Chapitre 1 : La gestion stratégique des
résultats
La gestion des résultats procède d'un champ
d'étude vaste qui est celui de la démarche
politico-contractuelle. La théorie de l'agence et
la théorie de la réglementation contribuent
efficacement à expliquer les rapports entre les parties prenantes, en
fournissant des outils de compréhension des mécanismes de
gouvernance et des pratiques comptables qui y sont effectuées.
Section 1 : Les fondements théoriques de la
gestion des résultats.
La GR procède d'une dimension théorique qui part
des prédictions de la théorie de l'agence à celles de la
réglementation. Elle est, au sens de la théorie de l'agence, une
pratique qui vise avant tout à la maximisation de l'utilité des
parties prenantes de l'entreprise (dirigeants et actionnaires). Bien que ses
effets aient été vivement critiqués, l'apport de la GR sur
la structure financière des entreprises est mitigé du fait que
certaines études ont démontré que l'impact de la GR est
nul à terme sur la composition des résultats. En effet, la
propriété d'auto-dénouement et le principe de non
compensation viennent soutenir la complexité existante quant aux effets
de la GR sur le les performances comptables (JeanJean, 2001 et Roychowdhury,
2006). Cependant d'autres études tendent à mettre en exergue le
caractère opportuniste de la GR et ses effets néfastes,
s'agissant des fraudes et des scandales financiers (Dechow et al., 2011).
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structure de l'actionnariat et gouvernance d'entreprise : une étude
appliquée aux PME défaillantes du secteur agricole
française.
Sous-section 1 : La théorie de
l'agence, théorie comportementale de l'agence et la théorie de la
réglementation : un cadre explicatif de la gestion des
résultats.
1. La théorie de l'agence (« standard agency
framework ») et la gestion des
résultats.
La théorie de l'agence conçoit l'entreprise
comme une « fiction légale » prise comme une «
coquille vide » sensée accueillir « l'ensemble
des relations contractuelles entre individus » (Chalayer-Rouchon,
1994). Cette définition cadre avec le postulat de la théorie de
l'agence de par Jensen et Meckling (1976). Ces derniers proposent une lecture
composite de la firme en déduisant qu'elle est un « lieu de
réalisation d'un processus complexe » servant à un
« équilibre » entre les différents
intérêts des parties dans un cadre purement « contractuel
». Cette théorie conclue également que le
système de coordination des activités au sein d'une firme
s'appuie sur un lien de « délégation » et sur
des relations de « mandat » (Casta, 2009). La firme
s'apparenterait à un résultat de compromissions et à un
équilibre des différentes parties. Rappelant que les auteurs
définissent le principe de mandat par la relation entre un mandant (ou
principal) et un mandataire (ou agent). Les nombres comptables ont ipso
facto le rôle de garantir le suivi des contrats (Casta, 2009).
La théorie de l'agence présente des
hypothèses qui étayent les biais comportementaux des dirigeants,
dont l'ultime finalité vise à maximiser leurs profits, d'une
part, et allouer de manière efficiente les ressources mises à
leurs dispositions, d'autre part.
A cet égard, Chalayer-Rouchon (1994) précise que
les individus auront des velléités à « profiter
» des insuffisances des contrats pour maximiser leurs «
utilités ». Le résultat comptable peut donc être
conçu comme le reflet soit d'un compromis d'ensemble soit de
l'expression comptable de l'utilité du mandataire.
Manne (1965) et Fama (1980)1 aboutissent
unanimement à la conclusion selon laquelle les dirigeants ont un
caractère discrétionnaire en interférant sur la structure
des résultats. Lesquels résultats déterminent pour les
dirigeants des moyens d'éviter une éviction inopportune et de
s'assurer une rémunération en fonction des performances
comptables et financières. Ces deux moyens contraignent le dirigeant
à manipuler les résultats pour maximiser son utilité.
1 Cité par Chalayer-Rouchon (1994) dans `'
lissage de résultat et théorie politico-contractuelle».
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Par ailleurs, la maitrise du risque est au centre de la
relation d'agence. Pour le principal (actionnaire) le risque est une variable
neutre en raison de la diversité d'activités qui fondent son
portefeuille. Par contre, pour l'agent (dirigeant) le risque est une variable
sensible à prendre en compte dans les décisions engageant
l'entreprise (investissement, financement et gestion du BFR). Palliam et
Shalboub (2003, p.78) identifient le mécanisme de gestion des
résultats en deux principaux point : (a) le jugement
(c'est-à-dire la façon dont le dirigeant procède à
l'actualisation des flux et des actifs à long terme, les obligations au
titre des prestations de retraite et autres avantages postérieurs
à l'emploi, les impôts différés et les pertes
découlant de créances irrécouvrables et de
dépréciations d'actifs, le jugement dans la gestion des niveaux
des stocks, le « timing » des expéditions, les méthodes
d'inventaires et les politiques relatives aux créances) et (b) les
méthodes comptables (e.i les méthodes d'amortissement
linéaire ou accéléré, les méthodes
d'évaluation des stocks comme le FIFO, LIFO ou CMUP). Palliam et
Shalboub (2003, p.75) concluent que « les agents ont une
sécurité et un revenu qui sont inextricablement liés
à une entreprise ».
L'agent est dépositaire de l'autorité que lui
confère le principal dans la gestion courante des activités.
C'est fort de cela, que le dirigeant use de cette latitude dans la conception
des nombres comptables. Si le cadre conceptuel promeut l'utilisation des «
bonnes pratiques comptables », il n'est pas exclu que le cadre conceptuel
légal permet aux fournisseurs des états financiers
d'altérer le sens exact des performances réalisées.
Palliam et Shalboub (2003, p. 78) arguent qu'il est « difficile de tenir
la ligne des bonnes pratiques comptables lorsque les agents opèrent dans
la `'zone grise» entre `'la légitimité» et `'la fraude
pure et simple» ».
2. La théorie comportementale de l'agence («
behavioral agency theory »).
A la suite de la théorie comportementale de la firme
(Cyert et March, 1965 et March, 1981 et 1994)2, l'exploration des
nouveaux champs de validation des hypothèses classiques de la
théorie de l'agence a vu naitre la théorie comportementale de
l'agence (notée TCA). Cette nouvelle approche vise essentiellement
à approfondir la compréhension des liens qui existent entre le
principal et l'agent. Au contrepied de la monotonie des incitations, la TCA
vient élaborer des « micro-fondations » sur
l'hypothèse de rémunération des dirigeants (Pepper et
2 Cette théorie qui rompt avec la conception
classique de la firme et promeut la recherche des heuristiques de
décision des principaux acteurs de la firme.
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Gore, 2015, p. 1045). Les fondamentaux de la TCA sont
présentés comme étant « plus réalistes
» que ceux énoncés par la TA. Pepper et Gore (2015, p.
1046) formule que « cette théorie place la performance de
l'agent au centre du modèle d'agence » et que « les
intérêts des actionnaires et des agents sont plus susceptibles
d'être alignés si les cadres sont motivés à
effectuer leur travail au mieux de leurs capacités ». La TCA
se présente donc comme une grille de lecture plus pertinente des
heuristiques de décision des parties prenantes. Par ailleurs, la TCA se
propose de « réévaluer » de manière
générale les hypothèses comportementales qui sous-tendent
la théorie de l'agence. C'est à cet égard que la TCA
fournit un « modèle de l'homme économique »
fondée sur « la rationalité limitée ».
Cette démarche comprend (i) les préférences au risque,
(ii) l'actualisation, (iii) l'aversion à l'inégalité et
(iv) le compromis entre la motivation intrinsèque et extrinsèque
(Pepper et Gore, 2015, p. 1045).
Tableau 1 : Confrontation des hypothèses de la TA et
TCA
Hypothèses
|
Théorie de l'agence
|
Théorie comportementale de l'agence
|
Préférence du risque
du `'principal».
|
Les dirigeants sont neutres en termes de risque.
|
Comme pour la théorie de l'agence.
|
Fonction d'utilité du dirigeant
|
Les agents recherchent les
rentes; L'utilité des agents est
positivement associée aux
incitations pécuniaires et
négativement associée à
l'effort.
|
comme la théorie des agences, mais
soumise aux contraintes liées à
la rationalité, la motivation, la perte, le risque, l'incertitude et
les préférences temporelles
|
Rationalité de l'agent
|
Les agents sont rationnels
|
Les agents sont limités rationnellement,
c'est-à-dire la rationalité des
agents dépend de leurs pouvoirs à recevoir,
stocker, récupérer et traiter
des informations sans erreurs.
|
La motivation de l'agent
|
Il n'y a pas de motivation de l'agent sans incitations
`'non- pécuniaires».
|
La motivation est à la fois intrinsèque et
extrinsèque ; Intrinsèque et extrinsèque ne sont ni
indépendants ni additifs
|
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La préférence du risque de l'agent.
|
Les agents sont averses au risque.
|
Les agents sont averses à la perte en dessous d'un
point d'inflexion gain / perte; Autrement, risque aversion.
|
Les préférences temporelles de l'agent
|
Les préférences temporelles des agents sont
calculées en fonction d'un facteur d'actualisation exponentiel.
|
Les préférences temporelles des agents sont
calculées en fonction d'un facteur d'actualisation hyperbolique.
|
La préférence des agents pour un salaire
perçu équitable.
|
Non défini.
|
Les agents sont averses à l'inégalité.
|
Source : Pepper et Gore, Behavioral Agency Theory : New
Foundations for Theorizing About Executive Compensation, 2015, p. 1050.
