D. Quelles conséquences y a-t-il / y aura-t-il
sur les métiers des établissements de santé / du
secteur santé ?
La manière d'aborder la maladie change, nous nous
dirigeons vers un système ou les traitements des patients sont et seront
de plus en plus individualisés et avec des technologies de pointe. Les
informaticiens et les gestionnaires de bases de données ont une place de
plus en plus importante dans les établissements de santé et les
entreprises du secteur santé. Les données traitées
nécessitent de bien connaître les actes médicaux, leur
terminologie voire la sémantique. Si les bases de données
actuelles sont principalement utilisées aujourd'hui à des fins de
gestion, il est possible de les transformer dans un cadre de recherche. Un
travail par équipes interdisciplinaires est indispensable avec des
médecins, des pharmaciens, des dentistes, des infirmières, des
paramédicaux mais également avec des
épidémiologistes, des économistes de la santé, des
statisticiens, des personnels sociaux, etc. Il va falloir apprendre à
travailler ensemble.
De nombreux métiers liés à l'intelligence
artificielle apparaissent, quel que soit le secteur d'activité. La
plupart de ces métiers partagent la particularité de la double
compétence. Parmi ceux ayant une place dans le domaine de la
santé, on peut citer 21 :
· Le Data Protection Officer (DPO) est chargé de
la sécurité des données en conformité avec le RGPD,
doit être au fait des spécificités des données
médicales. Il cumule compétences juridiques et informatiques.
· Le Psy designer crée des «
personnalités artificielles ». Il analyse les comportements entre
humains et Intelligence Artificielle et travaille à les fluidifier. Il
cumule études en psychologie et compétences informatiques.
20
https://www.louvainmedical.be/fr/article/de-la-medecine-10-la-medecine-30-le-patient-connecte
21 Paul Loubière, Métiers d'Avenir - Quand
L'IA embauche, Challenges n°604, 2019
·
15
L'Ethicien/ne est responsable de la dimension étique
liée à l'IA et est garant des « biais » transmis
à l'IA afin que celle-ci soit conforme aux valeurs qu'on souhaite lui
inculquer et aux principes de droit humain. Des études en psychologie ou
en philosophie sont nécessaires ainsi que des compétences en
numérique.
· L'Architecte big data est chargé de la collecte
des données. Il s'assure que celles-ci soient assimilables par le
système d'information et par tous les logiciels métiers et en
adéquation avec les dernières avancées technologiques. Il
est ingénieur en informatique avec une formation complémentaire
en big data.
· Le Data scientist est un ingénieur de
données. Il trouve sa place dans tous les secteurs d'activités
ayant besoin de statistiques et d'analyse des données. Le data scientist
recoupe les données de diverses sources (contrairement au data analyst),
s'assure de leur viabilité et les transmet à l'IA pour analyse.
Il est ingénieur statisticien.
De nouvelles formations initiales ont été et
vont continuer à être créées. Les directions des
ressources humaines devront trouver la place pour ces nouveaux métiers
et les accompagner dans leur légitimité auprès des
différents professionnels. Tous les professionnels de santé et
chercheurs devront être sensibilisés sur l'importance de la
collecte des données de santé et accompagnés dans leur
mise en place pour que les étapes nécessaires soient
effectuées de manière optimale et que ces nouvelles
données puissent être exploitées et servent à de
nouvelles recherches. On peut aller encore plus loin sur les futurs
métiers en évoquant les profils à double compétence
qui pourront créer du lien et croiser les données de santé
avec les paramètres météorologiques, les pics de pollution
et les pics d'affluence aux urgences par exemple.
