Le régime juridique de la double nationalité en droit burundaispar Jean-Baptiste BARUMBANZE Université du Lac Tanganyika - Licence 2011 |
B. Principes régissant l'attribution du lien de nationalitéEn proclamant le droit reconnu à chaque individu d'avoir une nationalité, le droit international consacre un principe de nécessité d'une nationalité (1) et si c'est à l'Etat qu'il appartient de conférer cette dernière aux individus, celui-ci doit être souverain (2) et possède, en la matière, un pouvoir qu'il exerce en toute liberté (3). Il importe, toutefois, de préciser que cette liberté est enfermée dans des limites qui tiennent aux engagements internationaux auxquels l'Etat est partie et au caractère effectif de la nationalité conférée par l'Etat à ses nationaux. 1. Principe de nécessité d'une nationalité La DUDH du 10 décembre 1948 érige le droit à une nationalité en un droit fondamental de la personne humaine. En effet, aux termes de l'article 15 de la déclaration susvisée, « Tout individu a droit d'avoir une nationalité. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité, ni du droit de changer de nationalité ». Cette disposition condamne, en principe, les congés de nationalité,23 c'est-à-dire qu'elle condamne « toute institution en vertu de laquelle la nationalité se perd automatiquement en raison de la survenance de certains événements prévus par la loi comme devant entraîner la perte de nationalité ».24 Elle condamne, en outre, le principe d'allégeance perpétuelle,25 c'est-à-dire « toute situation de dépendance d'une personne (...) envers l'Etat dont elle a la nationalité »26 qui lui serait imposée toute sa vie durant. 23 F. RIGAUX et M. FALLON, Droit international privé, T. II, Droit positif belge, 2e éd., Larcier, Bruxelles, 1993, p. 29 24 J. DE BURLET, Précis de droit international privé congolais, Ferdinand Larcier, Kinshasa, 1971, p. 27 25 F. RIGAUX et M. FALLON, op. cit., p. 29 26 G. CORNU (dir.), Vocabulaire juridique, 8e éd., P.U.F., Paris, 2000, p. 47 9 La Déclaration des droits de l'enfant du 20 novembre 1959 abonde dans le même sens et dispose, en son article 3, que « l'enfant a droit dès sa naissance à un nom et à une nationalité ». C'est la consécration du principe selon lequel la nationalité d'origine est un droit de l'homme.27 Il résulte de ces deux dispositions que la possession de la nationalité est le principe, le contraire étant l'exception. Par ailleurs, les cas d'apatridie devraient, sinon être supprimés, mais limités autant que possible car ils emportent de graves conséquences. Les deux précédents textes sont de simples recommandations dépourvues comme telles de force normative et ils se sont vu reconnaître une valeur morale dans les relations internationales en raison même de la qualité de leur origine.28 C'est pour cette raison que les textes suivants revêtus « d'un caractère obligatoire »29 ont vu le jour : le PIDCP du 16 décembre 1966 et la CIDE du 20 novembre 1989. Ces instruments juridiques prévoient tour à tour et respectivement que « Tout enfant a le droit d'acquérir une nationalité »,30 que « l'enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci (...) le droit d'acquérir une nationalité »31 et que « les Etats Parties veillent à mettre ces droits en oeuvre conformément à leur législation nationale et aux obligations que leur imposent les instruments internationaux applicables en la matière en particulier dans le cas où faute de cela, l'enfant se trouverait apatride ».32 Cependant, signalons pour ne pas exagérer que « le statut de national n'est pas inhérent à l'existence même de l'individu : il y a partout, de par le monde, des apatrides »,33 mais il serait raisonnable de soutenir l'idée selon laquelle « le droit à la nationalité est et reste un droit individuel de l'homme ».34 27 F. RIGAUX et M. FALLON, op. cit., p. 29 28 Ibid. 29 F. RIGAUX et M. FALLON, op. cit., p. 30 30 Art. 24, al. 3, PIDCP du 16 déc. 1966, http : //www2.ohch/french/law/ccpr.htm visité le 14 avril 2010 à 16h 10min. 31 Art. 7, al. 1er, CIDE du 20 nov. 1989, http : // www.droitsenfant.com/cide.htm visité le 14 avril 2010 à 15h 46min. 32 Art. 7, al. 2, convention précitée 33 F. RIGAUX et M. FALLON, op. cit., p. 30 34 Ibid. 10 C'est pour se conformer à ce principe de nécessité d'une nationalité et aux instruments juridiques internationaux auxquels ils sont parties que les Etats s'efforcent de légiférer en matière de nationalité,35 mais il faut qu'il s'agisse des Etats souverains au sens du droit international public. 