INTRODUCTION ET PROBLÉMATIQUE
La mise en place des politiques énergétiques par
les autorités internationales est le produit de multiples
évènements [Godinot, 2011] : (a) les tensions
géopolitiques, ayant débuté en 1973 par le premier choc
pétrolier, ont eu comme conséquence une hausse brutale du prix du
pétrole. (b) L'augmentation de la demande en ressources
énergétiques, à la suite des développements
industriels et de la croissance démographique, a engendré la
question de la durabilité des ressources fossiles et la
nécessité de trouver des ressources alternatives
inépuisables [Paillard, 2011]. (c) Depuis les années
quatre-vingt-dix, des groupes placés sous l'égide des nations
élaborent des rapports scientifiques sur le changement climatique.
Ainsi, les états membres des nations unies se mobilisent contre le
réchauffement climatique par des rencontres lors des « sommets de
la terre ». Ils cherchent depuis le sommet de Copenhague (2009) à
limiter le réchauffement climatique à
2o C. Cet objectif peut être atteint en
réduisant les émissions de gaz à effet de serre, dont le
secteur énergétique est le principal contributeur [Marillier,
2007]. En conséquence, de nombreux pays travaillent pour remplacer les
énergies non renouvelables : fuel, charbon, uranium, etc. [Stoyanov,
2011], par un système d'énergie durable défini par Alanne
et Saari [2006] comme étant un système capable de
générer de l'énergie suffisante, propre, fiable, durable
et à un prix abordable [El-Fadel et al., 2010].
Les énergies renouvelables sont des énergies
inépuisables à l'échelle du temps humain [Bal et Chabot,
2001]. La production de l'électricité par de l'énergie
alternative, surtout du vent, connait un véritable essor et un
développement rapide par rapport à la production de
l'électricité par l'énergie fossile, en particulier dans
les pays émergents [Ibid.]. Selon le rapport du Global Wind
Energy Council (GWEC) publié en 2016, la puissance cumulée de
l'énergie éolienne au monde était de 23 900
MegaWatt1 (MW) en 2001, 120 700 MW en 2008 et arrive à 486
800 MW en 2016 (Figure 1).
1 Le MegaWatt (MW) correspond
à l'unité de mesure de la puissance
installée (théorique), c'est la valeur maximale de
travail que peut fournir une machine. Le Mégawattheure correspond
à l'unité de mesure de l'énergie
consommée ou produite par unité de temps (l'unité
du système international s'exprime en joule par seconde) [Lopez,
2008].
1MW = 1 000 KW = 1 000 000 W ; 1 W = 1 J/s.
Ainsi pour calculer la consommation ou la production par heure
: Wh (l'énergie) = W (puissance) X h (période en heure).
600 000
2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013
2014 2015 2016
Année
Puissance cumulée de l'énergie éolienne (en
MW)
400 000
500 000
300 000
200 000
100 000
0
23 900
31 100
39 431
47 620
59 091
73 957
93 924
120 696
159 052
197 956
238 110
282 850
318 697
369 862
432 680
486 790
2
Figure 1 : Évolution de la puissance cumulée de
l'énergie éolienne mondiale (en MW) entre
2001 et 2016
Source: Global Wind Energy Council (GWEC), 2016
Jusqu'à la fin du 19ème
siècle, les moulins à vent étaient utilisés pour
pomper l'eau. Depuis, l'idée de produire de l'électricité
par la force du vent est apparue. Plusieurs tentatives ont été
mises en place, et en 1888 des moulins en bois équipés de 144
lames ont réussi à produire de l'électricité aux
États-Unis [Rapin et Noël, 2010]. En 1891, l'électricien
Paul La Cour propose le premier moulin moderne, il réduit le nombre de
pales d'abord à 4 puis l'augmente à 6. Cela a permis d'augmenter
la vitesse de rotation, ce qui fut une évolution notable pour
l'industrie éolienne [Ibid.].