3. La gestion des résultats au regard de la
théorie de l'agence : entre opportunisme
et caractère bénéfique
`'La gestion des résultats a-t-elle un
caractère strictement opportuniste ou au contraire est-elle
bénéfique ? `'
Depuis les faillites d'Enron et Worldcom, la GR est
décriée comme étant à l'origine de nombreux
scandales financiers aux Etats-Unis. Plusieurs études ont tenté
de mettre en exergue les causes de ces phénomènes. A la
différence des marchés boursiers (où les bulles
spéculatives sont le reflet d'un ensemble de facteurs endogènes
et exogènes), les faillites relatives à la comptabilité
financière sont exclusivement liées aux déclarations
frauduleuses des nombres comptables (performances comptables et estimations des
comptes de régularisation).
S'agissant des effets réels de la GR, il existe deux
présupposés, à savoir que la GR peut être
bénéfique parce qu'elle améliore l'information des
résultats, en transmettant l'information privée aux actionnaires
et au public, et un autre présupposé, avec les scandales
financiers qui représentent des cas flagrants de gestion opportuniste
des résultats. L'idée selon laquelle la GR est une pratique
opportuniste a aidé à l'élaboration des
réglementations visant à atténuer son influence sur la
structuration des déclarations comptables. Le caractère
opportuniste de la gestion des résultats vise essentiellement à
maximiser l'utilité du dirigeant au détriment des
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actionnaires, Jiraporn et al. (2008, p. 623) étayent
qu'un « désalignement des incitations des gestionnaires et des
actionnaires pourrait inciter les gestionnaires à utiliser la
flexibilité offerte par les principes comptables pour gérer les
revenus de façon opportuniste, créant ainsi des distorsions dans
les résultats déclarés ».
En outre, des études ont démontré le
rôle bénéfique de la GR, en retenant l'argument de «
la divulgation de l'information privé » au profit des
actionnaires et du public (Arya, Glover et Sunder, 2003, Demski, 1998, Guay,
Kothari et Watts, 1996, Healy et Palepu, 1993, Holthausen, 1990, Subramanyam,
1996). La disparité des résultats portant sur l'effet de la GR
rend difficile la tentative de compréhension du coût réel
de cette pratique sur la structure financière des entreprises. Jiraporn
et al. (2008) se propose de « distinguer les utilisations
opportunistes et bénéfiques de la gestion des résultats
» (p.623). Leur démarche s'articule sur l'étude de
l'ampleur des coûts d'agence et l'étendue de la GR.
4. La théorie de la
réglementation
La théorie de la réglementation, dans une
perspective de gestion des résultats, décrit un cadre explicatif
des différentes contraintes qui emmènent les agents à
s'aligner sur des directives légales, dans le but de rendre compte de
façon objective des opérations comptables et financières
effectuées. On peut donc déduire que les normes comptables et les
différentes dispositions légales en matière de gestion
comptable et financière découlent de la théorie
économique de la réglementation.
Partant du constat de l'asymétrie d'information, la
théorie de la réglementation adosse aux dirigeants la
nécessité d'encadrer l'enregistrement des flux et la reddition
des comptes. Les arguments retenus pour justifier l'intérêt de
cette théorie, dans la gestion stratégique des résultats,
concernent le constat récurrent de la flexibilité des
procédures comptables (différentes méthodes comptables) et
le manque d'objectivité de la comptabilité (évaluation du
montant des créances par exemple) (Chayaler-Rouchon, 1994).
A l'échelle macroéconomique, la théorie
de la réglementation établie un équilibre entre les
différents intérêts des parties au sein d'une
économie3. Partant de ce postulat, la réglementation
comptable chez Watts et Zimmerman (1986) se décline comme une
procédure comprenant en son sein la maximisation de l'utilité de
certains acteurs, dont le pouvoir de pression est le plus
3 De Watts et Zimmerman (1986) cité par
Chalayer-Rouchon (1994).
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important. La réglementation comme norme se
présente donc sous un angle beaucoup plus arbitraire et partisan et ne
saurait donc être objective. Chalayer-Rouchon (1994) poursuit cette
assertion en arguant que les procédures comptables sont le
résultat de pressions politiques exercées par les
différents groupes concernés par les états financiers de
la firme.
En insistant sur le caractère politisé du cadre
conceptuel, Casta (2009) retient que les nombres comptables, en l'occurrence le
résultat comptable et les capitaux propres, sont un «
argumentaire technique utilisé par les politiciens auprès des
électeurs ».
Par ailleurs, la théorie de la réglementation
s'articule sur l'analyse du point saillant qui compose les individus en groupe
homogène. Lequel cherche avant tout les modalités les plus
opportunistes dans le transfert des richesses. Ce caractère partial de
la réglementation fait par exemple que dans l'établissement des
normes comptables, le rapport coûts/bénéfices du groupe
dont le rapport de force le plus élevé sera l'argument incitateur
dans la ratification d'une norme par l'instance régulatrice. La
normalisation ou la réglementation parait de ce fait être un
ensemble d'instruments politiques détenu par un groupe d'individus aux
objectifs bien déterminés au détriment d'autres
acteurs.
La gestion des résultats obéit à une
double exigence. D'une part, l'exigence de satisfaction des parties prenantes
de l'entreprises et, d'autre part, la nécessité de la reddition
des comptes la plus objective au regard des opérations contractuelles
effectuées par la firme.
Sous-section 2 : La gestion des
résultats à l'aune de la théorie positive de
la
comptabilité
1. La théorie positive de la comptabilité
et la gestion des résultats.
Au départ purement normative, la recherche en
comptabilité, au travers de l'école de Rochester, a entrepris une
approche dite « positive » afin de justifier , d'une part, la
pertinence des modèles d'estimation des phénomènes
comptables et d'élargir le champ de cette matière aux
réalités sociales, économiques et financières qui
la fondent, d'autre part.
Nous pouvons noter que la théorie positive de la
comptabilité telle qu'énoncé par Watts et Zimmerman
(successivement en 1978, 1979, 1986, 1990) accorde un intérêt
majeur à l'explication empirique des pratiques comptables, en
superposant à cette réalité des biais
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comportementaux des fournisseurs des nombres comptables. On
regroupe cette démarche dans l'évaluation empirique de
l'utilité décisionnelle des données comptables (Ball et
Brown, 1968)4.
La théorie positive de la comptabilité s'est
proposée d'établir une cartographie des comportements
empiriquement validées et constitutive d'une théorie
générale de l'élaboration des états financiers par
les entreprises (Casta, 2009). Les déterminants de cette théorie
concernent exclusivement : (a) l'étayement des facteurs associés
aux choix comptables, (b) les motivations managériales dans
l'élaboration des données comptables et (c) la prévision
des choix comptables des dirigeants au regard des caractéristiques des
entreprises.
1.1. Les hypothèses de la théorie positive de la
comptabilité en matière de gestion de résultat.
La théorie positive de la comptabilité
émet trois hypothèses. D'abord, l'argument de la dette, qui
précise que l'action du dirigeant en matière de GR est restreinte
par des clauses d'endettement. Ensuite, l'argument de la
rémunération, qui formule que la rémunération est
un outil d'encadrement du caractère discrétionnaire du dirigeant,
qui opterait naturellement pour des gains personnels (développé
également par Schipper en 1989, en ce qui concerne la définition
de la GR). Enfin, l'argument de la taille, qui précise que les grandes
entreprises privilégieraient des méthodes comptables minorant le
résultat au regard de l'environnement politique restrictif et instable
(fiscalité et obligations sociales).
1.2. L'instrumentation des pratiques de gestion des
résultats : une méthodologie par validation
empirique
La démarche visant à mesurer les comportements
comptables s'articule sur la tentative d'instrumenter des variables
susceptibles d'interpréter, de manière objective et
non-biaisée, la variation des nombres comptables. De prime abord, ce
prisme s'articule sur l'observation des variables comptables et sur
l'empiricité de la théorie par des essais portant sur la
réplication des modèles en procédant à des analyses
économétriques sur des panels d'entreprise.