2. Principe de souveraineté étatique La souveraineté est, par définition, la « puissance suprême et inconditionnée dans laquelle l'ordre international reconnaît un attribut essentiel de l'Etat (...) ».36 Il est admis par le droit international public que seul un Etat souverain peut conférer une nationalité.37 L'attribution de la nationalité est un pouvoir reconnu à un Etat au sens international du mot, c'est-à-dire une personne morale reconnue par les autres Etats et ayant l'aptitude à représenter auprès de ces derniers les intérêts de ses nationaux.38 Cette affirmation renferme « le seul principe de droit international qui ait vraiment un caractère impératif ».39 Le principe que seul un Etat souverain peut se voir reconnaître le pouvoir d'octroyer la nationalité a pour corollaire la restriction du « pouvoir de chaque Etat de décider à quelles conditions sa nationalité s'attribue, s'acquiert, se perd et se recouvre sans qu'il puisse porter de norme relative à l'attribution ou à la perte d'une nationalité étrangère ».40 Nous pouvons donc dire qu'en matière de nationalité, le pouvoir de l'Etat se limite là où commence celui des autres. Il se pose la question de savoir s'il est nécessaire que le gouvernement soit reconnu pour que la nationalité octroyée puisse produire ses effets sur le plan international. A cette question, on répond par la négative. Il suffit que l'Etat soit reconnu sans qu'il soit nécessaire que son gouvernement le soit.41 La doctrine donne l'exemple de la période qui a suivi la libération française. 35 Pour se conformer au principe de nécessité, le Burundi a pris soin de légiférer en matière de nationalité. Ainsi, la loi n°1/013 portant réforme du Code de la nationalité a vu le jour le 18 juillet 2000, elle-même modifiant le D.-L. n°1/93 du 10 août 1971 portant Code de la nationalité burundaise. 36 G. CORNU, op. cit., p. 829 37 D. HOLLEAUX et alii, op. cit., p. 24 38 Y. LOUSSOUARN et alii, Droit international privé, 8e éd., Dalloz, Paris, 2004, p. 787 39 F. RIGAUX et M. FALLON, op. cit., p. 30 40 Ibid. 41 Y. LOUSSOUARN et alii, op. cit., p. 787 11 Ainsi, après la libération, le fait que le gouvernement provisoire n'était pas reconnu n'empêchait pas les Français d'avoir la nationalité française.42 Mais une seconde question se pose. C'est celle de savoir si la dimension de l'Etat compte pour que celui-ci puisse attribuer une nationalité opposable aux autres sujets de droit international. On répond que « la reconnaissance de l'Etat est la seule condition ; sa grandeur n'entre pas en ligne de compte ».43 On donne l'exemple de la nationalité monégasque et celui de la cité du Vatican qui donne une nationalité baptisée citoyenneté.44 Si la souveraineté des Etats est un préalable pour que ceux-ci puissent octroyer valablement la nationalité, il faut ajouter que ces mêmes Etats sont également libres dans la fixation des conditions d'attribution de la nationalité. 3. Principe de liberté étatique dans le choix des critères de nationalité S'il est nécessaire que tout individu ait une nationalité, tout Etat souverain, lorsqu'il détermine les conditions d'octroi de la nationalité, agit en toute liberté. Le droit international général laisse à chaque législateur national la plus large liberté de choix des critères déterminatifs de la nationalité, tant pour l'attribution ou l'acquisition de cette nationalité que pour sa perte ou son recouvrement.45 La compétence de l'Etat est discrétionnaire et exclusive pour déterminer les conditions d'octroi de sa nationalité46 en ce qu'il est un principe universellement reconnu selon lequel chaque Etat est exclusivement compétent pour conférer sa propre nationalité, ce qui confère au droit de la nationalité un caractère « unilatéral ».47 C'est pour souligner le caractère exclusif de la compétence des Etats que la CIJ a affirmé que les questions de nationalité étaient comprises dans le domaine réservé.48 Cependant, si tout Etat dispose du pouvoir d'attribuer ou de retirer sa nationalité selon des critères qu'il estime appropriés, en application du principe sous analyse, il ne s'agit pas d'un pouvoir qu'il exerce d'une façon absolue. Il existe des exceptions à ce principe. 