La protection du droit à la liberté à l'épreuve de la détention préventive en droit positif togolaispar P. Roger KPAKOU Université de Parakou - Master en droit pénal et sciences criminelles 2020 |
B. Une prise en charge sanitaire lacunaireLe droit à la santé est un droit fondamental pour tout être humain, quel que soit sa condition. L'État a la responsabilité d'assurer des soins de santé aux détenus dans les meilleures conditions. Le droit à la santé des détenus est proclamé par la constitution togolaise en son article 16159. Il en est de même à la règle 24 des règles Nelson Mandela160. L'administration pénitentiaire prend les mesures idoines pour mettre en oeuvre l'accès aux soins de santé. Pour ce faire, l'article 41 du code de la santé publique du Togo dispose que « Les établissements pénitentiaires et autres locaux de détention doivent être dans un bon état d'hygiène, bien aérés et éclairés. Ils sont soumis à un contrôle sanitaire permanent ». En général, s'agissant de l'accès des détenus aux soins de santé, trois observations peuvent être faites. Premièrement, chacune des 13 prisons civiles ne dispose pas d'infirmerie. C'est le cas de la prison civile de Tsévié et celle de Kanté. Lorsque les détenus sont malades, ceux-ci doivent le signaler à l'administration qui selon leur constat requiert les services d'un infirmier à l'externe. Ce dernier après consultation peut prescrire des médicaments dont la prise en charge est attribuée de facto au patient ou demander que le détenu malade soit transféré dans un hôpital à l'extérieur. Deuxièmement, il y a les difficultés liées à la permanence du personnel soignant ainsi que l'accessibilité des soins en cas d'urgence sanitaire. Il faut relever que des crises de maladies se déclenchent souvent pendant la nuit lorsque les détenus sont « entassés » dans les cellules161. À la brigade pour mineurs de Lomé comme à la prison civile de Lomé par exemple, les infirmiers ne font pas de garde pendant la nuit. Lorsqu'un cas urgent de maladie se déclenche en pleine nuit, il est quasiment impossible de l'évacuer avant la reprise du service le lendemain. Ils arrivent ainsi que des détenus piquent des 159 « Tout prévenu ou détenu doit bénéficier d'un traitement qui préserve sa dignité, sa santé physique et mentale et qui aide à sa réinsertion sociale » 160 « L'État a la responsabilité d'assurer des soins de santé aux détenus, ceux-ci devant recevoir des soins de même qualité que ceux disponibles dans la société et avoir accès aux services nécessaires sans frais et sans discrimination fondée sur leur statut juridique » 161 Un détenu à la PCL rapporte qu'à cause de la surpopulation, une chaleur « insupportable » règne pendant les nuits. 49 crises d'asthme ou qu'une maladie qui tardait à être prise en charge162 se déclenche violemment la nuit. Pour tenter de venir en aide au détenu et le faire évacuer à l'hôpital, les codétenus doivent faire assez de bruit163 en espérant alerter les gardes. Très souvent, le détenu souffrant est extrait de la cellule et placé dans un espace plus aéré. Il ne sera évacué que le lendemain matin. Des détenus rapportent que plusieurs détenus meurent dans ces conditions. Un exemple tragique est celui d'une détenue qui a perdu ses deux jumeaux à la prison civile de Lomé le 11 décembre 2015 faute d'assistance, en pleine journée. Le site internet164 qui a relayé l'information rapporte le témoignage d'une codétenue sur cette affaire165. L'indifférence des agents de l'administration pénitentiaire a eu raison de la vie de ses « deux jumeaux ». Selon le bilan établi par le greffe de la prison civile de Lomé, treize détenus serait mort courant l'année 2019. Les causes du décès ne sont pas spécifiées. Le troisième constat, sans doute le plus tragique pour l'accès aux soins de santé des détenus en droit positif togolais est la prise en charge des frais médicaux par les détenus. Il faut préciser que la prise en charge est gratuite dans l'infirmerie du lieu de détention. La difficulté se pose lorsque le détenu malade doit être transféré dans un hôpital à l'extérieur. En effet, vu la faible capacité de prise en charge sanitaire des infirmeries mises en place à l'intérieur des prisons, la plupart des détenus malades sont évacués dans de plus grands hôpitaux à l'extérieur de la prison pour une ample prise en charge sanitaire. Les frais occasionnés sont à la charge du détenu. Par exemple, à la prison civile de Lomé, le détenu malade doit lui-même payer le bon de consultation de l'hôpital avant d'être évacué. S'il ne paye pas, il n'est pas évacué, quel que soit la gravité de son état de santé. Le bon de consultation varie entre 2000f et 3000f. Également, la prise en charge 162 Parfois, soit parce que le détenu n'a pas de quoi payer le bon de consultation nécessaire avant toute évacuation ou soit parce que les agents de l'administration minorent le mal en pensant que le détenu n'est pas véritablement malade. 163 En cognant les portes avec du métal et en criant « à l'aide ! » 164
