autrice adopte une perspective omnisciente. Ainsi, le yo de l'autrice opère à nouveau un mouvement propulsif pour tenter de saisir les dernières pensées de don Alonso Gahona, alias « el compañero Yuri », assoiffé, vulnérable, avant de rendre l'âme («[...] pero si cierra los ojos puede imaginar una [ventana] redonda en el techo [...] De pronto, en medio de ese cielo que lo acompaña, cree ver una pequeña mancha blanca en movimiento. Al comienzo piensa que se trata de una estrella fugaz y hasta tiene ese viejo impulso de pedir un deseo. Pero no, rápidamente se da cuenta de que lo que ve no es una estrella, es algo aún más fascinante.»). Ce sont précisément ces propulsions imaginatives qui brisent la distance qu'impose l'impartialité journalistique, historique. C'est en disséminant sa propre subjectivité, pour s'emparer de restes de souvenirs par-ci par-là, que la voix de Nona Fernández parvient dans La dimensión desconocida à se refigurer, à actualiser le passé violent traumatique chilien qui fit brutalement irruption au sein de ces foyers intimes, familiers, et en montrant au lecteur la tâche complexe que constitue la récupération du passé. La nature exofictive pourrions-nous diredu yoinstable de Nona Fernández démontre que nous sommes loin de cet « épuisement créatif » du témoignage évoqué par Mercè Picornell, car elle permet de renouveler les approches créatives envisagées à l'égard du témoignage. Ainsi, Nona Fernández recycle-t-ellele témoignage de El Papudo en le relisant, en l'exprimant, en l'épuisant, par l'imagination pour en reconstruire un autre plus personnel, plus sensible, mais non moins collectif. Cette tentative pour récupérer, par un investissement imaginatif, ces souvenirs dissipés, observable chez le personnage diégétique Felipe et chez Nona Fernández ou pour les fuir (Iquela), érige le roman en authentique « bric-à-brac »160(*) formel et générique, ce qui conduit au déchirement de l'intimité de l'espace-corps romanesque. II) L'INTIMITÉ DÉCHIRÉE DE L'OEUVRE Los cazadores dispersan las últimas brasas a golpes de pala y de tenazas; echan cenizas y más cenizas sobre los múltiples ojos de fuego que se empeñan en resurgir, coléricos. 161(*) María Luisa Bombal 1) Partage et écart a) Vers des « oeuvres du désoeuvrement »162(*) En nous plongeant dansLa resta et de La dimensión desconocida, force est de constater que « [l]'oeuvre n'est pas l'unité amortie d'un repos. Elle est l'intimité et la violence de mouvements contraires qui ne se concilient jamais qui ne s'apaisent pas, tant du moins que l'oeuvre est oeuvre »163(*). De là le recours à une contre-forme fragmentaire qui, par la combinaison infinie générique et formelle déchire l'intimité de l'oeuvre, conduit au « désoeuvrement » romanesque. Loin de constituer des « romans-fleuves »164(*), nos deux oeuvres, qui se construisent à base de fragments génériques provenant d'horizons divers, s'érigent à l'inverse en « romans-composite ». Cette caractéristique est typique du roman, qui est un : genre sémiologiquement homogène mais sans exigences structurelles strictement codifiées, [et qui] appar[ait] comme la forme la plus amorphe, ouverte à toutes sortes de mutations, accueillante envers les sous-genres, toute disponible au compromis entre la totalité ordonnée et le discontinu bariolé.165(*) Nos deux autrices tirent donc profit de l' « élasticité »166(*) des frontières de l'espace romanesque pour élargir son horizon, « ralli[er] des rives et mari[er] des horizons »167(*). Le lecteur est ainsi donc inévitablement amené à vivre l'expérience de ce que Maurice Blanchot désigne, en évoquant René Char, comme étant l' « « exaltante alliance des contraires » »168(*) génériques, brisant l'image monumentale que la culture dominante légitime a toujours donné au roman. Cette « alliance des contraires », ce « désoeuvrement »sont en effet favorisés par l'écriture fragmentaire qui : suppose, par rapport à une écriture monumentale, [...] une problématique de la rupture, dans l'approche même du rythme, et la mise en place d'une organisation qui débouche sur des valeurs littéraires. En effet le choix d'une fragmentation s'accompagne le plus souvent d'un choix générique qui tend à l'hybridité. La fragmentation entraîne le plus souvent le mélange des genres et la disparité des formes : le discours littéraire, celui qui est porté par l'institution, en vient à faiblir pour céder la place à un aménagement chaotique du texte [...]. Le fragmentaire [...] peut ainsi traverser tous les genres.169(*) Puisque « [l]a règle, c'est l'abus, l'exception, c'est la jouissance »170(*), le recours à une contre-forme fragmentaire qui élargit, repousse les frontières génériques, et octroie au roman une identité somme toute « bariolée », est aussi à lier à une certaine violence jouissive et nous permet de dégager une identité féminine de l'écriture. Toutefois, et en accord avec Nelly Richard : [m]ás que de escritura femenina, convendría, entonces hablar (cualquiera sea el género sexual del sujeto biográfico que firma el texto) de una feminización de la escritura que se produce a cada vez que una poética o una erótica del signo rebalsa el marco de retención/contención de la significación masculina con sus excedentes rebeldes (cuerpo, libido, goce, heterogeneidad, multiplicidad) para desregular así la tesis normativa y represiva de lo dominante cultural. Cualquier literatura que se practique como disidencia de identidad en contra del formato reglamentario de la cultura masculino-paterna171(*) Pour Nelly Richard, « l'écriture met toujours en mouvement le croisement interdialectique de plusieurs forces de subjectivisation »172(*). Ainsi, la féminisation de l'écriture mobilise « la force sémiotico-pulsionnelle qui outrepasse la finitudedu mot grâce à son énergie transverbale »173(*), tandis que l'écriture masculine fait plutôt appel à « [une] force normalisante et conceptuelle »174(*). Mais,« même si les deux forces interagissent dans tout processus de subjectivation créative, c'est la prédominance d'une force sur l'autre qui polarise l'écriture en termes masculins (lorsque la norme stabilisante s'impose) ou féminins (lorsque le vertige déconstructiviste [épuisant] l'emporte) »175(*). Dans La resta et La dimensión desconocida, nos deux déchets culturels, c'est la pulsion discontinue qui greffera au corps romanesque diverses formes et divers genres, favorisantla transgression identitaire et luttant contre ces « structures[s] de vides, d'absences et de pertes »176(*)qu'impose l'écriture hégémonique, monumentale masculine. La pratique subversive de la liste constitue un pas vers une écriture féminine émancipée et violemment sensible. b) « Espace inventaire, espace inventé »177(*) La liste, «[...] mode d'expression privilégié des obsessions, des passions et des fascinations, de l'horreur [...] »178(*) : décline un rapport entre dedans et dehors, entre ce qui est soi et ce qui est l'autre, désigne ce vers quoi l'on tend et ce qui sépare. Ce qui rassemble et ce qui exclut. L'enrégimentement et la dispersion. L'appartenance et l'exclusion. Des spatialités contradictoires, une douleur d'enfermement, un désir de jonction, le baiser de mondes tangentiels, le rêve d'un partage d'ensembles.179(*) C'est dans le but de lutter contre cette « douleur d'enfermement », enfermement dû aux « étranglements du système »180(*), rappelons-le avec Édouard Glissant, que dans nos deux oeuvres la liste « convoque, trie, excave, fait la pelle, fait l'appel des objets de ce monde [...] [qu'] [e]lle dit l'appétit et la mort, la faim et la fin »181(*) du paradigme romanesque institutionnel. Marc Chénetier, dans sa contribution, relève deux types de listes : « les listes de structure »182(*) d'une part et les « listes de texture »183(*) d'autre part. La resta regroupe en son sein les deux types de liste. Ainsi, la pratique de la liste chaotique -descriptive et narrative- que nous relevons dans la voix détonante de Felipe est de nature structurante, car il « énumère des opérations [et] des éléments à combiner en vue d'une organisation donnée »184(*). Comme s'il était face à un puzzle, Felipe invite le lecteur à recomposer, en recourant à la perception imaginative, ce paysage sensible réduit en pièces amoncelées sur la page : Saltaditos: un domingo sí y el otro no, así empezaron mis muertos,sin ninguna disciplina, fin de semana por medio y otras veces dos seguidos, sorprendiéndome sin falta en los lugares más extraños:tumbados en los paraderos, en las cunetas, en los parques, colgando de los puentes y de los semáforos, flotando rapidito Mapocho abajo, en cada rincón de Santiago aparecían los cuerpos dominicales, cadáveres semanales o quincenales que yo sumaba metódico y ordenado,y la cifra crecía como crece la espuma, la rabia, la lava,subía y subía aunque justamente sumar fuese el problema, porque no tenía sentido subir si todos saben que los muertos caen, culpan,tiran, como este muerto que encontré tirado en la vereda justo hoy día, un muerto solitario esperando muy tranquilo que yo llegara, y de casualidad nomás yo iba paseando por Bustamante, buscando algún sucucho donde tomarme unas cervezas para capear tanto calor, este calor pegajoso que derrite hasta los cálculos másfríos, en eso estoy, desesperado por un tugurio para refrescarme, cuando veo en la esquina con Rancagua a uno de mis muertos revoltosos, todavía solo y tibio, todavía indeciso entre quedarse a un lado o lanzarse al otro, ahí me esperaba vestido con la ropa equivocada, abrigadito con gorro y chaleco de lana, como si la muerte habitara el invierno y él tuviese que visitarla preparado, en una esquina yacía mi muerto con su cabeza caída hacia delante, yo me acerco rápido para mirarle bien los ojos, me agachoy sujeto su cara para sorprenderlo, pesquisarlo, para poseerlo, y entonces me doy cuenta de que no hay ojos en su cara,no, solo unos gruesos párpados como murallas, como capuchas, como alambradas, y me pingo nervioso pero inspiro hondo y me contengo, exhalo, me acuclillo y lengüeteo mi dedo gordo, lo mojo completito y lo acerco con cuidado hasta su cara, y con calma elevo su párpado endurecido, despacito descorro el telón para espiarlo, para embestirlo, para restarlo,sí [...]185(*) La voix de Felipe, pour qui nous parlerons plutôt d' « effet-liste », « dévore en avançant, blesse le réel pour en faire parler les morceaux qu'[il] arrache [à la ville]»186(*) et les donne à voir au lecteur de manière chaotique, paratactique.L' effet-liste chez Felipe est marqué par l' « énumération conjonctive »187(*), qui se matérialise textuellement ici par la présence de la conjonction de coordination espagnole « y » et qui opère par accumulation et l' « énumération disjonctive »188(*), matérialisée ici par la trouée de la ponctuation. La voix de Felipe présente au lecteur un authentique « chaos-monde »189(*) mental qui se répercute sur la cosmogonie diégétique. La sensation de fouillis que dégage cet incipit lors de la lecture est principalement dûe à l'hétérogénéité d'éléments qui configure les énumérations frénétiques de Felipe régies par une grande tension entre l'addition, figurée ici par le mouvement vertical, la hausse, la présence ou les éléments qui l'induisent (« sí » ; « crecía » ; « crece » ; « sumaba » ; « subía y subía » ; « calor » ; « gruesos » ; « gordo » ; « elevo » ; « más ») et la soustraction, figurée ici, à l'inverse, par le mouvement horizontal, la baisse, l'absence ou les éléments qui, nouvellement, l'induisent (« no » ; « sin » ; « tumbados » ; « Mapocho abajo » ; « los muertos caen » ; « tiran » et son participe passé « tirado » ; « derrite » ; « fríos » ; « caída » ; « me agacho » ; « no hay ojos en su cara » ; « restarlo »). Toutefois, la disparité des éléments n'empêche point le lecteur de cerner l'unité thématique du fragment : la hantise de Felipe, symbolisée dans l'exemple que nous avons exposé ci-dessus par la présence de ces « cadavres hebdomadaires ou bimensuels »190(*) qui pullulent et encombrent. Les listes mentales de Iquela, en revanche, sont de nature texturante, car elles sont purement « illustratives[s], ornementale[s] »191(*) du processus mental que mène Iquela pour échapper au monde qui l'entoure, saturé par les expériences passées : Resistí el silencio construyendo un listado mental de ese espacio evitando así que la incomodidad se reflejara en mis ojos, siempre incapaces de disimular (y conté doce maletas arrastradas por cuerpos exhaustos, un collar de perlas sosteniendo una papada, dos carteles de cartón con apellidos extranjeros y tres vuelos atrasados, suspendidos, cancelados).192(*) [...] Por teléfono me avisó que vendría personalmente a recogerme, dijo Paloma seseando un poco, como si sus eses encontraran un obstáculo en su lengua (un tornillo, una flecha, un clavo oxidado).193(*) [...] El teléfono, sin embargo, siguió sonando. No fui capaz de atender (y conté tres vasos sucios en el living y ningún rayo de sol por la ventana.)194(*) L'influence pérecquienne est observable dans la voix de Iquela. C'est par les mots que Iquela aspire à épuiser le monde, au sens proprement pérecquien cette fois-ci : «(y conté doce maletas arrastradas por cuerpos exhaustos, un collar de perlas sosteniendo una papada, dos carteles de cartón con apellidos extranjeros y tres vuelos atrasados, suspendidos, cancelados)»; «(un tornillo, una flecha, un clavo oxidado)»; «(inundando el pasto, las baldosas, el mimbre descascarado de los muebles viejos)»; «(y conté tres vasos sucios en el living y ningún rayo de sol por la ventana.)». Les listes mentales de Iquela se démarquent par leur précision, leur exhaustivité : «conté doce maletas [...] dos carteles de cartón [...] un collar de perlas [...] tres vuelos atrasados» ; «y conté tres vasos sucios». La structure parenthétique de la liste : insertion secondaire et digressive qui peut se situer n'importe où dans l'énoncé, est une inscription supplémentaire et superfétatoire que l'on peut étendre à loisir. Elle est l'excès fou d'un texte qui montrerait, en introduisant à loisir des segments dans la phrase, que le point final n'est, somme toute, qu'une utopie.195(*) De cette manière, c'est en usant de ces « structures décentrées »196(*) que la voix narrative de Iquela manifeste un jeu avec les limites de la phrase, repousse sans cesse sa finitude, étend ses frontières. Lorsqu'il ne s'agit pas de listes mentales, la voix de Iquela dresse de simples listes, qui énumèrent une kyrielle d'actions qui demeurent inachevées : Mis visitas habituales eran breves, como si nos topáramos casualmente en una esquina y yo tuviera algo trascendental que hacer a pocas cuadras. Nueve y cuarto de la mañana: el timbre del teléfono. Nueve y veinte: comprar el diario, el pan, comprar un poco de tiempo. Nueve cuarenta: recorrer las ocho cuadras y media para encontrarla sin falta en el antejardín (inundando el pasto, las baldosas, el mimbre descascarado de los muebles viejos).197(*) L'usage d'un style direct énumératif, ainsi que de l'infinitif, qui vient marquer l'aspect inachevé des procès « comprar » ; « recorrer » ; « encontrarla », nous dévoilent bien que nous sommes face à une autre liste texturante, illustrative d'actions qui sont à mener à terme. L'usage de la liste fait brusquement exploser l'unité formelle de l'oeuvre. Dans La dimensión desconocida de Nona Fernández, la pratique de la liste s'inscrit dans le sillage d'une volonté illustrative. Ainsi, la liste sert-elle à retracer la soirée turbide du « 07 de septiembre de 1983 »198(*) que Mario, jeune adolescent vivant en pleine clandestinité avec les deux seuls membres de sa familles qui lui restent, vécut. De 16h30 jusqu'à 20h37, le lecteur suit les occupations banales de Mario, revécue par la voix narrative en empruntant les voies de l'imagination représentificatrice : A las 20.00 horas, Hugo, alias el tío José, se muestra preocupado por la tardanza de Alejandro, alias Raúl, mientras sirve dos vasos de leche con plátano. A las 20.05 horas, Mario y Hugo, alias el tío José, se sientan a ver las noticias en la televisión. A las 20.10 horas, Mario se pone de pie porque las noticias lo aburren y se va a escuchar música a su pieza. A las 20.15 horas, Mario pone un casete de Los Jaivas en su radio y comienza a escuchar al Gato Alquinta cantando uno de sus temas. A las 20.30 horas, Mario escucha balazos en el barrio. No baja el volumen de la radio, tampoco detiene la música. Balazos, helicópteros o bombazos, se escuchan de vez en cuando en todos los barrios donde ha vivido sus anteriores vidas, entonces no hay razón para que en esta se alarme. A las 20.35 horas, Mario escucha gritos. A las 20.36 horas, Mario escucha una ráfaga de metralleta y se da cuenta de que los disparos son a la casa. Instintivamente se lanza al suelo.199(*) D'un point de vue formel, la liste s'érige sur la page de manière verticale. Chaque segment phrastique est succédé par un souffle de tranquillité. La liste coule au rythme des occupations sereines auxquelles s'attèle Mario. Mais les minutes s'égrènent et la tension point («A las 20.30 horas, Mario escucha balazos en el barrio. No baja el volumen de la radio, tampoco detiene la música. Balazos, helicópteros o bombazos, se escuchan de vez en cuando en todos los barrios donde ha vivido sus anteriores vidas, entonces no hay razón para que en esta se alarme./ A las 20.35 horas, Mario escucha gritos./ A las 20.36 horas, Mario escucha una ráfaga de metralleta y se da cuenta de que los disparos son a la casa. Instintivamente se lanza al suelo.»). Au même moment où Mario se jette au sol, la liste s'effondre sur la page dans la minute qui suit : A las 20.37 horas comienza a ver el humo que se filtra por las rendijas de la puerta de su pieza. A las 20.40 sale al pasillo oscuro a buscar a Hugo, alias el tío José. Tío, le grita a la pieza, pero nadie responde. A las 20.41 escucha voces. A las 20.42 se da cuenta de que son voces de agentes. A las 20.43 siente otra ráfaga sobre la casa. A las 20.44 no entiende cómo está vivo después de los disparos y corre por el pasillo a oscuras, lleno de humo, buscando a Hugo, alias el tío José. A las 20.45 se da cuenta de que el tío no está ni en la pieza, ni en la cocina, no lo ve por ninguna parte. Tío, grita, tío, pero otra vez no recibe respuesta. A las 20.46 piensa acurrucarse en el suelo y quedarse ahí, pase lo que pase, pero a las 20.47 piensa que no, que no puede entregarse a su suerte, que debe huir, que no importa a dónde, salir de ahí antes de que otra ráfaga de metralleta lo mate. A las 20.48 está en el patio trasero. A las 20.49 se encarama por el muro que colinda con la casa de al lado y, mientras está trepando, a las 20.50, piensa en Alejandro, alias Raúl, su padre que no es su padre, piensa en la suerte que tuvo al no volver. Su atraso lo salvó, cree, y a las 20.51 cae al patio de la casa vecina mientras sigue escuchando disparos y la voz de los agentes, que patean puertas y botan muebles en el 5707, mientras él, a las 20.52, intenta encaramarse en el otro muro para seguir huyendo de patio en patio. Pero a las 20.53 se da cuenta de que este nuevo muro es muy alto, que está cansado, que el cuerpo le tiembla, que no es fácil dejar la casa atrás, que esta vida le pesa, que no lo logrará. A las 20.54 decide tocar el vidrio de la ventana del vecino, que a las 20.55 se asoma a su patio trasero al escuchar los golpes y ve la silueta de un joven de quince años que pide ayuda asustado. Es mi casa, dice el joven cuando son las 20.56. Lo que pasa es en mi casa, dice a las 20.57 y vuelve a repetir lo mismo a las 20.58 y a las 20.59. Es mi casa, mi casa, mi casa, y cada repetición es dicha con la convicción de quien no miente. 200(*) La parfaite verticalité de la liste s'écroule et gagne en célérité. Dans cette atmosphère convulse, le lecteur suit dorénavant chaque action de Mario à une minute d'intervalle («A las 20.37 horas [...] A las 20.40 [...] A las 20.41 [...] A las 20.42 [...] A las 20.43 [...] A las 20.44 [...] A las 20.45 [...] A las 20.46 [...] a las 20.47 [...] A las 20.47 [...] A las 20.48 [...] A las 20.49 [...] a las 20.50 [...] a las 20.51 [...] ») au lieu de cinq voire quinze minutes comme ce fut le cas auparavant («A las 20.00 horas [...]/ A las 20.05 horas [...]/ A las 20.10 horas [...]/ A las 20.15 horas [...]/ A las 20.30 horas [...]/ A las 20.35 horas [...]/ A las 20.36 horas [...]»). Au sein de cette liste, une « tension narrative » se met en place. Pour le sémioticien Umberto Eco, « [u]n texte, tel qu'il apparaît dans sa surface (ou manifestation) linguistique, représente une chaîne d'artifices expressifs qui doivent être actualisés par le destinataire »201(*) par des « mouvements coopératifs »202(*). Raphaël Baroni dans son ouvrage La Tension narrative, relève trois fonctions thymiques203(*) caractéristiques de la narrativité : Comme le jeu du suspense, de la curiosité et de la surprise entre le temps représenté et le temps de la communication (quelle que soit la combinaison envisagée entre ces deux plans, quel que soit le médium, que ce soit sous une forme manifeste ou latente). En suivant les mêmes lignes fonctionnelles, je définis le récit comme un discours dans lequel un tel jeu domine : la narrativité passe alors d'un rôle éventuellement marginal ou secondaire [...] au statut de principe régulateur, qui devient prioritaire dans les actes raconter/lire.204(*) Ce jeu, qui met en éveil le suspense, la curiosité et la surprise, et met donc en place ce que nous nommons avec Raphaël Baroni une « Tension narrative » définie comme le : phénomène qui survient lorsque l'interprète d'un récit est encouragé à attendre un dénouement, cette attente étant caractérisée par une anticipation teintée d'incertitude qui confère des traits passionnels à l'acte de réception. La tension narrative sera ainsi considérée comme un effet poétique qui structure le récit et l'on reconnaitra en elle l'aspect dynamique ou la « force » de ce que l'on a coutume d'appeler une intrigue.205(*) Plus précisément, « [l]a tension, sur un plan textuel, est le produit d'une réticence (discontinuité, retard, délai, dévoilement, etc.) qui induit chez l'interprète une attente impatiente portant sur les informations qui tardent à être livrées [...] »206(*). Pour revenir à notre extrait, la tension narrative se crée grâce aux nombreuses incises remplissant les fonctions de catalyses207(*) fonctionnelleset qui contribuent à retarder le dénouement et à alimenter le suspense, la curiosité du lecteur.L'asyndète, qui crée un effet-liste,joue également un rôle notoire car elle tend à accentuer la vitesse qu'acquiert la liste d'une part et à donner à voir au lecteur un vertige d'actions et de pensées d'autre part, retranscrivant la confusion mentale de Mario lors de sa fuite précipitée, son désemparement (« Pero a las 20.53 se da cuenta de que este nuevo muro es muy alto, que está cansado, que el cuerpo le tiembla, que no es fácil dejar la casa atrás, que esta vida le pesa, que no lo logrará. »).La présence de ces incises dans cet extrait interactif dévoile le jeu avec l'expansion phrastique, jeu auquel Nona Fernández n'a de cesse de s'adonner. Dans La dimensión desconocida de Nona Fernández, le lecteur peut également se retrouver face à une liste hypertrophique208(*) à la disposition typographique verticale, aérée, qui « « tranche » dans le texte en le débrayant de son grand continuum syntagmatique, syntaxique, narratif [...] »209(*) : Golpe Militar en Chile. Muere el presidente Salvador Allende en La Moneda. Detenciones masivas, juicios de guerra. La Caravana de la Muerte recorre sur y norte. Víctor Jara es torturado y asesinado en el Estadio de Chile. El hombre que torturaba llega al AGA. Los Quevedo, nuestros vecinos, esconden panfletos en mi casa. Mi abuela reclama asustada. Se crea la DINA, Dirección de Inteligencia Nacional. Se crea la SIFA, Servicio de Inteligencia de la Fuerza Aérea. Detenciones selectivas, secuestros, desaparecimiento de personas. El hombre que torturaba se une a los grupos antisubversivos. Entro al liceo, uso por primera vez un uniforme y una lonchera de lata. Atentado al general Carlos Prats, ex ministro del Interior de Salvador Allende. Su auto explota en Buenos Aires. En la calle Santa Fe asesinan a Miguel Enríquez, líder del MIR. Pinochet viaja al funeral de Franco. Se