42 Y. LOUSSOUARN et alii, op. cit., p. 787 43 Ibid. 44 Ibid. 45 F. RIGAUX et M. FALLON, op. cit., p. 31 46 R. RANJEVA et C. CADOUX, Droit international public, E.D.I.C.E.F., Paris, 1992, p. 121 47 D. HOLLEAUX et alii, op. cit., p. 23 48 P. MAYER et V. HEUZE, op. cit., p. 625 12 C'est ainsi que l'Etat doit respecter ses engagements internationaux et qu'il devrait se conformer au principe de la nationalité effective. Parlant de la première exception, ça se passe de tout commentaire que les Etats sont tenus d'exécuter les conventions qu'ils ont conclues. Il s'agit de l'application de l'adage « pacta sunt servanda». La deuxième exception, le principe de l'effectivité de la nationalité, veut dire qu' « aucun Etat ne peut imposer sa nationalité à des personnes physiques qui n'auraient aucun lien ni avec son territoire ni avec ses sujets ».49 Précisons que ce principe de l'effectivité joue un rôle non moins important dans les solutions aux conflits de nationalités et nous aurons à y revenir dans nos développements ultérieurs.50 Pour que tout individu puisse avoir une nationalité, il faut qu'il y ait un Etat souverain qui la lui attribue et ce dernier exerce son pouvoir en toute liberté. Il y a donc, d'un côté, l'Etat qui donne cette nationalité et l'individu qui la reçoit, d'un autre côté. Mais, il ne faut pas oublier que la nationalité établit un lien entre l'Etat et l'individu. C. Les éléments de la nationalité La nationalité est attribuée par un Etat (1) à un individu (2) qui lui est attaché juridiquement et politiquement (3). 1. L'Etat donneur de nationalité Le premier élément de la nationalité, c'est l'Etat conférant la nationalité. Mais il convient d'emblée de préciser la notion d'Etat donneur de nationalité. Comme nous l'avons déjà évoqué, seul peut donner la nationalité un Etat au sens international du mot, c'est-à-dire une personne morale reconnue par les autres Etats et ayant l'aptitude à représenter auprès de ces derniers les intérêts de ses nationaux.51 Par là, nous revenons au principe de la souveraineté étatique qu'il ne faut jamais oublier. Le seul Etat qui peut attribuer valablement la nationalité est un Etat souverain. 49 F. RIGAUX M. FALLON, op. cit., p. 31 50 Voy. infra, p. 83 51 Voy. supra, p. 10 13 Seule la reconnaissance de l'Etat importe, celle de son gouvernement n'a aucune influence sur l'attribution de la nationalité.52 L'éclipse momentané du pouvoir légitime et son remplacement par un gouvernement de fait non encore reconnu par les autres Etats ne fait pas disparaître la nationalité.53 En outre, peu importe la dimension géographique de l'Etat,54 s'il a déjà fait l'objet d'une reconnaissance. En revanche, le principe de la souveraineté entraîne une conséquence importante en ce que ne peuvent conférer la nationalité les Etats fédérés parce qu'ils n'exercent pas la souveraineté internationale. Seul l'Etat fédéral peut donc conférer la nationalité. Ainsi, par exemple, seuls les Etats-Unis d'Amérique sont internationalement compétents pour octroyer la nationalité ; aucun des Etats composant cette entité n'est juridiquement capable d'accorder ce lien juridico-politique. Mais au contraire de l'union fédérale, l'union personnelle laisse subsister la souveraineté internationale des Etats membres de cette union, et par conséquent, l'aptitude de ces derniers à conférer la nationalité.55 Il importe, enfin, de préciser qu'il est une distinction à faire entre les notions d'Etat et de Nation. La nationalité est conférée par un Etat et non par une Nation.56 Une Nation est un groupement ethnique, religieux, linguistique, économique, géographique, historique, qui se caractérise par un vouloir-vivre collectif et qui ne coïncide pas toujours avec un Etat au sens juridique.57 Elle évoque le principe des nationalités en vertu duquel les peuples qui ont conscience de former une Nation doivent constituer autant d'Etats indépendants.58 La notion d'Etat se distingue donc de celle de Nation, mais l'idéal à poursuivre est de réaliser la coïncidence de l'Etat avec la Nation.59 L'Etat donne la nationalité, mais il faut qu'il y ait quelqu'un qui la reçoit et il doit s'agir d'un individu. 