4 Ball et Brown initie les études
d'événement dans une perspective de compréhension de la
formation des rendements anormaux à la publication des résultats
comptables.
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Casta (2009) argue comme exemple l'instrument d'observation de
la liberté des choix comptables, les accruals5. Lesquels
mesurent l'incidence de la politique comptable menée par les dirigeants
sur les variables calculées (provisions, amortissements,
opérations de régularisation et charges à
répartir).
1.3. Les coûts contractuels et les coûts politiques
: des variables explicatives des choix
comptables
Chalayer-Rouchon (1994) traduit les manipulations comptables
(choix comptables) par l'importance des coûts contractuels et politiques
sur les transactions économiques de la firme. Ainsi, la gestion des
résultats, dans une approche politico-contractuelle, résulte de
la structure des coûts supportés par l'entreprise. A la suite,
elle précise que les travaux empiriques menés pour expliquer les
choix comptables dans une approche politico-contractuelle ont abouti à
mettre en exergue trois hypothèses.
D'abord, l'hypothèse des coûts politiques, qui
définit les choix comptables par les relations qu'ont les entreprises
avec la puissance publique et les organismes de normalisation comptable. Dans
le cadre de la comptabilité financière, il s'agit de se conformer
au formalisme et aux règles comptables telles qu'énoncé
par le normalisateur. Cette hypothèse nait donc de la validité de
la théorie de la réglementation, et du fait que le normalisateur
introduit des règles de tenue et de transactions économiques et
financières entre les agents.
Zimmerman (1983) propose une mesure de l'intensité des
coûts politiques par la taille de la firme. Il infère dans son
étude que les entreprises les plus grandes sont beaucoup plus enclines
à supporter les coûts politiques les plus importants
(impôts, taxes, intéressements publics particuliers)
(Chalayer-Rouchon, 1994). D'autres mesures permettent de déduire la
graduation des coûts politiques subis par une firme : «
l'appartenance à une industrie, la concentration de l'industrie, la part
de marché de l'entreprise, l'intensité du capital, le risque
systématique et la variabilité des résultats ». Des
études concluent qu'à mesure que les entreprises appartiennent
à ces segments, elles auront des velléités à
baisser leurs résultats (Hagerman et Zmijewski (1979) et Morse et
Richardson (1983).
Leuz et al.(2003) précisent que la gestion des
résultats est plus importante pour les entreprises cotées dans
les pays relevant du code civil que dans les pays du common law. Ce constat
5 Terme utilisé par Healy (1989), DeAngelo
(1986) et Jones (1991)
23
6 Les stock-options.
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structure de l'actionnariat et gouvernance d'entreprise : une étude
appliquée aux PME défaillantes du secteur agricole
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disproportionnelle dans la gestion des résultats est
également précisé en termes de pression institutionnelle.
Dans un tout autre contexte, Ben Othman et Zeghal (2006) déduisent que
les entreprises françaises gèrent leurs résultats pour
minimiser les coûts politico-contractuels tandis que les entreprises
canadiennes le font du fait de la pression du marché.
Ensuite, il y a l'hypothèse des
rémunérations incitatives des dirigeants, qui postule que
l'existence d'un contrat de rémunération variable peut justifier
la gestion des résultats. Cornier et al (2006) concluent que la gestion
des résultats est incitée par diverses primes dont les stocks
options. Par des études de comparaisons sur des panels et des «
timing », ils aboutissent au constat selon lequel à mesure
que l'écart entre les résultats de l'année en cours et
ceux de l'année précédente sont élevés,
à concurrence les primes en stock-options sont moindres. Bien que
l'hypothèse classique retienne que les clauses relatives aux contrats de
rémunération des dirigeants soient une fonction croissante des
manipulations comptables (au profit de l'utilité du dirigeant), des
études tendent à démontrer le contraire. En effet, les
analyses de Bebchuk et Frield (2003) montrent que l'hypothèse
traditionnelle défendue par la théorie de l'agence est
équivoque aux conclusions de leurs études, lesquelles pointent
une non-convergence des intérêts des actionnaires et des
dirigeants, même en présence d'un contrat de
rémunération. Selon eux, les dirigeants ont des
velléités à accroitre leur utilité en
préservant un espace de discrétion managériale par la
manipulation des résultats financiers, et cela même en recevant
des stock-options.
Dans une étude récente, Huang, Huang et Shih
(2012, p. 2389-2402) étudient les effets des contrats de
rémunération sur les décisions d'investissement et
concluent que les actions de propriété6 incitent les
gestionnaires à émettre des dettes, tandis que la
rémunération en prime basée sur les résultats
induit une aversion à les émettre. Cette étude a mis en
lumière l'association complexe entre l'existence d'un contrat de
rémunération et les incitations à la gestion des
résultats comptables. Les auteurs précisent qu'en
général la rémunération à base de primes
incite le dirigeant à accélérer l'investissement.
Cependant le gestionnaire n'a aucune incitation à utiliser le
financement par emprunt lorsqu'il n'est rémunéré qu'en
espèces ou en primes. De même, il observe que les dirigeants
recours à l'emprunt lorsqu'ils sont rémunérés
à la fois en espèces et actions de propriété.
Toutefois, Huang, Huang et Shih (2012) observent
24
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que dans la mesure où le contrat de
rémunération comprend des primes en espèces,
adossées aux résultats et aux actions de propriété,
les dirigeants s'alignent sur les attentes des actionnaires. Les actions de
propriété et les primes fondées sur le résultat ont
des effets différents et même opposés sur les
décisions d'investissement et de financement. Lesquelles
décisions peuvent impacter la gestion des résultats comptables
(variation du BFR pour les accruals et charges d'intérêts en ce
qui concerne l'estimation du cash-flow anormal7).
Enfin, il y a l'hypothèse du contrat d'endettement et
la place de l'actionnaire dans la gestion des résultats. A ce titre,
Kelly (1983) observe que le contrat d'endettement est un mécanisme
d'encadrement de la latitude discrétionnaire des dirigeants. Les «
covenants »8 sont des outils de protection des
créanciers contre « les éventuelles expropriations et
transferts de richesses au profit des actionnaires ».
A titre d'exemple, He et al. (2017, p. 267-286)
étudient la relation entre politique de dividendes et gestion des
résultats. Sur un échantillon de 23 429 entreprises tirées
de 29 pays, ils observent une association négative entre le statut de
payeur des dividendes et la gestion des résultats. Ainsi, les
entreprises qui versent les dividendes ont un intérêt à
éviter de gérer les résultats. Par ailleurs, le
non-versement des dividendes entraine systématiquement le paiement d'un
produit privé aux actionnaires majoritaires -aux dépens des
actionnaires minoritaires-. Ce produit encore appelé « `'private
control benefits» ou `'avantages privés liés au
contrôle» » disparait lorsque les dividendes sont
versés. En procédant alors au versement des dividendes, il
devient inutile de gérer les résultats pour dissimuler le
versement de ces produits exceptionnels (He et al., 2017).
De plus, He et al. (2017) trouvent un lien entre politique de
dividendes, gestion des résultats, d'une part, et l'accès futur
au financement, d'autre part. Ils constatent qu'une politique axée sur
le versement des dividendes augure une bonne gestion financière. Si les
audits effectués sur les comptes de régularisation traduisent des
manipulations comptables, cela pourrait jouer en défaveur des
entreprises en besoin de financement (Gunny, 20109).
7 Résidu caractéristique des
manipulations comptables par le cash-flow.
8 Clauses inclues dans les contrats d'endettement.
9 Cette étude met en exergue
l'intérêt des contrôles des comptes de régularisation
par les auditeurs et organismes de crédit.
25
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structure de l'actionnariat et gouvernance d'entreprise : une étude
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2. Les principales critiques de la théorie
positive de la comptabilité
JeanJean (1999) distingue trois principales critiques faites
à la théorie positive de la comptabilité : les critiques
épistémologiques, les critiques liées au cadre conceptuel
et celles liées à la validation des hypothèses.
Les critiques épistémologiques
concernent la remise en cause des hypothèses énoncées
par Watts et Zimmerman. En effet, le corps de critiques faites à la
théorie positive de la comptabilité concerne : (a)
l'ambiguïté sur la nature de la théorie de la
comptabilité -s'agit-il d'une théorie positive ou normative ? -,
(b) l'intérêt moindre des recherches prescriptives par rapport aux
recherches normatives, (c) la complexité quant au positionnement de la
théorie de la comptabilité au regard des principes d'action du
cadre positiviste et (d) la remise en cause de la démarche qu'elle
emprunte au regard des prescriptions des sciences, il s'agirait plutôt
d'une sociologie de la comptabilité que d'une théorie positive de
la comptabilité (Christenson, 1983). C'est donc le caractère de
« pertinence » de la cette théorie qui est critiquée
(Casta, 2009, p. 1400).