crea la Vicaría de la Solidaridad. Cadáveres en el Cajón del Maipo sin falanges, sin huellas digitales. Atentado a don Orlando Letelier en Washington. Acto en el Cerro Chacarillas, setenta y siete jóvenes suben con antorchas y son condecorados por Pinochet. El hombre que torturaba es centinela en cuarteles clandestinos. El Chapulín Colorado se presenta en el Estadio Nacional, voy a verlo y llevo mi chipote chillón plástico. Secuestran a Contreras Maluje a cuadras de mi casa, mi mamá ve la detención y luego nos la cuenta a la hora del almuerzo. El Quila Leo es asesinado. El hombre que torturaba llora a escondidas en su cuartel [...]210(*) Cette liste se démarque de l'effet-liste de Felipe, mais tend à se rapprocher de l'inventaire réaliste de Iquela, et même de la liste en général pourrions-nous affirmer. En effet,dans sa pratique de la liste, Nona Fernández, joue avec l'expansion phrastique en « enjamb[ant] l'horizon »211(*), « [s'alliant] à [...] la discontinuité fondamentale du vers [...] et s'affront[ant] à la continuité de la phrase »212(*) prosodique. En d'autres termes, dans La dimensión desconocida « l'espace [tracé] tombe »213(*), car la liste « s'affranchi[t] de toute justification [...] typographique, pass[e] de l'autre côté de l'horizon -cette ligne ambiguë qui structure le paysage selon un cadre essentiellement horizontal mais l'ouvre aussi à la verticalité sublime ou vertigineuse du ciel ou de l'abîmé. »214(*) Avec la pratique subversive de la liste, c'est à la défiguration du roman à laquelle nous assistons. La liste, ou l'effet-liste, introduit une difformité au sein du roman, tend vers l'abîme sublime du polymorphisme dialogique,le rendant, aux yeux de la norme institutionnelle patriarcale, abject. Le jeu avec les limites de la phrase, la réinvention de l'espace romanesque, octroie au roman une forme instable, une forme qui refuse de se figer, extatique. La protéiformisation de l'écriture romanesque ne se limite pas à la pratique de la liste dans La dimensión desconocida, tant s'en faut. L'épistolaire et ses déformations qui, au même titre que la liste scinde la « coulée » textuelle, sont eux aussi dignes d'intérêt. c) L'épistolaire : espace d'affrontement L'épistolaire, sous-genre215(*) intercalaire et contre-littéraire dans La dimensión desconocida de Nona Fernández, est de loin un élément qui passe inaperçu. L'épistolaire apparaît comme un authentique espace d'affrontement au sein duquel l'autrice apostrophe El Papudo, afin de mieux comprendre le passé traumatique collectif. L'épistolaire dont la présence est disséminée dans l'oeuvre, joue un rôle éminemment politique. En effet, la lettre, cesse d'être ce « [l]ieu [...] de dialogue amical »216(*), et « [...] peut aussi [...] fournir un instrument de diffusion polémique, souligner les lignes de division et exacerber les crises»217(*) : Estimado Andrés : No nos conocemos personalmente y espero que el arrojo de conseguir su dirección y tomarme la libertad de escribirle no lo ahuyente de seguir leyendo esta carta. El motivo de ella es que quisiera contactarme con usted porque tengo la fantasía de escribir un libro con su figura. Por qué?, se preguntará justamente, y puedo responderle que yo misma me he hecho esa pregunta sin dar con una respuesta satisfactoria. Las razones no son claras porque en general nunca tengo claridad del motivo de mis obsesiones y usted, con el tiempo, se ha convertido en eso para mí, en una obsesión. Sin saberlo he andado detrás suyo desde que tenía trece años, cuando lo vi en esa portada de la revista Cauce. No comprendía, ni aún comprendo, todo lo que pasó a mi alrededor cuando era niña y supongo que intentando entender quedé hechizada por sus palabras, por la posibilidad de descifrar con ellas el enigma. Más adelante, por razones de interés y trabajo conocí con detalle su historia y he logrado leer todo el material que de ella se ha publicado, material que todavía me parece escaso y mezquino dado el valor de los datos que entregó. Ahora que le escribo intento nuevamente aclarar mis motivaciones para no parecer tan vaga frente a usted, pero sólo puedo decirle con honestidad que a modo de respuesta aparecen más preguntas [...]218(*) Dans ce premier fragment épistolier, le « yo » destinateur de Nona Fernández s'adresse à un « usted » destinataire, El Papudo. C'est dans cette missive qu'elle fait part de sa volonté d'affronter ce « monstruo arrepentido»219(*), qui constitue son obsession et qui détient les clefs nécessaires afin de « descifrar el enigma [colectivo]». La seule présence de l'épistolaire, qui vient brouiller l'identité du roman, n'est pas le seul élément qui retient l'attention du lecteur. En effet, l'oeuvre se clôt avec une nouvelle correspondance, au sein de laquelle passé et présent interfèrent, collisionnent, mais avec une particularité : elle apparaît désormais en empruntant sa typographie au poème : Estimado Andrés, en esa nueva vida que usted tiene, esa que tanto me cuesta imaginar, quizá ya no se esconde. Treinta años son suficientes como para aprender a camuflarse. Seguro ya está camaleonizado con el paisaje. Seguro que su francés con acento chileno ya no llama la atención. escrita en su lengua de origen, con frases cortas y secas, como usted estila hablar, le debe parecer un mensaje trazado en un idioma indescifrable. Sé que su bigote ha encanecido. Sé que ahora ocupa lentes. Sé que su mujer de entonces ya no es su mujer. Sé que tiene contacto con sus hijos y sus nietos. Sé que ha tenido varios trabajos. Sé que maneja un camión. Sé que está enfermo y lo estuvo. Sé que por las tardes lee y recoge callampas. Sé que Chile se le borronea un poco, pero que su playa, Papudo, no. Estimado Andrés, Papudo sigue siendo una linda playa. Sobre todo ahora, que es invierno y que somos pocos los que caminamos por sus arenas negras. En esta vida, que es la única que tengo, he elegido este lugar para despedirme. Frente a mí un perro corre solitario huyendo de las olas. Ladra y espanta a un grupo de gaviotas. El mar se revuelve con el viento. Va y viene, como las escenas Que ha intentado imaginar. Escucho voces cada vez que revienta una ola. Gritos de auxilio encerrados en botellas de vidrio. Son cientos de botellas. Quizá más. A lo lejos creo verlo a usted fumando un cigarrillo. Es joven, no lleva su bigote, y probablemente todavía no entra al servicio militar. Debe tener un par de años más que mi hijo. Se ha detenido un momento y mira el horizonte como si supiera que allá, del otro lado del mar, le espera un escondite que terminará siendo su casa. Mientras fuma se topa con una mirada intrusa. Soy yo, que desde el futuro lo observo con ojo de espía. Con un gesto educado me hace una venia en señal de saludo. Creo que sonríe y así se va caminando por la orilla. No sabe quién soy. No imagina el mensaje que traigo desde las navidades futuras. El aire es fresco aquí en Papudo. Comeré almejas y meteré mis pies en el helado mar. Pero eso será mañana, hoy ya anochece y las estrellas han empezado a asomarse. Estimado Andrés, en esa nueva vida en la que recoge callampas y lee por las tardes, probablemente usted estará acostado, soñando, despierto o dormido, con ratas. Con piezas oscuras y con ratas. Con mujeres y hombres que gritan, y cartas que llegan desde el futuro preguntando por esos gritos. Cuando era niña me decían que las estrellas eran las fogatas de los muertos. Yo no entendía por qué los muertos encendían fogatas. Asumía que era para lanzar señales de humo. Sin teléfono, sin correo, de qué otra manera podríamos comunicarnos? Mi fogata se ha extinguido aquí en la playa. Soy una sombra desenfocada a la luz de las brasas. Tomo un carbón apagado y me pinto un par de bigotes gruesos. Es un gesto aprendido de niña, creo que fui entrenada para esto. Vocación de médium y de tira. El humo enrojece mis ojos. Así avanzo, lagrimeando en punta y codo, por la arena negra de Papudo. Arrastrándome llego hasta su almohada. Me cuelo en su sueño y escribo con un corvo las palabras que usted me ha dictado, para que queden resonando como señales de humo lanzadas al infinito. Esta es una posta de información y de humo. De pesadillas compartidas. De piezas oscuras. De relojes detenidos. De dimensiones desconocidas De ratas y cuervos que aún chillan. De bigotes pintados con hollín. Y vendrá el futuro y tendrá los ojos rojos de un demonio que sueña. Usted tiene razón. Nada es bastante real para un fantasma. PAPUDO, V REGIÓN, JUNIO 2016.220(*) La correspondance auparavant horizontale acquiert désormais une forme verticale. Le corps de la missive, datée et signée cette fois-ci, s'étend sur quatre pages. C'est l'ultime bouteille que Nona Fernández jette à l'eau. L'autrice présente au lecteur une « lettre-miroir »221(*) déchirée par les aposiopèses, qui appellent un souffle et jouent un rôle notoire dans la relance de l'écriture de ladite missive. Si dans la missive précédente Nona Fernández dévoilait sa soif de réponses, ici c'est la connaissance du sort, du destin de El Papudo, qui est mise en relief par la présence anaphorique de la subordonnée « Sé que ». Dans cette lettre, le jeu avec l'expansion phrastique est de nouveau observable. Ainsi, l'enjambement permet-il de mettre en valeur certains groupes syntagmatiques qui renvoient curieusement au camouflage (« Treinta años son suficientes/ como para aprender a camuflarse »), à la perte de la langue maternelle en raison du déracinement prématuré de la terre d'origine (« Seguro que esta carta mía,/escrita en su lengua de origen,/con frases cortas y secas, como usted estila hablar,/ le debe parecer un mensaje,/ trazado en un idioma indescifrable. »), la fuite («Frente a mí un perro corre solitario/ huyendo de las olas. »). Ces rejets mettent ainsi donc l'accent sur la perte qui a rythmé la vie de El Papudo. Il convient d'ajouter qu'ici l'autrice offre au lecteur une missive empreinte de « réalyrisme »222(*) ou d'un certain « lyrisme de la réalité » définit par Reverdy et pour qui : Il ne s'agit plus, c'est aujourd'hui un fait acquis, d'émouvoir par l'exposé plus ou moins pathétique d'un fait divers, mais aussi largement, aussi purement que le peuvent faire, le soir, un ciel chargé d'étoiles -ou un grand drame muet joué par les nuages sous le soleil.223(*) Toute la sensibilité de cette lettre réside d'une part dans la force émotive contenue dans la forme déchirée, en lambeaux, de la lettre et, d'autre part, dans la force expressive de la voix de Nona Fernández dont l'émotion intérieures'allie au paysage, suscitant chez le lecteur la mobilisation de la perception visuelle et de la perception auditive. Ainsi, Nona Fernández dévoile-t-elleau lecteur un paysage textuel morcelé, ruiniforme qui donne à voir un paysage hivernaldéchainé et hanté par ces « voces », ces « [g]ritos de auxilio » qui ne cessent de résonner et que l'autrice a incorporé en son for intérieur. Mais, très rapidement, la lettre prend une autre tournure et, telle une narration qui ferait marche arrière, l'imagination de l'autrice vient inscrire la présence fantasmagorique de Antonio Morales Valenzuela, avant qu'il n'ait les mains tachées de sang. Les réponses du destinataire, El Papudo, figureront sous une forme typographiquement disjonctive, « con frases cortas y secas », et feront état de sa psyché contaminée par les visions d'horreur. L'omniprésence du substantif pluriel « ratas » retient notre attention : Sí, a veces sueño con ratas. Con piezas oscuras y con ratas. Con hombres y mujeres que gritan y con cartas que vienen desde el futuro preguntando por esos gritos. Ya no recuerdo lo que dicen los gritos. Tampoco lo que dicen las cartas. Sólo me quedan las ratas. Hice un tratamiento con un psiquiatra para sacármelas de encima. Me mandó a hacer un encefalograma. Vi mi cabeza en una radiografía. Busqué ahí las ratas para cortarlas con una tijera, pero no estaban, se camuflaban en las sombras del negativo. Me hicieron armar cubos, me hicieron responder pruebas psicológicas. Dijeron que las ratas estaban ahí por mis problemas económicos. Que estaba tenso, nervioso, que con unas pastillas se me pasaría. Yo nunca les dije lo que me pasaba. Nunca les hablé de mi trabajo y lo asqueado que me tenía. Eran médicos del servicio de inteligencia, No podía decirles la verdad. Después no aguanté más. Fui a la revista e hice lo que hice. Usted lo ha contado mejor que yo. Su imaginación es más clara que mi memoria.224(*) [...] Vivo una vida nueva. Me escondo del mundo en mi propia ratonera. No uso correo electrónico, no doy mi dirección, nadie conoce mis señas. No sé cómo hizo usted para escribirme. No sé cómo hizo usted para que su carta terminara llegándome. Para qué quiere hacer un libro sobre mí? He respondido tantas preguntas en el pasado. Debo seguir respondiendo preguntas en el futuro? No tengo mucho tiempo. Sé que tarde o temprano van a llegar. No importa dónde me esconda. No importa el tiempo que haya pasado. Va a ser muy rápido, quizá no me voy a dar ni cuenta. Tendrán los ojos rojos de un demonio que sueña. Me encontrarán aquí o donde sea, y alguno estará dispuesto a manchar sus pantalones con mi sangre. Quizá sea usted misma. Quizá ya lo hizo ahí en el futuro. Nada es bastante real para un fantasma. Qué más puedo decirle? Recojo callampas en el bosque, leo por las tardes. Y en las noches sueño con ratas.225(*) Dans ces volutes de fumée verbales, le groupe syntagmatique «Nada es bastante real para un fantasma» retient lui aussi notre attention car, hormis sa typographie disjonctive frappante, il s'agit d'un clin d'oeil intertextuel au poème « La pieza oscura » de Enrique Lihn : [...] En el contrasentido de las manecillas del reloj se desatascó la rueda antes de girar y ni siquiera nosotros pudimos encontrarnos a la vuelta del vértigo, cuando entramos en el tiempo como en agua mansas, serenamente veloces; en ellas nos dispersamos para siempre, al igual que los restos de un mismo naufragio. Pero una parte de mí no ha girado al compás de la rueda, a favor de la corriente. Nada es bastante real para un fantasma. Soy en parte ese niño que cae de rodillas dulcemente abrumado de imposibles presagios y no he cumplido aún toda mi edad ni llegaré a cumplirla como él de una sola vez y para siempre.226(*) Lorsque Bieke Willem se penche sur l'analyse du roman Av. 10 de julio Huamachuco (2007) de Nona Fernández, dans son ouvrage El espacio narrativo en la novela chilena postdictatorial : casas habitadas, il relève que: el gran tema que hostigó a los primeros novelistas y críticos culturales de la postdictadura, el de la memoria, sigue ocupando una posición protagónica en la novela de Nona Fernández. La reflexión constante sobre el tiempo, y las referencias a la pieza de Enrique Lihn, como una representación espacial del propio recuerdo, caben dentro de este tema.227(*) Une pièce sombre, inondée et infestée par la présence des rongeurs, métaphore spatiale de la mémoire collective, dans laquelle les eaux temporelles froides -en écho à la plage Papudo sur laquelle l'autrice se trouve afin d'adresser une dernière lettre à El Papudo- sont figées, stagnent. Le présent n'offrant pas de porte propice à l'écoulement de ces « restes d'un/ même naufrage »228(*) vers des horizons lumineux, Nona Fernández se voit emportée par ces eaux troubles qui s'écoulent à contre-sens, toujours en direction d'un passé inachevé. Au-dessus de ces épaves mémorielles une présence spectrale se fait sentir : le fantôme de El Papudo condamné à y rester enfermé et à y errer éternellement. Aux yeux de Pascal Quignard, « [l]es formes sont des limites. Dans la métamorphose les formes ne connaissent plus de limites. Elles sont devenues aorista. Leur horizon est sans formes [...] »229(*). La pratique subversive de la liste, ainsi que la pratique épistolaire que nous avons mentionnées, font de La dimensión desconocida de Nona Fernández une oeuvre « aoristique »230(*). Effectivement, la pulsion fragmentaire de l'écriture tend à buter contre les bords de contention créatifs jusqu'à les abattre, outrepassant ainsi la « norme [qu'] il ne faut pas franchir [...] [pour ne] pas risquer l'impureté, l'anomalie ou la monstruosité »231(*), l'abjection, que nous définissons avec Julia Kristeva, comme étant « ce qui perturbe une identité, un système, un ordre. Ce qui ne respecte pas les limites, les places, les règles. L'entre-deux, l'ambigu, le mixte »232(*). L'éclatement de l'espace-corps romanesque contribue à la « dégénérescence »233(*) de l'identité romanesque, dont « la pureté essentielle »234(*) se voit contaminée par des formes d'écriture provenant des confins rebelles. Cette écriture pulsionnelle, rebelle en termes génériques et formelles est également observable dans La resta de Alia Trabucco. 2) La représentation du fini infini dans La resta a) Espaces-corps malades La resta offre plusieurs lectures. Cela est dû principalement aux systèmes isotopiques structurantes de l'oeuvre. Ainsi pouvons-nous relever les isotopies sémantiques de l'inhumation235(*), de l'enfermement236(*), de la lourdeur237(*), de la perforation. Les pulsions métaphoriques dévoilent au lecteur des géographies corporelles incomplètes, alternatives, revendiquant l'existence d'une altérité corporelle endolorie immanquablement présente : Por teléfono me avisó que vendría personalmente a recogerme, dijo Paloma seseando un poco, como si sus eses encontraran un obstáculo en su lengua (un tornillo, una flecha, un clavo oxidado)238(*) [...] Estás borracha, dijo, sus labios también morados y partidos239(*) [...] (rozándome con su piel áspera y partida, su piel cada vez más cerca de sus huesos)240(*) [...] Nos abrió un tipo joven, alto y joven, su piel horadada por una adolescencia cargada de granos241(*) [...] pecas perforándole la frente [...] ese tornillo atravesándome la lengua, mi lengua.242(*)(nous soulignons) La perforation isotopique s'allie à la perte d'épaisseur corporelle : es que algo le pasaba a los pollos en Chinquihue, estaban medio anoréxicos los pobres, dando tumbos en el campo sin ganas de comerse el maíz ni las migas de pan, y mi tatita no sabía qué hacer, porque entre el perrito desnutrido, las gallinas depresivas y yo [...]243(*) [...] me quedé en Santiago no sé cuánto tiempo, hasta que mi tatita me fue a buscar y por suerte ya no estaba enojada, pero sí raquítica y ojerosa, con cara de pena, cara de sola, y me dijo que andaban cluecas las gallinas, pero ni gorditas ni felices, y ella menos, si cada vez estaba escuálida244(*) [...] Y él (Felipe), desnudo, sus piernas escuálidas.245(*) [...] La piel de su cara (a Felipe) me pareció más delgada, muy parecida a la de mi madre: los tejidos, los músculos, la sangre retirándose hacia los huesos, volviéndolos curiosamente parecidos.246(*) [...] (Dónde estás, Iquela? [...] Cuídate del arsénico y del magnesio y de los nitratos y del esmog. Estás pálida. Estás flaca. Estás sola.247(*) [...] Padres cada vez más flacos agitando sus puños en el aire, rodeados de un halo de resignación, tal vez de hartazgo. Y las madres mayoritarias, esas mujeres estoicas desafiando al guardia con sus vozarrones graves, casi aullidos, madres de labios delgados, mujeres de uñas mordidas acompañándose para aguardar juntas, sosteniéndose del brazo, desesperadas, sacrificiales [...]248(*) [...] y me sorprendió una piel finísima, casi impalpable.249(*) (nous soulignons) Le topic de la maladie, consubstantiel à la perforation isotopique, ainsi qu'à la perte drastique d'épaisseur corporelle, est omniprésent. Alia Trabuccoimbrique un second récit, qui charge contre l'ordre politique établi à l'ère post-dictatoriale, dans un premier récit.Ces surfaces corporelles criblées de trous, souffreteuses, permettent de tisser un lien entre le personnage et l'espace santiaguin, agent de la fiction représenté tel « un agujero hundido»250(*). De telle sorte que « [c]ette communication maintenue tout au long du récit poétique entre le personnage et l'espace prépare un autre phénomène qui renverse toutes les perspectives du roman classique. »251(*) La resta est un « récit [hérétique] qui emprunte au poème ses moyens d'action et ses effets. »252(*) La voix mutante et impure de Felipe défie par conséquent le roman réaliste traditionnel et accède à un tout autre territoire transcendant, qui est en mesure d'accueillir toutes les temporalités : le passé, le présent, le futur. Le « langage [qui] crisse en rafales »253(*) de Felipe, divague, dérive, mute pour tenter, par alchimie, de dire l'indicible, s'en rapprocher. De là le « jeu avec la langue, qui lui fait violence »254(*), en élaborant ce que nous appelons toujours avec Jean-Jacques Lecercle des « monstres syntaxiques »255(*) tels que les métaphores, les oxymores. Ainsi, le lecteur constatera-t-il, à la lecture des monologues autonomes de Felipe, que son langage est en perpétuel mouvement : il recollecte, exprime, combine, épuisant les possibilités créatives qu'offre la langue. Cet épuisement se fera cependant au détriment de la pureté de l'identité du roman, qui, par intermittence, s'affuble de la cape poétique. Les éléments qui connotent la condition maladive de l'espace-corps diégétique sont abondants dans l'oeuvre et relèvent, le plus souvent, d'une projection de la subjectivité du personnage diégétique256(*). Ainsi, à la fin de La resta, lorsque les trois protagonistes ingurgitent le « líquido mágico »257(*), entre l'espace montagneux et l'âme brisée de Felipe est abattue, donnant lieu à un « débordement de richesse »258(*) « entre la ligne générale et la matière verbale rétive »259(*): Y acelero fuerte para no enterrarme en el cemento blando, en este barro gris, en este pus, eso es, para no hundirme en el pus que secretea la montaña, la cordillera secreteando que siga, que acelere, porque para ser un chofer de primera se aceleeera, cantábamos cuando se cantaba, coreábamos a gritos la Iquela y yo para no escuchar, para no oír esto que dice la boca de la montaña, porque secretea que suba, que cruce, que no importa los veinte, los quince, los diez kilómetros por hora ahogando el motor de la Generala, pero esto no es tan sencillo, no, no es fácil cruzar la cordillera gris, pero de todas formas subo y sudo y abro las ventanas para darle aire a la carroza, bajo los vidrios a pesar de que al otro lado está el pus, el maldito pus que entra como una ola por mis mangas, sí, y se me pega a la piel este veneno, este virus que quiere infectarme los ojos, por eso lloro lágrimas plomizas que me humedecen y el pus y mis gotas se mezclan y las cenizas me cubren completo260(*) Dans ce fragment, où les mots happent nouvellement le lecteur pour subjuguer son imagination, la subjectivité morcelée, sous tension, de Felipe « s'affranch[it] des limites du corps propre, favorisé par un état de conscience proche du « rêve » ou de la rêverie »261(*). De plus, tout comme le rappelle Michel Collot en s'appuyant sur les travaux psychanalytiques, « les sensations externes, actuelles, récentes ou très anciennes, sont intégrées au vécu corporel et pulsionnel du dormeur qui les remanie pour les projeter en images oniriques »262(*). Ainsi, dans ce passage, « « ce qui appartient au-dedans apparaît au dehors, transposé en perceptions externes. [...] Une sensation corporelle se trouve projetée sur le monde extérieur » ; « le corps n'[y] a plus ses limites [...] il coïncide avec l'espace qui pourtant est censé le contenir. »263(*) Dans ce fragment, « [l]'image du monde extérieur que nous propose [le délire] porte l'empreinte du corps »264(*) mentalement malade. En ce sens, le champ lexico-sémantique lié à la maladie virale, de la plaie qui suppure et la personnification de l'espace sont significatifs. De cette manière, la « chair du monde » apparaît comme le réceptacle de la conscience diffractée, malade, de Felipe, avec laquelle le corps ne fait plus qu'un. L'interpénétration entre l'espace montagneux et frontalier, l' « espace transcendant »265(*) et le « corps-cosmos »266(*), met à mal la référentialité caractéristique des romans réalistes par le recours à des procédés poétiques tels que la personnification de l'espace ou les analogies qui vertèbrent le passage. Le fragment présent est significatif tout d'abord par la tension qu'il met en place. Ainsi, pouvons-nous démanteler tout un système de tension s'organisant autour de