Toutes les structures, qu'elles soient privées ou
publiques, dans le secteur sanitaire ou pas ont un point commun : l'objectif.
Toutes les entreprises et tous les établissements publics
partagent cela : avoir un ou plusieurs objectifs. C'est important de
le rappeler. C'est la base de tout, là où il faut revenir quand
on perd le sens ou qu'on arrive au bout d'une organisation, d'une
manière de travailler. Quel est l'objectif et comment y arriver dans
l'environnement dans lequel nous nous trouvons ? C'est la question que doit se
poser régulièrement tout un chacun dans son contexte
professionnel (cela fonctionne également dans de nombreux autres
contextes de groupes à l'échelle individuelle comme à
l'échelle de la société mais le débat n'est pas
là). Quand on a l'objectif, on a le sens. J'entends
sens tant dans sa définition de signification que de direction à
prendre. Une fois qu'on a tout cela, on peut définir comment y arriver.
L'accompagnement des professionnels est un pan essentiel de la
stratégie d'atteinte des objectifs, qu'il s'agisse de
formation, d'encadrement, d'accompagnement individuel. Il développe ou
renforce les compétences de chacun et de l'entité globale et
satisfait chaque individu aussi bien que l'employeur quand il
est bien fait. C'est une clef de réussite économique et
sociale.
Afin de définir une proposition
d'interprétation de ce qui est mis en place dans le secteur sanitaire
concernant l'accompagnement au changement que représente l'implantation
de nouvelles technologies qui peuvent être dotées d'intelligence
artificielle, j'ai décidé de m'appuyer sur les témoignages
d'une dizaine de professionnels travaillant majoritairement dans ou avec les
établissements de santé. Il me parait intéressant de noter
que la totalité des personnes interrogées, quels que soit leur
âge, leur cursus ou leur métier actuel ont connus plusieurs
contextes professionnels et envisagent encore et toujours le changement.
Certains ont exploré de multiples secteurs d'activité et
mêmes plusieurs métiers parfois très éloignés
et d'autres toujours dans le secteur sanitaire et médico-social mais
avec des enjeux, des contextes et des cultures qui ont pu être
extrêmement différents. A noter que les directeurs d'hôpital
public ont, pour la grande majorité, été formés au
changement et à la pluridisciplinarité dès leur formation
initiale.47
Tous s'entendent sur le fait que le changement, qu'il
s'agisse d'un changement de métier, d'employeur, de contexte
professionnel ou d'évolution sur un même poste a bien plus
47 Sauf exceptions, notamment sur les postes de directeur des
systèmes d'information, directeur des achats et directeurs de la
logistique, les directeurs d'hôpital public ont effectué une
formation, dans le cadre de la formation initiale ou continue, à
l'École des Hautes Eudes en Santé publique (EHESP -
également surnommée École de Rennes), dont le
fonctionnement est similaire à celui de l'École Nationale
d'Administration (ENA) avec une approche pluridisciplinaire
29
d'avantages que d'inconvénients tant sur la
pérennité de l'emploi que sur la capacité à
s'adapter de chacun. A l'échelle d'une collectivité, il doit
être accompagné.
Que l'on parle à l'échelle de l'individu ou
d'une organisation complexe, le changement est nécessaire à un
moment ou un autre. Toutes les structures ne sont pas logées à la
même enseigne. Concernant l'accompagnement mis en place dans les
structures sanitaires, le directeur des ressources humaines d'un grand Centre
Hospitalier Universitaire rappelle à juste titre que : « On
n'est pas sur la même temporalité, sur les mêmes
activités, sur la même maturité quant à
l'intégration des nouvelles technologies dans la prise en charge des
patients. Là où [tel hôpital] était très en
avance sur l'intelligence artificielle, [tel hôpital] très en
retard, [tel hôpital] est à un stade intermédiaire avec la
volonté de mettre en place des outils et une capacité très
impressionnante à se développer au service des patients.