Les critiques liées au cadre conceptuel
remettent en question la monotonie stricte entre l'utilité du
dirigeant et la valeur actualisée des gains futurs. L'hypothèse
de départ de Watts et Zimmerman sur la prédiction de
l'utilité du dirigeant n'est pas toujours vérifiée. Le
dirigeant peut faire montre de bonne volonté en stockant « du
résultat » en prévision des éventuels
résultats antérieurement déficitaires.
Les critiques sur la validation des hypothèses
concernent premièrement la validité du postulat des
pratiques comptables comme variable de la gestion des résultats. Les
pratiques comptables ne sont pas forcément les seuls
éléments flexibles du résultat. Deuxièmement, le
choix d'un portefeuille de méthodes peut également être une
manière d'interférer sur le résultat et par
conséquent, sur l'utilité du dirigeant. (JeanJean, 1999, p.
27).
Casta (1999) argue que la « nature contingente des
hypothèses » constitue une limite forte de la
réplication des présupposés de cette théorie aux
fins de sa validation. Il en veut pour preuve le confinement de
l'empiricité de cette théorie au seul contexte
nord-américain. Ainsi, l'Europe dispose de normes spécifiques qui
peuvent par exemple rendre impossible la transposition de ces observations
« sans précaution » ( e.i fiscalité, pratiques
comptables autorisées, poids des marchés financiers, nature des
entreprises -familiales ou managériales-, le type de contrôle et
la place de l'Etat dans la vie sociale des entreprises).
26
Gestion stratégique des résultats,
structure de l'actionnariat et gouvernance d'entreprise : une étude
appliquée aux PME défaillantes du secteur agricole
française.
Section 2 : L'approche définitionnelle et
les estimations de la gestion stratégique des
résultats
Sous-section 1 : Approche
définitionnelle de la gestion stratégique des
résultats
Dans cette sous-section nous présenterons les diverses
définitions et les modalités de la gestion stratégique des
résultats
1. La gestion des résultats : une pluralité
de définitions.
Deux définitions sont couramment usitées dans la
littérature. La première est celle de Schipper (1989, p.92), qui
définit la GR comme « une intervention
délibérée du dirigeant dans le processus d'information
financière externe dans le but de s'approprier des gains personnels
». La deuxième, plus récente, est celle de Degeorge,
Patel et Zeckhauser (1999, p.2) qui identifient la GR comme «
l'utilisation de la discrétion managériale pour influencer le
résultat diffusé auprès des parties prenantes ».
La première définition semble assez réductrice du fait du
constat récurent de l'absence de la « monotonie stricte des
incitations »10, qui déduit que les dirigeants ne sont
pas toujours opportunistes en termes de choix comptables. Comme nous l'avons vu
précédemment (en s'appuyant sur la théorie
comportementale de l'agence), les incitations à la GR ont
été débattues, notamment dans sa dimension
béhavioriste. L'approche défendue par Degeorge et al (1999) rompt
avec la pensée dominante héritée de l'école de
Rochester et implique d'autres notions telles que la discrétion
managériale et les parties prenantes, en considération des jeux
d'influence entre ces derniers (Jensen, 2001)11.
Healy et Whalen (1999) comme Degeorge et al.(1999)
introduisent une définition plus axée sur les « modes
d'action » du manager dans la GR (Jeanjean, 2003). En effet Healy et
Whalen (1999, p.386) définissent la GR comme « l'utilisation
par les dirigeants de leurs latitudes
10 In incitations et contraintes de la gestion des
résultats, Thomas JeanJean (2000).
11 Michael Jensen dans une critique de la
théorie des parties prenantes ( value maximisation, stakeholder theory,
and the corporate objective firm) considère la nécessité
de rompre avec cette vision paternaliste du dirigeant ( notamment dans les
allocations des ressources) et présente une remodélisation de
cette théorie par un procédé qui prend en compte les
autres parties prenantes de la firme.
27
Gestion stratégique des résultats,
structure de l'actionnariat et gouvernance d'entreprise : une étude
appliquée aux PME défaillantes du secteur agricole
française.
discrétionnaires dans le processus de
comptabilité financière et dans la structuration des transactions
pour modifier les états financiers soit pour induire en erreur certaines
parties prenantes sur les performances réelles de l'entreprise, soit
pour influencer les enjeux contractuels qui reposent sur les normes comptables
».
La « gestion des résultats »
procède donc d'un champ définitionnel beaucoup plus large que la
simple définition de Schipper (1989). En effet, Vidal
(2011)12 pose le problème de la polysémie et de la
mauvaise interprétation de la GR, en reprenant le terme de «
manipulations comptables », qui n'est aucunement «
péjoratif ». La GR relève de la dimension juridique
du fait qu'elle désigne l'ensemble des manipulations comptables «
autorisées » par le normalisateur. La frontière est
donc étroite entre une GR dans le cadre de la réglementation
comptable (options sur la pluralité des choix comptables légales)
et une gestion frauduleuse des résultats (Dechow et ali., 2010).
Breton et Stolowy (2004) désignent la GR sous les
termes de « transferts comptables de richesse, big bath accounting,
nettoyage ou toilettage des comptes, habillage des états financiers
». En effet, la pluralité des formes prises par la GR est
associée aux objectifs des dirigeants, à la prise en compte des
pressions exogènes d'autres acteurs institutionnels (créanciers
divers, banques, fournisseurs, obligataires ...) et à la
pérennité de la firme.
Couramment, on admet deux types de manipulations comptables
(Vidal, 2010) : les manipulations de la structure des comptes (sans
altérer a fortiori le solde définitif) ou « window
dressing » et les manipulations du solde définitif
(résultat comptable) ou gestion du résultat. Enfin, Davidson et
al. (1987) désignent la GR comme « la prise de mesures
délibérées » au travers «
des contraintes des normes comptables »
dans le but ultime d'atteindre un seuil de résultat. Cette
définition prend donc le contrepied de l'hypothèse traditionnelle
de l'opportunisme des dirigeants et défend une vision plus consensuelle
et sociale de la gestion des résultats, qui est censée être
un mécanisme d'ajustement des résultats réels au
bénéfice de la firme et de toutes ses parties prenantes. Lequel
ajustement dépend du sens des manipulations comptables au regard des
contingences, des obligations et du contexte qui pèsent sur la firme.
12 Revue Française de comptabilité,
n°434, Juillet-Août 2010.
28
Gestion stratégique des résultats,
structure de l'actionnariat et gouvernance d'entreprise : une étude
appliquée aux PME défaillantes du secteur agricole
française.
2. L'approche managériale de la gestion des
résultats : tentative de compréhension
d'une ambiguïté sociale
La théorie positive de la comptabilité telle
qu'énoncé par Watts et Zimmerman (1986) se propose d'expliquer
les principales causes et intentions qui motivent les préférences
comptables des dirigeants, et les proportions discrétionnaires dont ils
font montre dans la gestion des nombres comptables. La littérature
concernant l'approche managériale de la gestion des résultats
s'établie en termes d'incitations et contraintes. Les dirigeants
adoptent des comportements en réponse à la préservation de
leurs utilités mais également dans le but de satisfaire les
actionnaires.
Watts et Zimmerman (1986) étayent trois grandes
hypothèses qui explicitent les dispositions managériales à
manipuler les résultats : (a) les managers ont des
préférences à reporter les résultats futurs vers la
période présente, (b) les firmes dont le levier financier est
faible auront tendance à reporter les résultats futurs vers la
période présente et (c) la taille non-négligeable de la
firme détermine sa préférence à reporter en avant
ses résultats (JeanJean, 2001).
Mard et Marsat (2012, p.13) établissent que parmi les
facteurs incitatifs, et à l'instar de ceux cités
précédemment, on peut retrouver les appels à
l'épargne ou le changement de l'équipe dirigeante et que les
contraintes liées à la gestion des résultats peuvent
découler des règles comptables utilisées (normes US, IFRS
ou Françaises), le système de protection
légale13 et ce qu'ils nomment « les mécanismes de
gouvernance »14.