l'inhumation (« para no enterrarme » ; « para no hundirme »), l'exhumation (« porque secretea que suba » ; « pero de todas formas subo y sudo »), de la rumeur et le silence, le secret, le susurrement, accentué par la présence de l'allitération en [s] (« cantábamos cuando se cantaba, coreábamos a gritos la Iquela y yo [...] porque secretea que suba ; que cruce »), de l'ouverture et la fermeture (« abro las ventanas para darle aire a la carroza » ; « y el pus y mis gotas se mezclan y las cenizas me cubren completo ») ; de l'assimilation et l'expulsion (« el maldito pus que entra como una ola por mis mangas [...] por eso lloro lágrimas plomizas. »). La mobilisation de « monstres syntaxiques » et, plus précisément, les constructions oxymoroniques, telles que « cemento blando » ou encore « lágrimas plomizas », sont des éléments clefs au service du processus de transfiguration du réel qui est mené à bien sous nos yeux. Parallèlement à cet écart référentiel qui se crée, nous assistons à un débordement du sens ordinaire du mot et, ainsi donc, à un écart linguistique. Autre monstruosité : l'écriture en miroir. Rappelons-nous, pour l'écrivain Jorge Luis Borges, « [...] los espejos [son] monstruoso[s] [...] y [...] abominables, porque multiplican el número de los hombres.»267(*) La page apparaît telle une authentique surface de réflectance : c'est la pratique de l'écriture spéculaire, matérialisée ici par l'usage du présent d'énonciation, l'utilisation d'adjectifs démonstratifs masculins singuliers « este » ou encore de l'adjectif démonstratif « esto », qui indiquent l'immédiateté, aux antipodes d'un « ese » et ses dérivés, qui indiqueraient une distance moyenne entre le sujet et l'objet ou encore d'un « aquel » et ses dérivés, qui indiqueraient cette fois-ci une distance lointaine entre le sujet et l'objet, constitue une des spécificités de ce passage: Y acelero fuerte para no enterrarme en el cemento blando, en este barro gris, en este pus, eso es, para no hundirme en el pus que secretea la montaña, la cordillera secreteando que siga, que acelere, porque para ser un chofer de primera se aceleeera, cantábamos [...] para no oír esto que dice la boca de la montaña, porque secretea que suba, que cruce [...] subo y sudoy abro las ventanas para darle aire a la carroza, bajo los vidrios a pesar de que al otro lado está el pus, el maldito pus que entra como una ola por mis mangas, sí, y se me pega a la piel este veneno, este virus que quiere infectarme los ojos, por eso lloro lágrimas plomizas que me humedecen y el pus y mis gotas se mezclan y las cenizas me cubren completo Parmi ce ramassis de cendres verbales, un couple de verbes nous intéresse, car il illustre à merveille le caractère miroitant de l'écriture : « subo y sudo ». Bien que sémantiquement divergentes, ces deux vocables mettent en jeu l'acuité visuelle du lecteur et donnent à voir ce processus spéculaire auquel s'adonne volontiers l'écriture de Alia Trabucco. De cette manière, le langage de Felipe s'ouvre et : se donne pour tâche de restituer un discours absolument premier mais il ne peut l'énoncer qu'en l'approchant, en essayant de dire à son propos des choses semblables à lui, et en faisant naître ainsi à l'infini, les fidélités voisines et similaires de l'interprétation.268(*) L'interprétation infinie du reste historique par l'image poétique de la maladie permet de dépasser la finitude du signe. Mais en s'ouvrant, le langage poétique de Felipe génère un authentique « chaosmos »269(*) défini par Michel Collot, son créateur, comme l' « [o]smose rêvée de l'ordre et du chaos. »270(*), la « tension interne entre des pôles opposés ; il exprime à la fois la violence de la sensation qui défait toutes nos constructions, et le désir de rebâtir un autre monde sur les ruines de celui qui a été détruit. »271(*) b) La dimension mythique Si le récit réaliste « accepte le monde comme une prison »272(*), le recours au récit mythique, qui « reprend le dynamisme du symbole »273(*), dévoile un certain optimisme en manifestant la possibilité de retrouver cet équilibre que Felipe cherche tout au long du roman (« recuperaremos el equilibrio ?, será posible empezar de nuevo ? »274(*)). Le récit poétique fait appel à un temps qui a été et qui n'est plus. Cette affirmation est renforcée et justifiée si nous faisons allusion à la séquence finale de l'oeuvre, lorsque le lecteur assiste à la seconde animalisation, mutation du corps du personnage diégétique Felipe en phoenix. C'est donc grâce au symbole et donc, aux moyens d'expression du poème, que l'autrice dévoile, à travers son personnage fictif, Felipe, la volonté de retrouver ce temps mythique, qu'est celui de l'unité primigène perdue : y me tomo un sorbo del líquido blanco, un trago grueso para borrarme, para no sentir esta pena que se esparce y me exige mirar mi propia piel que ya no es oscura, y veo mis piernas y tampoco son piernas ni mis brazos son brazos: ya no hay codos ni dedos ni muñecas, ahora me cubren escamas, no, es otra cosa, es una piel brillante y seca, son plumas hilvanadas en mi piel, plumas que me cuidan, me separan, me distinguen, y mis ojos tampoco son míos, están resecos y claros, cristales rotos, sí, y mis ojos rotos descubren mi ligereza, mis pupilas trizadas ven mi cuerpo alado y allá abajo ven también la ciudad inerte, la ciudad que es un profundo nido, un círculo como los ombligos y las ideas, eso es Santiago: un nido circular como será mi vuelo, porque debo olvidar a la Generala y volar al centro, descender hasta mi casa, volver, eso es, por eso me levanto, abandono a esta muerta tramposa en su humareda, le doy la espalda [...] y se me cae el cuerpo, se me cae el dolor, se me cae el aire y mis alas fatigadas se caen también al ver mi sombra cada vez más grande sobre el piso, una sombra informe que significa luz, es una luz que me corta la cara y me encandila, deslumbra las pupilas de mis poros y enciende mi descender abrupto, mi desplome inflamado, mi propio incendio, sí, porque soy un fuego con alas de sol en picada, eso es, y es el miedo, es la urgencia la que me permite ver el incendio que derramo en Santiago, en este asfalto gris bajo mi cuerpo exhausto, y entierro mis garras en mi nido, en el mismísimo centro de esta plaza y me acurruco en el piso y me hundo en lo que queda, entre los restos, entre la sequedad estéril de estas cenizas, y con mi último aliento abro mis ojos al relámpago, al haz que ilumina Santiago y aclara el cielo, este cielo abierto y profundamente azul, azul, azulado, sí, el azul del fuego que incendia todo, porque se queman los adoquines y el adobe y las tienditas, arden los sépalos y las corolas, se quema el todo y las partes, arde Santiago completo y con sus llamas las que me alumbran, porque soy el fuego y las cenizas, el ave más dorada y más prefecta, por eso debo hacerlo, porque soy un círculo exacto debo pronunciar estas palabras, cantarlas con mi voz radiante, mi canto furioso, con mi voz que muere y renace debo gritar mientras me alumbro, mientras me nazco a mí mismo, mientras me engendran las llamas debo quemar el aire con mi voz, con mi último aullido, con mi cifra: menos uno, menos uno, menos uno.275(*) Dans ce fragment, toujours dominé par l'effet-liste, les attributs humains de Felipe («mis piernas» ; «mi propiapiel» ; «mis brazos» ; «codos» ; «dedos» ; «muñecas») font, progressivement et sous l'effet de la substance hallucinogène, place à des attributs de volatile («plumas hilvanadas en mi piel» ; «mis pupilastrizadasven mi cuerpoalado»; «y entierro mis garras» ; «con mi últimoaullido») : le Phoenix prend son envol, s'élève et contemple la désolation que lui donne à voir la ville de Santiago, « profundonido », étouffé(e) sous les cendres volcaniques. Lorsquesoudain, c'est la « chute abrupte »276(*), dontl'accélérationvertigineuse est renforcée par l'asyndète («y se me cae el cuerpo, se me cae el dolor, se me cae el aire y mis alas fatigadas se caen también al ver mi sombra cada vez más grande sobre el piso »).L'élan horizontal du Phoenix,dans un fragment qui sollicite pourtant une lecture verticale, aspire à une renaissance, à un renouveau par le rôle destructeur et purificateur du feu qui émane du corps du Phoenix expirant. Ainsi, la brisure très présente au commencement de notre fragment (« cristales rotos » ; « ojos rotos » ; « pupilastrizadas » ; « es una luz que me corta la cara »), s'éclipse face à l'unité qui se profile à la fin de l'extrait par le pouvoir assembleur de la conjonction de coordination (« se queman los adoquines y el adobe y las tienditas, arden los sépalos y las corolas, se quema el todo y las partes, arde Santiago completo »). Cette séquence n'est en effet pas sans rappeler l'ekphrasis d'un des tableaux qui donne à voir « un pájaroardiendo en el cielo gris »277(*) que Iquela nous dépeint et qui siège sur un des murs « peuplés de cicatrices »278(*) du foyer familial. c) L'imaginaire post-apocalyptique La resta de Alia Trabucco transporte le lecteur dans un cadre dystopique. La folie de Felipe qui, rappelons-le, transfigure le réel par l'alchimie du verbe, nous donne à voir une vision alternative du monde qui l'enceint. Ainsi, la ville de Santiago qu'arpente Felipe est peuplée de cadavres, provoquant un écart référentiel : le miroir s'emplit de mercure279(*). Ajoutons aux cadavres, la présence de ces cendres étouffantes qui tombent sur Santiago, image allégorique d'un passé résiduel récalcitrant. Dans La resta, « l'espace a une puissante charge symbolique [...] la ville [...] [est] un espaceparticulièrementfécond »280(*). La ville de Santiago, « support de la mémoire collective »281(*), «abre una dimensión privilegiada para imprimir visualmente la imagen de un paisaje en descomposición, reducido a un basural de recuerdos, cadáveres, escombros, vestigios de experiencia»282(*). Idelber Avelar évoquant Walter Benjamin affirme que: Mientras que en el símbolo, con la transmutación de la decadencia, el rostro transfigurado de la naturaleza se revela fugazmente a la luz de una redención, la alegoría ofrece a la mirada del observador la facies hippocratica de la historia en tanto paisaje primordial petrificado. La historia, en todo lo que tiene, desde el comienzo, de extemporáneo, penoso, fallido, se acuña en un rostro, no, en una calavera . . . Este es el núcleo de la consideración alegórica, de la exposición barroca, mundana, de la historia como historia sufriente del mundo.283(*) L'allégorie cendrière rend ainsi donc visible la pétrification du passé violent sur la face maladivesantiaguine. Son surgissement inopiné provoque un effet de surprise. La logorrhée de Felipe s'atténue pour laisser place à un silence feutré : Dans La resta, c'est l'écriture archipélique, la discontinuité, qui met en place cette réticence textuelle qui génère une authentique tension chez le lecteur. Le lecteur est d'abord plongé dans un silence curieux, angoissant, qui est dû à l'absorption des sons par les particules cendrières tombantes à ce moment-ci de la diégèse et qui est à l'origine du suspense. Lorsque soudainement, les syntagmes épiphaniques et anaphoriques « nada arde. Nada se derrumba. Nada se calcina » surgissent prônant la sérénité, le calme, contrariant les attentes du lecteur qui s'attend au pire « Pero nada arde [...] » . Après cela, le lecteur est de nouveau plongé dans le silence. Dans l'économie globale de la diégèse, cette page constitue une pause, une césure au sein du récit. C'est une page charnière qui distingue l'avant et l'après : la vie de nos trois protagonistes avant la chute des cendres, puis la vie de nos trois protagonistes lorsque Santiago est aux prises de ces restes rebelles du passé. L'allégorie cendrière, qui permet la constitution d'un « souvenir-image »284(*) collectif de la perte, ainsi que la constitution de « monstres syntaxiques » oxymoroniques où vient se juxtaposer un autre monde sur le monde sensible, soumettent le roman à l'impur, à l'impropre pour tenter de figurer l'infigurable. Les pulsions poétiques discontinuelles de la voix de Felipe -et en moindre mesure de la voix de Iquela- brise perpétuellement l'équilibre romanesque que tente vainement de conserver la voix réaliste, domptée et orthodoxe de cette dernière. Dans son élan pour représenter l'irreprésentable, la voix impropre de Felipe joue avec le reste informe, l'épuise par l'imagination poétique. Mais ce jeu pousse la forme romanesque à l'hybridation, au métissage générique, l'obligeant à traverser l'espace poétique. « La pulsion d'archive », définie par Gabriel Ferreira Zacarias en s'appuyant sur les travaux de Hal Foster comme « un choc de temporalités, à un effort pour faire émerger le passé dans le présent et le présent dans le passé »285(*), contraint Nona Fernández de mettre le roman à l'épreuve. 3) La « pulsion d'archive »dans La dimensión desconocida a) Métatextualité et métafiction Dans La dimensión desconocida, « le texte-témoin » ou le pré-texte, incarné par le témoignage éclaté de El Papudo, traverse le terrain de la métafiction. La dimensión desconocida fait ainsi donc partie de ces oeuvres « narcissiques »286(*) dont Linda Hutcheon parle. Avant toute chose, il nous faut distinguer la métatextualité de la métafiction. Laurent Lepaludier, dans Métatexte et métafiction, nous signale que : [c]e sont tout de même les concepts de métatextualité et de métafiction qui sont le plus largement utilisés dans la critique contemporaine. La tradition française optera souvent pour le terme de métatextualité alors que l'anglo-saxonne choisira celui de métafiction (« metafiction »). On aurait tort cependant de les confondre [...]287(*) Ainsi, selon L. Lepaludier : [l]e texte de fiction sera métatextuel s'il invite à une prise conscience critique de lui-même ou d'autres textes. La métatextualité appelle l'attention du lecteur sur le fonctionnement de l'artifice de la fiction, sa création, sa réception et sa participation aux systèmes de significations de la culture.288(*) Plus précisément : on conviendra d'appeler « métafiction » tout texte de fiction comportant une dimension métatextuelle importante [...] [. L]e concept de métatextualité sera utilisé comme caractérisant le phénomène élémentaire déclencheur de prise de conscience critique du texte, il s'agit donc d'un principe fondamental, alors que celui de métafiction se rapportera à une caractéristique d'une texte littéraire dans son ensemble.289(*) La métatextualité, tout comme le rappelle Laurent Lepaludier, fait partie des cinq transtextualités dégagées par Gérard Genette dans Palimpsestes qui sont, rappelons-les : l'intertextualité, « relation de coprésence entre deux ou plusieurs textes »290(*), le paratexte « qui procur[e] au texte un entourage (variable) et parfois un commentaire, officiel ou officieux, dont le lecteur le plus puriste et le moins porté à l'érudition externe ne peut pas toujours disposer aussi facilement qu'il le voudrait et le prétendre »291(*), la métatextualité, qui « est la relation, on dit plus couramment de « commentaire », qui unit un texte à un autre texte dont il parle, sans nécessairement le citer (le convoquer), voire, à la limite, sans le nommer [...] C'est, par excellence, la relation critique »292(*), l'hypertextualité, qui représente « toute relation unissant un texte B ([...] hypertexte) à un texte antérieur A ([...] hypotexte) sur lequel il se greffe d'une manière qui n'est pas celle du commentaire »293(*), puis l'architextualité, « relation tout à fait muette, que n'articule, au plus, qu'une mention paratextuelle [...], de pure appartenance taxinomique. »294(*) La dimensión desconocida offre au lecteur un système hypertextuel complexe. À l'aune des éléments théoriques que nous avons évoqués antérieurement, nous relevons dans l'oeuvre de Nona Fernández la mobilisation de procédés métatextuels linguistiques, narratifs et cognitifs, qui interfèrent dans la relation hypertextuelle entre l'hypotexte, constitué par le témoignage de El Papudo, et l'hypertexte, constitué par l'oeuvre de Nona Fernández. La présence de ces procédés est d'ores et déjà visible dès l'incipit, tout comme l'atteste l'extrait ci-dessous : Lo imagino caminando por una calle del centro. Un hombre alto, delgado, de pelo negro, con unos bigotes gruesos y oscuros. En su mano izquierda trae una revista doblada. La aprieta con fuerza, parece afirmarse de ella mientras avanza. Lo imagino apurado, fumando un cigarrillo, mirando de un lado a otro nervioso, cerciorándose de que nadie lo sigue. Es el mes de agosto de 1984. Lo imagino entrando a un edificio en la calle Huérfanos al llegar a la Bandera. Se trata de las oficinas de redacción de la revista Cauce, pero eso no lo imagino, eso lo leí. La recepcionista del lugar lo reconoce. No es la primera vez que él llega a hacer la misma petición: necesita hablar con la periodista que ha escrito el artículo que está en la revista que trae. Me cuesta imaginar a la mujer de la recepción. No logro configurar un rostro claro para ella, ni siquiera la expresión con la que mira a este hombre nervioso, pero sé que desconfía de él y de su urgencia. Imagino que intenta disuadirlo, que le dice que la persona que busca no está, que no vendrá en todo el día, que no insista, que se vaya, que no vuelva, y también imagino, porque eso es lo que me toca en esta historia, que la escena es interrumpida por una voz femenina que, si cierro los ojos, también puedo imaginar mientras escribo.295(*) Au sein de la métatextualité -qui peut être implicite ou explicite-, Laurent Lepaludier, reprenant à son tour Linda Hutcheon, relève les procédés linguistiques, mais également l'association auxdits procédés de processus cognitifs. Ainsi, dans son « essai de typologie »296(*), il distingue « un [premier] procédé métatextuel de type explicite qui repose sur la dénotation par le concept »297(*), « la logique hyperonymique », « processus cognitif qui consiste en un rapprochement entre un élément et une catégorie qui le contient, et qui se situe donc sémantiquement à un degré supérieur de généralisation »298(*), « l'analogie : proportion, ressemblance, transgression », « procédé textuellement identifiable [...] qui opère dans les procédés tels que la métaphore, la comparaison ou l'intertextualité »299(*), la « distanciation par l'extrapolation », « qui [par le processus de mise en abyme] met en parallèle les instances narratives »300(*), la « distanciation par la questionnement », qui regroupe deux procédés « la mise en relief du signifiant et la déstabilisation des catégories conventionnelles [de la fiction] »301(*), puis enfin la « distanciation par l'excès », « liée à [la question] du dicible et des conventions du vraisemblable. »302(*) Pour revenir à notre incipit, nous remarquons le recours au procédé métatextuel de la « distanciation par le questionnement » et, plus spécifiquement, d'une « mise en relief du signifiant », qui met à son tour l'accent sur l'acte de narration, d'imagination, dévoilant sans ambages le jeu entre fiction et vérité, le caractère purement illusoire de la reconstruction du moment où El Papudo arrive au siège de le revue Cauce pour y livrer son témoignage. Ainsi, cette « mise en relief du signifiant » tend à une « déstabilisation des catégories conventionnelles de la fiction ». À cela, nous nous devons d'ajouter l'écriture en acte, procédé métatextuel narratif et cognitif, qui confère à l'oeuvre de Nona Fernández une indéniable dimension spéculaire. La combinaison entre la dimension métafictive et la trace testimoniale fait de l'oeuvre de Nona Fernández ce que Linda Hutcheon nomme dans Poética do pós-modernismo, ouvrage dans lequel elle se propose de démontrer que « le post-modernisme est un phénomène contradictoire, qui utilise et abuse, instaure puis subvertit les concepts qu'il défie »303(*) -phénomène que nous observons dans La dimensión desconocida de Nona Fernández-, une « métafiction historiographique »304(*). b) Une métafiction historiographique Pour Linda Hutcheon : La fiction [...] a pour coutume d'incorporer et d'assimiler ces données [historiques] afin de conférer une sensation de vraisemblance [...] au monde fictionnel. La métafiction historiographique incorpore ces données, mais elle ne les assimile que très rarement.305(*) La dimensión desconocida est en ce sens illustrative. En effet, l'oeuvre de Nona Fernández incorpore en son sein les données du témoignage de El Papudo, mais ne les assimile pas à une intrigue fictionnelle. Les éléments du témoignage sont réinvestis par l'imagination de l'autrice : El compañero Yuri tenía mucha sed a causa de la corriente que le habían aplicado en la pieza de las torturas. El hombre que torturaba dice que el compañero Yuri pidió agua y que uno de los centinelas dejó correr la llave de la ducha para que el compañero Yuri bebiera. El hombre que torturaba dice que el centinela cerró la llave, pero que el compañero Yuri siguió quejándose de sed. Débil, como estaba, ocupó sus escasas fuerzas en abrir nuevamente la llave de agua, pero no logró beber, ni tampoco volver a cerrarla. El hombre que torturaba dice que el agua corrió la noche entera sobre el cuerpo del compañero Yuri. El hombre que torturaba dice que al día siguiente el compañero Yuri amaneció muerto de una bronconeumonía fulminante. [...]306(*) Imaginoal compañero Yuri inmovilizado en ese baño. Las pocas energías que tiene las ocupa para beber del agua que cae por su cuerpo desnudo.307(*) Ce fragment, qui trouve son écho dans le témoignage du bourreau308(*), révèle la dimension métatextuelle, de citation, qu'il existe entre l'oeuvre de Nona Fernández et le témoignage de El Papudo et renforcée dans l'exemple que nous reproduisons ci-dessus par la présence de la complétive conjonctive « El hombre que torturaba dice que... ».Remarquons une nouvelle fois la « mise en relief du signifiant » (« Imaginoal compañero Yuri inmovilizado en ese baño. »)qui met en avant la volonté de l'autrice de ne pas tromper, de ne pas manipuler le lecteur, mais, bien au contraire, d'éveiller sa conscience critique, en l'invitant à questionner ouvertement les relations entre Histoire et fiction. La dimensión desconocida invite le lecteur à développer, à éveiller son esprit critique, à sortir de cette « nuit »309(*) dont Michel Butor parle, sortie nécessaire pour pouvoir être apte à remettre en question tout type de discours susceptible de lui être imposé. Dans le cas précis de l'oeuvre de Nona Fernández, le combat sera mené contre le discours historiographique imposé et construit depuis la dictature en pratiquant « el arte de hacernos ver sólo una pelota de fútbol »310(*), nom par lequel l'autrice se réfère à l'art manipulatoire et qui trouve son origine dans un programme télévisé, Juegos de la mente.C'est ainsi que l'autrice narre son expérience : En el televisor vemos cuatro pequeñas pelotas de fútbol. Cada una se encuentra ubicada en una de las esquinas de la pantalla. El animador nos pide que elijamos una y que nos concentremos en ella. Yo elijo la de la esquina superior izquierda. Luego sigo la instrucción y me concentro. No miro las otras tres, tal como se me ha ordenado, sólo miro mi pequeña pelota de la esquina superior izquierda. Mientras lo hago escucho la voz del animador que va describiendo justamente lo que está pasando frente a mis ojos en este momento: las otras tres pelotas comienzan a desaparecer de la pantalla. De un momento a otro sólo veo la pelota que elegí. Lo curioso es que cuando me dan la instrucción para que vuelva a ampliar la mirada al resto de la pantalla, me doy cuenta de que las otras tres pelotas siempre estuvieron ahí. Mis ojos las vieron, pero cuando me concentré sólo en una, mi cerebro dejó de interpretar a las demás. Las invisibilizó.311(*) Les commentaires métatextuels couvriront ainsi une fonction didactique à l'égard du lecteur. Les frontières entre le monde représenté et l'univers du lecteur explosent, donnant lieu à une « fusion d'horizons », et attestent de la dimension métaleptique de la lecture312(*) : Si el lector hubiera puesto real atención a los datos objetivos planteados en todo este libro, habría asumido la presencia de M. Una presencia lateral, quizá fantasmal, pero una presencia al fin y al cabo. Incluso ha sido mencionado en un capítulo como el padre del hijo de la narradora, pero alguien ha pensado