»48. L'accompagnement n'est donc de fait pas le même
d'un hôpital à un autre.
On ne peut pas développer un plan de
développement des compétences intégrant un accompagnement
spécifique lié à un projet d'établissement de
refonte des services d'accueil et administratifs par exemple sans prendre en
compte sa taille ou sa culture comme le rappelle Jérôme Carfantan,
coach agile, lorsqu'il nous parle d'agilité : «
L'agilité, ça ne fonctionne pas s'il n'y a pas un terrain
propice à cette culture de l'agilité. La culture de
l'agilité c'est l'entraide, le partage, l'exemplarité,
l'intelligence collective. Qui dit intelligence collective dit on se fait
confiance. On valide cette confiance par du feed-back régulier.
Ça c'est la culture, en quelques secondes, de l'agilité. Si le
terreau culturel de la structure n'est pas en ligne avec ça, on a un
problème. Traiter ce problème c'est faire du coaching de
dirigeant, je ne vois que ça. Tout le monde ne le fait pas.
Moi-même je ne le fais pas systématiquement. Si ce sont de petites
organisations, je peux le faire. Quand ce sont de grosses structures, je n'ai
peut-être pas le carnet d'adresse suffisant pour le faire. A terme,
j'arriverai peut-être y accéder. Le premier sujet, c'est donc
valider la culture et ce n'est pas le cas dans le milieu médical. C'est
peut-être par là qu'il faut commencer. Ensuite on peut commencer
à diffuser les pratiques. »49.
Les notions de strates hiérarchiques trop importantes
et d'acculturation nécessaire ressort effectivement de la
quasi-totalité des entretiens qui ont été menés et
ont un impact direct sur la manière dont les professionnels sont
accompagnés. Les DRH, que ce soit de CHU,
48 Annexe 4 : Interview DRH CHU
49 Interview Jérôme Carfantan, Auteur,
conférencier, coach agile - Annexe 14 : Interview professionnel
accompagnement Jérôme Carfantan
30
d'établissement de l'AP-HP, l'infirmière ou les
professionnels de l'accompagnement, tous l'ont noté. Pauline Cuisine,
infirmière à l'ESMPI (Établissement de Santé
Mentale Portes de l'Isère) parle même d'interdiction d'envoyer des
requêtes ou des informations directement à la direction des
ressources humaines : « Aujourd'hui, je ne peux pas contacter ma DRH.
Je n'ai pas le droit d'appeler ou d'envoyer un email à ma DRH. C'est
interdit. Si je le fais j'ai un avertissement. Avant on pouvait passer la porte
du DRH, dire bonjour et lui demander un CET par exemple. Maintenant il y a
:
- 1/ Une cadre de proximité - 2/ Un cadre
sup
- 3/ Une directrice des soins - 4/ La DRH
- 5/ La direction générale
J'ai une collègue qui au lieu de passer par la
cadre de proximité a envoyé sa lettre à la directrice des
soins et qui s'est pris un blâme pour ça. Elle a dû faire
une lettre d'excuse à la cadre pour lui dire qu'elle était
désolée de ne pas être passé par elle. Quand on en
est là, on est bien... ça me choque beaucoup de ne pas pouvoir
contacter la DRH, d'autant qu'on n'est pas chez Google, on est une fondation
locale, on est 50. Il y a trop de strates. Ça déshumanise. On
parlait tout à l'heure de communication et pour communiquer tu ne mets
pas 15 personnes au-dessus de toi et le même nombre de strates pour des
demandes simples. Ça donne l'impression que le but est qu'il n'y ait
justement pas de communication. »50
Nicolas Delmas, DRH de l'hôpital Bichat, par rapport
à ses propres expériences, précise que « dans le
secteur public, tout est très hiérarchisé, que ce soit
l'assemblée nationale avec les élus et les parlementaires,
à la cour de justice de l'union européenne et
particulièrement à l'hôpital. Les
contre-exemples existent néanmoins. »
Tous ont à coeur que les choses bougent et sont
eux-mêmes actifs pour les faire bouger en changeant leur manière