52 En ce sens, voy. supra, p. 10 53 M. ISSAD, Droit international privé, Les règles matérielles, O.P.U., Alger, 1983, p. 107 54 B. AUDIT, op. cit., p. 744 55 M. ISSAD, op. cit., p. 107 56 Y. LOUSSOUARN et alii, op. cit., p. 788 57 Ibid. 58 En ce sens, voy. M. ISSAD, op. cit., p.108 59 En ce sens, voy. Y. LOUSSOUARN et alii, op. cit., p. 788 14 2. L'individu bénéficiaire de la nationalité Quand bien même la doctrine admet que la nationalité peut être octroyée aux personnes morales et aux choses (navires, aéronefs ou bateaux de rivière),60 ce sont des personnes physiques qui sont ici concernées. Il ressort de la définition donnée dans les précédents développements que la nationalité est un lien unissant des individus et des Etats. La nationalité étant liée à la personnalité juridique, et celle-ci étant reconnue à chaque individu, toute personne physique est appelée à jouir d'une nationalité.61 C'est ce que confirme la DUDH du 10 décembre 1948 et d'autres conventions qui ont été conclues ultérieurement. Et si « toute personne physique peut acquérir une nationalité », ce principe n'exclut pas que certaines personnes puissent avoir plusieurs nationalités. En effet, le rattachement n'étant pas identique dans tous les pays, une même personne peut se trouver liée à plusieurs nationalités.62 Mais ce n'est pas là la seule cause de la multiplicité de nationalités. Chaque Etat peut insérer dans sa législation sur la nationalité une disposition permettant à toute personne ayant déjà une nationalité d'en acquérir une deuxième, dans les conditions déterminées par la loi. Cependant, le principe que tout individu doit avoir une nationalité n'a pas toujours existé. Ainsi, dans l'ancien droit romain, la nationalité n'était pas accordée aux esclaves.63 Actuellement, il n'existe pas de personnes qui ne peuvent pas avoir de nationalité, du moins théoriquement. Mais, en fait, il existe des individus qui ne sont juridiquement et politiquement rattachés à aucun Etat. Certains peuvent n'avoir reçu aucune nationalité en raison des circonstances de leur naissance, ou peuvent avoir perdu celle qu'ils avaient. Ce sont les apatrides proprement dits.64 La nationalité est donnée par l'Etat à un individu et entre une personne physique (l'individu) et une personne morale (l'Etat) s'établit une relation dite lien juridico- politique. 60 En ce sens, voy. Y. LOUSSOUARN et alii, op. cit., p. 792 61 B. AUDIT, op. cit., p. 745 62 M. ISSAD, op. cit., p. 108 63 Y. LOUSSOUARN et alii, op. cit., p. 792 64 B. AUDIT, op. cit., p. 745 15 3. Le lien de nationalité entre l'individu et l'Etat Il faut rappeler que la nationalité est un lien entre l'individu et l'Etat. Comme élément de la nationalité, le lien de nationalité impose que soient recherchés les critères dont s'inspire chaque Etat dans son attribution et la nature juridique de ce lien. S'agissant des critères suivant lesquels la nationalité est attribuée, nous effleurons tour à tour et distinctement les besoins de l'Etat (a), les aspirations individuelles (b) et les nécessités internationales (c). a. Besoins de l'Etat La politique de l'Etat en matière de nationalité, plus ou moins ouverte ou restrictive, est fonction de ses caractéristiques territoriales, historiques et culturelles, de ses ressources et de son environnement.65 La population de l'Etat est un de ses éléments primordiaux66 en ce que, étant nombreuse, elle « peut constituer un facteur de sécurité, par le respect qu'elle impose, et de prospérité économique, par le marché qu'elle représente ».67 Plus le besoin militaire, démographique, et économique sera éprouvé par l'Etat, moins restrictives seront les conditions d'attribution ou d'acquisition de la nationalité. A contrario, les conditions seront plus restrictives, à mesure que ces besoins se feront beaucoup moins sentir. Cependant, malgré ses besoins, l'intérêt d'un Etat n'est pas de s'attacher comme nationaux des personnes n'éprouvant pas à son égard un sentiment d'appartenance, ni d'avoir une population trop hétérogène et il pourrait se trouver en peine de faire respecter, le cas échéant, un lien de nationalité ne reposant pas sur une attache permanente (obligation militaire, particulièrement en cas de conflit).68 65 B. AUDIT, op. cit., p. 748 66 Y. LOUSSOUARN et alii, op. cit., p. 793 67 En ce sens, voy. B. AUDIT, op. cit., p. 748 68 Ibid. 16