en él mientras llegamos a esta parte de la lectura? Estoy segura de que no. Nadie lo ha imaginado con propiedad. El truco ha sido no enfocar la atención en M. Hasta ahora, que doy la instrucción para dejar de mirar la esquina superior izquierda y ver la pantalla completa.313(*) Ce fragment, qui prend le lecteur au dépourvu, lui dévoile que la dimension métafictionnelle participe à cet éveil de la conscience critique, contribue à lutter contre la vue courte des choses, car elle permet au lecteur de se rendre compte des défaillances que peut contenir sa lecture. De cette manière, Nona Fernández invite le lecteur à travailler sa conscience critique afin de mener une lecture plus englobantes des discours qu'on peut être susceptible de lui imposer. Les procédés métatextuels vont toutefois de pair avec l'écriture parodique critique. c) L'écriture parodique La parodie, stratégie purement post-moderniste: [semble être] une modalité privilégiée de l'autoréflexivité formelle du post-modernisme car l'incorporation paradoxale du passé dans ses structures mène le plus souvent vers ces contextes idéologiques de manière un peu plus évidente, plus didactique, que d'autres formes. La parodie semble offrir, par rapport au présent et au passé, une perspective qui permet à l'artiste de parler pour un discours tout en étant dans ce discours, mais sans être récupéré par celui-ci.314(*) Le recours à la voie parodique dans le cas de La dimensión desconocida s'inscrit dans cette volonté éternelle de réincorporer la voix des subalternes au sein du grand récit officiel et, par voie de conséquence, continuer à exiger que justice soit rendue. De cette manière : L' « excentrique » [...] revient sur le devant de la scène. Ce qui est « différent » est valorisé par opposition à la « non-identité » élitiste et aliénée mais aussi l'impulsion uniformisante de la culture de masse. [...] La parodie intertextuelle des classiques canoniques américains ou européens est l'une des formes d'appropriation de la culture dominante blanche, masculine, de la classe moyenne, hétérosexuelle et eurocentrique, pour la reformuler -avec des changements significatifs. Elle ne rejette pas cette culture, car elle ne peut pas le faire. Le post-modernisme montre sa dépendance à travers l'usage du canon, tout en révélant sa rébellion en abusant dudit canon.315(*) Au demeurant, nous noterons que la parodie, cette impulsion excentrique, répond à une volonté de renouvellement des formes de réécriture historique, et vise à redynamiser le système littéraire et idéologique. Ainsi le discours parodique dévoile que : [...] la structure est désormais épuisée [...] et il est nécessaire de la vider pour lui injecter un nouveau dynamisme avec quelque chose de nouveau. Car lorsqu'un système idéologique et littéraire est saturé, il a besoin d'un évidement pour générer une nouvelle remise en question. Le parodiste démythifie tout le système sur lequel les mythes reposent, il questionne l'idéologie, sans apporter de réponses, mais en faisant réfléchir le lecteur.316(*) Dans La dimensión desconocida, Nona Fernández relit, réécrit le témoignage de El Papudo en empruntant les voies de la parodie intertextuelle critique. Pour ce faire Nona Fernández, tout comme nous l'avons mentionné auparavant, optera pour le même schéma narratif que la célèbre série fantastique nord-américaine The Twilight Zone de Rod Serling datant de 1959 : Le blanc typographique suivant l'ouverture de la porte de la quatrième dimension instaure une tension chez le lecteur, c'est un moment de suspense que lui offre cette coupure textuelle avant de lui montrer la réalité difficilement croyable cachée derrière cette porte que les discours institutionnels ont silencieusement refermée. Nona Fernández recycle, s'approprie, la forme d'un « classique canonique américain », de « la culture dominante blanche, masculine, de la classe moyenne, hétérosexuelle » et la « reformule », la retournant contre ladite culture hégémonique excluante, manipulatrice, démythifiant le système qui légitime leur mainmise sur le pouvoir et donc, les grands discours générés au lendemain de la dictature au Chili. Néanmoins, cette démythification se fait au profit de ce regain de vitalité du système littéraire, nous prouvant encore une fois le caractère protéique du roman. C'est donc en faisant converger au sein de l'espace romanesque dénudé la relecture du témoignage et en ayant recours au didactisme critique par l'écriture métafictionnelle et parodique que Nona Fernández tisse une critique admirable du discours historiographique de la « Transition » chilienne tout en rappelant que la littérature a encore un rôle à jouer au sein de nos sociétés fragmentées. La resta et La dimensión desconocida sont ainsi donc deux oeuvres réflexives, hors cadre, qui « port[ent] en [elles] la multiformité infinie des résistances dialogiques »317(*), « se donn[ant] pour limite l'infini du jeu »318(*). Ainsi, « se maintient l'aspect inépuisable d'une oeuvre indéterminée : [leur] forme reste en expansion, par définition inaccomplie. »319(*). Nous l'avons vu, ces oeuvres de l'écart, sollicitent très souvent le regard du lecteur pour une restitution du passé présent dans toute sa sensibilité. C'est ainsi que nous allons désormais nous intéresser plus précisément à la pensée sensible du reste que tissent nos deux oeuvres. III) DESEXPÉRIENCES SENSIBLES DEL'« EXFORME »320(*) La palabra es silencio y sonido articulado Luz y sombra organizada Cruza y combina formas de energía Permite ver el sonido y oír la imagen Aire o aliento modulado Construye y destruye a la vez Doble naturaleza o ambigüedad esencial que es fuente del preguntar La palabra crea el ser y es creada por él en un misterio del que sólo tenemos las claves para hacerlo crecer 321(*) Cecilia Vicuña 1) Prendre soin d'autrui par l'écriture a) Art et éthique La controverse entre l'art et l'éthique n'est pas un sujet nouveau, et a longtemps déchiré la pensée philosophique en quatre tendances qui sont : le « scepticisme esthétique »322(*), qui « conteste la pertinence du fait de parler des oeuvres d'art en termes moraux »323(*), le « scepticisme moral »324(*), « hérité de Platon, [qui] insiste sur l'immoralité des oeuvres d'art »325(*), l' « optimisme moral »326(*), qui « considère a contrarioque les oeuvres d'art ont une valeur morale positive »327(*) et l' « optimisme disjonctif »328(*). Nous nous inscrivons dans le sillage de pensée de Sandrine Darsel qui, dans son travail « Imagination narrative, émotion et éthique », défend une thèse performative de l'éthique dans les oeuvres d'art, considérant l'expérience esthétique comme une performance morale. Dans le cadre de nos deux oeuvres, l'oeuvre d'art peut prendre part au sein de l'éducation morale du lecteur, du spectateur, par les sentiments moraux, les réactions affectives morales qu'elles suscitent tels que l'empathie. Ainsi, tel que nous le montrerons tout au long de cette ultime partie : [i]l ne s'agit pas de penser que, de concevoir que [...], mais de penser en, c'est-à-dire en mobilisant ses capacités perceptives, imaginatives et émotionnelles : - penser en ressentant la douleur de tel x ; - penser en regardant ce x ; - penser en imaginant ce que cela ferait d'être ce x ; - penser en écoutant l'histoire de x.329(*) De cette manière, l'art narratif, en faisant vivre au lecteur une expérience esthétique dusublime-abject suscitant des émotions démocratiques, vise à prendre soin de l'Autre et de son histoire : c'est l'éthique du soin. b) L'éthique du soin La resta et La dimensión desconocida sont deux poéthiquesdémocratiques, attentives, où art et éthique du soin se donnent la main, allant à contre-courant de la doctrine, L'Art pour l'art, développée par Théophile Gautier. L'éthique du soin, qui surgit en 1982 aux États-Unis dans les travaux de Carol Gilligan330(*), est la « capacité à prendre soin d'autrui »331(*) et, plus précisément, est « une activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre « monde », de sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible »332(*). Les travaux sur l'éthique du soin continueront à apparaitre au cours des années postérieures. Parmi ces travaux, nous nous devons de relever le travail du philosophe éminent Paul Ricoeur qui développa dans Soi-même comme un autreune philosophie de l'éthique de la « sollicitude », pensée qui se recoupe avec la pensée développée par Carol Gilligan. Dans le domaine littéraire, la théorie morale du soin se définit selon : - un matériau thématique privilégiant les subalternes et les êtres privés de parole : à la différence de la préoccupation traditionnelle du roman pour les « minuscules » ou les pauvres, c'est une infériorité communicationnelle à laquelle s'attaque l'écrivain : suggérant la reconnaissance d'une autonomie au sein de la dépendance, la théorie du care consonne d'autant mieux avec la littérature qu'elle est une théorie morale asymétrique, qui ne suppose pas l'échange complet des positions ni la ressemblance absolue, mais une modification de l'attention dirigée vers de nouvelles questions et de nouveaux sujets ; - le déplacement de l'intensité émotionnelle de la situation en elle-même à la relation du narrateur envers son sujet : c'est non la représentation du pathos, mais la représentation de l'empathie comme processus qui est visée par le romancier, au double objectif d'éviter la saturation émotionnelle et d'introduire de la réflexivité critique dans l'empathie ; - la déflation du roman en récit : c'est l'ordinaire de la détresse et non l'extraordinaire qui est visé, même dans la peinture de la catastrophe, ce qui conduit le récit à un art délibérément pauvre et antiromanesque, ou, du moins, à dénuder ses procédés par une forme de culpabilité liée à la parole littéraire ; - l'absence de discours moral abstrait : le discours ou un métadiscours de l'écrivain ne propose pas l'universalisation du cas par l'exemplarité ou la théorisation, mais l'activation d'une identification à portée restreinte. De ce point de vue, les romanciers contemporains proposent non une idéologie, mais plutôt une micropolitique du sensible, exigence qui n'est pas assimilable à un projet prédéterminé, mais s'exerce de manière conjoncturelle et situationnelle. Au contraire, « il arrive fréquemment que la compréhension morale soit transmise sans que l'on ait recours à des jugements moraux.333(*) Pour Paul Ricoeur, « [l]a souffrance n'est pas uniquement définie par la douleur physique, ni même par la douleur mentale, mais par la diminution, voire la destruction de la capacité d'agir, du pouvoir-faire, ressenties comme une atteinte à l'intégrité du soi. »334(*) L'espace précaire de l'écriture de nos deux autrices est en ce sens « l'épreuve suprême de la sollicitude »335(*), « l'inégalité de puissance [...] [est] compensée par une authentique réciprocité dans l'échange »336(*). La charge empathique narrative et esthétique introduite dans la texture sera au fondement de l'échange émotionnel entre le lecteur et l'Autre mémoriel privé de sa capacité d'agir, privé d'espace de représentation. 2) Des « écritures-vision » a) La voix plastique de Felipe Souvenons-nous, pour Horace : « ut pictura poesis ». Cependant, il ne faut oublier que « les signes employés dans l'imitation de la peinture et par la poésie sont de nature différente, l'une se servant de figures et de couleurs dans l'espace, et l'autre de sons articulés dans le temps. »337(*) De plus, si « les corps et leurs propriétés visibles seront [...] le domaine propre de la peinture »338(*), les actions, quant à elles, seront le domaine de la poésie339(*). Si, tout comme l'affirme Lessing, « [l]a peinture [...] ne peut saisir qu'un seul instant de l'action »340(*) et que « la poésie [...] ne peut saisir qu'une seule propriété des corps »341(*), peinture et poésie forment un couple indissoluble, notamment dans La resta. Cette affirmation est renforcée si nous pensons avec Lessing une nouvelle fois que : Les corps n'existent pas seulement dans l'espace ; ils existent aussi dans le temps. Ils ont de la durée, et chaque instant de leur durée peut nous les montrer sous une apparence différente et dans un rapport différent. Chacune de ces apparences, chacun de ces rapports momentanés est l'effet d'une action antécédente, peut devenir la cause d'une action subséquente, et par conséquent nous présente une sorte de centre d'actions. La peinture peut donc aussi imiter les actions, mais seulement d'une manière indicative et par le moyen des corps. D'un autre côté, les actions ne peuvent exister par elles-mêmes ; il faut qu'elles soient produites par certains êtres agissants. Ainsi, pour autant que ces êtres sont de corps ou peuvent être regardés comme tels, la poésie peint aussi les corps, mais seulement d'une manière indicative et par le moyen des actions342(*) Dans La resta, la frontière entre peinture et poésie est dissoute, donnant lieu à une authentique « dépiction »343(*) qui suscite chez le lecteur des mouvements d'oscillation infinie entre lisibilité et visibilité344(*). L'impression chez le lecteur d'être face à une véritable « peinture [mentale] parlante »345(*) provient de la dimension hypotyposique de la voix de Felipe. La voix de Felipe devient un interstice où convergent l'ekphrasis et la simple description d'actions. L'hypotypose acquiert cependant un rôle critique. Effectivement, Felipe (phantaston), être délirant dont la voix « peint les choses d'une manière si vive et si énergique qu'[il] les met en quelque sorte sous les yeux, et fait [du] récit [...] une scène vivante »346(*), mobilise la force critique de la phantasia, afin d'introjecter des « exformes », résidus abjects du passé violent traumatique dans l'univers extratextuel : Saltaditos: un domingo sí y el otro no, así empezaron mis muertos, sin ninguna disciplina, fin de semana por medio y otras veces dos seguidos, sorprendiéndome sin falta en los lugares más extraños: tumbados en los paraderos, en las cunetas, en los parques, colgando de los puentes y de los semáforos, flotando rapidito Mapocho abajo, en cada rincón de Santiago aparecían los cuerpos dominicales, cadáveres semanales o quincenales que yo sumaba metódico y ordenado, y la cifra crecía como crece la espuma, la rabia, la lava, subía y subía aunque justamente sumar fuese el problema, porque no tenía sentido subir si todos saben que los muertos caen, culpan, tiran, como este muerto que encontré tirado en la vereda justo hoy día, un muerto solitario esperando muy tranquilo que yo llegara, y de casualidad nomás yo iba paseando por Bustamante, buscando algún sucucho donde tomarme unas cervezas para capear tanto calor, este calor pegajoso que derrite hasta los cálculos más fríos, en eso estoy, desesperado por un tugurio para refrescarme, cuando veo en la esquina con Rancagua a uno de mis muertos revoltosos, todavía solo y tibio, todavía indeciso entre quedarse a un lado o lanzarse al otro, ahí me esperaba vestido con la ropa equivocada, abrigadito con gorro y chaleco de lana, como si la muerte habitara el invierno y él tuviese que visitarla preparado, en una esquina yacía mi muerto con su cabeza caída hacia delante, yo me acerco [...]347(*) Dans cet incipit, où le « duelo » laisse son empreinte acoustique dans des vocables tels que « muertos » ; « puentes » ; « cuerpos », la voix de Felipe déconstruit la réalité diégétique en la fragmentant. L'organisation syncopée de la « matière-émotion » caractéristique de l'hypotypose descriptive tout comme le note Yves Le Bozec, impacte la représentation mentale que le lecteur se fait de l'espace diégétique. Dans sa volonté de faire parler les traces que renferment les lieux, la voix de Felipe, qui opère par « introjections pulsionnelles »348(*) de morts-vivants au sein de l'espace-corps diégétique, génère une « idée-sentiment »349(*), nous livrant la représentation d'un espace en décomposition, déchiré. Ainsi, «los paraderos», «las cunetas», «los parques», «los puentes», «los semáforos», «el río Mapocho ensangrentado»350(*), ese río que «nadie se quiere tomar en serio [...], nadie excepto él»351(*), se voient secoués, exprimés par la voix conjuguée à l'imagination. Felipe, qui parle « une langue-peinture »352(*), invite personnellement le lecteur à une réarticulation des sons, des codes verbaux, en vue d'une représentation visuelle, plastique, dynamique : c'est la « lecture-vision »353(*). En ce sens, la combinatoire des codes visuels (déictiques, adverbes de lieu) et l'emploi du présent de narration permettent de conférer à la texture une dimension picturale. C'est ainsi que dans notre incipit, la voix expositive, indicative, de Felipe met en texte les images qu'il perçoit et situe, décrit au lecteur-spectateur, comme s'il était face à un authentique tableau, la posture dans laquelle se trouvent ces morts-vivants, la place qu'ils occupent sur la toile («Mapocho abajo»; «en cada rincón de Santiago»; «este muerto que encontré tirado en la vereda justo hoy día»; «en la esquina con Rancagua»). En s'alimentant de la force de la matière critico-poétique hallucinatoire, l'hypotypose descriptive couvre une fonction argumentaire et déconstructiviste. De cette manière, Felipe tend, en peignant dans l'espace-corps ces présences mortifères -symboles de la violence cachée-, à présentifier des traces résiduelles de la violence politique. Cadavres «tumbados en los paraderos, en las cunetas, en los parques, colgando de los puentes y de los semáforos, flotando rapidito Mapocho abajo, en cada rincón de Santiago» puis, un peu plus loin l'apparition «[de] uno de [sus] muertos revoltosos, todavía solo y tibio, todavía indeciso entre quedarse a un lado o lanzarse al otro [...] vestido con la ropa equivocada, abrigadito con gorro y chaleco de lana» constituent des traces rebelles d'une mémoire collective subreptice, qui déchirent l'illusion référentielle s'instaurant depuis les toutes premières lignes de l'incipit. Si dans l'incipit, la voix plastique de Felipe fait usage du présent de narration, qui donne au lecteur une impression d'immédiateté, in medias res, nous pouvons évoquer un second exemple dans lequel la voix de Felipe mobilise le présent d'énonciation au service d'une hypotypose surprenante qui vivifie la pensée critique en acte de Felipe : voy tranquilito paseando por Yungay, tambaleándome por tanto calor, cuando veo sentado en la cuneta a un tipo encogido como contorsionista, la cabeza caída entre las rodillas, el cuello torcido, y claro, con esa pinta cualquiera asumiría que es un borracho, los restos del carrete del fin de semana u otro que ya no pudo con el calor de mierda santiaguino, pero no, es un muerto; y después es cosa de subirse a la micro y fijarse en que ese sentadito atrás, el que aplasta el cachete contra el vidrio, no está dejando precisamente su aliento en la ventana, no, ese también es un muerto; y luego basta aguzar la mirada, tener ojo de lince, ojo de res, ojo de buey para verlos en todas partes, es cosa de bajarse de la micro, dilatar cada uno de los ojos de la piel y cachar que el que espera en el paradero seguro-seguro llega tarde, ese también estiró la pata, porque así llegan, sin aviso y sin fanfarria, y yo anoto en mi cuaderno como en el conteo de votos de las elecciones: de cinco en cinco los voy restando, desde el primero en adelante, ese que apareció entrada la noche, conmigo vagando distraído por la Plaza de Armas, viendo a los guarenes comerse los restos del maní confitado, en eso andaba yo, tomando aire de preemergencia, oliendo las flores negras en la noche negra, intentando ventilarme las ideas del día, cuando de repente veo una cosa rara en medio de la plaza, ahí donde había una horca [...] en ese lugar veo algo inusual y me acerco, sí, y por un momento creo que es un quiltro durmiendo la siesta y camino cauteloso para saludarlo, pero cuando estoy a su lado me doy cuenta de que es otra cosa, es un hombre o una mujer, o a lo mejor es un hombre y una mujer al mismo tiempo, eso pienso, y veo que el pobre está tumbado de espaldas como solo se estiraría un muerto: dislocado, acartonado, calladito el altísimo muerto con un pañuelo rojo en su cabeza, una pollera gruesa y cuadriculada, unos calcetines con rombos y sus chancletas de hule verde agua, ahí estaba con su cara ancha pero sin cara [...]354(*) Dans cette seconde scène où simultanéité narrative et simultanéité picturale, où lisibilité et visibilité s'entrecroisent, Felipe emmène le lecteur dans un cadre référentiel identifiable : entre la place Yungay et la Plaza de Armas de Santiago, le centre historique, pour lui offrir une seconde peinture vive de sa perception subjective et critique. Cependant, le lecteur aperçoit une nouvelle fois très vite de l'effritement de l'illusion référentielle, car aussitôt dévoilé, de nouvelles présences spectrales apparaissent sur la toile et prennent d'assaut la capitale chilienne et, plus précisément, «en la cuneta», «en el paradero», «en medio de la plaza», «ahí donde había una horca». L'écriture spéculaire, sur laquelle l'hypotypose descriptive prend appui et qui se manifeste dans ce fragment pictographique à travers la présence de verbes performatifs («voy tranquilito paseando por Yungay [...] cuando veo [...] cuando de repente veo [...] y me acerco [...] pero cuando estoy a su lado me doy cuenta de que es otra cosa...»), tisse une relation basée sur la complicité entre Felipe et le lecteur-spectateur, dont les déchiffrements imaginatifs du réel peignent peu à peu simultanément un tableau éclaboussé par les traces de violence («veo [...] a un tipo encogido como contorsionista, la cabeza caída entre las rodillas , el cuello torcido [...] veo una cosa rara en medio de la plaza [...] tumbada como solo se estiraría un muerto: dislocado, acartonado [...] con su cara ancha pero sin cara [...]»), qui se déchire en deux: entre la sphère officielleet la sphère inofficielle, ce qui est représentable et irreprésentable. Parfois cependant, l'image fixe deviendra mobile. En ce sens, il est intéressant de se pencher sur le dialogue entre la parole littéraire et le langage cinématographique que nous retrouvons dans nos deux oeuvres. b) «Cinécrire»355(*) la trace « Le film dramatise l'espace du regard afin de le rendre perceptible. Espace du regard, espace mental, je les crois analogues et les renvoie l'un à l'autre. Leur texture est invisible, comme l'air dans la vue »356(*) nous dit Bernard Noël.Cette affirmation prend d'autant plus de sens si nous pensons à nos deux oeuvres au sein desquelles l' « espace du regard » et l' « espace mental » agissent en connivence pour générer un authentique film mental, mettant le corps du lecteur à l'épreuve car n'oublions pas que: sur l'écran de cinéma, sont projetéesdes formes et des figures, mais elles sont reçues, par le corps « tout percevant » du spectateur, comme une énonciation qui transforme son environnement immédiat et son champ de présence sensorielle en un univers de fiction ambiant et enveloppant, au sein duquel les inscriptions de surface sont converties en animation d'une chair imaginaire. De même, sur la page du poème, sont inscrites des formes écrites, mais elles sont transformées au moment de la lecture, par le corps du lecteur, en un univers poétique qui est à la fois « derrière » la page et « enveloppé » dans les limites de son propre corps : le débrayage par projection et inversion est ici clairement à l'oeuvre.357(*) La vue, le regard, jouent un rôle médiateur clé dans le processus de « conversion de manifestations extéroceptives en vécus intéroceptifs »358(*): y entonces escucho con atención y no tengo dudas, una voz raja una garganta y dice: tenís pucho, pendejo?, y yo me asusto, retrocedo porque es solo una voz, porque no se ven los cuerpos en el fondo de esta noche, y aunque no tengo miedo le digo que sí, pero no lo dice mi voz, lo dice mi cabeza moviéndose de arriba abajo y entonces saco el pucho de mi bolsillo y miro al oriente y compruebo que no se ve la cordillera, no se ven los cuerpos, no, solo unos nubarrones bajos y blancos, unas nubes de cemento, de mármol, de huesos[...]359(*)y es que a mí el Mapocho me distrae, me hipnotiza, me lleva lejos, me lleva a ver a un costadito del río un tambor, un tacho de basura con un fuego que se sumerge al fondo del río, y pienso que alrededor deben estar los pendejos, los esqueletos bailando a la orilla de esta caleta inexistente360(*) [...] y el fuego a un costado del río aparece y desaparece y su voz se aleja y se acerca y el puente deja de vibrar y se queda ahí, paralizado361(*) El abogado vigila. Todo parece normal en la calle. Nadie en el barrio imagina lo que está ocurriendo al interior de la camioneta. Una mujer pasea con un coche a un niño pequeño. Dos abuelas avanzan con calma por el frontis de la iglesia. Le sonríen al toparse con su mirada.If there's something strange/ in your neighborhood/ who you gonna call? Ghostbusters!, sigue la radio. Un furgón de Carabineros aparece en el sector. Avanza lentamente y se detiene a observar al vehículo de la Librería Manantial. El abogado toma rápidamente una guía de despacho y desvía la mirada de los carabineros que pasan a su lado. Canturrea la canción de la radio mientras aparenta trabajar y con un lápiz marca quién sabe qué en una lista de entregas imaginarias. Los pacos, avisa con disimulo.362(*) Atrás el hombre que torturaba suda por el calor de diciembre y por los nervios. Su huella digital no se imprime en el formulario. La tinta se resbala de sus húmedos dedos y al tocar el papel sólo deja manchas, líneas borrosas de una identidad desenfocada. Lo intentan una vez más. Dos, tres, cuatro veces, pero no resulta. La angustia se apodera del furgón. Por un breve momento el hombre que torturaba imagina que su cuerpo se está disolviendo. Que su rostro ya no es su rostro, que él mismo no es más que una sombra o un reflejo de lo que era o es. Una mancha igual de negra que las que deja en cada formulario. Sus huellas son fundamentales para cualquier documento de identidad, por falso que sea. Sin ellas no habrá carnet para viajar al sur, hasta la frontera con Argentina, no habrá pasaporte para salir del país. Pero los formularios se van arrugando y desechando ante cada intento fallido. Y mientras más formularios se pierden, más sudor, más nervios, y el trámite se alarga y los pocos minutos se vuelven horas. El paso de los carabineros parece ejecutarse en cámara lenta, como si el reloj de La dimensión desconocida hiciera lo suyo y el tiempo se hubiera estancado en esa calle y no fuera más que un paréntesis.363(*) Entre « caméra-stylo »364(*) subjective et « caméra-stylo » objective, dans ces deux « spectacle[s]-en-regard »365(*), nous : éprouv[ons] le volume extérieur de [notre] regard comme un espace physique doublant le volume interne de [notre] corps. Les images du monde en arrivent ainsi à former un spectacle intériorisé. [...] le regard est à la fois l'espace d'une translation et celui d'une activité intérieure -comme si le corps allait jusqu'où vont les yeux [...]