Outre les nouveaux métiers, B. Kalis, M. Collier et R.
fu font ressortir dans un article de la HBR les métiers de la
santé qui pourront être impactés : Chirurgie, assistants
infirmiers virtuels, travaux administratifs, dosage, fraude Radiologie,
etc.22
1. Les médecins
Les avancées et pistes de l'intelligence artificielle
appliquée à la santé sont nombreuses : en
réanimation, en imageries, en amélioration des processus de soin,
en dépistage des cancers par les données d'imagerie et les
analyses sanguines. De très nombreuses disciplines médicales vont
voir leurs pratiques évoluer telles que la radiologie, la
dermatologie,
22
https://hbr.org/2018/05/10-promising-ai-applications-in-health-care
16
l'ophtalmologie, la neurologie, la psychiatrie, la
cardiologie, la sénologie, l'hépatologie, l'endoscopie,
l'endomicroscopie, l'anatomopathologie, la radiothérapie et la chirurgie
guidée par l'image.
Actuellement, une salle d'opération regorge
déjà d'équipements médicaux qui
génèrent de la donnée (imagerie, instruments chirurgicaux,
système d'information de l'hôpital pour la partie traitement du
patient à proprement parler et caméras et microphones pour les
communications et documentations destinés à la formation et
à l'éducation). Les images des caméras, de même que
l'enregistrement des gestes chirurgicaux, peuvent servir aux industries de
développement d'outils de réalité augmentée, ou
tout simplement de reconnaissance des gestes et d'enclenchement d'alarmes en
cas de reconnaissance d'anomalie.
On évoque la mise en place de « tours de
contrôle » des salles d'opération, comparable à celle
d'un aéroport, comme au CHRU de Strasbourg23.
Simulation d'image d'une tour de contrôle en centre
hospitalier
Comme on peut le voir en bas à droite de
l'illustration ci-dessus, ce type d'équipement permettrait notamment de
surveiller le placement des installations et les radiations émises par
celles-ci et des différentes personnes présente dans le bloc
opératoire et de détecter les risques de surexposition. Tout le
personnel des blocs opératoires pourra ainsi être
formé à la gestion de ces risques et développer de
nouveaux réflexes sur le long terme.24
23
https://savoirs.unistra.fr/recherche/lintelligence-artificielle-une-intelligence-auxiliaire/un-super-assistant-pour-salles-doperation/
24 Nicolas Padoy, Vers une tour de contrôle des blocs
opératoires, « Santé et intelligence artificielle »,
sous la direction de Bernard Nordlinger et Cédric Villani, CNRS
Editions, 2018
17
L'intelligence artificielle ne peut fonctionner seule. La
pratique de la médecine est optimisée par l'analyse des
intelligences humaines et artificielles combinées. Il s'agit d'outils
d'aide à la décision. Cette notion est collégiale. «
Comme l'ont montré les récents duels Homme/Machine en
matière de jeux d'échecs, si la machine arrive à vaincre
le champion du monde, ce dernier assisté d'un bon ordinateur
écrase l'homme et la machine. »25 L'ensemble des
professionnels de santé, qu'ils soient médecins,
paramédicaux, administratifs et institutionnels sont d'accord sur ce
point. Ils permettent une prise de décision plus objective basée
sur une analyse des symptômes combinés avec les derniers rapports
publiés, sélectionnés de manière pertinente par la
machine et analyses des banques d'images permettant une analyse
prédictive de l'évolution de la pathologie et ainsi pouvoir
prescrire le traitement qui parait le plus approprié.
Certaines solutions d'aide à la décision par
l'analyse de l'image telles que celles proposées par
Therapixel26 pour les radiologues et oncologues sont
déjà mises en place dans de très nombreux
établissements dans le monde entier et aident ainsi les médecins
dans les diagnostics des cancers du sein, du poumon, de la vessie, du foie, de
la prostate ou de l'oesophage. IBM s'est également distingué dans
la mise en place de ces outils sans toutefois réussir à
s'implanter comme ils le souhaitaient.27 Les résultats
obtenus sont meilleurs et le temps consacré aux recherches est
considérablement diminué.