L'énergie éolienne est une forme indirecte
d'énergie solaire, le vent provient de la variation du rayonnement
solaire et de la température entre l'équateur et les pôles.
Les variations de la température créent une différence de
pressions atmosphériques entre lesquelles se déplacent les masses
d'air. On nomme énergie éolienne le fait de capter le
déplacement de l'air à l'aide de moyens mécaniques afin de
le convertir en force motrice [Riolet, 2010].
C'est une énergie à haute technologie,
essentiellement produite dans les pays industrialisés et
émergents (Chine, États-Unis, Allemagne, Inde). Nous pouvons
estimer d'après la Figure 2 que le plus grand producteur
d'énergie éolienne est l'Union européenne.
3
Figure 2 : La puissance éolienne cumulée (MW)
dans différents pays en 2015
Source : Sagbansua et Balo, 2017
Le progrès technique et scientifique cherche à
atténuer l'impact négatif et augmenter l'efficacité
énergétique de l'aérogénérateur afin de
concurrencer les autres énergies, en particulier les énergies
fossiles. Il s'agit principalement d'améliorations au niveau de la
taille, du rendement, du comportement et de la productivité d'une
machine. Par exemple, les récents travaux sur l'aérodynamisme des
pales, ainsi que les nouveaux choix de matériaux et de composants
électroniques ont permis de réduire drastiquement le bruit
émis par les pales par rapport aux premiers modèles [Rapin et
Noël, 2010]. Par ailleurs, les règlementations actuelles imposent
d'étudier l'impact sonore sur place en fonction de la taille et du
nombre d'éoliennes, et de garder une certaine distance à
l'aérogénérateur le plus proche. « Pour tout projet
éolien, une étude d'impact et des critères de
l'implantation d'éoliennes devrait être menée. Cette
étude analyse les milieux naturels existants, l'incidence de
l'aménagement sur la faune et la flore et l'impact sur le paysage et le
patrimoine en milieu rural, ainsi que l'étude des critères
d'implantation d'éoliennes comme le risque sismique, le risque de
glissement du sol et la proximité des centrales électriques aux
sites sélectionnés » [Zohbi, 2014].
L'exploitation de l'énergie éolienne demande
donc une connaissance des conditions venteuses, variables spatialement et
temporellement. Le vent est connu globalement à l'échelle de la
planète, et se déplace des zones de hautes pressions
(anticyclones) vers les zones de basses pressions (dépressions).
Localement, ce phénomène est plus complexe, car le vent peut
être influencé par la topographie, la proximité aux plans
d'eau et la rugosité du terrain.
Le secteur énergétique au Liban
Le Liban est un pays du Moyen-Orient. Il s'étend du
sud-ouest vers le nord-est tout au long de la côte est du bassin
méditerranéen (Figure 3). Sa superficie est de 10 450
km2 [Ramadan et al., 2012]. Il est situé entre
33°54' et 34°40' de latitude nord et entre 35°31' et 36°30'
de longitude est. Ainsi, il occupe une position charnière entre la
circulation atmosphérique tempérée et la circulation
atmosphérique tropicale [Blanchet, 1965]. Il partage ses
frontières avec la Syrie au nord et à l'est, et la Palestine au
sud. Le Liban est confronté quotidiennement à des crises du point
de vue de la gestion de l'électricité, et le secteur
énergétique souffre d'une défaillance au niveau de l'offre
par rapport à la demande [Amatoury, 2014].
4
Figure 3 : Le Liban occupant la partie est de la
Méditerranée
Source de fond de carte : Esri, DigitalGlobe, GeoEye,
Earthstar Geographics CNES/Airbus DS, USDA, USGS, AeroGRID, IGN, and the
GIS
Le Liban est un pays à forte densité de
population [Sanlaville, 1969], il compte environ 5,8 millions d'habitants [la
banque mondiale, 2015].