- [...] le regard déchaîne un torrent spatial qui emporte ma face et mon dos. Et tout s'accélère dans une perdition de l'identité...366(*) La trace cérébrale et la trace archivée, sont à la fois des imagesmobileslues, senties, éprouvées par les sens : ellessont « cinécrites ». Dans la philosophie occidentale, tout comme nous le rappelle Françoise Dastur, c'est Merleau-Ponty qui « restaur[a] le parallélisme entre le voir et le toucher [extensible à l'entendre] que contestait Husserl »367(*). Ainsi: Reconnaît[-il] dans le voir et le toucher, aussi bien d'ailleurs que dans l'entendre, car les « sens » ne sont pas, selon une « délimitation grossière », des ouvertures à des aspects différents du monde, mais ils sont par-delà leur incommunicabilité foncière, structurellement ouverts les uns sur les autres, et les parties du monde qu'ils révèlent sont chacune pour elle-même « partie totale » [...]368(*) La vue du lecteur agit de manière réflexive sur son ouïe dans nos deux illustrations évoquées ci-dessus, tel est le cas pour les paroles proférées par l'inconnu qui rencontre Felipe sur le pont : « y entonces escucho con atención y no tengo dudas, una voz raja una garganta y dice: tenís pucho, pendejo? » ou alors pour les extraits du générique du célèbre film Ghostbusters résonnant dans la tête du lecteur au moment de la lecture : « If there's something strange/ in your neighborhood/ who you gonna call? Ghostbusters!, sigue la radio.»Le caractère coenesthésique de la texture s'inscrit dans une volonté de montrer, faire voir, faire sentir des images dans toute leur dimension sensible tout comme le ferait l'art cinématographique. Cependant, il convient de préciser que ces images, suscitées par la trace archivée et/ou la trace cérébrale, plongent le lecteur dans le contexte dictatorial. Afin de vivre, sentir ces images, ces traces cérébrales, le lecteur se doit d'abandonner, de perdre temporairement sa propre identité, tel est le cas dans notre premier exemple. Le lecteur s'adonne, dans La resta, à une « feintise ludique d'actes mentaux »369(*), qui transite nécessairement par une « substitution d'identité narrative »370(*). De cette manière, le lecteur est en mesure de partager l'oeil de Felipe, d'incarner son «corps-actant»371(*) et de déplier, lire l'espace, représenté dans toute sa profondeur sensorielle nouvellement, avec son imagination dynamique pour y faire naître des traces du passé traumatique («y es que a mí el Mapocho me distrae, me hipnotiza, me lleva lejos, me lleva a ver a un costadito del río un tambor, un tacho de basura con un fuego que se sumerge al fondo del río, y pienso que alrededor deben estar los pendejos, los esqueletos bailando a la orilla de esta caleta inexistente [...] y el fuego a un costado del río aparece y desaparece»). La dimensión desconocida arbore presque le même aspect qu'un script cinématographique. Néanmoins, ce n'est qu'une simple impression. En effet, qui dit script cinématographique dit film encore à porter à l'écran. Or, ici, le film est porté sur l'écran mental du lecteur. Dans ce passage, nous sommes au moment où El Papudo s'apprête à quitter le Chili après avoir révélé tout ce à quoi il avait assisté, pris part. L'usage du présent de l'indicatif, notoire également dans La resta, permet au lecteur d'actualiser la scène, la séquence. Ainsi, peut-il se reproduire mentalement cette séquence marquée par l'angoisse, la tension, transmise par les mouvements de la « caméra-stylo ». Effectivement, après un plan d'ensemble dévoilant un espace serein (« Todo parece normal en la calle. Nadie en el barrio imagina lo que está ocurriendo al interior de la camioneta. Una mujer pasea con un coche a un niño pequeño. Dos abuelas avanzan con calma por el frontis de la iglesia. Le sonríen al toparse con su mirada.»), le « fond au blanc », pourrions-nous dire pour nous référer au rôle que joue ici le blanc typographique, introduit la présence inquiétante des carabiniers dans le champ de la «caméra-stylo» objective («Un furgón de Carabineros aparece en el sector. Avanza lentamente y se detiene a observar al vehículo de la Librería Manantial.»). Parallèlement, et après un nouveau « fondu au blanc », la « caméra-stylo »s'introduit dans la camionnette pour saisir la tension qui s'est alors emparée des voyageurs qui s'empressent de finaliser les nouveaux papiers d'identité que El Papudo utilisera désormais. Le « slow-motion », le ralenti, réalisé par la « caméra-stylo », et qui fait contrepoint avec la précipitation maladroite et angoissante du fourgon, (« El paso de los carabineros parece ejecutarse en cámara lenta»)contribue à intensifier la curiosité du lecteur, à le maintenir en haleine. La « cinécriture » de la trace archivée et/ou cérébrale s'inscrit dans le sillage d'une volonté de renouveler les modes représentationnels dans la littérature. La resta et La dimensión desconocidasont deux oeuvres qui nécessitent la coopération d'un lecteur actif tel que nous l'avons montré jusque-là. Cependant, ce ne sont pas que de simples films mentauxà voir, ce sont également des « matières-émotion » qui mettent à l'épreuve l'empathie du lecteur. 3) Le témoignage et la voix : des « matières-émotion » a) La parole dans La resta : un « corps-support » La perte de sensibilité du souvenir traumatique collectif constitue un autre trait caractéristique de la « démocratie » de la post-dictature chilienne où : todos los idiomas que sobrevivieron a la crisis han ido reciclando sus léxicos en pasiva conformidad con el tono insensible -desafectivizado- de los medios de masas, [que] sólo administran la «pobreza de experiencia» (Benjamin) de una actualidad tecnológica sin piedad ni compasión hacia la fragilidad y precariedad de los restos de la memoria herida.372(*) La resensibilisation du souvenir traumatique collectif par l'écriture coïncide avec ce que Nelly Richard appelle le « dilemme de la langue »373(*). De telle sorte que dans La resta, pour procéder à une exhumation du corps mémoriel collectif et resensibiliser ses parties anesthésiées, la voix poético-lyrique du personnage fictif Felipe devient physique, se corporise afin de : [...] représenter, [...] restituer, par les moyens du langage articulé ces choses, ou cette chose, que tentent obscurément d'exprimer les cris [...] et qui semblent vouloir exprimer les objets dans ce qu'ils ont d'apparence de vie.374(*) La resta de Alia Trabucco permet ainsi de repenser les liens entre le mot, l'écriture et le support, entre le sensible et l'intelligible, entre le corps et la pensée. En ce sens, la parole verbale retranscrite sur le support, la page, « surface de réinscription sensible de la mémoire »375(*), génère un discours polysensoriel et rebelle. La resta s'érige en espace-corps où art, vie et politique fusionnent. De cette manière, Alia Trabucco offre au lecteur un texte où il assiste, pour reprendre Nelly Richard, à une « élimination de toute limite différenciatrice entre le code (la médiation du signe) et l'expérience (l'immédiateté du réel). »376(*) « Déborder le signe »377(*), la syntaxe, en les incarnant, met en scène l'interaction corporelle entre le corps lacéré, abject, des parents dont les douleurs résiduelles se réfugient dans la voix des enfants. Ainsi : la voix n'est pas le bruissement anonyme d'une langue qui ne parlerait que d'elle-même. Elle émane d'un sujet incarné dans un corps, engagé dans un monde ; elle porte la marque de sa vie organique, intellectuelle, affective. La voix est bien matière, mais « matière-émotion » -matière émue, matière à émotion.378(*) La précarité de la voix incarnée écrite de Felipe, qui lui permet de « parler une langue brisée »379(*) ou plutôt, une « langue de la vengeance »380(*), permet aussi de construire une contre-mémoire figurative et resensibilisatrice. Nous pouvons en ce sens affirmer avec Michel Collot que « l'émotion est mise en oeuvre et agit sur le lecteur. Elle a [cependant] changé de corps et d'objet : elle s'incarne désormais dans la chair des mots et dans une chose écrite»381(*) : la parole verbale écrite devient alors « corps-support »382(*) laissant voir une chair sur laquelle les traces du passé sont déposées. La place accordée au lecteur au sein de la reconstruction du sens de cette « nécro-écriture »383(*) est primordiale.Le rapport entre la ponctuation, trace corporelle sémiotisée de la brutalité politique et la syntaxe corporisée est en ce sens très illustratif : Saltaditos : un domingo sí y el otro no, así empezaron mis muertos, sin ninguna disciplina, fin de semana por medio y otras veces dos seguidos,sorprendiéndome sin falta en los lugares más extraños: tumbados en los paraderos, en las cunetas,en los parques, colgando de los puentes y de los semáforos, flotando rapidito Mapocho abajo, en cada rincón de Santiago aparecían los cuerpos dominicales, cadáveres semanales o quincenales que yo sumaba metódico y ordenado, y la cifra crecía como crece la espuma, la rabia, la lava, subía y subía aunque justamente sumar fuese el problema, porque no tenía sentido subir si todos saben que los muertos caen, culpan, tiran, como este muerto que encontré tirado en la vereda justo hoy día, un muerto solitario esperando muy tranquilo que yo llegara [...]384(*) La retranscription scripturale de la « pluie folle »385(*) verbale, endolorie et intérieure de Felipe tend à perforer, par le biais de la ponctuation en tant que traces sémiotiques, le « corps-enveloppe »386(*) de la « matière-émotion » et à trouer, égratigner, scalper la « chair du regard »387(*) du lecteur, son « regard se casse »388(*). Lorsque ce dernier n'a pas affaire à la césure sauvage de la syntaxe sensori-motrice de la part de la ponctuation ou encore à un corps syntaxique inachevé, incomplet389(*), l'oeil du lecteur collisionne avec des corps-signes verbaux éclatés sur la page : «Entonces viene el cape nane nu, ene tene tu: un dedo de Felipe, el elegido, pasa al frente. Sa-lis-te-tú»390(*) (Iquela recordando la voz «resucitada»391(*) de Felipe); «Felipe [...] anunció que le tenía una sorpresa. Pero primero hagamos un trueque, gringa, tú me das otro poco del remedio de tu vieja y yo te cuento mi sor-pre-si-ta»392(*); «[...] mi niño, tengo que hacer cosas importantes, dijo ella y yo repetí: im-por-tan-tes [...] cosas que yo no entendía o cosas im-portan-tes, claro, y mi tatita se fue, primero muchos días y al final de-ma-sia-dos»393(*); «susurrando esas palabras para que no se me perdieran en la cárcel, para que se mimetizaran metálicas con el metal [...] dije pre-sun-ta-men-te-muer-to.»394(*) La mémoire du trauma collectif est ici inscrite graphiquement par la présence du tiret qui «palabr[e]»395(*), stratégie très fréquente dans la voix de Felipe consistant en «armar y desarmar/ para ver qué tienen/ que decir [las palabras]»396(*), questionner les mots, la langue. Mais : Questionner, c'est entrer par force. Quand la question est pratiquée comme moyen de puissance, elle pénètre comme une lame tranchante dans la chair du questionné. On sait ce qu'on peut trouver, mais on veut le trouver et le toucher réellement. On vise les organes avec la sûreté du chirurgien. Ce chirurgien maintient sa victime en vie afin d'en savoir davantage sur son compte. C'est une espèce particulière de chirurgien qui travaille en excitant délibérément des douleurs locales. Il irrite certaines parties de sa victime pour obtenir des renseignements sûrs sur les autres.397(*) Ces mots déchirés qui disent la souffrance, l'arrachement, dévoilent la violence faite à la page ainsi qu'à la langue. Ainsi, entre la voix, la langue et la page s'instaure une relation victimaire-victime. Isabelle Klock-Fontanille nous rappelle en évoquant A. Zali que : L'étymologie du mot « support » nous renvoie significativement à ce tiraillement entre la « perte » et la construction d'une représentation : le vocable latin supportare dont il est issu indique en effet l'idée d' « apporter de bas en haut », de « transporter en remontant », d'où celle de « soutenir », d' « encourager », mais aussi de « subir sans réagir », de « tolérer ».398(*) Ainsi, la page immaculée perd sa neutralité originaire, la langue est déchaînée, les pansements sont arrachés et l'alcool est jeté sur les blessures. En somme, la page et la langue « subi[ssent] sans réagir » les trouées pulsionnelles de la voix de Felipe afin de construire une contre-mémoire rebelle de la perte. Éprouver la charge affective et sensorielle de la voix de Felipe, c'est donc se déposséder de sa propre identité, se soustraire de soi-même, se désidentifier pour se réidentifier. La relation entre le texte et le lecteur est ainsi « allocentrique, [car] elle implique une part de décentrement et de communion avec une entité étrangère à soi, demandant au lecteur d'incarner dans son corps sensible les formes du texte. »399(*)De telle sorte que cette : coexistence de mon corps et [de la matérialité textuelle morcelée] [...] fait de l'expérience perceptive non pas la construction d'un objet scientifique, mais bien l'épreuve d'une présence corporelle, il y a entre moi et autrui une réciprocité qui permet au sens intentionnel d'habiter plus d'un corps et d'émigrer ainsi de l'un vers l'autre.400(*) Le corps du lecteur est amené à « habiter » le corps meurtri de la voix de Felipe. Pour ce faire, la texture sensible de La restadéploie un « champ sensoriel à enchâssements »401(*). Au contact de la texture « [l]a vision [...] fonctionn[e] selon le mode de l'enveloppe tactile : c'est le mode haptique, par lequel on touche la surface et le modelé de l'objet avec le regard [...] »402(*). Ainsi, « le regard « enveloppe, palpe, épouse [ce corps] », il est avec [lui] comme dans un rapport d'harmonie préétablie et selon une proximité semblable à celle éprouvée dans la palpitation tactile « dont après tout, celle de l'oeil est une variante remarquable ». »403(*) L'épreuve de la voix poético-orale incarnée et contaminée par les résidus du passé de Felipe instaure ainsi donc un jeu avec les limites du corps du lecteur. Le transfert d'émotion réciproque nous montre bien que « l'expérience de la vision est l'épreuve de l'exténuation du sujet transcendantal, [...] [et] est la révélation de l'universelle complicité des êtres. »404(*) Si dans La resta de Alia Trabucco nous parlons d'émotion esthétique, dans La dimensión desconocida, en revanche, nous auront tendance à parler d'émotion narrative. b) L'empathie lectoriale dans La dimensión desconocida En 2017, à propos du passé récent traumatique chilien, qui sert de socle à son oeuvre La dimensión desconocida, Nona Fernández affirmait pour El País que : Aunque no seamos culpables, somos responsables. De callar por mantener el puesto de trabajo, de no decir `esto es un crimen'... No juzgo, pero no quiero recordar por recordar. Este libro me llenó de pena y traté a las víctimas con toda la delicadeza, pero no escribo para que el lector pase un buen rato.405(*) Loin d'offrir au lecteur « una novela coctelera »406(*), qui offrirait une genèse plaisante où l'Histoire collective n'apparaitrait qu'en simple toile de fond, Nona Fernández lui offre une oeuvre qui l'immisce dans la terrible réalité du passé traumatique. La composante fictionnelle du témoignage est une passerelle vers l'identification avec la souffrance de la victime, que l'imagination de l'autrice et par la suite du lecteur représentifie. Ainsi : son but n'est pas de nous leurrer, d'élaborer des semblants ou des illusions ; les leurres qu'elle élabore sont simplement le vecteur grâce auquel elle peut atteindre sa finalité véritable, qui est de nous amener à nous engager dans une activité de modélisation, ou pour le dire plus simplement de nous amener à entrer dans la fiction [du témoignage revécu].407(*) L'émotion est fondée sur l'identification du lecteur avec les victimes, ces « corps-témoin »408(*), dont le terrible sort est revécu par l'imagination de l'autrice, constituant ainsi de véritables empreintes de la violence politique abjecte. Cependant, il convient de rappeler que : Le témoignage obéit aux mêmes contraintes que l'empreinte : l'expérience marquante est absente et potentielle, et seul l'effet du marquage est actuellement observable et interprétable ; pour qu'il y ait témoignage, il faut donc que l'absence actuelle de l'expérience que l'on s'apprête à énoncer soit compensée (i) par les empreintes que la mémoire d'un corps sensible en a conservées, et ensuite (ii) par la capacité de restitution éthiquement légitime que cette expérience et ses traces procurent au corps énonçant.409(*) C'est la charge d'empathie fictive que l'autrice injecte dans le témoignage brut de El Papudo puis celle que le lecteur injecte à son tour dans le texte de Nona Fernández, qui permet l'actualisation des expériences de la perte qui parcourent La dimensión desconocida. Cette actualisation menée tant par l'autrice que par le lecteur permet d'intérioriser en les ressentant ces expériences douloureuses. Mais elle ne peut être menée à bien qu'à travers deux conditions que : [l]'empreinte réalise [...] qui sont exploitables sous formes de configurations thématiques et narratives : (1) une contiguïté spatiale et/ou temporelle parfaite ou imparfaite, avec ou sans solution de continuité, (2) et un nécessaire basculement de l'existence [...]410(*) Ainsi : dans l'empreinte, rien ne disjoint les deux corps en interaction [celui du lecteur, la « chair-cible » en contact avec celui du « corps-témoin »], sinon un changement de statut existentiel (potentialisé/ actualisé), et un débrayage spatio-temporel : quand il s'agit d'un masque funéraire, par exemple, le moule conserve une forme dont la chair a disparu, mais que n'importe quel autre matière peut venir remplacer [...]411(*) Veo a Lucía sentada en la mesa del comedor del 1330. Tiene lápiz y papel y escribe una carta de cumpleaños a su pequeña hijita Alexandra que está en Francia al cuidado de su abuela. La carta será microfilmada y le llegará a la niña gracias a algún curioso operativo que no despierte sospechas ni haga peligrar la vida de nadie. En ella, Lucía le habla de sus ganas de abrazarla y de cantarle en vivo el cumpleaños feliz. Hace meses que volvió a Chile y la echa mucho de menos. También le escribe sobre lo que ocurre sobre su lejano país. Le cuenta sobre la primera protesta nacional organizada por los trabajadores del cobre. Le dice que por la noche la gente toca sus cacerolas en señal de descontento y hambre. Le habla también de la televisión y de un programa que ha visto y está segura le gustaría mucho. Lo dan los fines de semana. Cuando Lucía lo ve se la imagina a su lado, mirando la pantalla y celebrando. Es una serie para niños que se llama Los pitufos. Se trata de una ciudad donde sólo viven los pitufos, que son como niños pequeñitos que habitan en callampas y juegan felices en el bosque. Entre ellos hay sólo una mujer que se llama Pitufina y que tiene el pelo rubio y largo, igual como Lucía recuerda el de su hija. También hay un papá Pitufo que los cuida, escribe vaticinando un futuro posible, pero no tienen mamá.412(*) Dans ce passage, l'imagination représentificatrice de l'autrice nous fait revivre la terrible nuit du 07 septembre 1983 au cours de laquelle Lucía Vergara Valenzuela, une des dirigeantes du MIR, perdit la vie dans d'atroces conditions aux côtés d'autres compagnons. Des années plus tard, postée devant la demeure que Lucía et ses compagnons de résistance utilisaient afin de s'y réfugier et d'y programmer des attaques contre la dictature, l'imagination de l'autrice exprime ces lieux encore empreints de la violence politique cachée. Mais avant de nous dévoiler son destin tragique, Nona Fernández nous plonge dans l'intimité, triviale revisitée par l'imagination, de Lucía, qui rédige une lettre -qui sera l'ultime- d'anniversaire à sa fille exilée en France. Cette immersion est rendue possible à travers l'usage du présent de l'indicatif qui permet d'instaurer cette « contiguïté spatiale et temporelle » dont parle Jacques Fontanille et d'expérimenter un « basculement de l'existence ». Ainsi, par un processus de métempsycose, le lecteur va-t-il se projeter dans le corps et l'âme de Lucía et faire l'expérience de la douloureuse séparation d'un être cher. Cependant, les retrouvailles avec sa fille n'auront jamais lieu. Le recours à la référence au dessin animé Los Pitufos, sert ici de tremplin, d'illustration : elle augure la future disparition de Lucía, la mère, à laquelle le lecteur assiste quelques lignes plus tard. Textuellement, la rupture est marquée par la présence de l'adversative suivie par la négation « pero no tienen mamá » et le blanc typographique, projection temporelle amenant le lecteur à découvrir le corps sans vie de Lucía, cette mère combattante qui, quelques lignes auparavant, rédigeait une lettre à sa fille dans laquelle elle devait sans l'ombre d'un doute exprimer son désir ardent de la retrouver : En este mismo bandejón central donde M y yo permanecemos de pie mirando el frontis del 1330, el hombre que torturaba dejó tendido el cadáver de Lucía. Si bajamos la mirada y usamos nuestra imaginación podemos verla en medio de la noche, tirada aquí, a nuestros pies. Su cuerpo acribillado está desnudo, sólo lleva calzones. Así fue fotografiada por la prensa y así salió al día siguiente en la portada de los diarios.413(*) Toujours en exprimant les lieux par l'imagination et en épuisant les ressources du passé414(*), Nona Fernández immergele lecteur dans une situation de « feintise ludique partagée ».Ainsi le lecteur voit-ilen compagnie de l'autrice, le corps sans