Certains outils d'analyse des IRM (Imagerie par
résonance magnétique) sont développés pour donner
des résultats chiffrés, adaptés à une lecture par
une machine plutôt que par l'humain. « Tous les métiers
ayant recours à l'imagerie seront impactés : radiologues, mais
aussi cardiologues, ORL, dermatologues... » selon Jacques
Lucas.28
a) Radiologue
D'aucuns pensent que le métier de radiologue est
amené à disparaître compte tenu de la vitesse à
laquelle le métier évolue ces dernières années avec
les technologies de reconnaissance et d'analyse des images. Il est important de
se poser les bonnes questions : quelles sont les conséquences sur le
métier à court, moyen et long terme ? En répondant
à cette question, la formation des radiologues pourra être
adaptée au fur et à mesure, en communiquant clairement et en
évitant ainsi de creuser la pénurie déjà existante
de médecins spécialistes. Si le métier n'est pas
amené à être supplanté par les machines,
l'intelligence
25 Jean-Emmanuel Ray, Droit du travail - droit vivant,
Wolters Kluwer, 2020
26 https://www.therapixel.com/
27
https://www.ibm.com/products/clinical-decision-support-oncology
28 Propos reportés par Delphine Déchaux, Une
assistance pour les médecins, une concurrence pour les
secrétaires, Challenges n°604, 2019
18
artificielle n'est pas en mesure de raisonner de la
manière dont un radiologue établit son diagnostic. Les praticiens
devront inévitablement se former très régulièrement
et être à l'aise avec toutes les nouvelles technologies d'imagerie
et avec le changement. Les applications d'intelligence artificielle passent
essentiellement par l'imagerie et sont amenées à se
développer de plus en plus, on peut donc aisément supposer que le
nombre de demande d'images augmentera ainsi que le besoin de radiologue. Le
métier change et les informations disponibles seront plus importantes.
Elles permettront au médecin radiologue de miser totalement sur son
expertise, traitant des données de plus en plus sophistiquées, et
de manière plus rapide avec des traitements de plus en plus
personnalisés.
Les différents spécialistes se sont
créés des communautés d'experts via les réseaux
sociaux et peuvent ainsi soumettre des cas cliniques à leurs
confrères du monde entier et recevoir une réponse en quelques
secondes influençant ainsi l'enseignement et les diagnostics.
Le médecin aura un rôle de médiateur dans
la compréhension des algorithmes et des technologies et la transmission
de l'information adéquate pour le patient. Il s'agit d'une mise en
pratique individualisée et optimisée du traitement en fonction
des facteurs propres au patient (environnementaux, sociaux, culturels,
familiaux, psychologiques). Il ne s'agit pas de sacrifier le bien-être du
patient au service d'un soin qui pourrait alors devenir
contre-productif.29
Dans la note IA et emploi en Santé : quoi de neuf
docteur ? publiée par l'institut Montaigne en 2019, le Dr
Jean-Philippe Masson résume ainsi les effets à attendre de l'IA
en radiologie : - « L'aide au diagnostic : l'IA permet une analyse
plus rapide des examens, ensuite validée par le radiologue,
- Les outils de formation initiale ou continue : l'IA
permettra le développement de méthodologies de formation à
distance et de modules d'entraînement directement connectés aux
techniques utilisées par les radiologues,
- Le soutien au développement de la recherche :
l'IA contribuera à la recherche dans les nouvelles techniques comme
l'imagerie fonctionnelle et interventionnelle, les banques de données
génomiques et la médecine prédictive. » 30
Il existe aujourd'hui une pénurie de radiologues.
L'intelligence artificielle apporte une solution en dégageant du temps
qualitatif aux radiologues. Il me parait extrêmement important de
maintenir une bonne communication régulière sur les
avancées de l'intelligence artificielle en
29 Mostafa El Hajjam, Vers un radiologue augmenté, «
Santé et intelligence artificielle », sous la direction de Bernard
Nordlinger et Cédric Villani, CNRS Editions, 2018
30 David Gruson, Adrien Deudon et Laure Millet, IA et emploi
en Santé : quoi de neuf docteur, Institut Montaigne, 2019
19
imagerie et sur l'évolution du
métier à plusieurs échéances auprès des
professionnels, des professeurs d'université et des
étudiants en médecine. Il ne faudrait pas que les
étudiants cessent de choisir la radiologie par peur de disparition du
métier et qui engendrerait une nouvelle pénurie de
radiologues.
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