Afin de répartir alternativement le courant dans les
différentes régions du pays, l'électricité n'est
disponible qu'à certaines heures de la journée. Cette situation
dure depuis plus de dix ans, s'est aggravée pendant les dernières
années et les différents régimes en place se sont
avérés incapables de la résoudre. Dans ce contexte, le
développement de l'énergie renouvelable au Liban s'impose comme
une des solutions à la défaillance énergétique.
À la suite du sommet de Copenhague en 2009, le
gouvernement libanais s'est fixé un objectif pour 2020 : produire 12% de
l'électricité avec de l'énergie renouvelable.
L'Électricité Du Liban (EDL), l'entreprise publique nationale,
estime qu'en 2016, 3% de l'électricité du pays était issue
des énergies renouvelables. Ce secteur est devenu un défi pour
l'état libanais qui a cherché à plusieurs reprises
à proposer des politiques de réforme mais aucun plan n'a vu le
jour. Le Ministère de l'Énergie et de L'Eau a établi un
plan en 2010, puis en 2017 afin d'améliorer ce secteur et augmenter la
production de l'électricité, afin de la distribuer 24h/24
à tout le pays. Ce plan inclut à long terme le
développement des énergies renouvelables telles que le solaire,
l'éolien, la biomasse, etc.
Dans ce travail, nous proposons d'étudier
l'énergie du vent comme source d'électricité
supplémentaire afin de résoudre l'insuffisance
énergétique du Liban. Le défi majeur pour
développer cette énergie consiste à trouver les sites les
plus adéquats à la réussite d'un projet.
L'énergie éolienne au Liban n'est pas encore
exploitée, mais différentes études estiment que le pays se
prête à ce type de production énergétique, du moins
pour certaines régions. Le calcul
du paramètre de distribution de Weibull2
pour trois sites d'étude dans les travaux d'Elkhoury et al.
[2010] a montré un faible potentiel éolien bien qu'ils
proposent d'implanter de petites éoliennes pour soutenir la consommation
d'électricité pendant les heures de pointe. Plus
récemment, le projet Country Energy Efficiency and Renewable Energy
Demonstration Project for the Recovery of Lebanon (CEDRO) de l'United
Nations Development Programme (UNDP), mis en place en 2010, a permis la
création en octobre 2012 d'un atlas du potentiel éolien montrant
des possibilités de production d'énergie éolienne surtout
au nord et au sud-est du Liban, notamment à Akkar (nord) et Jabal
el-Cheikh (sud-est) pour une puissance produite estimée à 1,5 GW
(Figure 4).
Figure 4 : Carte de la vitesse du vent du Liban
mesurée à 80 m (en m/s).
Les régions entourées délimitent les
zones les plus favorables à l'énergie éolienne, il s'agit
de Akkar au nord et de Jabal el-Cheikh au sud-est
Source : Hassan, 2011
5
2 Le paramètre de Weibull estime la
distribution annuelle de la fréquence de la vitesse du vent sur un site
d'étude.
6
D'autres auteurs, comme Al Zohbi et al. [2014, 2015]
ont évalué le potentiel éolien en utilisant les
différentes méthodes de la distribution de Weibull, et leurs
résultats ont montré un potentiel éolien important pour
l'implantation d'un parc à Marjayoun, Daher El Baidar, Qaraoun,
Cèdres et Klaiaat (Figure 4).
Problématique de l'étude
La faisabilité d'un projet éolien ne
dépend pas uniquement du vent : le site le plus venteux n'est pas
nécessairement le plus favorable à l'implantation d'un parc
éolien. Il peut être confronté à des
législations et contraintes économiques, sociales ou
environnementales, telles que l'interdiction d'établir une ferme
éolienne sur une zone protégée. Ainsi l'étude du
potentiel éolien du Liban se prête particulièrement
à une analyse multicritère, que nous nous proposons de
réaliser ici.