vie, vulnérable, violé publiquement par les regards masculins, de Lucía. D'autres exemples mettent à l'épreuve l'empathie cognitive et affective du lecteur, tel est le cas de l'exemple que nous reproduisons ci-dessous : El hombre que torturaba dice que don Alonso Gahona, el compañero Yuri, estuvo durante largas sesiones en esta pieza en la que me encuentro ahora. Es el lugar destinado a las torturas. Un espacio pequeño que alguna vez fue un lavadero. El suelo es de baldosas rojas con líneas bancas iguales a las de mi cocina. Hay una ventana que da a la calle, enfrentándose directamente a la de la casa que está del otro lado. En las paredes hay un par de cartulinas pegadas con cinta adhesiva en las que pueden verse dibujos de algunas formas de tortura. Son ilustraciones hechas por los compañeros que sobrevivieron a esta pieza. En una puedo leer la palabra «submarino». Junto a las letras escritas a mano, veo el dibujo de un hombre desnudo con la cabeza dentro de un galón lleno de agua o quizá de orina. Dos hombres lo empujan y lo mantienen así. Por el dibujo entiendo que el ejercicio era provocar el ahogo del detenido. En la cartulina de al lado leo «piscina con hielo». En este caso el dibujo muestra a otro hombre desnudo y amarrado, pero dentro de una tina llena de hielo. En el dibujo se ven muchas letras sueltas escritas alrededor del cuerpo del hombre. No dicen nada, sólo están ahí como marcando algo, un código secreto que no entiendo y que el compañero director no tiene idea de lo qué se trata. En el suelo de la pieza veo un pequeño catre de fierro que podría ser de la cama de un niño. El compañero director me explica que efectivamente es un catre infantil. Fue el único que pudieron conseguir para simular el que ocupaban los torturadores para amarrar a los prisioneros y aplicarles corriente. El hombre que torturaba dice que al compañero Yuri le hicieron eso. Lo amarraron a la parrilla, como le decían a esos catres de fierro y ahí lo golpearon y le aplicaron corriente. El hombre que torturaba dice que luego de una larga sesión lo colgaron en la ducha de este baño que ahora el compañero director me muestra. [...] El compañero Yuri tenía mucha sed a causa de la corriente que le habían aplicado en la pieza de las torturas. El hombre que torturaba dice que el compañero Yuri pidió agua y que uno de los centinelas dejó correr la llave de la ducha para que el compañero Yuri bebiera. El hombre que torturaba dice que el centinela cerró la llave, pero que el compañero Yuri siguió quejándose de sed. Débil, como estaba, ocupó sus escasas fuerzas en abrir nuevamente la llave del agua, pero no logró beber, ni tampoco volver a cerrarla. El hombre que torturaba dice que el agua corrió la noche entera sobre el cuerpo del compañero Yuri. El hombre que torturaba dice que al día siguiente el compañero Yuri amaneció muerto de una bronconeumonía fulminante. [...] Imagino al compañero Yuri inmovilizado en ese baño. Las pocas energías que tiene las ocupa para beber del agua que cae por su cuerpo desnudo. No hay ventanas, pero si cierra los ojos puede imaginar una redonda en el techo, justo por su cansada cabeza. Imagino que el compañero Yuri observa a través de esa ventana imaginaria. Es una noche estrellada. El agua sigue corriendo por su cuerpo, pero todo se ve tan hermoso y azul allá afuera, que es difícil concentrarse en otra cosa. De pronto, en medio de ese cielo que lo acompaña, cree ver una pequeña mancha blanca en movimiento. Al comienzo piensa que se trata de una estrella fugaz y hasta tiene ese viejo impulso de pedir un deseo. Pero no, rápidamente se da cuenta de que lo que ve no es una estrella, es algo aún más fascinante.415(*) Après avoir fait état de tous les supplices inhumains endurés par Yuri ou de sa vraie identité : don Alonso Gahona, l'imagination de Nona Fernández entre en jeu et recrée le calvaire de la victime en exprimant les murs du « Nido 20 »416(*), demeure où la torture n'y trouvait aucune limite, tout comme l'atteste le début du fragment. L'empathie lectoriale est une nouvelle fois mise à l'épreuve. L'écart spatio-temporel étant réduit par l'utilisation du présent de l'indicatif, le lecteur est une nouvelle fois immergé dans une expérience intersubjective et perceptive de la violence politique ; il assiste à la torture de Yuri et est amené à prendre sa place. Ainsi, le lecteur comble le « moule », confectionné par Nona Fernández, à l'aide de son imagination empathique. Nous parlerons ici plus précisément d'« empathie reconstructive »désignant ce «partage d'émotion »417(*)et qui a lieu entre le lecteur glacé de terreur et la victime Yuri. De cette manière, entre Yuri et le lecteur une « substitution d'identité physique »418(*) s'opère, revivant l'expérience de la violence politique dans toute sa sensibilité. Le 30 novembre 2006, lors de sa Leçon inaugurale au Collège de France, appelée La littérature, pour quoi faire ?, Antoine Compagnon nous rappelait que : La littérature doit donc être lue et étudiée parce qu'elle offre un moyen -certains diront même le seul- de préserver et de transmettre l'expérience des autres, ceux qui sont éloignés de nous dans l'espace et le temps, ou qui diffèrent de nous par les conditions de leur vie. Elle nous rend sensibles au fait que les autres sont très divers. [...] Son pouvoir émancipateur reste intact, qui nous conduira parfois à vouloir renverser les idoles et changer le monde, mais le plus souvent nous rendra simplement plus sensibles et plus sages, soit, en un mot, meilleurs. [...] La littérature nous apprend à mieux sentir, et comme nos sens sont sans limites, elle ne conclut jamais, mais reste ouverte [...]419(*) L'émotion littéraire contenue dans la voix disloquée poético-orale de Felipe et dans le témoignage réinvesti par l'imagination empathique tant de l'autrice que du lecteur, possède une valeur indéniablement éthique. Ainsi, « [l]a vue, le toucher, [...] l'ouïe, le mouvoir, le parler nous induisent de temps à autre à nous attarder dans les impressions qu'ils nous causent, à les conserver ou à les renouveler. »420(*) L'émotion littéraire se caractérise ici par sa « tendance infinie »421(*)et sublime422(*)dans la mesure où, en mettant à l'épreuve la sensibilité du lecteur, nos deux oeuvres veillent à la transmission et la conservation d'une connaissance sensible du souvenir traumatique vivement douloureux dans la mémoire affective du lecteur. Ces émotions infinies, indélébiles, que provoquent l'écriture intermédiale, débordante, de nos deux oeuvrescontribuent au soin du souvenir traumatique de l'Autre, à sa réparation ; leurs « mots offr[ent] un manteau a beaucoup de personnes nues dans les intempéries »423(*). CONSIDÉRATIONS FINALES Mi ojo desnudo miraba a la niña borrosa y luegoa la madre que se secaba la grasa de la frente,y luego a la hija, confundida, esperando quesucediera cualquier cosa. A usted no le habrán quitadotambién un ojo, escuché decir a la madre. No le habrán tenido que extirpar un cáncer. No era una pregunta sino una recriminación, un reproche que la madre desenfundaba para exhibir la superioridad del sufrimiento de una madre ante el ojo único pero demoledor de su hija. Y entonces recordé a mi madre, mi madre arrojándome sus ojos viejos en la despedida y pensé en Ignacio, en sus dos ojos negros sin averías, esos ojos que él no parecía consciente de tener, y pensé también que me quedaría muy sola sin mi ojo si lo perdía, tendría una cara huérfana. Y entonces. Si le importa tanto su hija, señora, le dije, desafiándola, retándola a un duelo consigo misma, si tanto le duele la pérdida, entréguele el ojo que le falta, déselo ahora, aunque todavía le quede grande Lina Meruane424(*) En guise de conclusion temporaire nous confirmons l'assertion hypothétique de Dominique Rabaté pour qui : « [l]e roman serait d'une certaine façon toujours plus ou moins l'histoire de la transformation d'une perte en un nouveau gain, supérieur à la mise initiale. »425(*)La resta de Alia Trabucco et La dimensión desconocida de Nona Fernández signent l'épuisement des totalités mémorielles excluantes par l'épuisement des totalités romanesques paradigmatiques, utopiques, suspectes. C'est en optant pour la « combinatoire » de voix, générique, des sens, que nos deux oeuvres parviennent à épuiser leurs objets : ces restes historiques qui polluent la société post-dictatoriale chilienne. Effectivement, tel que nous l'avons vu, le contact entre ces restes affectifs et rhizomatiques et l'écriture tend à la dissolution du paradigme romanesque institutionnel qui se refuse au dynamisme de l'expérimentation créative. Ainsi, dans La resta la fiction fusionne-t-elle avec le souffle poétique ou encore dans La dimensión desconocida le témoignage côtoie-t-il l'autobiographie, la métafiction, l'épistolaire et puise sa forme dans la liste parfois. Cette impulsion créative, qui pousse à user de l'éventail complet des genres et des formes, expulse l'écriture vers des zones rebelles pour saisir l'insaisissable. Le vertige assassin des formes et des genres met en jeu la sensibilité du lecteur. L'essence métamorphosée du roman met ainsi les sens du lecteur à l'épreuve pour une meilleure immersion au sein de cette époque passée qui a tant fait souffrir et qui continue à le faire. De telle sorte que l'épuisement romanesque apparaît comme la stratégie scripturale idoine pour s'approcher d'une vérité, qui n'est plus, dans toute sa sensibilité et tisser un lien infinie avec l'Autre historique, mémoriel, fini. Le recours à l'épuisement, en tant que soin discursif, permet la création d'un espace de représentation à ceux qui n'ont pas eu leur mot à dire et qui ne l'auront sans doute jamais. De là la dimension éthique de l'épuisement qui, par sa désinvolture, tend à prendre soin de l'Autre, en abritant la mémoire de sa lutte, de sa souffrance et à la partager. L'épuisement procure une réparation à l'Autre vaincu que l'État « démocratique » chilien n'a pas su ni voulu lui procurer. Par leur plume monstrueusement saisissante, ces deux poét(h)iques hantologiques de l'épuisement se veulent des pansements pour les blessures collectives et tendent, par la stratégie de l'évidement, à redynamiser le système littéraire. C'est en cela que nous ne pouvons affirmer à l'emporte-pièce que l'extrême-contemporain coïncide avec un épuisement de la littérature, en prétendant qu'elle ne peut faire le poids face aux grands dinosaures du XXe siècle, tout comme l'affirme Leonardo Da Jandra. Aujourd'hui, « écrire » n'est pas « le grand verbe vide et muet qui roule sur toute parole pour demeurer hors d'elle »426(*), ce n'est pas non plus « le mot de trop dans la langue »427(*). La métaphore de « la page noire »428(*) de Johan Faerber ne trouve pas sa place au sein de la littérature chilienne et, de manière plus extensible, dans la littérature des Amériques. Alia Trabucco et Nona Fernández sont deux jeunes autrices remarquables, illustratives d'un processus de re-littérature, qui prend appui sur l'épuisement paradoxal, très prometteur.Elles parviennent, grâce à une impulsion créative rebelle, à se réapproprier l'espace créatif romanesque pour se porter garantes de la conservation et du soin de la mémoire de la lutte de l'Autre, prenant ainsi part à l'écriture des « veines ouvertes de l'Amérique latine »429(*). * 2Julio Cortázar, Rayuela, México, Alfaguara, 2017 [1963], p. 559. * 3 Rappelons ici avec Juan Loveluck, cité par Fernando Aínsa dans Identidad cultural de Iberoamérica en su narrativa, Madrid, Gredos, 1986, p. 140, que : si [...] [la] novela tradicional [...] que temporalmente se enmarca entre 1900 y 1940 y cuyo fundamental desvelo fue el de presentar ciertas zonas conflictivas en grandes cuadros descriptivos, que se acercaron más a lo adjetivo, lo curioso y representativo externo que a lo esencial de tales problemas , le roman contemporain «reflejaría a partir de 1940 -fecha en que también Mario Vargas Llosa divide los períodos «tradicional» y «contemporáneo» de la narrativa- una realidad más compleja, no porque lo fuera en realidad, valga el juego de palabras, sino porque los procedimientos de su captación eran más sutiles y elaborados.» (Fernando Aínsa, Op.cit., p. 140) * 4 Fernando Aínsa citant, pour le premier syntagme, Schulman, Idem, p. 142. Nous traduisons. La tendance littéraire magico-réaliste offre un parfait exemple d'acculturation littéraire. Effectivement, les oeuvres appartenant à cette tendance littéraire révèlent un processus d' « accaparation culturelle », pour reprendre Aínsa, où différentes réalités -indigène, africaine, baroque créole- se superposent. * 5Ricardo Chávez Castañeda, Ignacio Padilla, Pedro Ángel Palou, Eloy Urroz, Jorge Volpi, Manifiesto del Crack (1996). Postmanifiesto del Crack (1996-2016), Miami, La Pereza Ediciones, 2017. * 6Alberto Fuguet, Sergio Gómez, McOndo, Barcelona, Mondadori, 1996. * 7 Ramón Alvarado Ruiz, «Escribir América en el siglo XXI: el Crack y McOndo, una generación continental», Iberoamericana, XVI, 63, 2016, p. 70: < https://journals.iai.spk-berlin.de/index.php/iberoamericana/article/view/2135> * 8Rafael Gutiérrez Giraldo citant Luz Mery Giraldo, «Adiós Macondo: Anotaciones sobre narrativa latinoamericana», Cuadernos de Literatura, Bogotá, vol. 14, núm. 26, Julio-Diciembre, 2009, p. 61: < https://revistas.javeriana.edu.co/index.php/cualit/article/view/6310> * 9Alberto Fuguet, Sergio Gómez, McOndo, Barcelona, Mondadori, 1996, p. 15. * 10Concept de Richard Millet mobilisé par Alexandre Gefen, Réparer le monde : la littérature française face au XXIe siècle, Paris, José Corti (ed.), 2017, p. 9. À cet égard, l'affirmation de Leonardo da Jandra reprise par Ramón Alvarado Ruiz, art.cit., p. 71, est très illustrative, car pour l'écrivain brésilien, ses compagnons et lui-même forment «[una] generación destinada inevitablemente a la decadencia. Después de la grandeza [(Rulfo, Borges, Paz, Sabato, Cortázar, Lezama Lima, Onetti, Guimarães Rosa, Vargas Llosa, García Márquez, Fuentes y tal vez una docena más de titanes)] sólo puede venir la caída [...]» * 11 Alexandre Gefen, Op.cit., p. 9. * 12 Pierre Jourde, La Littérature sans estomac, Paris, L'Esprit des Péninsules, 2002, p. 157. * 13 Le concept est de Marianne Hirsh, La generación de la posmemoria: escritura y cultura visual después del Holocausto (traduit de l'anglais vers l'espagnol par Pilar Cáceres), Madrid, Carpe Noctem, 2012. * 14Marianne Hirsh, Op.cit., p. 20. Nous traduisons. * 15Idem, p. 19. Nous traduisons. * 16Marianne Hirsh, loc.cit. Nous traduisons. * 17Marianne Hirsh, Op.cit., p. 19. Nous traduisons. * 18Syntagme que nous empruntons à Fernando A. Blanco, Andrea Jeftanovic et Bernardita Llanos (coord.), Chile de memoria: A 40 años del Golpe, Nuestra América, num. 10, Enero/Julio 2016, p. 11. Nous traduisons: < https://www.academia.edu/30139135/Revista_Nuestra_América_10.pdf> [consulté le 24/07/2019] Grínor Rojo, dans Las novelas de la dictadura y la posdictadura chilena. Qué y cómo leer?, Vol. 1, Santiago, LOM Ediciones, 2016, répertorie au total cent soixante-dix-neuf oeuvres de la dictature et de la post-dictature toutes confondues. Parmi les oeuvres de la post-dictature et, plus particulièrement, de la seconde génération chilienne, nous retrouvons les oeuvres de Alejandra Costamagna, En voz baja (1996), de Nona Fernández, Space invaders (2013), Av. 10 de julio Huamachuco (2007), de Fátima Sime, Carne de perra (2009), de Alejandro Zambra, Formas de volver a casa (2011), de Álvaro Bisama, Ruido (2012), de Gonzalo Eltech, Colección particular (2015). C'est un inventaire que nous pouvons actualiser en ajoutant les oeuvres récentes de Álvaro Bisama,El brujo (2017) etLaguna (2018) ou bien l'oeuvre de Nona Fernández qui nous intéressera :La dimensión desconocida (2016).Toutefois, l'absence des oeuvres de Lina Meruane, Cercada (2000), Fruta podrida (2007) etSangre en el ojo (2012) nous interpelle. C'est pourquoi nous tenons à les ajouter à cette liste. * 19Carles Geli, «La detective de los recuerdos», El País, 22/03/2019. Nous traduisons: < https://elpais.com/ccaa/2019/03/21/catalunya/1553202277_215999.html> * 20 En 2014, La resta reçut le «premio del Consejo del Libro y la Lectura 2014 a la mejor novela inédita». * 21 En 2016, ce futau tour de La dimensión desconocida de Nona Fernández de se voirdécerner,lors de la Feria Internacional del Libro de Guadalajara, le «premio Sor Juana Inés de la Cruz» par un jurycomposé de Daniel Centeno, Cristina Rivera Garza et Eduardo Antonio Parra.Tout comme le note Martha Calvillo en rapportant les dire de Nona Fernández, ce Prix littéraireprestigieux «en términos prácticos ha representado [...] mayor visibilidad en todas [sus] obras.» (Source: Martha Calvillo, «Nona Fernández recibió la bendición de Sor Juana», Milenio Diario, 29/11/2018: < https://www.milenio.com/cultura/fil/nona-fernandez-recibio-bendicion-sor-juana>) * 22 Alia Trabucco Zerán, La resta, Madrid, Demipage, 2014, p.102. * 23Stéphanie Arrellano, «Demoler la memoria» [en ligne], La Tercera, 29/07/2015. Nous traduisons: < http://www.quepasa.cl/articulo/guia-del-ocio/2015/07/11-17292-9-demoler-la-memoria.shtml/> * 24 Nona Fernández, La dimensión desconocida, Penguin Random House Grupo Editorial, Barcelona, 2017 [2016], p. 37. En 1998, Jorge Edwards, declarait que «en Chile, [había] menos ambiente de reconciliación». «Reconciliación frustrada», «hay que eliminar cualquier idea de reconciliación», «mito de la reconciliación», «duelo pendiente», autant de syntagmes utilisés par la presse qui pointaient déjà du doigt le caractère illusoire, mythique, du processus réconciliatoire amorcé avec le retour de la « démocratie » et en connivence avec les médias qui diffusèrent: las gramáticas utilitarias de un mercado obsesionado por multiplicar las apariencias de todo lo que sobra (mercancías y espectáculos) y desviar la atención de sus frívolos consumidoresespectadores del tormento de lo perdido y lo ausente, es decir, de lo restado de cuerpos, existencias, ideologías y pasiones que fueron anuladas por las crueldades de la historia.(Nelly Richard, Crítica de la memoria(1990-2010), Santiago, Ediciones Diego Portales, 2010, p. 14: < https://joaocamillopenna.files.wordpress.com/2015/03/richard-criticas-de-la-memoria.pdf>) Dans une « démocratie » où la violence a cessé d'être frontale pour s'effectuer de manière transversale, le débat culturel autour de la mémoire n'en finit pas de faire parler de lui et de constituer la source de la permanence de clivages au sein de la Nation chilienne. Chaque année, le 11 septembre est motif de rassemblement pour se remémorer les atrocités impunies perpétrées sous le régime autoritaire de Pinochet. Cette date est aussi l'occasion pour les proches des victimes de réitérer leur volonté d'accéder librement aux archives du passé conservés sous scellé afin de connaître la vérité et de rappeler le devoir de transparence qu'une démocratie se doit d'avoir. Et comme si cela ne suffisait pas, en mai 2019, le gouvernement Piñera fit part de sa volonté d'éliminer l'Histoire des matières obligatoires pour la reléguer parmi les matières optionnelles. Les conséquences ne se firent point attendre dans le domaine éducatif dont la configuration est héritée de la dictature et qui, rappelons-le, souffre d'une importante dégradation depuis des années maintenant (les conditions d'accès inégalitaires, les conditions d'enseignement déplorables, ont suscité d'intenses mobilisations étudiantes depuis le début du siècle, qui dévoilèrent au grand jour la violence du système néo-libéral. Deux sont à ce titre notables : le Mochilazo de 2001 et la Revolución pingüina de 2006). Cette mesure provoqua une grève nationale du professorat, qui cessa fin juillet 2019 avec une rétractation du gouvernement. Cette privation aurait empêché bon nombre de jeunes esprits en formation de connaître l'Histoire passée de leur pays, qu'ils se doivent absolument de connaître. * 25Carles Geli, art.cit. * 26 Enrique Planas, «La dimensión desconocida: novela se inspira en serie para relatar abusos de Pinochet», El Comercio, 08/08/2018: < https://elcomercio.pe/luces/libros/impreso-dimension-desconocida-novela-inspira-serie-relatar-abusos-pinochet-noticia-544634> «Entendíamos que los milicos eran unos malvados y que había que luchar contra ellos, pero pensábamos que las historias especificas estarían más claras después. Pero cuando me puse a investigar en la generación de mis padres, me encontré con un silencio sepulcral.» * 27Ivonne Coñuecar, «La resta Alia Trabucco Zerán. 2015, Santiago de Chile: Tajamar Editores 220 Págs.» [en ligne], RevistaTelar, núm. 19, julio-diciembre de 2017, p. 151-155: < http://revistatelar.ct.unt.edu.ar/index.php/revistatelar/article/download/352/315/> Alejandra Costamagna, «Las nuevas rebeldías. Sobre La resta de Alia Trabucco Zerán» [en ligne], Taller de Letras, núm. 59, pp. 209-212, 2016: < http://tallerdeletras.letras.uc.cl/images/59/P1.pdf> Macarena Leiva Roca, «Vista de Alia Trabucco Zerán. La Resta. Madrid: Editorial Demipage, 2014, 279 páginas» [en ligne], Revista chilena de literatura,núm. 95, 2017, p. 251-253: < https://revistas.uchile.cl/index.php/RCL/article/view/46937/48927> Ana Eva Valentín Rodríguez, «La resta de Alia Trabucco», Literatura y Lingüística [en ligne], núm. 33, 2016, p. 473-476: < http://www.redalyc.org/articulo.oa?id=35245697023>[consulté le 21 de septiembre de 2018] * 28Constanza Ternicier Espinosa, Sujetos y espacios en dos sistemas de preferencia de la narrativa chilena reciente: exhortar al campo literario. Del 2006 en adelante [en ligne] , Tesis en co-tutela: Doctorado en teoría de la literatura y literatura comparada UAB/PUC, bajo la dirección de Beatriz Ferrús Antón (UAB) y Macarena Areco Morales (PUC), Barcelona, UAB, 2017, 346p.: < https://ddd.uab.cat/pub/tesis/2017/hdl_10803_457740/cte1de1.pdf> Carmen Martín Quijada, Hablar de memoria: trauma y recuperación del discurso en la joven narrativa chilena [en ligne], Purdue University, West Lafayette (Indiana), 2018, 218p.: < https://search.proquest.com/openview/38b3ac11ece0bde77505f2b2fe8d5c7f/1.pdf?pq-origsite=gscholar&cbl=18750&diss=y> Alejandra Costamagna, La voz de los hijos en las novelas chilenas de postdictadura, Grínor Rojo de la Rosa, Santiago de Chile, Universidad de Chile, 2016, 226p.: < http://repositorio.uchile.cl/handle/2250/143841> * 29 Constanza Ternicier Espinosa, Op.cit., p. 3. * 30 Constanza Ternicier Espinosa, Idem, p. 4. * 31Mariela Peller, «Cuerpos y escritura. Memorias de la violencia en las novelas de Nona Fernández», Seminário Internacional Gênero 11 & 13th Women's Worlds Congress, Florianópolis, 2017: < http://www.en.wwc2017.eventos.dype.com.br/resources/anais/1499457036_ARQUIVO_Fazendo-Simposio39-Peller.pdf> [consulté le 03/07/19] Linet Cums Yumar, «Otras sublevaciones : La dimensión desconocida de Nona Fernández» [en ligne], Rialta Magazine, 2019: < https://www.academia.edu/38177454/Otras_sublevaciones._La_dimensión_desconocida_de_Nona_Fernández_pdf> [consulté le 20/05/19] Luis Prado Valenzuela, «Formas residuales en la narrativa de Nona Fernández» [en ligne], Mitologías hoy, vol. 17, junio 2018, p. 181-197: < https://www.academia.edu/36978666/Formas_residuales_en_la_narrativa_de_Nona_Fernández> [consulté le 20/05/19] * 32Mariela Peller, «Nona Fernández (2016) La dimensión desconocida. Santiago de Chile: Random House Mondadori, 158 páginas», CROLAR, vol. 6, 2017, p. 64-66: < file:///C:/Users/Jérémie/AppData/Local/Packages/Microsoft.MicrosoftEdge_8wekyb3d8bbwe/TempState/Downloads/277-2208-1-PB%20(1).pdf> Jordana Blejmar, «La dimensión desconocida (2017) de Nona Fernández», Revista Guay, 2019: < http://www.memoria.fahce.unlp.edu.ar/art_revistas/pr.10386/pr.10386.pdf> * 33Mariela Peller, «Cuerpos y escritura. Memorias de la violencia en las novelas de Nona Fernández», art.cit., p. 2. * 34Mariela Peller, Idem, p. 5. * 35 Rappelons à cetégard avec Nelly Richard, Residuos y metáforas, (Ensayos de crítica cultural sobre el Chile de la Transición), Santiago, Editorial Cuarto Propio, 2001 [2de édition], p. 29, que: [l]a memoria es un proceso abierto de reinterpretación del pasado que deshace y rehace sus nudos para que se ensayen de nuevo sucesos y comprensiones. La memoria remece el dato estático del pasado con nuevas significaciones sin clausurar que ponen su recuerdo