En attribuant la nationalité, chaque Etat doit garder à l'esprit qu'il n'est pas le seul sujet du droit international. Il doit tenir compte de cet ensemble d'autres Etats dont il fait partie. Il faut, en d'autres termes, tenir compte « de l'existence d'une pluralité d'Etats et de nationalités ».74 L'intérêt de la communauté internationale est que les individus n'aient qu'une nationalité, afin d'éviter les conflits de nationalités.75 Pour atteindre cet objectif, il faut que « les Etats n'attribuent leur nationalité qu'en fonction d'un lien social effectif et prépondérant ; et (...) veillent à ne pas maintenir ce lien juridique lorsqu'il a perdu son effectivité, par une transmission indéfinie par filiation nonobstant une
émigration avérée
(allégeance 69 Y. LOUSSOUARN et alii, op. cit., p. 793 70 B. AUDIT, op. cit., p. 748 71 En ce sens, voy. Y. LOUSSOUARN et alii, op. cit., p. 793 72 Idem, pp. 793-794 73 En ce sens, voy. B. AUDIT, op. cit., p. 748 74 Y. LOUSSOUARN et alii, op. cit., p. 794 75 B. AUDIT, op. cit., p. 749 76 Ibid. 17 Cependant, exiger qu'un individu n'ait qu'une nationalité serait « trop demander ».77 Si les cas d'apatridie sont rares parce que les Etats n'omettent normalement pas d'attribuer leur nationalité à des personnes présentant avec eux un lien tel qu'il n'en existe de plus fort avec aucun autre, les cas de double nationalité sont en revanche inéluctables.78 L'indépendance des Etats et leurs besoins internes ne leur permettent pas de respecter scrupuleusement le principe qui veut que « chaque individu ait une nationalité et n'en ait qu'une ».79 Précisons, néanmoins, que, comme la nationalité a d'importantes implications internationales, le droit international se permet de limiter la discrétion des Etats en la matière, par exemple, à travers le mécanisme de la reconnaissance et de l'opposabilité.80 Au cours de l'étude des éléments de la nationalité, nous sommes revenus sur le fait que la nationalité est un lien rattachant l'individu à l'Etat. Ce lien est établi par une loi qui est de l'émanation de l'Etat, maître de cette dernière et dont l'application, sur le plan interne, lui incombe à travers ses organes. L'étude des éléments de la nationalité apparaît donc comme un préalable à celle de sa nature juridique. D. La nature juridique du lien de nationalité Le lien de nationalité est un lien légal et non contractuel (1), un lien de droit public (2) et un lien de droit interne (3). 1. Le lien de nationalité est un lien légal et non contractuel Au début du 19e siècle, une doctrine abondante, notamment française, a soutenu que le lien de nationalité était un contrat synallagmatique entre l'Etat et l'individu.81 Cette thèse reposait sur la liberté des parties et le libre choix de l'individu en matière de nationalité. 77 Y. LOUSSOUARN et alii, op. cit., p. 794 78 B. AUDIT, op. cit., p. 749 79 Y. LOUSSOUARN et alii, op. cit., p. 794 80 En ce sens, voy. R. KOLB, Les cours généraux de droit international public de l'académie de La Haye, éditions Bruyant, Bruxelles, 2003, p. 462 81 M. ISSAD, op. cit., p. 114 18 Cependant, la théorie de nationalité-contrat soutenue notamment par A. WEISS, selon laquelle « c'est dans un contrat synallagmatique, intervenu entre l'Etat et chacun des individus qui le composent, que se trouve le fondement juridique de la nationalité »82 a été battue en brèche. Même si l'individu manifeste sa volonté dans l'acquisition ou la perte (en cas de renonciation) de sa nationalité, on ne peut pas parler de contrat et la thèse de nationalité-contrat ne peut pas être défendue. L'octroi de la nationalité a pour fondement la volonté unilatérale de l'Etat.83 Il s'agit là d'une vérité qui est confirmée par les législations internes des Etats. Ainsi, s'agissant du droit burundais, « La qualité de Burundais s'acquiert, se conserve, et se perd dans les conditions déterminées par la loi ».84 Cet article de la constitution de la République du Burundi est l'expression du caractère légal du lien de nationalité et ce dernier garde ce caractère alors même que « son acquisition est subordonnée à la volonté de l'intéressé ».85 Si les individus peuvent réclamer une nationalité qui ne leur est accordée que sur demande, la doctrine admet qu'il s'agit d' « une adhésion à un statut de droit public, analogue dans une certaine mesure à la demande d'emploi d'un fonctionnaire ».86 Il faut donc dire que le lien de nationalité revêt un caractère public, en plus de son caractère légal. 