Ce cadre formel -qui obéit à un schéma
mental général des dirigeants- a fait l'objet de nombreuses
critiques. JeanJean (2001) précise le constat récurrent de «
la rupture de la monotonie stricte des incitations » à
expliquer la gestion des résultats à partir du canevas
traditionnel (à savoir les prédictions de la théorie
positive de la comptabilité). S'agissant du contrat d'endettement par
exemple, des études ont remis en cause le principe de la monotonie
stricte des incitations des « debt covenants15 ». En
effet, les entreprises en difficulté financière, et dont le
matelas financier a défailli, auront tendance à obérer
davantage leurs résultats (DeAngelo et Skinner, 1994). Les travaux de
Iatridis et Kadoranis (2009, p. 164-173) montrent que les entreprises qui sont
dans une situation financière difficile utilisent la GR afin
13 Les auteurs parlent indument des disparités
entre le common low et code law.
14 Par référence à la
qualité de l'audit, la structure de l'actionnariat et le conseil de
direction.
15 e.i. les clauses contractuelles inscrites dans les
contrats de dette.
29
Gestion stratégique des résultats,
structure de l'actionnariat et gouvernance d'entreprise : une étude
appliquée aux PME défaillantes du secteur agricole
française.
d'améliorer leurs nombre financiers d'une part et
rassurer les créanciers (en capitaux propres er dettes) d'autre part. En
effet, ils concluent que les entreprises qui sont en besoin de capitaux propres
et dettes sont proches de la violation des clauses restrictives et qu'en
considérant que la situation de telles entreprises en pâtirait sur
le marché, les dirigeants seraient plus enclins à pratiquer la
GR.
Healy (1985) précise que le manager ne suit pas
toujours les objectifs associés à la monotonie stricte dans sa
gestion stratégique des résultats. Il précise l'aspect
équivoque de la gestion des résultats en présence de
contrat de rémunération incitatif. En effet, dans la mesure
où le résultat est élevé, il aura tendance à
porter ce dernier à hauteur de son niveau maximum et si le
résultat est faible (inférieur à la limite maximale), il
aura tendance à davantage diminuer le résultat afin de
l'augmenter les années suivantes.
3. Conception comptable et financière de la
gestion des résultats
L'étude des manipulations comptables a abouti sur la
modélisation de modèles économétriques mettant en
exergue les effets discrétionnaires ou anormaux conscrits dans les
déclarations comptables.
Avant d'approfondir la littérature relative à la
GR, on peut d'ores et déjà retenir qu'elle se compose de deux
principaux éléments : la gestion des résultats par les
accruals (notée GRA) et la gestion des résultats par
l'activité réelle (notée GRAR16).
Eisele (2012, p.15) distingue les caractéristiques
propres à chacune de ces modalités de gestion des
résultats en cinq (5) points : le timing, la composante du
résultat affecté, le coût, les contraintes et la
visibilité de la détection.
Le timing est différent selon que l'on se
trouve dans une perspective de GRA ou GRAR. Dans la GRA, les opérations
se font après la clôture des activités, en l'occurrence
pendant l'établissement des états financiers (Roychowdhury, 2004
; Gunny, 2010)17. Tandis que la GRAR doit être «
initié à l'avance », c'est-à-dire avant la
fin de l'année fiscale. Eisele (2012) précise que « les
réductions des prix pour atteindre les objectifs de résultat
doivent être accordées suffisamment à l'avance »
dans le cadre de la GR.
16 Encore appelé gestion réelle des
résultats.
17 Il est donc aisé de constater qu'il s'agit
d'une approche beaucoup plus flexible que la GRAR.
30
Gestion stratégique des résultats,
structure de l'actionnariat et gouvernance d'entreprise : une étude
appliquée aux PME défaillantes du secteur agricole
française.
Le coût de la GR traduit les différents
efforts consacrés par la direction aux « activités
discrétionnaires ». Eisele (2012, p. 16) argue que le coût de
la GR implique aussi la prise en compte de la « dimension des
conséquences négatives sur la performance actuelle et future de
l'entreprise ». Comme pour le timing, le coût de la GR est
différent selon que l'on se situe dans une approche par GRA ou GRAR.
Dans la GRA le coût est moindre que dans une approche par GRAR, parce que
les manipulations comptables par les accruals subissent à terme un
auto-dénouement (JeanJean, 2001). Il s'agit d'une gestion nulle des
résultats, au sens du rapport coûts/bénéfices. Par
contre, la GRAR est plus coûteuse que les manipulations par les accruals.
Eisele (2012) rappelle que la modification des transactions réelles
induit deux coûts : « les coûts liés à la
planification des transactions et les coûts liés à la
communication des écarts par rapport aux stratégies commerciales
optimales ».
Dumas (2014, p.40) retient que la composante du
résultat affectée par la GR a trait aux éléments
sur lesquels l'interférence se portera (flux de trésorerie ou
accruals). A ce titre, il rappelle que la GRA renvoie aux « choix
comptables » et donc systématiquement aux produits et charges
calculés (les accruals). Comme nous le verrons, la composante du
résultat affectée peut aussi concerner la GRAR, dans des
proportions peu ou prou importantes (Roychowdhury, 2006 ; Campa et Minano,
2015).
La visibilité de la détection : la GRA
est plus aisée à détecter que la GRAR. Les instruments de
détection des accruals discrétionnaires se sont largement
développés depuis la première mesure des accruals normaux
de Healy (1985). A l'opposé, la GRAR a été estimée
en observant les seuils des résultats comptables ("seuil 0" de
Burgsthaler et Dichev, 1997) puis par les mesures des effets anormaux sur les
comptes d'exploitation (proxy des flux de trésorerie anormaux et proxy
de la production anormale, Roychowdhury, 2006).
Les contraintes : l'environnement peut
différencier l'ampleur de la GR. Dumas (2014, p. 29) illustre ce constat
par le cas de l'adoption de la loi Sarbanes-Oxley (SOX) aux Etats-Unis qui a
réduit la GRA (Cohen, 2008)18. Sur le plan de la culture
juridique, on a pu observer que les entreprises cotées relevant des pays
dont le code civil est de mis ont plus de velléités à
gérer les résultats que les pays relevant du common law
-où les contraintes sont plus importantes- (Leuz et al., 2003).
On pourrait ajouter une sixième caractéristique
de différenciation entre la GRA et la GRAR, il s'agirait du contexte
lié à la conjoncture des entreprises. En effet, des études
ont démontré que
18 In Dumas (2014, p.29).
31
Gestion stratégique des résultats,
structure de l'actionnariat et gouvernance d'entreprise : une étude
appliquée aux PME défaillantes du secteur agricole
française.
les entreprises en période de détresse
financière gèrent les résultats plus par les flux de
trésorerie que par les accruals (Campa et Minano, 2015 ; Razzaque, Ali
et Mather, 2016 ; Kouaib et Jarboui, 2016). Ceteris paribus, les entreprises
saines auraient des tendances à manipuler leurs résultats par la
GRA plutôt que par la GRAR.
Tableau 2 : Les caractéristiques des deux
modalités de gestion des résultats
Caractéristiques
|
Gestion des résultats par les
accruals
|
Gestion des résultats par l'activité
réelle
|
Timing
|
Pendant l'établissement des états financiers
(après l'année fiscale)
|
Pendant l'exercice comptable (pendant
l'année fiscale)
|
Composante du
résultat affecté
|
Produits et charges calculés (accruals)
|
Produits et charges ayant fait l'objet de flux de
trésorerie et accruals
|
Coûts
|
Faible
|
Elevé
|
Contraintes
|
Gestion antérieure / Auditeurs et
législateurs.
|
Arbitrage coûts-bénéfices
|
Visibilité
|
Modéré / élevé
|
Faible
|
Source : Eisele (2012, p.29).
Sous-section 2 : Approche estimatoire de la
gestion des résultats
A. La gestion des résultats par les
accruals
La gestion des résultats par les choix comptables (ou
accruals) découle des « changements des méthodes
comptables et estimations utilisées lors de la présentation des
états financiers » (Zang, 2012, p.676). Cette gestion
découle de la liberté donnée aux dirigeants
d'évaluer certains comptes comptables de manière
discrétionnaire, tout en respectant le cadre normatif en vigueur.
Cependant, la gestion des résultats par les accruals peut aussi
découler d'opérations frauduleuses. Lesquelles se basent sur une
gestion agressive des résultats comptables (Dechow, 2011, p.17-82). Les
accruals résultent des « prescriptions des organismes de
normalisation » et désignent « l'espace
discrétionnaire substantiel permis par les normes comptables »
(Jeanjean, 2001, p.1). Les effets des accruals sur le résultat ont fait
l'objet de nombreuses études. Roychowdhury (2006, p.336) argue que ce
type de gestion n'a pas d'effet sur les flux
32
Gestion stratégique des résultats,
structure de l'actionnariat et gouvernance d'entreprise : une étude
appliquée aux PME défaillantes du secteur agricole
française.
de trésorerie tandis que JeanJean (2001, p.5) l'entend
de manière plus complexe, en retenant « la condition de non
compensation ». Laquelle condition préconise qu'un
élément d'accruals n'aura un effet mineur sur le résultat
qu'à la seule condition qu'il existe un effet inverse de cet
élément d'accruals sur les flux de trésorerie.