a trabajar, llevando comienzos y finales a reescribir nuevas hipótesis y conjeturas para desmontar con ellas el cierre explicativo de las totalidades demasiado seguras de sí mismo. Y es la laboriosidad de esta memoria insatisfecha, que no se da nunca por vencida, la que perturba la voluntad de sepultación oficial del recuerdo mirado simplemente como depósito fijo de significaciones inactivas. * 36John Barth, « The Literature of Exhaustion », The Friday Book : Essays and Other Non-Fiction, London, The John Hopkins University Press, 1984, p. 62-76 . Quelques années plus tard, John Barth publiera un tout autre travail universitaire intitulé « The Literature of Replenishment »,The Friday Book : Essays and Other Non-Fiction, London, The John Hopkins University Press, p. 193-206. Ce sont deux travaux que nous retrouvons au même lien : < https://www.csus.edu/indiv/m/maddendw/barth.pdf> * 37Georges Perec, Tentative d'épuisement d'un lieu parisien, Paris, Christian Bourgois, 1975, p. 12. * 38 Nelly Richard, Residuos y metáforas, Op.cit., p. 77. Nous traduisons : «La modernidad es experta en multiplicar sanciones de desahucio contra lo que no quiere obedecer la consigna de ruptura temporal que usa lo nuevo para despedirse -sin afectos- de lo viejo y tirar a la basura lo rezagado por la velocidad de producción de la mercancía. Sin embargo, y pese a todo, «la modernidad verá crecer a su alrededor la incómoda vecindad de los desperdicios, inesperado cúmulo de objetos en desuso y espíritus sin practicidades domésticas que se resistirán a ser «dados de baja» y amenazarán irrumpir en el presente con el fin de redimir a la memoria de una temporalidad cautiva.» * 39Nelly Richard, Idem, p. 78. Nous traduisons. * 40Nous reprenons ici les trois manifestations de la trace que relève Paul Ricoeur, dans son essai La mémoire, l'histoire, l'oubli, Paris, Seuil, 2000, p. 16 et p. 17. Ainsi retrouvons-nous premièrement « les traces écrites et éventuellement archivées », « l'impression en tant qu'affection résultant du choc d'un évènement dont on peut dire qu'il est frappant, marquant. Cette impression est essentiellement éprouvée », et enfin la trace sous forme d'«empreinte corporelle, cérébrale, corticale ». * 41Terme remobilisé par Dominique Viart, « Vers une poétique « spectrale » de l'Histoire », in Jutta Fortin, Jean-Bernard Vray (comp.), L'imaginaire spectral de la littérature narrative française contemporaine, Publications de l'Université de Saint-Etienne, 2012, p. 49, et initialement employé par François Dagognet pour nommer ce déchiffrement des ordures dans Des détritus, des déchets, de l'abject. » Ainsi, l'écriture dite « rudologique » a pour but d'inventorier les déchets historiques pour les recycler, leur donner un nouveau souffle par l'imagination. * 42Le concept d' « espace-corps », que nous empruntons à Michel Collot, est clef pour la lecture de La resta et de La dimensión desconocida. Alia Trabucco et Nona Fernández repensent toutes deux l'expérience de la perte collective à partir de deux supports sensibles principalement, sujets à des débordements mutuels, qui s'interpellent, se rétroalimentent : l'espace et le corps. Dans nos deux oeuvres, l'esprit créatif/créateur, le corps sentant et l'espace extérieur ressenti ne forment plus qu'un, produisant un espace-corps romanesque sensible et à champs ouverts, propice donc à l'épuisement des possibilités créatives pour souffler sur les ultimes braises du passé violent traumatique collectif chilien. * 43 Dominique Rabaté, Op.cit., p. 201 : l'épuisement est en réalité une « fatigue paradoxale puisqu'elle devient le moteur de l'oeuvre, ce qui la réanime. » * 44Idem, p. 191. * 45Christine Marcandier, « Johan Faerber : « Le contemporain n'est ni une licorne ni un éléphant rose » (Après la littérature), Diacritik, 21/08/2018 : < https://diacritik.com/2018/08/21/johan-faerber-le-contemporain-nest-ni-une-licorne-ni-un-elephant-rose-apres-la-litterature/> * 46Idem * 47 Johan Faerber, Après la littérature. Écrire le contemporain [format Kindle], Paris, PUF, 2018, emplacement 1594/ 3262. * 48Gonzalo Eltesch, Colección particular, La Rioja, Pepitas, 2018 [2015], p. 104. * 49Patricio Germán, Chile, la memoria obstinada, 1997. Disponible en ligne sur: < https://www.youtube.com/watch?v=mNH-9aAF_Fg> * 50 Rabaté, Vers une littérature de l'épuisement, Paris, José Corti, 1991 [2e édition], p. 157. * 51 Nelly Richard, Crítica de la memoria (1990-2010),Op.cit., p. 45: «la condición post dictatorial se expresa como «pérdida de objeto» en una marcada situación de «duelo».» * 52 Michel Butor, Essais sur le roman, Paris, Gallimard, 1960, p. 7. * 53Alia Trabucco, Op.cit., p. 57.Nous traduisons. * 54 Michel Butor, Op.cit., p. 9. * 55Voir annexe VII. * 56Marta Cichoka, Estrategias de la novela histórica contemporánea : Pasado plural, postmemoria, pophistoria, Francfort, Peter Lang, 2016, p. 35. * 57 Régine Robin, dans « Peut-on recycler le passé ? »,InEsthétique et recyclages culturels : Explorations de la culture contemporaine [en ligne], Ottawa, Les Presses de l'Université d'Ottawa | University of Ottawa Press, 2004, p. 65-77: < http://books.openedition.org/uop/2215> et en s'appuyant majoritairement sur les travaux de Walter Benjamin, reprend trois types de figures applicables au contexte postérieur à la dictature pinochetiste, qui sont : le chiffonnier, le collectionneur ou l'accumulateur et le fantôme. Ainsi, « [...] [le] chiffonnier fouille dans les poubelles de l'histoire, ramasse des détritus, des déchets. Que va-t-il en faire ? Les revendre dépareillés ? Sa quête est hasard, il en laisse échapper, à demi ivre. Haillons de mots ou de choses, il ne pourra pas en constituer un tout cohérent, d'un seul temps », le « collectionneur » ou « l'accumulateur » est « celui qui dispose et déménage sa bibliothèque et, par association, ressuscite de grands pans de son passé personnel comme d'autres des pans de passé collectifs hétérogènes. » Enfin, « [l]e spectral, ici, est l'espace tiers qui va permettre de transmettre une part de l'héritage, la transmission, le passé ouvert dans ce qu'il a encore à nous dire et dans ce que nous avons encore à lui dire. Le travail de l'absence contre la présence pleine, l'inscription de la perte et de la ruine, la trace de la perte contre la mémoire saturée. » * 58Alia Trabucco, Op.cit., épigraphe. * 59Nona Fernández, Op.cit., p. 47. * 60Idem, épigraphe. * 61 Nona Fernández, La dimensión desconocida, Op.cit., p. 65. * 62Paul Ricoeur, Temps et Récit: Le temps raconté, Tome III, Paris, Seuil, 1985, p. 269. * 63 Dominique Rabaté, Op.cit., p. 133. * 64Édouard Glissant, Traité du Tout-Monde, Paris, Gallimard, 1997, p. 20. * 65Édouard Glissant, loc.cit. * 66 Julia Kristeva, Pouvoir de l'horreur. Essai sur l'abjection, Paris, Seuil, p. 16. * 67 Nelly Richard, Fracturas de la memoria. Arte y pensamiento crítico, Buenos Aires, Siglo XXI, 2007, p. 133-134. Rappelons ici que pour Jean-Jacques Lecercle, La Violence du langage, Op.cit., le reste est synonyme d'excès (p. 67), de débordement rhizomatique (p.133) propice à l'évidement des capacités créatives, expressives du roman. Nous y reviendrons. * 68Bernard Mouralis, Les contre-littératures, Paris, Hermann, 2011 [1975], p. 12. Par ailleurs, il convient de préciser ici que Alia Trabucco ne nie pas, lorsqu'elle mentionne ses sources d'inspiration qui ont convergé afin de donner naissance à La resta, s'être inspirée « tanto de una tradición (o contra-tradición) chilena como universal »(Source: Miranda Rodrigo, "Alia Trabucco: «Me interesa pensar la post-dictadura en una clave más delirante»" [en ligne], Revista Temporales, 30/10/2015: < https://wp.nyu.edu/gsas-revistatemporales/alia-trabucco-me-interesa-pensar-la-post-dictadura-en-una-clave-mas-delirante/>). Ainsi, les influences de Diamela Eltit, de Pedro Lemebel, de Julio Cortázar, de Georges Perec, de María Luisa Bombal, pour n'en citer que quelques-unes, sont observables, * 69Idem, p. 63. * 70Pour de plus amples informations, voir Annexe II : Mémoire et écriture dans la littérature chilienne. * 71Françoise Susini-Anastopoulos, L'Écriture fragmentaire, Paris, PUF (réédition numérique FeniXX), 1997, p. 1. * 72Idem, p. 2. * 73Ibidem, p. 58. * 74Édouard Glissant, Traité du Tout-Monde, Op.cit., p. 31. * 75Idem, p. 20. * 76Alia Trabucco, Op.cit., p. 193. * 77Steve Desrosiers, Les nombres : symbolisme et propriétés [en ligne], p. 69 : <https://rl- phaleg.fr/images/Livres/Nombres_Desrosiers.pdf> * 78« Restance » est le néologisme remobilisé par Franck Salaün dans son étude « Survivances et devenirs : fragments sur la notion de reste »,in Le reste [en ligne], Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, 2006, p. 145-154 : < http://books.openedition.org/pulm/1613> * 79Nous renvoyons à cet égard au travail de Nan Zheng, « La intimidad transgresora en la ficción de Costamagna, Fernández, Jeftanovic, Maturana y Meruane. Podemos hablar de una nueva generación literaria ? », Revista chilena de literatura, novembre 2017, numéro 96, p. 351-365: https://scielo.conicyt.cl/scielo.php?pid=S0718-22952017000200351&script=sci_arttext&tlng=e [consulté le 07/07/19] * 80Beatriz Sarlo, Tiempo pasado. Cultura de la memoria y giro subjetivo. Una discusión, Buenos Aires, Siglo XXI, 2005, p. 22: «Se ha restaurado la razón del sujeto, que fue, hace décadas, mera «ideología» o «falsa conciencia» [...] la historia oral y el testimonio han devuelto la confianza a esa primera persona que narra su vida (privada, pública, afectiva, política), para conservar el recuerdo o para reparar una identidad lastimada.» * 81Marta Cichoka, Estrategias de la novela histórica contemporánea : Pasado plural, postmemoria, pophistoria, Op.cit., p. 33-34. * 82 Marta Cichoka évoquant Luz Marina Rivas dansEstrategias de la novela histórica contemporánea : Pasado plural, postmemoria, pophistoria, Op.cit., p. 34. * 83Alia Trabucco, Op.cit., p. 64. * 84Alia Trabucco,loc.cit. * 85Alia Trabucco, Op.cit., p.68-69-70-71. * 86Ibid., p. 195-196. * 87Ibid., p. 195. Nous traduisons. * 88 Mikhail Bakhtine, Esthétique..., Op.cit., p. 177. * 89Alia Trabucco, Op.cit., p. 47. * 90Idem, p. 63-64. * 91Ibidem, p. 67. * 92 Le débordement par l'inondation, métaphore aussi du surplus de mémoire fait souvent irruption dans la voix de Iquela. Nous reproduisons ici deux autres exemples: «(su mamá muerta y Paloma regando macetas, jardines, anegando parques completos)» (p. 90) ; « los teléfonos cortados, [...] mi madre y su inundación anegando la puerta de la casa» (p. 191). * 93Alia Trabucco, Op.cit., p. 63. Nous traduisons. * 94Idem, p. 20. * 95Jacques Derrida, Les Yeux de la langue, Op.cit., p. 53. * 96Jean-Jacques Lecercle, Op.cit., p. 54. * 97« « Ça parle » par ce volcan, la langue va parler par le feu, elle va sortir d'elle-même et revenir par ce trou de feu » nous dit Jacques Derrida, Les Yeux de la langue, Op.cit., p. 23. * 98Jean-Jacques Lecercle, Op.cit.,p. 218. * 99 Jean-Jacques Lecercle citant M. Schneider, Op.cit., p. 247. * 100 Alia Trabucco, Op.cit., p. 67. Nous traduisons. * 101Idem, p. 96. Nous traduisons. * 102Ibidem, p. 249. Nous traduisons. * 103 Alia Trabucco, loc.cit. Nous traduisons. * 104Ibid., p. 242. Nous traduisons. * 105Alia Trabucco, loc.cit. Nous traduisons. * 106Ibid., p. 251. * 107Ibid., p. 187-188. * 108Ibid., p. 267. * 109Mikhail Bakhtine, Op.cit., p. 155. * 110Dominique Viart, « Vers une poétique « spectrale » de l'Histoire », in Jutta Fortin, Jean-Bernard Vray (comp.), L'imaginaire spectral de la littérature narrative française contemporaine, Publications de l'Université de Saint-Etienne, 2012, p. 44. * 111Paul Ricoeur, La Mémoire, l'histoire, l'oubli, Op.cit., p. 65. * 112Alia Trabucco, Op.cit., p. 207. * 113Idem, p. 49. * 114Gaston Bachelard, Poétique de la rêverie, Paris, PUF, 1960, p. 77. * 115Gaston Bachelard, loc.cit. * 116Julia Kristeva, Pouvoirs de l'horreur, Op.cit., p. 57. * 117 Julia Kristeva, loc.cit. * 118Alia Trabucco, Op.cit., p. 152-153. * 119Idem, p.254. * 120Ibidem, p. 255. * 121 Nelly Richard, Feminismo, género y diferencia(s), Santiago de Chile, Palinodia, 2008, p. 37. Disponible en ligne: < http://www.acaderc.org.ar/artes/publicaciones/contenedor-newsletter-1/Nelly%20Richard%20-%20Feminismos-%20genero%20y%20diferencias%20-1.pdf> * 122Alia Trabucco, Op.cit, p. 126-127. * 123Idem, p. 159 * 124Ibidem, p. 32-33. * 125Ibid., p. 152-153. * 126Ibid., p. 152-153. * 127Ibid., p. 155. * 128Idem, p. 157. * 129Ibidem, p. 179-180. * 130 Nelly Richard,Feminismo, género y diferencia(s), Op.cit., p. 37. * 131Nelly Richard, loc.cit. Nous traduisons. * 132 Nona Fernández, «Escribir para salvar vidas» [en ligne], Taller de letras, Santiago de Chile, num. 56, 2015, p. 195. * 133Le témoignage fait partie du champ des contre-littératures. À cet égard voir Bernard Mouralis, Les contre-littératures, Paris, Hermann, 2011, p. 55. * 134Philippe Vasset, « L'Exofictif » [en ligne], Vacarme, num. 54, 01/2011, p. 29 : < https://www.cairn.info/revue-vacarme-2011-1-page-29.htm> * 135Noemí Acedo Alonso, «El género testimonio en Latinoamérica: aproximaciones críticas en busca de su definición, genealogía y taxonomía» [en ligne], Latinoamérica, num. 64, p. 39-69: < http://www.revistadeestlat.unam.mx/index.php/latino/article/view/56863/50597> * 136 Mercè Picornell, «El género testimonio en los márgenes de la historia: representación y autorización de la voz subalterna» [en ligne], Espacio, Tiempo y Forma, Série V, Historia Contemporánea, num. 23, 2011, p. 129: < http://revistas.uned.es/index.php/ETFV/article/view/1577/1459> * 137Catherine Coquio, « Le récit du rescapé est un genre littéraire ou Le témoignage comme « genre de travers » », inDominique Moncond'huy, Henri Scepi, Les Genres de travers : littérature et transgénéricité, Rennes, PUR, 2007, p. 121. * 138Idem, p. 103. * 139Ibidem, p. 121. * 140 Nona Fernández, La dimensión desconocida,Op.cit., p. 27. * 141Julia Kristeva, La révolution du langage poétique, Paris, Seuil, p. 317. * 142 Julia Kristeva, La révolution du langage poétique, Op.cit.,p. 318. * 143 Nona Fernández, La dimensión desconocida, Op.cit.,p. 161-162. * 144Idem, p. 168. * 145Ibidem, p. 169. * 146C'est dans ce poème, que nous retrouvons parmi ses Poèmes saturniens, Edition du groupe « Ebooks libres et gratuits », 1867, p. 10 (< http://lacroixlitteraire.free.fr/lacroixlitteraire/Poesie_files/verlaine_poemes_saturniens.pdf>) que Paul Verlaine révèle être poursuivi par les souvenirs de son amour obsessionnel envers une femme : Souvenir, souvenir, que me veux-tu ? L'automne Faisait voler la grive à travers l'air atone, Et le soleil dardait unrayon monotone Sur le bois jaunissant où la bise détone. Nous étions seul à seule et marchions en rêvant, Elle et moi, les cheveux et la pensée au vent. Soudain, tournant vers moi son regard émouvant : « Quel fut ton plus beau jour ? » fit sa voix d'or vivant, Sa voix douce et sonore, au frais timbre angélique. Un sourire discret lui donna la réplique, Et je baisai sa main blanche, dévotement. - Ah ! les premières fleurs, qu'elles sontparfumées ! Et qu'il bruit avec un murmure charmant Le premier oui qui sort de lèvres bien-aimées ! Ce lien intertextuel tend à faire écho à la situation de El Papudo, qui ne pourra jamais se détacher de ce passé, symbolisé ici par la présence du vautour. * 147 Nona Fernández, Op.cit., p. 72. * 148Idem, p. 115. * 149 Lucien Dällenbach,Le récit spéculaire. Essai sur la mise en abyme, Paris, Éditions du Seuil, 1977, p. 136. * 150Ces fragments laissent entrevoir une « métalepse de l'auteur » claire, car « l'aut[rice] feint (par une figure) de pouvoir intervenir dans le monde fictif qu'[elle] crée comme si c'était le même niveau de réalité. » (Bertrand Daunay, « La métalepse du lecteur Ou la porosité du métatexte » [en ligne], Cahiers de narratologie, num. 32, 2017, p. 5 : < https://journals.openedition.org/narratologie/7855>) * 151 Nona Fernández, La dimensión desconocida, Op.cit., p. 193. * 152Javier Rodríguez Marcos, «No quiero que el lector pase un buen rato», El País, 30/11/2017. Nous traduisons: < https://elpais.com/cultura/2017/11/29/actualidad/1511987081_599660.html> * 153Nona Fernández, La dimensión desconocida, Op.cit., p. 47. * 154Idem, p. 28-29. * 155 Nona Fernández, La dimensión desconocida, Op.cit., p. 32-33. * 156Michel Butor, op.cit., p. 116. * 157 Voir Annexe I. * 158 Nona Fernández, Op.cit., p. 19. Nous traduisons. * 159 Nona Fernández, La dimensión desconocida, Op.cit., p. 108-109-110. * 160Gaston Bachelard, Poétique de la rêverie, Op.cit., p. 104. * 161María Luisa Bombal, La última niebla, Santiago de Chile, Editorial Nascimiento, 1941 [2e édition], p. 113. Disponible en ligne: < http://www.memoriachilena.gob.cl/archivos2/pdfs/MC0005023.pdf> * 162Maurice Blanchot, L'Écriture du désastre, Paris, Gallimard, 1980, p. 182. * 163 Maurice Blanchot, L'Espace littéraire, Paris, Gallimard, 1955, p. 235. * 164Paul Gadenne, A propos du roman, Arles, Actes Sud, 1983, p. 51. * 165Dominique Budor, Walter Geerts, « Les enjeux d'un concept »,in Le texte hybride, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2004, p. 7-25 : < http://books.openedition.org/psn/10055> * 166Mikhail Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, Op.cit., p. 141. * 167Édouard Glissant, Traité du Tout-monde, Op.cit., p. 31. * 168Maurice Blanchot citant René Char, L'Espace littéraire, Op.cit., p. 235. * 169Ricard Ripoll, « Vers une pataphysique de l'écriture fragmentaire » [en ligne], Barcelona, UAB, p. 17 : < https://pdfs.semanticscholar.org/782f/372efaadfe1286d0cfb0c0c6a2f63982071d.pdf> * 170Roland Barthes, Le Plaisir du texte, Paris, Seuil, 1973, p. 67. Pour Roland Barthes, le « [t]exte de jouissance [...] [est] celui qui met en état de perte, celui qui déconforte [...], fait vaciller les assises historiques, culturelles, psychologiques, du lecteur, la constance de ses goûts, de ses valeurs et de ses souvenirs, met en crise son rapport au langage. » * 171 Nelly Richard, Feminismo, género y diferencia(s),Op.cit., p. 18. * 172Nelly Richard, loc.cit. Nous traduisons. * 173Loc.cit. Nous traduisons. * 174Nelly Richard, loc.cit.Nous traduisons. * 175Nelly Richard, loc.cit. Nous traduisons. * 176Ibidem, p. 35. * 177Georges Perec, Espèces d'espaces, Paris, Galilée, 1974, p. 21. * 178 Marc Chénetier, « Kyrielle et liaison, propos profanes sur la liste en littérature » ROUGÉ Bertrand (sous la direction de), Suites et séries, Actes du troisième colloque du CICADA, Pau, PUP, 1994, p. 110. * 179Marc Chénetier, art.cit., p. 107. * 180Édouard Glissant, Traité du Tout-Monde, Op.cit., p. 20. * 181 Marc Chénetier, art.cit., p. 108. * 182Idem, p. 110. * 183Ibidem, p. 110. * 184Ibid., p. 110. * 185 Alia Trabuco Zerán, Op.cit., p. 11. * 186Marc Chénetier, art.cit., p. 108. * 187Umberto Eco, «El vértigo de las listas», Revista Científica de Información y Comunicación, num. 8, 2011, p. 26: < https://www.academia.edu/12527923/EL_VÉRTIGO_DE_LAS_LISTAS_-_Umberto_Eco_Universidad_de_Bolonia_> * 188Idem, p. 26. * 189Édouard Glissant,Traité du Tout-Monde, Op.cit., p. 115. * 190 Alia Trabucco, Op.cit., p. 11. Nous traduisons. * 191Marc Chénetier, art.cit., p. 110. * 192 Alia Trabucco, Op.cit., p. 44. * 193Idem, p. 45. * 194Ibidem, p. 116. * 195 Cécile Hanania, Roland Barthes et l'étymologie, Bruxelles, Peter Lang, 2010, p. 158. * 196Cécile Hanania, citant Grain, Op.cit., p. 158. * 197Alia Trabucco, Op.cit., p. 46. * 198 Nona Fernández, La dimensión desconocida, Op.cit., p. 151. * 199Nona Fernández, La dimensión desconocida, Op.cit., p. 152. * 200Idem, p. 152-153. * 201 Umberto Eco, Lector in fabula: le rôle du lecteur, ou, la coopération interprétative dans les textes narratifs, Paris, Grasset, 1985, p. 61. * 202Idem, p. 62. * 203 Raphaël Baroni, La Tension narrative, Paris, Seuil, 2007, p. 20 : « La « thymie » (du grec tumosqui signifie « coeur, affectivité ») est une humeur, une disposition affective de base. En psychologie, la régulation de l'humeur se définit par une « fonction thymique » (définitions tirées du Nouveau Petit Robert, édition 2003). Nous nous servirons de cette expression pour désigner des effets poétiques de nature « affective » ou « passionnelle » tels que la tension narrative, le suspense ou la curiosité par exemple. » * 204Raphaël Baroni citant Sternberg, Op.cit., p. 42. * 205Idem, p. 18. * 206Ibidem, p. 99. * 207La catalyse, unité narrative qui « a toujours une fonction discursive : [...] accélère, retarde, relance le discours, [...] résume, anticipe, parfois même déroute » nous dit Roland Barthes, * 208Rappelons que cette liste s'étend sur quatorze pages au total. * 209Philippe Hamon, « La mise en liste . Préambule », in Milcent-Lawon Sophie, Lecolle Michelle, Michel Raymond (dir.), Liste et effet liste en littérature, p. 27. * 210Nona Fernández, La dimensión desconocida, Op. cit., p. 212-213. * 211Michel Collot, Le Corps-cosmos, Op.cit., p. 89. * 212Idem, p. 92. * 213 Bernard Noël, La Peau et les Mots, Paris, P.O.L, 2002, p. 43. * 214Michel Collot, Le Corps-cosmos, Op.cit., p. 92. * 215Christine Planté (dir.), « Introduction », inL'Épistolaire, un genre féminin ?, Paris, Champion, 1998, p. 13, déclare que « [c]'est par rapport à l'ensemble de la littérature que l'épistolaire est dit féminin, relativement à d'autres genres [...]