De ce fait, les questions suivantes se posent : sur quels
critères allons-nous évaluer les sites optimaux à
l'installation d'éoliennes ? Quelles seront les limites les plus
adaptées à notre terrain d'étude ? Comment
hiérarchiser les facteurs choisis ? Où seront situés les
sites potentiels pour l'implantation d'éoliennes ? Et enfin, est-ce que
la superficie résultante sera-t-elle assez conséquente pour le
développement de l'énergie éolienne au Liban ?
Aujourd'hui, les études concernant l'aménagement
et la gestion d'un territoire pour l'installation d'éoliennes utilisent
de plus en plus souvent des logiciels informatiques qui permettent un
traitement de données issues de sources très diverses. Il s'agit
surtout de logiciels de traitement et d'analyse de données qui
permettent de trouver les sites les plus aptes à l'implantation
d'éoliennes, comme les logiciels de SIG ou encore les logiciels Big data
analytics, WAsP, DeltaLog10 Base, etc. [Zohbi, 2014].
Dans notre étude, nous avons choisi de traiter une
multitude de critères répondant aux exigences propres du terrain
de l'étude : exigences environnementales (proximités aux
réserves, rivières, etc.), exigences sociales (proximité
aux zones urbanisées, places historiques, etc.) et exigences techniques
(proximité aux routes, la pente, etc.). Il était donc
nécessaire d'intégrer un logiciel de traitement et d'analyse de
données à référence spatiale. Les SIG
(Systèmes d'Informations Géographiques) répondent à
ce besoin.
Thériault (1992), cité par [Prélaz-Droux,
1995], définit les SIG comme « un ensemble de principes, de
méthodes, d'instruments et de données à
référence spatiale, utilisé pour saisir, conserver,
transformer, analyser, modéliser, simuler et cartographier les
phénomènes et les processus distribués dans l'espace
géographique. Les données sont analysées afin de produire
l'information nécessaire pour aider les décideurs ». De
nombreuses études ont associé les SIG à des
thématiques liées à l'énergie éolienne
[Hansen, 2005 ; Mari et al., 2011 ; Abdelaziz et al., 2012 ;
Sánchez-Lozano et al., 2016 ; Gigoviæ et al.,
2017]. Les capacités des SIG facilitent le travail des décideurs
pour identifier des sites potentiels à l'implantation
d'éoliennes, et permettent d'économiser du temps et de
réduire les coûts financiers d'un projet [Mari et al.,
2011].
Dans ce contexte, l'objectif principal de notre étude
est d'élaborer une méthode d'analyse multicritère
intégrée dans les SIG, pour la prospection d'espaces
adaptés à l'installation éventuelle d'éoliennes et
contribuer ainsi à l'amélioration de l'électricité
au Liban.
7
Ce mémoire est composé de trois chapitres :
Le premier chapitre comporte une synthèse
bibliographique des études les plus récentes en rapport avec des
projets éoliens dans le monde. Cette partie décrit en outre la
situation de l'électricité au Liban, et donne un aperçu
global sur les conditions venteuses du pays. Elle se compose de deux
états de l'art, un qui vise à identifier les critères
utilisés par les auteurs qui ont traité de la même
thématique, et l'autre qui détaille les méthodes suivies
pour la combinaison entre les systèmes d'informations
géographiques (SIG) et l'analyse multicritère.
Le deuxième chapitre présente un
récapitulatif et une description des facteurs et des données
environnementaux, sociaux et techniques, à partir desquels nous
évaluerons le potentiel éolien du pays. Enfin nous proposons une
méthodologie selon une approche multicritère, dans les SIG, pour
répondre à la problématique de notre étude. La
méthode consiste à garder par élimination les sites les
plus optimaux.
Le dernier chapitre présente les sites potentiels pour
l'installation d'éoliennes et est suivi d'une discussion sur la
pertinence et l'adaptabilité des critères choisis.
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