Par ailleurs, au-delà du débat relatif aux
effets des accruals sur le résultat, la problématique de la
nullité des accruals se pose. La littérature admet de
manière générale que les accruals sont nuls à
terme, il s'agit de la propriété d'auto-dénouement des
accruals.
Par ailleurs, JeanJean (2001, p.15) argue que la GR consiste
à un simple étalement de la « sécrétion »
du résultat comptable et Healy (1985, p.89) conclut que l'effet majeur
des accruals est de modifier « la temporalité » des
résultats comptables.
Un autre aspect des accruals est son effet « mean
reversion », c'est-à-dire la propriété de
l'impossibilité de gérer « indéfiniment » les
accruals, sur des horizons temporels longs, à la hausse ou à la
baisse. Ces propriétés associées à celle de
l'auto-dénouement rendent difficile l'estimation statistique de la
période initiale de la gestion des résultats et des
modalités de fiabilité des hypothèses de mesure des
accruals.
Avant de passer en revue les différents modèles
d'estimation des accruals discrétionnaires, il est nécessaire de
présenter la construction logique de ces derniers par les accruals
totaux et normaux, comme précisé par JeanJean (2002).
Résultat Comptablet = Flux de
trésoreriet +/- Accrualst
La formule précédente aide à approcher la
modalité d'estimation des accruals totaux. Il vient que les accruals
totaux correspondent :
Accruals totaux (AT) = Accruals normaux (AN) + Accruals
discrétionnaires (AD).
Accruals discrétionnaires (AD) = Accruals totaux
(AT) - Accruals normaux (AN).
1. La classification des accruals en fonction de leurs
natures.
JeanJean (2002) précise que les accruals n'ont un effet
sur le résultat qu'à la seule condition que leur gestion ne
produise pas un effet inverse sur les cash-flows ou sur un autre accrual.
33
Gestion stratégique des résultats,
structure de l'actionnariat et gouvernance d'entreprise : une étude
appliquée aux PME défaillantes du secteur agricole
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Toutefois, les accruals longs relevant du haut du bilan
-à savoir l'actif stable- n'ont pas de contrepartie dans les cash-flows.
Il reste alors les accruals courts -ceux de l'actif circulant-qui
nécessitent une plus grande attention dans leurs estimations.
S'agissant des accruals nuls et non-nuls, il s'agit d'une
simple déduction du principe de non compensation. Les accruals longs
n'ont pas de contrepartie dans les flux de trésorerie d'exploitation, ce
qui en fait a priori des accruals non-nuls. Les accruals courts sont beaucoup
plus complexes. En effet, ils peuvent d'une période à une autre
s'annuler, se compléter ou se réestimer dans les flux de
trésorerie. Plus précisément, les accruals longs se
composent des reprises et dotations aux amortissements sur immobilisation et de
la production immobilisée et des accruals courts, qui se composent des
dotations et reprises sur actifs circulants et de la variation de BFR.
L'estimation des manipulations comptables peut être
faite en évaluant un seul accrual, c'est-à-dire en suivant son
évolution et ses effets sur le résultat, ou en étudiant
l'intégralité des manipulations comptables
discrétionnaires, donc les accruals anormaux (JeanJean 2002). Nous
obtenons le tableau qui suit :
Tableau 3 : Les différentes méthodes
d'estimation des accruals discrétionnaires
Méthodes
|
Avantages
|
Inconvénients
|
Accruals discrétionnaires totaux.
|
Mesure de la stratégie dans son ensemble
|
Erreur de mesure importante car modèle globalisant.
|
Grands échantillons
|
Accruals
discrétionnaires spécifiques.
|
Mesure fine de la gestion du résultat.
|
Résultat spécifiques à un secteur
économique
|
Taille de l'échantillon réduite.
|
Source : Thomas JeanJean, 2002.
2. Les modèles naïfs : l'estimation des
accruals normaux par une moyenne des
accruals totaux
Les premiers modèles estimatoires de la gestion des
résultats, à partir des accruals, sont dits « naïfs
». En effet, les accruals normaux sont calculés par une simple
moyenne des accruals totaux des années antérieures. Deux
études sont des références dans l'estimation naïve
des accruals, l'étude de Healy (1985) et celle de DeAngelo (1988).
34
Gestion stratégique des résultats,
structure de l'actionnariat et gouvernance d'entreprise : une étude
appliquée aux PME défaillantes du secteur agricole
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2.1. Le modèle de Healy (1985) : Les manipulations
comptables par les accruals et la maximisation de l'utilité du
dirigeant.
Le premier modèle d'évaluation des accruals est
élaboré par Healy (1985) dans le cadre d'une étude
empirique testant l'hypothèse d'agence selon laquelle les dirigeants
manipulent les comptes pour maximiser leurs primes.
L'auteur décompose la performance en deux
intéressements, à savoir les « bonus schemes » et
« performance plans ».
RC = {Bonus schemes ; Performance plans).
S'intéressant aux seules primes, Healy (1985)
établit un paramètre explicite des schémas incitatifs des
dirigeants, arguant que ces derniers interfèrent sur la structure des
résultats comptables pour augmenter la valeur actuelle de leurs
primes.
Soit :
Bt' =
Ptmax{(Et - Lt), 0).
Pour une période (t) établie, l'espérance
de l'utilité du dirigeant équivaut à la maximisation de sa
prime (Bt) dans la limite de la différence entre les gains
déclarés (Et) et une limite minimale (Lt) en dessous de laquelle
l'espérance de toute prime est nulle. L'espace discrétionnaire
concerne donc l'ensemble des manipulations effectuées dans la
région (Et-Lt).
Dans l'éventualité où il existerait un
excédent de gain par rapport au gain cible, un plan
d'intéressement (Ut') peut
être considéré dans la limite de la différence entre
le bénéfice réel et le bénéfice cible.
Soit :
Bt' = Pt
{min{U', max{(Et - Lt), 0)11. Ainsi,
Healy (1985) estime les accruals totaux comme suit :
ACCt = -DEPt - XIt. D1
+ DARt + DINVt - L APt - {LTPt +
Dt}. D219
In fine, il aboutit sur l'estimation des accruals normaux (NA)
:
19 Désignation des
termes en annexe.
35
Gestion stratégique des résultats,
structure de l'actionnariat et gouvernance d'entreprise : une étude
appliquée aux PME défaillantes du secteur agricole
française.
t--N
NA = 11 N Accruals_totauxk
k=t-1
L'hypothèse de base de ce modèle est que les
accruals discrétionnaires sont en moyenne nuls. Ce qui suppose que l'on
peut approcher les accruals normaux en faisant la moyenne des accruals totaux
des années antérieures.
2.2. Le modèle de DeAngelo (1986) : la marche
aléatoire des accruals 20.
Dans un tout autre contexte, DeAngelo (1986) étudie la
gestion des résultats de 64 firmes ayant subi des opérations de
MBO (Management Buy Out) et notamment les variations de leurs accruals et
résultats nets. Le caractère opaque de la gestion des entreprises
ayant fait l'objet d'opérations de MBO conduit DeAngelo à
évaluer les possibles interférences sur les résultats
avant lesdites opérations. Les conclusions traduisent une
sous-évaluation des résultats avant les opérations de
MBO.
L'approche de DeAngelo s'inspire du modèle de Healy
(1985), avec la particularité de considérer le caractère
aléatoire suivi par les résultats et ses composants. Il vient
donc que la meilleure estimation du résultat en l'année (t) est
au moins le résultat en l'année (t-1).
Soit,
Résultatt =
Résultatt_1 + Et
Accrualst =
Accrualst_1 ANt = ATt_1.
20 DeAngelo suppose que
les résultats et les accruals suivent une marche aléatoire et
qu'il est possible d'estimer les accruals discrétionnaires à
partir des accruals totaux de l'année antérieur et non plus de la
moyenne des accruals des années antérieurs.
36
Gestion stratégique des résultats,
structure de l'actionnariat et gouvernance d'entreprise : une étude
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3. Les modèles économiques : la prise en
compte du poids des immobilisations et
de la variation du Besoin en Fonds de Roulement (le
passage du modèle de Jones de 1991 au modèle de Jones
modifié de 1995).
A l'opposé des modèles naïfs, il a
été considéré que les accruals prennent en compte
l'effet conjoncturel des activités opérationnelles. Par ailleurs,
le modèle developpé par Healy (1985) et DeAngelo (1986) sont
moins précis que le modèle de Jones quant à la
désagrégation et les effets des accruals
discrétionnaires.