. Situé au bas de la hiérarchie, en tout cas à la périphérie de la sphère littéraire, il n'y est admis que de façon problématique [...] » * 216Elisabeth Gavoille, François Guillaumont, « Introduction », in Conflits et polémiques dans l'épistolaire [en ligne], art. cit., p. 13-29 : < https://books.openedition.org/pufr/10877> * 217Idem, p. 13-29. * 218 Nona Fernández, La dimensión desconocida, Op.cit., p. 25-26. * 219Idem, p. 229. * 220 Nona Fernández, La dimensión desconocida, Op.cit.,p. 230-231-232-233. * 221Nous empruntons ce concept à Dina Haruvi,« De l'identité nomade à la « pensée nomade » : correspondances de québécoises »,inL'Épistolaire au féminin : Correspondances de femmes (XVIIIe- XXe siècle) [en ligne], Caen, Presses universitaires de Caen, 2006, p. 213-227: < http://books.openedition.org/puc/10246> * 222 Michel Collot, «Lyrisme et littéralité» [en ligne], Lendemains - Études Comparées sur La France. BD. 34, num. 134/5, 2009, p. 20 : < file:///C:/Users/Jérémie/AppData/Local/Packages/Microsoft.MicrosoftEdge_8wekyb3d8bbwe/TempState/Downloads/49-34-1-PB%20(1).pdf> * 223 Michel Collot, ««Cette émotion appelée poésie»( Pierre Reverdy)», in Emmanuel Bouju, Alexandre Gefen (comp.), L'Émotion, puissance de la littérature ?, Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, 2013, p. 144. Disponible en ligne : < https://www.academia.edu/23073357/LÉmotion_puissance_de_La_LittÉrature> * 224 Nona Fernández, La dimensión desconocida, Op.cit.,p. 159-160. * 225Idem, p. 175-176. * 226 Enrique Lihn, La piezaoscura, San Francisco, Editorial Universitaria S.A, 1963, p. 17: < http://www.memoriachilena.gob.cl/archivos2/pdfs/mc0009652.pdf> On retrouvera le poème dans son intégralité en annexe VI . * 227 Bieke Willem, El espacio narrativo en la novela postdictatorial: casas habitadas, Boston, Brill/Rodopi, 2016, p. 236. * 228 Enrique Lihn, Op.cit., p. 17. Nous traduisons. * 229Patricia Gauthier, « Le roman du roman de Pascal Quignard : Dernier royaume ou le triomphe du « non-roman », inDominique Moncond'huy, Henri Scepi, Les Genres de travers : littérature et transgénéricité, Rennes, PUR, 2007, p. 350. * 230Patricia Gauthier, loc.cit. * 231Jacques Derrida, La Loi du genre, Communication présentée en juillet 1979 à l'occasion d'un colloque international sur « Le Genre » qui fut organisé par J-J Chartin, Ph. Lacoue Labarthe, J-L Nancy et S. Weber, sous les auspices de l'université de Strasbourg et de l'université Johns Hopkins (Baltimore), et publiée par Parages, p. 253 : < https://joaocamillopenna.files.wordpress.com/2017/08/derrida-la-loi-du-genre.pdf> * 232Julia Kristeva, Pouvoir de l'horreur. Essai sur l'abjection, Op.cit., p. 12. * 233 Jacques Derrida, La Loi du genre, Op.cit., p. 254. * 234Idem, p. 253. * 235 «A su derecha la escoltaba un hombre rubio y barbón que apoyaba una mano sobre su cabeza (hundiéndola, enterrándola).» (p. 17: nous soulignons); «Como si nada hubiese muerto o aún contemplara por la ventanilla la ciudad enterrada entre los cerros, Paloma agarró con una mano su cámara de fotos, una antigua máquina colgada de su cuello, y fotografió un anuncio colgado a la pared.» (p. 42: nous soulignons); «Y ni siquiera alcanzaba a subir los peldaños del edificio (cuarenta y cuatro escalones exactos), apenas llegaba a enterrar la llave en la cerradura, cuando oía el teléfono retumbando al otro lado.» (p. 72: nous soulignons); «Comenté lo opaco que se veía el cielo, los campos enterrados bajo el polvo, la textura del viento ahora visible (una mortaja gris sobre Santiago).» (p. 145: nous soulignons); «Quiébrale la nariz, Iquela, sácale los ojos de las cuencas, entiérrale alfileres bajo las uñas.» (p. 209: nous soulignons) * 236 «pienso en el loro Evaristo encerrado en su jaula en la cocina [...] yo me movía y ahí estaba su ojo encerrándome, porque mi reflejo quedaba encarcelado [...]» (p. 52: nous soulignons); «Había sobrevivido hasta la última partícula de ese viejo olor: el aroma de la enfermedad y del encierro, ese dejo dulzón que prometía un dolor que no llegaba.» (p. 68: nous soulignons); «Encerrado no me gusta nada, no, lo que yo quiero es caminar [...]» (p. 151: nous soulignons); «Intenté volver al juego pero quedé atrapada en la memoria de esa mancha sobre mi mano [...]» (p. 167: nous soulignons); «O podía continuar en esa asamblea, con su blusa blanca (o crema o amarilla), encerrada en la fotografía que colgaba en el comedor de la casa de mi madre.» (p. 242: nous soulignons); «desciendo por las colinas del oriente y llego a Santiago de pronto, un Santiago repentino que me alerta, me vigila, me encarcela [...]» (p. 276: nous soulignons). * 237 «Había ido a escuchar y escucharía atenta, sin dejar de comerse las gruesas hojas de su alcachofa, arrancándolas una a una, examinándolas, acercándolas a su boca, chupando con delicadeza esa pulpa plomiza y abandonándolas en un círculo perfecto.» (p. 61: nous soulignons); «y miro al oriente y compruebo que no se ve la cordillera, no se ven los cuerpos, no, solo unos nubarrones bajos y blancos, unas nubes de cemento [...]» (p. 103: nous soulignons); «me entrené para descifrar la rabia en las pupilas de los quiltros y las vacas, asas vaquitas sureñas con sus ojos grises, porque no eran blancos y lisos esos ojos, no, eran unas escleróticas plomizas y resbalosas [...]» (p. 202: nous soulignons); «En sus marcas, listos, ya! Ese era el grito que nos desplomaba sobre la tierra, Ique, sin trampa [...]» (p. 260: nous soulignons); «Quedé sumida en un vértigo, como si todo el aire de mi cuerpo me abandonara de pronto y me desplomara en un espacio vacío.» (p. 269: nous soulignons); «es una luz que me corta la cara y me encandila, deslumbra las pupilas de mis poros y enciende mi descender abrupto, mi desplome inflamado [...]» (p. 278: nous soulignons). * 238 Alia Trabucco, La resta, Op.cit., p. 45. * 239Idem, p. 69. * 240Ibidem, p. 85. * 241Ibid., p. 133-134. * 242Ibid., p. 224. * 243Ibid., p. 79. * 244Ibid., p. 83. * 245Ibid., p. 91. * 246Ibid., p. 114. * 247Ibid., p. 141. * 248Ibid., p. 190. * 249Ibid., p. 235. * 250Ibid., p. 147 : «Desde el barranco, el valle de Santiago se extendía quieto, un agujero hundido entre los cerros y unas pocas luces desperdigadas.» * 251Jean-Yves Tadié, Le Récit poétique, Paris, Gallimard, 1994, p. 78. * 252Idem, p. 7. * 253Édouard Glissant, Le Traité du Tout-monde, Op.cit., p. 75. * 254Jean-Jacques Lecercle, Op.cit., p. 95. * 255Idem, p. 95. * 256Michel Collot, Le Corps-cosmos, Op.cit., p. 37. * 257 Alia Trabucco, La resta, Op.cit., p. 257. * 258Jacques Derrida, La Loi du genre, Op.cit., p. 264. * 259Jean-Yves Tadié, Op.cit., p. 133. * 260 Alia Trabucco, La resta, Op.cit., p. 273-274. * 261Michel Collot, Le Corps-cosmos, Op.cit., p. 37. * 262Michel Collot, loc.cit. * 263Michel Collot citant Mahmoud Sami-Ali, De la projection, loc.cit. * 264Michel Collot, loc.cit. * 265Jean-Yves Tadié, Op.cit., p. 76. * 266Michel Collot, Le Corps-cosmos, Op.cit. * 267 Jorge Luis Borges, Ficciones, Barcelona, Debolsillo, 2015 [1944], p. 15. * 268Michel Foucault, Les Mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966, p. 89. * 269Michel Collot, Le Corps-cosmos, Op.cit., p. 84. * 270Michel Collot, loc.cit. * 271Michel Collot, loc. cit. * 272Jean-Yves Tadié, Op.cit., p. 152. * 273Idem, p. 163. * 274Alia Trabucco, La resta, Op.cit., p. 75. * 275Idem, p. 274-275-278-279. * 276Alia Trabucco, La resta, Op.cit., p. 278. Nous traduisons. * 277Idem, p. 59. * 278 Alia Trabucco, loc.cit. Nous traduisons. * 279Nous devons l'image du miroir de mercure à Jacques Derrida, p. 470. Pour Jacques Derrida, La diseminación, p. 473, «[l]a relación entre los términos opuestos, entre los gérmenes contrarios, es pues, el azogue venenoso.» * 280 Marta Cichoka, Entre la nouvelle histoire et le Nouveau roman historique, Paris, l'Harmattan, p. 334. * 281 Marta Cichoka, loc.cit. * 282 Nelly Richard, Residuos y metáforas..., Op.cit., p. 80. * 283Idelber Avelar, Alegorías de la derrota: la ficción posdictatorial y el trabajo de duelo, 1999, disponible en ligne: < https://direccionmultiple.files.wordpress.com/2012/09/alegorias_de__derrota__la_ficcion_postdictatorial_y_el_trabajo_del_duelo_-_idelber_avelar.pdf> * 284 Paul Ricoeur, La Mémoire, l'histoire, l'oubli, Op.cit., p. 62. * 285Gabriel Ferreira Zacarias, « Introduction : quel concept pour l'art des archives ? » [en ligne], Marges, num. 25, 2017, p. 10 : < https://www.cairn.info/revue-marges-2017-2-page-10.htm#pa8> * 286Marta Cichoka se référant à l'oeuvre théorico-critique de Linda Hutcheon, Narcissistic Narrative. The Metafictional Paradox (1991) dans Entre la nouvelle histoire et le nouveau roman historique, op.cit., p. 370. * 287Idem. * 288Ibidem. * 289Ibid. * 290Gérard Genette, Palimpsestes, Paris, Seuil, 1982, p. 8. * 291Idem, p. 10. * 292Ibid., p. 13. * 293Ibid., p. 12. * 294Ibid., p. 12. * 295 Nona Fernández, La dimensión desconocida, Op.cit., p. 15. * 296Laurent Lepaludier, « Fonctionnement de la métatextualité : procédés métatextuels et processus cognitifs », in Laurent Lepaludier (dir.), Métatextualité et métafiction : théorie et analyses, Rennes, PUR, 2003, p. 25-38 : < https://books.openedition.org/pur/29657> * 297Idem, p. 25-38. * 298Ibidem, p. 25-38. * 299Ibid., p. 25-38. * 300Ibid., p. 25-38. * 301Ibid., p. 25-38. * 302Ibid., p. 25-38. * 303 Linda Hutcheon, Poética do pós-modernismo (traduit de l'anglais au portugais par Ricardo Cruz), Rio de Janeiro, Imago Editora, 1991 [1947]. Nous traduisons. Disponible en ligne sur: < https://dl1.cuni.cz/pluginfile.php/449941/mod_resource/content/1/LHutcheon-Poetica-do-pos-modernismoM.pdf> * 304 Linda Hutcheon, Op.cit., p. 152. * 305Idem, p. 152. * 306 Nona Fernández, La dimensión desconocida, Op.cit., p. 108. * 307Idem, p. 109. * 308 À cet égard voir p. 4 : «Murió gente en ese lugar? -Sí. Uno era el llamado «Camarada Diaz». Tenía 50 años, medio canoso, bajito, de contextura regular. El otro era un joven que le decían «Yuri». Fue colgado en una ducha y como le habían aplicado corriente anteriormente, tenía mucha sed. Abrió con la boca la llave y tomó agua. Luego llegó el centinela y le cortó el agua, pero él nuevamente la volvió a abrir y nosotros dejamos que el agua corriera. Debe haber sido unas horas con el agua de la ducha corriendo por el cuerpo. En la noche falleció de una bronconeumonía fulminante.» * 309 Michel Butor, Op.cit., p. 10-11 : La recherche de nouvelles formes romanesques dont le pouvoir d'intégration soit plus grand, joue donc un triple rôle par rapport à la conscience que nous avons du réel, de dénonciation, d'exploration et d'adaptation. Le romancier qui se refuse à ce travail, ne bouleversant pas d'habitudes, n'exigeant de son lecteur aucun effort particulier, ne l'obligeant point à ce retour sur soi-même, à cette mise en question de positions depuis longtemps acquises, a certes, un succès plus facile, mais il se fait le complice de ce profond malaise, de cette nuit dans laquelle nous nous débattons. Il rend plus raides encore les réflexes de la conscience, plus difficile son éveil, il contribue à son étouffement, si bien que, même s'il a des intentions généreuses, son oeuvre en fin de compte est un poison. * 310 Nona Fernández, La dimensión desconocida, Op.cit.,p. 130. * 311Idem, p. 131. * 312Dans son travail, Bertrand Daunay, art.cit., p. 8, parle de « métalepse du lecteur » pour désigner une oeuvre qui « ren[d] compte de la « participation du lecteur » au texte. » * 313Ibidem, p. 132-133. * 314 * 315 Linda Hutcheon, Op.cit., p. 170. * 316SamarkandraPereira dos Santos Pimentel citant Adolfo José de Souza Frota dans «Considerações sobre a poética do pós-modernismo», Letrônica, vol. 9, num. 1, janvier-juin 2016, p. 191. Nous traduisons. Disponible en ligne: < http://revistaseletronicas.pucrs.br/ojs/index.php/letronica/article/view/22205/14525> * 317 Mikhaïl Bakhtine, Op.cit., p. 181. * 318Marie-Laure Hurault,« La lisibilité de la forme »,in La Forme en jeu [en ligne], Saint-Denis, Presses Universitaires de Vincennes, 1998, p. 29-45: < http://books.openedition.org/puv/217> * 319Idem, p. 29-45. * 320 Nicolas Bourriaud, L'Exforme : Art, idéologie et rejet (Perspectives critiques), Paris, PUF, 2017. * 321Cecilia Vicuña, Palabrarmas, Santiago de Chile, RIL Editores, 2005: < http://www.memoriachilena.gob.cl/archivos2/pdfs/MC0035876.pdf> * 322Sandrine Darsel, « Imagination narrative, émotion et éthique », p. 19, InEmmanuel Bouju, Alexandre Gefen (comp.), L'Émotion, puissance de la littérature ?, Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, 2013 : < https://www.academia.edu/23073357/LÉmotion_puissance_de_La_LittÉrature> * 323Idem * 324Sandrine Darsel, art. cit., p. 20. * 325Idem * 326Sandrine Darsel, art.cit., p. 21. * 327Idem * 328Ibidem * 329Sandrine Darsel, art.cit., p. 26. * 330À ce propos, voir l'ouvrage Une voix différente. Pour une éthique du care, Paris, Flammarion, 1986 [1982]. * 331 Carol Gilligan, Op.cit., p. 37. * 332Alexandre Gefen citant Joan Tronto, Réparer le monde, Op.cit., p. 157. * 333 Alexandre Gefen, Réparer le monde, Op.cit., p. 157-158. * 334 Paul Ricoeur, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, p. 223. * 335Paul Ricoeur, loc.cit. * 336Idem * 337Gotthold Ephraim Lessing, Du Laocoon, ou Des limites respectives de la poésie et de la peinture (traduit de l'allemand par Charles Vanderbourg), Paris, Antoine-Augustin Renouard, 1802 [1763], p. 124. * 338 Gotthold Ephraim Lessing, Op.cit., p. 125. * 339Idem, p. 125. * 340Ibidem, p. 126. * 341 Gotthold Ephraim Lessing, loc.cit. * 342Ibid., p. 126. * 343Paul Ricoeur, La Mémoire, l'histoire, l'oubli, Op.cit., p. 59. La « dépiction », croisement du dépeint et de la fiction, renvoie à ce « jeu entre le souvenu, le fictif [...] et le dépeint [...] » (Op.cit., p. 58.) * 344Pour Michel Foucault, Les Mots et les choses, Op.cit., p. 25 : « [...] le rapport du langage à la peinture est un rapport infini. » * 345Yves Le Bozec, « L'hypotypose : un essai de définition formelle » [en ligne], Persée, inL'Information Grammaticale, num. 92, 2002, p. 6 : < http://www.persee.fr/doc/igram_0222-9838_2002_num_92_1_3271> * 346Yves Le Bozec, « Ekphrasis de mon coeur, ou l'argumentation par la description pathétique » [en ligne], Persée, inLittérature, num. 111, 1998, p. 112 : < https://www.persee.fr/docAsPDF/litt_0047-4800_1998_num_111_3_2493.pdf> * 347 Alia Trabucco, La resta, Op.cit., p. 11. * 348Julia Kristeva, Pouvoirs de l'horreur, Op.cit., p. 51. * 349 Michel Collot, La Matière-émotion [format Kindle], Op.cit., emplacement 3506/5943. * 350 Manuel Luis Rodríguez, « Carta de Ángel Parra a Víctor Jara » (1987) [en ligne],La República de los libros, 13/07/17:< https://larepublicadeloslibros.wordpress.com/2017/03/13/carta-de-angel-parra-avictor-jara-1987/> Voir annexe IX pour une lecture complète de cette lettre. De même, le dialogue entre le muralisme et la mémoire de la dictature chilienne est intéressant à étudier. Les dernières années ont vu la naissance de plusieurs collectifs muralistes tels que Los Oberoles(Annexe VIII), qui n'ont pas hésité à prendre d'assaut les murs des villes pour peindre la mémoire collective chilienne. Le fleuve Mapocho n'a pas été exempt de cette activité artistique engagée. * 351 Alia Trabucco, La resta, Op.cit., p. 288. * 352Michel Collot, Le Corps cosmos, Bruxelles, La lettre volée, 2008, p. 68. Nous employons le concept de «langue-peinture» pour renvoyer au « pouvoir de suggestion sensorielle et émotionnelle [que les signifiantsmatière-émotion- déploient dans La resta, pouvoir] analogue à celui que peut revêtir par exemple la couleur dans un tableau, non pour représenter le monde, mais pour nous le rendre présent » et qui donne naissance à uneécriture plastique. De sorte que cette «langue-peinture» remplit une fonction significative dans la présentification des traces résiduelles de la violence politique, comme nous le verrons. * 353Paul Dirkx, « Introduction. Un oeil qui passe inaperçu », in Paul Dirkx (dir.), L'oeil littéraire : La vision comme opérateur scriptural. Nouvelle édition [en ligne], Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, p. 9-22 : < https://books.openedition.org/pur/52089> * 354 Alia Trabucco, La resta, Op.cit., p. 31-32-33. * 355En 1986, Agnès Varda, figure iconique de la Nouvelle Vague française, à qui nous devons le terme de « cinécriture », affirmait à Claude Racine, « Agnès Varda ou la cinécriture » [en ligne], 24 images, num. 27, p. 26 : « Je suis fidèle à cette idée que le cinéma est encore tout nouveau et qu'on est tous des apprentis d'une écriture qu'on peut essayer d'attraper, de ce que j'appelle : « la cinécriture ». C'est pour ça d'ailleurs, que lorsque je tournais Sans toit ni loi, il devait alors s'appeler « à saisir », parce que je sens très profondément qu'il ne faut pas chercher, il faut trouver. » En réutilisant ce terme, nous désignons l'écriture de nos deux autrices qui, en voulant attraper la trace, en cherchant à l'exprimer, à la représentifier, échoue sur les rives du septième art : le cinéma, donnant lieu à une « cinécriture de la trace ». * 356 Bernard Noël, Une fois les dieux, Bordeaux, Les Cahiers des Brisants, 1982, p. 1. * 357 Jacques Fontanille, Corps et sens, Op.cit., p. 109-110. * 358Idem, p. 110. * 359 Alia Trabucco, Op.cit., p. 103. * 360Idem, p. 104. * 361Ibidem, p. 106. * 362 Nona Fernández, La dimensión desconocida, Op.cit.,p. 125-126. * 363Idem, p. 127. * 364 Alexandre Astruc cité par Christian Metz dans « Le cinéma : langue ou langage ? », inCommunications, 4, 1964, p. 60 : < https://www.persee.fr/docAsPDF/comm_0588-8018_1964_num_4_1_1028.pdf> * 365Michel Foucault, Op.cit., p. 29. * 366Bernard Noël, « Un jour de grâce », inLes Plumes d'Éros, OEuvres I, Paris, POL, 2010, p. 9-12. * 367 Françoise Dastur, Chair et langage: essais sur Merleau-Ponty, Paris, Les Belles Lettres, 2016, p. 106. * 368Idem, p. 107. * 369 Jean-Michel Schaeffer, Pourquoi la fiction ?, Paris, Seuil, 1999, p. 245. * 370Idem, p. 246. * 371 Jacques Fontanille, Op.cit., p. 101. * 372Nelly Richard, Residuos y metáforas, Op.cit., p. 46. * 373 Nelly Richard, Idem, p. 47. * 374 Henri Meschonnic citantPaul Valéry, art. cit., p. 21. * 375 Nelly Richard, Residuos y metáforas..., Op.cit., p. 46. Nous traduisons. * 376 Nelly Richard, La insubordinación de los signos..., Op.cit., p. 42. Nous traduisons. * 377 Henri Meschonnic, « Qu'entendez-vous par oralité ? » [en ligne], inLangue française, num. 56, 1982, p. 20: < https://www.persee.fr/doc/lfr_0023-8368_1982_num_56_1_5145#lfr_00238368_1982_num_56_1_T1_0006_0000> * 378 Michel Collot, La Matière-émotion [format Kindle], Op.cit., emplacement 3428/5943. * 379 Nelly Richard, Crítica de la memoria (1990-2010), Op.cit., p. 182. * 380Jacques Derrida, Les Yeux de la langue, Op.cit., p. 53. * 381 Michel Collot, La Matière-émotion [format Kindle], Op.cit., emplacement 430/5943. * 382Jacques Fontanille, Op.cit., p. 108. * 383 Notion dévéloppée par Cristina Rivera Garza dans Muertos indóciles: necroescrituras y desapropiación, México, Tusquets Editores, 2013, p. 22, et définie comme une «escritura eminentemente dialógic[a], es decir, aquell[a] en l[a]s que el imperio de la autoría, en tanto productora de sentido, se ha desplazado de manera radical de la unicidad del autor hacia la función del lector, quien, en lugar de apropiarse del material del mundo que es el otro, se desapropia.» * 384 Alia Trabucco, Op.cit., p. 11. * 385Idem, p. 114. Nous traduisons. * 386 Jacques Fontanille, Corps et sens, Paris, PUF, 2011, p. 104. * 387 Pierre Ouellet (dir.), Poétique du regard : littérature, perception, identité, Limoges, PULIM, Septentrion, 2000, p. 260. * 388 Bernard Noël, La Peau et les Mots, Op.cit., p. 64. * 389La resta, p. 233 : «[...] no sabemos de dónde vienen, de dónde brota este líquido amargo y caliente que sube, trepa y choca con las paredes lisas y blancas del wáter, y cómo chucha llegué al wáter y dónde chucha estoy, por la cresta, me quiero dormir y despertar sin muertos sin ríos sin ojos sin voces sin.» Ce fragment, qui n'est pas sans faire écho à l'incipit in medias res, de l'oeuvre de Lina Meruane, Sangre en el ojo (p. 11 : Estaba sucediendo. En ese momento. Hacía mucho me lo habían advertido y sin embargo. Quedé paralizada, las manos empapadas empuñando el aire. La gente en la sala seguía conversando y riéndose a carcajadas, incluso susurrando exageraban mientras yo.») et, plus précisément, son caractère fragmentaire, elliptique, dévoile la méfiance de la part de Alia Trabucco envers «les gloriosas terminaciones de la frase y de la fase acabadas» (Nelly Richard, La insubordinación de los signos..., Op.cit., p. 35.) * 390Alia Trabucco, Op.cit., p.144. * 391Alia Trabucco, loc.cit. * 392Idem, p. 236-237. * 393Ibidem, p. 151. * 394Ibid., p. 160. * 395 Cecilia Vicuña, Op.cit., p. 54. * 396 Cecilia Vicuña, loc.cit. * 397Jean-Jacques Lecercle citant J.M. Sadock, op.cit., p. 54-55. * 398Isabelle Klock-Fontanille, « L'exemple des sceaux et des tablettes hittites », inMarc Arabyan, Isabelle Klock-Fontanille (comp.), L'Écriture entre support et surface, Paris, L'Harmattan, 2015, p. 31. * 399 Pierre-Louis Patoine, Corps/texte. Pour une théorie de la lecture empathique : Cooper, Danielewski, Frey, Palahniuk, Lyon, ENS, 2015 : < https://books.openedition.org/enseditions/4009> * 400 Françoise Dastur, Op.cit., p. 66-67. * 401Jacques Fontanille, Op.cit., p. 70. * 402Idem, p. 70. * 403Françoise Dastur, Op.cit., p. 106. * 404Ibidem, p. 96. * 405 Javier Marcos Rodríguez, «No quiero que el lector pase un buen rato», El País, 30/11/2017: < https://elpais.com/cultura/2017/11/29/actualidad/1511987081_599660.html> * 406 «La novela coctelera» ou «la novela pophistórica» est un type de romanassocié à la littérature light qui, «[e]n vez de ofrecer una relectura del pasado desde los márgenes del poder, como lo prometen les novelas intrahistóricas». «[L]as novelas pophistóricas seducen sobre todo el público joven o poco especializado». Plus précisément, et selon Marta Cichoka, ce sont des romans: 1. [...] cuyo referente está obviamente situado en el campo extraliterario, accesible a cualquier lector (Internet) y sin lugar a duda. 2. [...] [que] se apoy[an] en un conocimiento comúnmente compartido de la historia (Wikipédia), una serie de lugares comunes que reflejan las convicciones de la comunidad a la que pertenece el autor y sus lectores. 3. [que] tiene[en] por objetivo ganar la popularidad entre sus lectores a través de un tema atrayente, una trama accesible, una visión del pasado exenta de vacilaciones que sirve de fondo para una intriga rocambolesca. 4. [...] que tiene[en] como efecto «reforzar» las ideas compartidas y que sin embargo en muchas ocasiones suelen ser falsas o estereotipadas. (Marta Cichoka, Estrategias de la novela histórica contemporánea. Pasado plural, postmemoria, pophistoria (eBook), Peter Lang, 2016, p. 103.) * 407Jean-Michel Schaeffer, Op.cit., p. 199. * 408Jacques Fontanille, Op.cit., p. 119. * 409Jacques Fontanille, Op.cit., p. 120. * 410Idem, p. 105-106. * 411Ibidem, p. 106. * 412 Nona Fernández, La dimensión desconocida, Op.cit., p. 141-142. * 413Idem, p. 142. * 414 Annexe V. La description macabre que livre Nona Fernández s'appuie sur les photographies diffusées par la presse chilienne. * 415 Nona Fernández, La dimensión desconocida, Op.cit., p. 108-109-110. * 416Idem, p. 106. * 417Frédérique de Vignemont, « Empathie miroir et empathie reconstructive », Revue philosophique de la France et de l'Étranger, Tome 133, 2008, p. 342 : < https://www.cairn.info/revue-philosophique-2008-3-page-337.htm> : « J'utilise mes propres ressources émotionnelles pour comprendre autrui. Toutefois, à la différence de l'empathie miroir, je ne m'appuie pas uniquement sur des indices corporels, je prends pour point de départ le contexte externe (ce que je sais de la personne) et interne (ce que je sais sur la personne). L'empathie reconstructive repose donc sur une simulation de la situation émotionnelle de l'autre. » * 418Jean-Michel Schaeffer, Op.cit., p. 253. * 419 Antoine Compagnon, La littérature, pour quoi faire ? [2007], Paris, Collège de France, coll. « Leçons inaugurales du Collège de France », num. 188, septembre 2013. Disponible en ligne : < http://books.openedition.org/cdf/524> * 420Paul Valéry, « L'Infini esthétique » (1934), inOEuvres, Tome II, Pièces sur l'art, Paris, Gallimard, 1960, p. 1343. * 421Paul Valéry, loc.cit. * 422Pour Edmund Burke, dans Recherche philosophique sur l'origine de nos idées de sublime et de beau [format Kindle, traduction de E. Lagentie de Lavaïsse], Gravitons, 2015 [1803], emplacement 634/2798 : Tout ce qui est propre à exciter les idées de la douleur et du danger, c'est-à-dire, tout ce qui est en quelque sorte terrible, tout ce qui traite d'objets terribles, tout ce qui agit d'une manière analogue à la terreur est une source du sublime ; ou, si l'on veut, peut susciter la plus forte émotion que l'âme soit capable de sentir. Je dis la plus forte émotion parce que je suis convaincu que les idées de la douleur sont plus puissantes que celles qui viennent du plaisir. L'idée de « sublime », développée par E. Burke, est à lier à « l'infinité », car elle en est la source (emplacement 1152/2798). * 423 Eduardo Galeano, « Dix erreurs ou mensonges fréquents sur la littérature et la culture en Amérique latine » (Traduit de l'espagnol par Ch. Bonnarens et tiré de Nueva Sociedad, num. 56-57, Caracas, septembre-novembre-décembre, 1981), inFiction et réalité : la littérature latino-américaine, Université de Bruxelles, 1983, p. 54. * 424Lina Meruane, Sangre en el ojo, San José, Ediciones Lanzallamas, 2013, p. 167-168. * 425 Dominique Rabaté, Op.cit., p. 103. * 426Johan Faerber, Après la littérature. Écrire le contemporain [format Kindle], Op.cit., emplacement 721/3262. * 427 Johan Faerber, loc.cit. * 428C'est en ces termes que Johan Faerber, Op.cit., emplacement 778-784/3262, définit ce qu'il nomme « la page noire » : Dans un renversement d'une fureur sans précédent, la page blanche apparaît bien plutôt comme la promesse à tenir, l'horizon à atteindre et l'espoir irrésolu de trouver un espace d'accueil dans lequel écrire s'avancerait, où il serait un verbe souverain qui, seul, autoriserait l'oeuvre à être. Parce qu'aujourd'hui, au moment décisif de commencer à écrire, il n'existe paradoxalement plus que la terreur de la page noire, une page noircie de toutes les autres écritures, une page noircie de tout ce qui s'est déjà écrit sans elle et dont elle est le dépôt féroce et le testament désastré. Une page noire qui jette l'homme hors de tout livre et porte dans chacune de ses lignes le crêpe noir du deuil infini et insurmontable de la Littérature même. Une page noire, où chaque mot est devenu l'ombre portée de la phrase d'un autre auteur, a obscurci jusqu'à l'aveugle ce qui reste et où les marges s'effondrent à leur tour de noires saturations, obscurcies d'écriture et de récritures, encore et plus encore que l'adverbe « encore » lui-même ne saurait dire et porter. Comme si l'infini lui-même avait trouvé sa fin, comme si l'inachèvement s'était reculé dans la faillite de l'achever, comme si l'épuisement même avait été épuisé. * 429Nous empruntons ce syntagme à Eduardo Galeano et son célèbre essai, Las venas abiertas de América latina, Buenos Aires, Siglo XXI, 1971. |
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