2. Le lien de nationalité est un lien de droit public Nous avons déjà souligné que l'Etat dispose d'une compétence discrétionnaire dans la détermination des conditions d'attribution, d'acquisition, de perte ou de retrait de la nationalité . Ceci est un principe indiscutable et la doctrine est du même avis. Le lien de nationalité est ainsi un lien de droit public puisqu' « il est fixé discrétionnairement par l'Etat en considération de ses besoins propres ».87 82 A. WEISS cité par P. MAYER et V. HEUZE, op. cit., p. 637 83 P. MAYER et V. HEUZE, op. cit., p. 638 84 Art. 12, Loi n°1/010 du 18 mars 2005 portant promulgation de la constitution de la République du Burundi, in B.O.B. n°3TER/2005 85 Y. LOUSSOUARN et alii, op. cit., p. 794 86 Ibid. 87 Y. LOUSSOUARN et alii, op. cit., p. 795 19 La doctrine nous renseigne que, dans le passé, certaines règles françaises ont été édictées, pour des motifs d'ordre militaire.88 Il y a lieu, en outre, d'ajouter que « Le droit de la nationalité relève partiellement du droit administratif dans la mesure où la naturalisation et la réintégration sont accordées par décrets présidentiels ».89 Cette thèse publiciste a, cependant, été combattue par les partisans de la thèse privatiste. On a tout d'abord critiqué l'analyse publiciste en ce sens que le pouvoir exécutif n'agirait pas en la matière de la même manière que dans les autres ; il se bornerait à reconnaître la qualité de français aux individus qui répondent aux conditions posées par la loi ; de façon plus convaincante, on a fait valoir que la nationalité est un des éléments de l'état des personnes.90 Pour les défenseurs de la thèse privatiste, l'Etat n'est ni objet, ni sujet, partie prenante au lien de nationalité, mais seulement source de droit.91 On relèvera d'ailleurs que le contentieux de la nationalité est dévolu aux juridictions d'ordre judiciaire et que la preuve repose sur la possession d'état, institution du droit civil.92 Et si la thèse publiciste avance le fait que le droit de la nationalité relève partiellement du droit administratif, la thèse antagoniste dit que « le droit administratif et les juridictions administratives n'interviennent que dans une mesure limitée, en matière d'acquisition ou de déclaration de nationalité ».93 Loin de pouvoir mettre un terme à cette controverse, une sorte de synthèse s'est dégagée. En tant que lien entre l'Etat et l'individu, la nationalité appartient au droit public et au droit privé.94 Au surplus, le droit de la nationalité réalise un subtil alliage entre les règles impératives et les règles volontaires tenant en compte ainsi des intérêts de l'Etat et des souhaits des particuliers.95 Pour H. BATIFFOL et P. LAGARDE, il serait plus juste de dire que la nationalité constitue une législation autonome entraînant des effets de droit public et des effets de droit privé.96 88 En ce sens, voy. D. HOLLEAUX et alii, op. cit., p. 26 89 Ibid. 90 Ibid. 91 En ce sens, voy. M. ISSAD, op. cit., p. 116 92 Ibid. 93 Ibid. 94 En ce sens, voy. D. HOLLEAUX et alii, op. cit., p. 27 95 Ibid. 96 H. BATIFFOL P. LAGARDE cités par M. ISSAD, op. cit., p. 116 20 S'il est vrai que la nationalité entraîne des effets de droit international, elle entraîne tout d'abord des effets de droit interne ; d'où le droit de la nationalité doit faire partie de l'arsenal juridique interne de chaque Etat. 3. Le lien de nationalité est un lien de droit interne Les nécessités internationales ne sont prises en considération que dans la mesure où elles sont compatibles avec les nécessités internes.97 Considérée comme un lien de droit interne, le lien de nationalité joue un rôle très important en matière de compétence personnelle exercée par l'Etat sur les personnes physiques. Ainsi sur le plan interne, la nationalité permet en particulier la différenciation des nationaux d'avec les étrangers. C'est en fonction de cette distinction que l'on peut notamment opérer l'identification des normes s'appliquant aux premiers mais pas aux seconds.98 Cependant, si le lien de nationalité est à titre principal un lien de droit interne, ce caractère n'est pas exclusif. Nous savons que la nationalité entraîne des effets internationaux notamment en matière de protection diplomatique. En outre, envisagée sur le plan international, la nationalité « permet (...) à un Etat d'exercer (...) sa compétence sur certains individus lorsqu'ils se trouvent sur un territoire étranger ou à l'intérieur d'espaces internationalisés »,99 toujours dans le cadre de la compétence personnelle qui lui est reconnue. Nous pouvons donc nous permettre de dire que le lien de nationalité est à titre secondaire un lien de droit international. Nous rejoignons ainsi par là la position de P.