d. Le positionnement central et ses
difficultés
Dans la majorité des cas le positionnement central
reste musical. Alors, dans le but d'avoir un positionnement central fort, et
donc une programmation alléchante, les programmateurs doivent
réaliser une veille artistique perpétuelle sur internet et sur le
terrain (concerts, autres festivals, tremplins...) pour dénicher des
artistes et groupes sortant du lot car rares, nouveaux ou encore innovants. Ils
devront également analyser les tendances des
téléchargements et achats des musiques pour déterminer les
groupes du moment, mais également faire appel à leur
réseau professionnel et leur instinct pour mettre la main sur des
pépites encore inconnues. Pour un programmateur, l'instinct, la
négociation mais aussi le réseau sont des notions indispensables.
Ce réseau professionnel gravite grandement autour des autres directeurs
de festivals. Il existe en effet une certaine solidarité entre
organisateurs, mais aussi avec les sociétés de production qui
possèdent des catalogues de groupes tendances du moment et proposant
leur touche artistique. De ce fait, tous les partis sont gagnants et on observe
la création d'une fidélité, donnant lieu par la même
occasion à une pérennité artistique dans le temps.
Cependant, après la complexité de la
création de l'affiche, vient l'aspect financier et la question des
cachets des groupes et artistes. En effet, si repérer des artistes n'est
déjà pas chose facile, il faut faire les bons choix et trouver
des compromis financiers. Plus une programmation aura un caractère
détonnant, insolite ou rare et plus elle sera tributaire et
limitée par le coût de ces artistes. Cela est dû à la
constante augmentation du cachet des grands artistes, citons par exemple le
groupe anglais Blur qui coutait 45000 € en 1999 et 200000 € en 2010.
Dans ces situations, il faut plus qu'une âme de programmateur, il faut
avoir des qualités de commerçant et de leadership. Lorsque
l'anticipation et le flair artistique sont au rendez-vous, les
économies
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peuvent être conséquentes. En l'espace de
seulement quelques semaines, le cachet de certains artistes populaires peut
passer du simple au double, il convient donc pour un organisateur de
prévoir à l'avance ces évolutions de coût.
Pour un programmateur, certaines méthodes et attitudes
sont obligatoires. Cependant, il leurs est aussi indispensable de trouver des
valeurs sûres pour leurs affiches qui seront synonyme de réussite
mais aussi parfois de non-originalité. En effet, lorsque le début
des beaux jours arrive, et que les festivaliers trépignent d'impatience
à l'idée de voir leurs artistes préférés sur
des affiches et de prévoir leur itinéraire des festivals
estivaux, ces derniers ne se montrent souvent pas très originaux entre
eux en termes de têtes d'affiche. En effet, la concurrence du
marché des festivals est mondiale, et pour beaucoup l'enjeu se situe sur
quelques têtes d'affiches de plus en plus dures à obtenir. Que ce
soit au Japon, en Espagne ou encore dans les pays de l'Est, les festivals sont
régulièrement soutenus par de gros sponsors (souvent des marques
d'alcool) et peuvent donc s'offrir des artistes incroyablement chers alors que
même les grands festivals français (qui rappelons-le, ne peuvent
pas se faire sponsoriser par des marques d'alcool) peinent beaucoup plus.
Cependant quand ils y arrivent ces groupes et artistes sont un gage de
sécurité car même si les gros festivals sont lourds de
coûts, ces artistes permettent de le rentabiliser.
Malheureusement, ce sont ces valeurs sûres qui font
courir le risque d'uniformiser les programmations. Ce qui a pour
conséquence de ne pas se positionner, et de ne pas se
différencier artistiquement. Par exemple, en 2009 les festivals des
Eurockéennes, des Francofolies, des Vieilles Charrues, de Musilac, du
Printemps de Bourges et de Paléo possédaient une dizaine de
têtes d'affiche identiques. Ces programmations et leur approche
artistique, bien qu'évidemment liés à l'identité
artistique du festival, sont également dépendant de la taille du
festival et du nombre de festivaliers attendus et donc du coût allouable
aux artistes et aux ressources financières. Car en effet, les
programmateurs s'accordent pour dire que les tarifs des groupes et artistes
auraient augmenté d'au moins 30 à 40% depuis le début du
millénaire. Ils expliquent cela par une évolution de l'offre et
la demande ainsi qu'une augmentation du coût de la vie et des coûts
de production. Certains programmateurs, pour contrer ces méthodes peu
atypiques, tentent donc de se différencier notamment en ouvrant leur
porte à des artistes méconnues, via les tremplins ainsi que les
scènes annexes. Par exemple, certains festivals se caractérisent
comme des ambassadeurs d'artistes émergents à l'instar du
Printemps de Bourges et de son programme Les Inouïs (qui a
été le premier dispositif national de repérage et de
sélection de nouveaux talents artistiques), des Francofolies et de leur
Chantier des Francos (qui a pour mission de découvrir les nouvelles
tendances de la scène musicale française et d'accompagner les
artistes au
50
démarrage de leur carrière) ou encore des Trans
musicales ainsi que d'autres festivals proposant des tremplins (Rock en Seine,
Jazz à Vienne, Nuit de l'Erdre...).
Au milieu de cette concurrence festivalière, devenant
dès lors une industrie comme la caractérise nombre de
professionnels, même s'il peut parfois exister des pseudo-partenariats il
devient de plus en plus difficile de créer une programmation à la
fois attirante, cohérente et originale. Surtout que la concurrence est
internationale, à l'image de l'Europe de l'Est où l'apparition de
nouveaux festivals pullulent, et dont le meilleur exemple est celui du festival
Hongrois Dziget, plus grand évènement d'Europe avec ses 400000
festivaliers quotidiens. Le libéralisme économique faisant loi,
la notion d'offre et de demande ne laisse que peu d'espoir à certains
festivals lorsque d'autres tels que ceux possédés par le
géant mondial de l'Entertainment musical Live Nation ne peuvent
qu'écraser la concurrence.
Par exemple, selon l'étude réalisée
annuellement par Touslesfestivals62, sur les 100 festivals
visités en 2018 quinze d'entre eux ne l'ont pas été en
2019 car ils ne respectaient plus les critères de l'étude (en
termes de taille notamment). Parmi ces quinze festivals, six n'ont pas pu avoir
lieu pour des raisons financières : le festival Couvre Feu, The City
Trucks et le Festival Démon d'Or sont en liquidation judiciaire. Une
annulation révèle très souvent une certaine
précarité financière, le festival Nordik Impact a par
exemple suspendu son édition 2019 pour se réadapter en 2020 (ce
qui n'a évidemment pas pu avoir lieu). Fort heureusement, malgré
les difficultés à créer et faire perdurer un festival en
France, on observe plus de création de festival que de disparition.
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