https://www.27avril.com/blog/culture-societe/societe/togo-nouveau-drame-a-la-prison-civile-de-lome- 165 « C'est depuis le matin que nous avons alerté les Surveillants de l'administration pénitentiaire parce qu'une de nos camarades codétenues était sur le point d'accoucher. Mais ils ne sont pas venus voir ce qui se passe. Ils nous ont dit qu'il n'y a pas d'essence dans la voiture pour conduire la détenue à l'hôpital. On s'est débrouillé pour faire sortir les bébés ». 50 des soins, c'est-à-dire le paiement des analyses et des produits pharmaceutiques est à la charge des détenus166. La plupart des détenus qui n'ont pas leur famille dans la circonscription de la prison où ils sont incarcérés sont pris dans cet étau, incapable de prendre en charge leurs soins. Il faut également préciser que « Aucune des prisons visitées ne dispose d'ambulance. Exceptée celle de Lomé, aucune ne dispose de réfrigérateur pour la conservation des produits pharmaceutiques.167 » Il a également été observé que les détenus ne sont pas soumis à un bilan de santé à leur entrée et à leur sortie de la prison. Ainsi, les porteurs de maladies contagieuses contaminent d'autres détenus. Récemment, dans le contexte de l'épidémie du COVID-19, cette pratique a facilité la propagation du virus au sein de la population carcérale au Togo. Les détenus devraient se faire analyser par un médecin avant leur admission dans un établissement pénitentiaire. Ceci permettra de lutter contre la contamination et la propagation des maladies épidermiques (gale, poux, etc.) et pestilentielle. Également l'équipement des prisons devraient être revus afin que des sanitaires soient installés dans chacun des bâtiments. En l'état, les détenus de la prison civile de Lomé par exemple n'ont pas accès aux toilettes entre 17 heures et 6 heures du matin, lorsqu'ils sont enfermés dans les cellules. En droit positif togolais, d'importantes garanties de protection du droit à la liberté à l'épreuve de la détention préventive sont prévues. Toutefois, comme nous avons pu le constater, des défis demeurent. Au regard de ces lacunes, il urge d'y apporter solutions. 166 Qui se font aider souvent par leur famille ou par des organisations de défense des droits de l'Homme, telles que le CACIT, la SMPDD 167 Rapport d'activités, Exercice 2019, CNDH, p. 124 51 SECONDE PARTIE : Un renforcement nécessaire La première partie de l'analyse a permis de présenter le dispositif de protection du droit à la liberté à l'épreuve de la détention préventive en droit positif togolais. D'importants acquis ont pu être relevés. Il est apparu que le législateur togolais accorde une grande importance à la condition des personnes en conflit avec la loi, surtout, lorsque ces derniers risquent de perdre leur droit à la liberté dans le cadre d'une procédure avant jugement. La règle qui prévaut en la matière est le principe d'exception de la privation de liberté. Dans le cas où le recours à une mesure restrictive de liberté s'avère nécessaire, le législateur a consacré des mesures de contrôle judiciaire pour servir d'alter moyen au placement en détention préventive. La protection du droit à la liberté demeure toutefois limitée. En effet, des limites sont observables tant au plan normatif que dans la pratique. Il appert qu'un renforcement du régime de la détention préventive permettrait une meilleure protection du droit à la liberté dans la procédure pénale avant jugement en droit positif togolais. Aussi, il sera abordé dans un premier temps les axes de réformes envisageables (Chapitre 1) puis dans un second temps, le renforcement du contrôle du respect des garanties de protection du droit à la liberté (Chapitre 2). 52 |
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