-M. DUPUY qui affirme que la nationalité des personnes physiques présente à la fois un caractère interne et international.100 La nationalité est, soit d'origine, soit acquise, selon qu'elle est attribuée d'après les modes prévus (jus soli et jus sanguinis) ou octroyée par d'autres modes parmi lesquels se trouve la naturalisation. 97 Y. LOUSSOUARN et alii, op. cit., p. 795 98 En ce sens, voy. P.-M. DUPUY, Droit international public, 9e éd., Dalloz, Paris, 2008, pp. 75-76 99 Idem, p. 76 100 Idem, p. 75 21 §2. La naturalisation Aux termes de l'article 1er, alinéa1er du code burundais de la nationalité, « La naturalisation est l'acquisition volontaire de la nationalité burundaise par un étranger qui ne l'a jamais possédée auparavant ». Contrairement aux autres modes d'attribution qui confèrent la nationalité d'origine, la naturalisation est un mode d'acquisition de la nationalité et l'intéressé ne peut se voir octroyer cette dernière que s'il en formule la demande. Ceci signifie que la naturalisation se trouve être une occasion privilégiée où le candidat manifeste individuellement sa volonté. En outre, en matière de naturalisation, l'administration dispose d'un important pouvoir discrétionnaire qui lui permet de ne pas accorder la nationalité à un sujet remplissant pourtant les conditions réglementaires, et quelquefois à l'inverse d'en dispenser un candidat en fonction des nécessités particulières.101 Il importe de souligner que la distinction entre la grande naturalisation et la naturalisation ordinaire ou petite naturalisation qui était faite par le droit belge a été abandonnée. En effet, depuis l'abrogation en 1991 de l'alinéa 2 de l'ancien article 5 de la Constitution belge qui distinguait implicitement la grande naturalisation de la naturalisation ordinaire, en précisant que « seule la grande naturalisation assimile l'étranger au Belge
pour l'exercice des droits En droit burundais, on ne voit cette distinction ni dans la législation sur la nationalité en vigueur, ni même dans celle antérieure. Le droit burundais limite seulement les droits politiques du naturalisé dans le temps. Ainsi, le code de la nationalité prévoit, en son article 9, que « Les personnes devenues burundaises par naturalisation ne jouissent des droits d'éligibilité qu'après un délai de dix ans à dater de la publication de l'acte de naturalisation au Bulletin Officiel ». La naturalisation est évidemment un mode d'acquisition de la nationalité ; mais il en existe d'autres dont notamment l'option de nationalité. 101J. COMBACAU et S. SUR, Droit international public, 8e éd., Montchrestien, Paris, 2008, p. 329 102R. ERGEC, Introduction au droit public, T. I, Le système institutionnel, 2e éd., scientia, Bruxelles, 1994, p. 105 22
Aux termes de l'article 1er, alinéa 4 du code burundais de la nationalité, « La double nationalité est la situation juridique d'un individu qui acquiert une seconde nationalité en plus d'une nationalité d'origine ». La lecture de cet article nous permet de conclure que la double nationalité a été expressément consacrée par le droit burundais. Cette situation juridique crée des conflits de nationalités dits positifs , par opposition aux conflits négatifs générés par le défaut de nationalité ou l'apatridie. 103 G. CORNU, op. cit., p. 598 104 Art. 13, al. 1er, Loi n°1/013 du 18 juillet 2000 portant réforme du Code de la Nationalité, in B.O.B. n°8bis/2000 105 Art. 16, loi précitée. 106 R. ERGEC, op. cit., p. 104 23