3.1. Le modèle de Jones (1991)
L'étude de Jones (1991) visait à répondre
à une préoccupation des autorités fédérales
américaines sur l'éventualité des manipulations comptables
des sociétés bénéficiant d'allégements aux
importations. L'approche défendue par cette étude était de
mesurer l'ampleur de la gestion des résultats pendant les enquêtes
sur les importations effectuées par ITC21. Le constat
récurrent était que les entreprises d'export-import s'adonnaient
à une gestion des nombres comptables afin d'obtenir des aides à
l'importation et ainsi accroitre le montant de l'allégement
accordé. La problématique de départ était le fait
que l'ITC n'ajustait pas ses données financières au regard des
procédures comptables utilisées et en fonction des
décisions de comptabilité prises par les
entreprises22. L'objectif poursuivi était la prise en compte
de l'ajustement discrétionnaire des nombres comptables sur les nombres
financiers élaborés par l'autorité de
régulation.
Fort de ce constat, Jones (1991) propose d'approcher les
accruals discrétionnaires par une estimation de la composante anormale
des accruals totaux plutôt que par la composante discrétionnaire
d'un seul accrual23. La composante discrétionnaire des
accruals totaux a pour particularité de capter des différentes
manipulations faites sur le résultat avant impôt. Lequel comprend
les effets de tous les comptes de régularisation -utilisation des
provisions-.
21 United States International Trade Commission.
22 `'Furthermore, interviews of
ITC regulators indicate that the ITC does not adjust financial data for
accounting procedures used or for accrual decisions made by firms»
(Jennifer Jones, 1994, p 194).
23 `'which includes the effects of all accrual
accounts, and, as such, managers are likely to use several accruals to reduce
reported earnings.» (Jennifer Jones, 1994, p 194).
37
DAt = a + (3. PART + ut +
Et
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Jones (1991) argue que les accruals discrétionnaires se
composent des résidus provenant des modèles classiques de
prévision -soit (E)-.
Partant du modèle des accruals totaux de DeAngelo, il
vient que les accruals totaux d'une période correspondent à la
variation du BFR de cette période :
L ATt = (TAt - TAt-k) =
(DAt - DAt-k) - (NAt - NAt-k).
A partir de cette estimation des accruals totaux, les accruals
normaux équivalent à :
AN;,t = a; + (31.L CA;,t +
(32. IMMOCORP;,t + Et
Les accruals discrétionnaires s'estiment donc comme suit
:
Et = DAt = (TAt} - {(a;
+ (3i. L CA;,t + (32.
IMMOCORP;,t))
Deux observations peuvent être faites au regard du
modèle de Jones (1991). Premièrement, l'estimation des accruals
normaux comprend la variation du chiffre d'affaires et les accruals normaux de
l'actif stable (cela sous-entend donc que ce modèle exclu de ces comptes
les accruals discrétionnaires). Deuxièmement, la part
résiduelle Et des accruals normaux
correspond aux accruals discrétionnaires des comptes estimés.
3.2. Le modèle de Jones modifié (1995) : une
alternative aux limites du modèle de Jones
(1991).
Le modèle de Jones modifié (1995) est une
alternative aux modèles précédents dans la mesure
où ces derniers souffrent de quelques insuffisances. Dechow, Sloan et
Sweeney (1995) procèdent à des tests d'hypothèse pour
évaluer la performance des modèles de détection de la
gestion des résultats. En effet, ils identifient trois problèmes
majeurs. Partant sur la base de la relation linéaire telle que
conçue par les premiers modèles :
Soit,
38
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Le premier problème24 concerne «
l'attribution incorrecte de la gestion des résultats à PART
». En effet, comme nous le montre la relation linéaire
précédente ji?? comprend la somme des effets omises par la
variable estimatoire des accruals discrétionnaires ainsi que l'erreur de
mesure des accruals discrétionnaires (error in the researcher's proxy
for discretionary accruals).
Si le chercheur estime de manière erronée le
coefficient attribué à PART (soit 0), il viendra que le
coefficient estimé 13 sera biaisé. Et donc par effet de cascade,
la probabilité de survenance d'une erreur de type I sera grande.
Le deuxième problème concerne «
l'extraction incorrecte de la gestion des résultats causée par
PART »25. Si la gestion des résultats qui est
supposé être causée par PART 26 a lieu et que la
corrélation entre u et PART est opposée en signe, alors le
coefficient estimé de PART sera biaisé, ce qui accroitrait la
probabilité d'une erreur de type II27.
Enfin, le dernier problème renvoi à
l'hypothèse de non-corrélation entre ji et PART. Dans la mesure
où cette absence de corrélation existerait, certaines variables
pertinentes seraient exclues et partant, cette situation conduirait à
gonfler l'erreur du coefficient estimé /9. Toutes choses égales
par ailleurs, la probabilité de survenance d'une erreur de type II s'en
trouvera forte. Comme précisé par JeanJean (2002), une
hypothèse implicite du modèle de Jones (1991) est la
non-anormalité de la variation du chiffre d'affaires. Autrement dit, le
modèle de base (Jones, 1991) exclu que le chiffre d'affaires puisse
être considéré comme une variable discrétionnaire
-pouvant subir des interférences de la part du dirigeant-. Le
modèle de Jones pose une toute autre réflexion en admettant que
le pouvoir du dirigeant peut s'exprimer sur le chiffre d'affaires par
l'entremise des créances. L'apport de ce modèle sera donc de
corriger cette « tendance conjoncturelle » (Dechow et al., 1995).
L'extraction de la variation des créances du chiffre
d'affaires entraine que seule la partie du chiffre d'affaires ayant une
contrepartie monétaire effective sera prise en compte comme variable non
discrétionnaire. La fonction suivante traduit cette correction :
24 incorrectly attributing earnings management to
PART, p. 196.
25 Unintentionally extracting earnings management
caused by PART, p. 196.
26 Valeur choisie en réponse au stimulus de
gestion effectif des résultats. La valeur PART étant une variable
dummy, il vient que si le chercheur lui donne la valeur 0, il n'y a pas de
gestion effectif des résultats au regard du stimulus identifié
(Dechow et ali, 1995).
27 L'hypothèse nulle de non gestion
systématique des résultats en réponse à un stimulus
identifié n'est pas rejetée.
39
Gestion stratégique des résultats,
structure de l'actionnariat et gouvernance d'entreprise : une étude
appliquée aux PME défaillantes du secteur agricole
française.
ANt = a; + 13;. (ACA;,t -
ACREANCES;,t) + 132. IMMOCORP;,t +
Et.
Les accruals discrétionnaires correspondent à :
DAt = TAt -
NDAt
Où
Et = DAt = (TAt} -
[(a; + 131. (ACA;,t - ACREANCES;,t) + 132.
IMMOCORP;,t)).
4. Estimation de la gestion des résultats par les
accruals discrétionnaires : approche par des modèles
mathématiques
Comme présenté par Kighir, Omar et Mohamed
(2014), les modèles de Jones (1991) et Jones modifié (1995)
peuvent souffrir de quelques insuffisances. Premièrement, ces
estimateurs de gestion des résultats nécessitent une
étendue importante de séries chronologiques pour spécifier
les résultats obtenus. Deuxièmement, l'auto-réversion des
accruals peut atténuer la spécificité des tests.
4.1. Beneish (1999) : une approche par le scoring.
Ce modèle présente la particularité
d'établir une régression de référence (un score)
susceptible de déceler les `'accruers28». Il propose
donc une mesure de la captation des manipulations comptables (M) par huit
indices agrégés à des coefficients
pré-estimés.
M = -4.84 + 0.92 * DSRI + 0.528 *GMI + 0.404 *AQI + 0.892
* SGI + 0.115 * DEPI - 0.172* SGAI + 4.679* TATA - 0. 327*
LVGI29.
Beneish (1999) indique que les entreprises qui obtiennent un
score supérieur à 2.22 ont une forte probabilité
d'être des manipulatrices. La spécificité de cette approche
est de 76% de bons classements avec 17.5% d'erreur.
28 Termes désignant les entreprises qui
pratiquent la gestion stratégique des résultats.
29 (DSRI): Trade receivable index, (GMI); Gross profit margin
index, (AQI): Asset quality index, (DEPI): Depreciation index, (SGAI): Changing
Debt Structure Index, (TATA): Total accrual/total asset rate, (SGI): Sales
growing index, (LVGI): Marketing sales distribution expenses and general
management expenses index.
40
30 Soit les encaissements créances.
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structure de l'actionnariat et gouvernance d'entreprise : une étude
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4.2. Le modèle de la marge : une conceptualisation
transversale des accruals normaux.
Proposé par Peasnell, Pope and Young (2000), ce
modèle a pour but d'approcher différemment des accruals normaux.