La présomption est légale lorsque le législateur tire lui-même d'un fait établi un autre fait dont la preuve n'est pas apportée.110 La présomption légale se scinde en présomption irréfragable et en présomption réfragable. En cas de présomption irréfragable, le législateur impose de passer des faits connus aux faits inconnus de manière, en principe, définitive.111 En cas de présomption simple, en revanche, il est permis de démontrer que le fait que la loi présume n'existe pas en l'espèce.112 Appliqué au droit burundais de la nationalité, le principe de la présomption légale voudrait que certaines circonstances de fait produisent certains effets en matière du droit de la nationalité. 107 EN ce sens, voy. R. RANJEVA et C. CADOUX, op. cit., p. 122 108 P.-M. DUPUY, op. cit., p. 77 109 En ce sens, voy. NGUYEN QUOC DINH et alii, Droit international public, L.G.D.J., Paris, 1999, pp. 491492 110 S. GUINCHARD (dir .), Lexique des termes juridiques, 16e éd., Dalloz, Paris, 2007, p. 385 111 P. DELNOY, Eléments de méthodologie juridique, 1. Méthodologie de l'interprétation juridique, 2. Méthodologie de l'application du droit, 2e éd., Larcier, Bruxelles, 2006, p. 240 112 Ibid. 24 Ainsi, le seul fait de naître sur le sol burundais, d'être trouvé au Burundi ou d'avoir un père ou une mère, si la filiation paternelle n'est pas établie, qui acquiert ou recouvre la nationalité burundaise, permet à l'enfant d'avoir la qualité de Burundais. C'est ce que prévoit l'article 3 du code burundais de la nationalité. Mais, de ce que le litera b in fine dispose : « sauf s'il est établi qu'il n'est pas né sur le sol burundais », nous pouvons déduire que le législateur a prévu l'admissibilité d'une preuve contraire et, dans ce cas, il y a lieu de conclure qu'il s'agit d'une présomption réfragable. Au regard du droit burundais, on peut avoir la nationalité par présomption légale, mais aussi par déclaration.
Le système du droit du sol est basé sur un fait ; la nationalité d'origine y est, en effet, fonction du lieu de naissance de l'enfant, celui-ci se voyant attribuer la nationalité de l'Etat sur le territoire duquel il naît.113 Le droit burundais, en consacrant le principe de la présomption légale, applique ce système. Les litera a et b de l'article 3 du code burundais de la nationalité sont formels à ce sujet. 113 J. DE BURLET, op. cit., p. 22 25 Mais une précision s'impose pour le litera b. Ce dernier attribue la nationalité burundaise à un enfant trouvé au Burundi. Dans l'esprit de cette disposition, l'enfant trouvé au Burundi est présumé avoir été né au Burundi, sauf preuve contraire. Le lien avec le territoire n'est pas le seul mode d'attribution de la nationalité. Il y a, en outre, le lien de filiation. §9. Le droit du sang Le droit du sang est un autre mode qui permet de conférer la nationalité d'origine. Dans ce système, la nationalité est transmise par filiation.114 En droit burundais, la nationalité par la filiation est conférée à titre principal par le père burundais, et à défaut du père, par la mère burundaise. Ainsi, l'article 2 du code burundais de la nationalité dispose de la manière suivante : « Est burundais de naissance : l'enfant légitime né (...) d'un père ayant la qualité de burundais (...), l'enfant naturel (...) qui fait l'objet d'une reconnaissance volontaire, d'une légitimation ou d'une reconnaissance judiciaire établissant sa filiation avec un père burundais, l'enfant naturel (...) qui fait l'objet d'une reconnaissance judiciaire établissant sa filiation avec une mère burundaise, l'enfant désavoué par son père, pour autant qu'au moment du désaveu sa mère possède la nationalité burundaise ». Il y a lieu de souligner que le droit burundais de la nationalité, quant à la transmission de la nationalité des parents à leurs enfants, est sujet à critique. En effet, il consacre une inégalité entre l'homme et la femme car l'enfant ne se voit transmettre la nationalité de sa mère qu'à défaut d'établissement de la filiation paternelle. Si les Etats prévoient dans leurs législations internes des conditions d'attribution ou d'acquisition de la nationalité, si les intéressés sentent la nécessité d'avoir une nationalité et si, par ailleurs, le droit international consacre le droit à la nationalité comme un principe universel, c'est que cette dernière a ses fondements : les institutions judiciaires et l'intéressé lui-même y trouvent leur compte. 114 R. RANJEVA et C. CADOUX, op. cit., p. 121 26 |
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