Ils considèrent que les accruals estimés (normaux) correspondent
au BFR. Toutefois leur compréhension du BFR est différente de la
conception traditionnelle. Ils incluent donc de nouvelles variables
explicatives.
Le modèle s'établit de la manière suivante
:
BFR = a0 + a1CA + EC30
+ ?? .
B. La détection des manipulations comptables par
la distribution des
résultats.
Burgstalhler et Dichev (1997) initient une approche
transversale dite de distribution des résultats, encore appelé
"accounting thresholds", autrement dit les manipulations comptables pour
atteindre un seuil préétabli. Burgstalhler et Dichev (1997)
mettent en exergue deux discontinuités sur un échantillon de plus
de 4000 entreprises : le seuil du résultat nul et le seuil des
variations nulles des résultats (Vidal, 2010).
Figure 1 : Forme de la distribution des résultats au
seuil des variations nulles des résultats.
Source : Burgstahler et Dichev , 1997, p 105.
41
Gestion stratégique des résultats,
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Comme il est visible sur la figure ci-dessus, à l'approche
du seuil 0, une discontinuité anormale est observée : un niveau
anormalement bas avant le seuil et un niveau anormalement élevé
après le seuil, il s'agit du constat de "transfert d'effectif d'un
intervalle sur l'autre" (Vidal, 2010). Yves Mard (2003) donnent quelques
avantages et inconvénients de cette approche.
Le principal avantage de cette méthode est qu'elle est
une alternative aux mesures de la GR par les accruals. La distribution des
résultats fait office de mesure de portée générale
(accruals et flux de trésorerie) par rapport aux seuls accruals
discrétionnaires, qui nécessitent des estimations
délicates et imparfaites.
L'inconvénient majeur de la mesure de Burghaster et
Dichev (1997) est l'absence d'une distinction entre l'ampleur de la gestion des
résultats par les accruals et celui par les flux de trésorerie.
De plus, la distribution des résultats suppose que le chercheur ait une
bonne connaissance du seuil nul de chaque entreprise, ce qui en pratique peut
être difficile à estimer.
C. La gestion des résultats par l'activité
réelle : les cash-flows anormaux et la production anormale
Dans cette partie nous allons procéder à une
revue sommaire de la seconde modalité de la gestion des résultats
comptables : la gestion des résultats par l'activité
réelle.
Dechow et Skinner (2000) et Healy et Whalen (1999)
étudient les entreprises qui gèrent les résultats par les
activités réelles. Ils concluent qu'il y a d'évidentes
interférences sur certains comptes d'exploitation. Ces pratiques
concernent : la réduction des dépenses en R&D, la diminution
des frais administratifs et généraux, la planification des ventes
en rétrocédant des crédits plus `'flexibles» et la
production excédentaire (Sellami et Adjaoud, 2010).
D'inspiration anglo-saxonne, la gestion réelle des
résultats -real earnings management ou earning management through
real activities manipulation- est généralement usitée
pour l'atteinte d'un seuil de résultat : le seuil zéro ou "zero
threshold" (Roychowdhury, 2006). Roychowdhury (2006) définit la GRAR de
la manière suivante : "Real activities manipulation is defined as
management actions that deviate from normal business practices, undertaken with
the primary objective of meeting certain earnings thresholds31".
31 « La manipulation comptable des activités
réelles est définie comme des mesures de gestion qui
s'écartent des pratiques commerciales normales, entreprises dans le but
principal de respecter certains seuils de résultat ».
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Gestion stratégique des résultats,
structure de l'actionnariat et gouvernance d'entreprise : une étude
appliquée aux PME défaillantes du secteur agricole
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Roychowdhury (2006) argue que la GR peut aussi s'effectuer en
interférant sur la structure des flux de trésorerie. Lesquelles
interférences concernent "les remises de prix pour augmenter
temporairement les ventes, la surproduction pour signaler un coût moindre
des marchandises vendues et la réduction des dépenses
discrétionnaires pour améliorer les marges
déclarées pour les entreprises les moins performantes ".
Le modèle de Roychowdhury (2006) se focalise
principalement sur les ventes et la production comme variables d'ajustement des
activités réelles. Comme dans les mesures des accruals, E
traduit le résidu, variable de l'interférence des
dirigeants.
Soit les cash-flows totaux (1) et la production totale (2)
:
(1) CFO;t/ACTIFSt_1 = a + 131(1/ACTIFS;t_1)
+ 132(VENTES/ACTIFS;t_1) +
133(AVENTES;t/ACTIFS;t_1) + E;t ; (2)PROD;t/ACTIFSt_1 = a + 131
(1/ACTIFS;t_1) + 132 (VENTES/ACTIFS;t_1) + 133
(?VENTES;t/ACTIFS;t_1) + E;t.
D. Le lissage des résultats : définition
et détection
Le lissage du résultat est la forme de GR
obéissant au principe de linéarité des
bénéfices publiés. Son estimation par un modèle
comparatif des scores a été largement développée
dans l'article de Leuz et al. (2003). En effet, ces auteurs développent
un score d'ensemble (`'The aggregate earnings management score»,
p.511) basé sur 4 mesures de la gestion des
résultats32, cette mesure rend compte de la magnitude du
lissage des résultats pour chacun des 31 pays de leur étude.
1. Définitions du lissage des résultats
comptables.
Pour Mard et Schatt (2011, p. 311), le lissage des
résultats consiste à « réduire la
volatilité des résultats affichés », ce qui en
tout état de cause « modifie la perception des parties
prenantes du risque et de la situation financière de l'entreprise
». Attia (2013, p.233) argue que le lissage intentionnel du
résultat est une modalité de gestion du résultat servant
à « modérer les
32 Ces 4 mesures (notées de EM1 à EM4)
comprennent (a) Smoothing reported operating earnings using accruals
(p.509), (b) Smoothing and the correlation between changes in
accounting accruals and operating cash flows
(p.510), (c) Discretion in reported earnings : The magnitude
of accruals (p.510) et (d) Discretion in reported earnings : Small loss
avoidance (p.511).
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Gestion stratégique des résultats,
structure de l'actionnariat et gouvernance d'entreprise : une étude
appliquée aux PME défaillantes du secteur agricole
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fluctuations du résultat d'une année
à l'autre » et « consiste à manipuler des
instruments comptables réels pour réduire la volatilité du
résultat ».
2. L'estimation du lissage des
résultats
L'article de Mard et Schatt (2011, p. 313-315) résume
les différentes estimations du lissage des résultats. Deux
études (Eckel, 1981 et Leuz et al., 2003) ont permis de mettre en
exergue la pertinence de la variation d'indicateurs financiers tels que le
résultat d'exploitation, le résultat net, le cash-flow des
activités opérationnels et le chiffre d'affaires. Les deux
ensembles de mesure du lissage des résultats concernent : (a) la
variation des résultats et la variation des ventes d'une part et la
variation des résultats et la variabilité des flux de
trésorerie d'exploitation d'autre part.
2.1. La variation des résultats et la variation des
ventes
Les premiers travaux, dans la lignée de ceux d'Eckel
(1983), ont mesuré le lissage des résultats par
l'élaboration d'un critère de la variation des résultats
et la variation du chiffre d'affaires. La différence entre ces mesures
de variation est censée rendre compte de la magnitude du lissage des
résultats sur une période déterminée. A la
différence de la mesure des accruals discrétionnaires, la
modalité d'estimation de la manipulation des résultats par la
variation des ventes et la variation du résultat permet de prendre en
compte « le lissage naturel produit par le processus comptable, ainsi
que les chocs liés à l'activité » (Mard et
Schatt, 2011, p. 314). L'estimateur utilisé est un coefficient qui
discrimine les « lisseurs » des « non-lisseurs
». Un coefficient de variation du résultat inférieur au
coefficient de variation du chiffre d'affaires indique que l'entreprise en
présence pratique le lissage des résultats.
2.2. La variation des résultats et variation des flux de
trésorerie d'exploitation
Cette mesure a été influencée par
l'apparition des mesures des pratiques discrétionnaires dans
l'élaboration des nombres comptables, à savoir les accruals.
Comme dans les travaux de Roychowdhury (2004 et 2006), cette estimation prend
en compte le fait que « les flux de trésorerie d'exploitation
s'imposent en grande part aux dirigeants et la gestion des résultats
s'opère essentiellement à l'aide des accruals » (Mard
et Schitt, 2011, p. 314). Comme pour la
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Gestion stratégique des résultats,
structure de l'actionnariat et gouvernance d'entreprise : une étude
appliquée aux PME défaillantes du secteur agricole
française.
première estimation, une variation du résultat
supérieure à la variation des flux de trésorerie
d'exploitation traduit une « volonté de lisser les
résultats via les accruals ».
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