de communiquer où en se proposant comme référent sur des
projets clefs. Le directeur des ressources humaines d'un CHU (Centre
Hospitalier Universitaire) est arrivé sur un établissement
où la direction n'est pas située à l'hôpital mais en
centre-ville. « L'enjeu depuis que je suis arrivé est de
remettre tous les gens de la direction générale sur site, de leur
dire : " Maintenant vous allez travailler avec les vrais gens. Vous
arrêtez d'envoyer des mails et vous allez sur le terrain, expliquer,
rencontrer les cadres. " Ce n'était pas le cas avant. Notre
métier va donc être très impacté par ces nouveaux
outils qui vont nous permettre
50 Interview Pauline Cuisine, infirmière CMP de
Villefontaine - Annexe 11 : Interview PM/PNM Pauline Cuisine
31
d'être sur le terrain. ».51 Les
nouvelles technologies sont vues à juste titre par certains comme un
levier extraordinaire pour engager le changement par rapport aux nombreuses
défaillances de l'hôpital qui ont été mises en
exergue par le personnel soignant durant toutes les manifestions de ces
dernières années.
Certains établissements ont déjà mis en
place un accompagnement spécifique dans le cadre des groupements
hospitaliers de territoire. Là aussi tous ne sont pas logés
à la même enseigne et il en reste de nombreux dans lesquels rien
n'a été engagé en termes d'accompagnement. Quoiqu'il en
soit, les Directions des ressources humaines doivent continuer à mettre
en place des accompagnements spécifiques afin de créer un
sentiment d'appartenance au groupement hospitalier plutôt qu'au seul
établissement. Tout cela devra être fait en lien direct avec le
projet d'établissement pour donner un sens à tout cela. Adrien
Deudon, consultant en transformation digitale pour les hôpitaux,
l'énonce parfaitement : « L'accompagnement au changement c'est
comprendre d'où on part, savoir où on veut aller et accompagner
les professionnels à sauter d'une étape à l'autre du mieux
possible. Ce n'est pas non plus sans douleur mais c'est clair, cela a du sens,
c'est transparent pour tout le monde. C'est un accompagnement collectif.
»52
A côté de cela, il existe encore des services de
ressources humaines qui ne connaissent pas les projets de leur
établissement ni des services : « la RH nous a récemment
avoué qu'elle attribuait les formations avec un tableau Excel avec des
prix. Ça a pour conséquence que quand une infirmière est
dans l'unité depuis 4 ans et qu'elle demande à faire une
formation en médiation cognitive, la responsable des ressources humaines
refuse à cause du coût que cela représente alors que
l'unité veut faire de la médiation cognitive. Elle a conscience
que l'outil qu'elle utilise n'est pas adapté. »53
Que peut-on déduire d'un tel témoignage ? Que la remise en
question permanente, la connaissance du personnel, des projets de
l'établissement et la veille, non pas uniquement juridique comme
beaucoup auraient tendance à le penser mais également
technologique ne sont pas des options pour un service de ressources
humaines.
Aujourd'hui l'hôpital souffre d'un manque de moyen dans
l'accompagnement du processus de modernisation des établissements de
santé alors que l'accompagnement sur et avec les nouvelles
technologies va de pair avec les défis territoriaux et de
délégation de compétence.
51 Interview DRH CHU - Annexe 4 : Interview DRH CHU
52 Interview Adrien Deudon, Consultant en transformation
digitale, Jouve - Annexe 16 : Interview concepteur solution IA Adrien
Deudon
53 Interview Pauline Cuisine, infirmière CMP de
Villefontaine - Annexe 11 : Interview PM/PNM Pauline Cuisine
32
« Selon le premier « observatoire de la formation en
santé » présenté en décembre 2018 lors des
Assises nationales hospitalo-universitaires, 73 % des professionnels de
santé interrogés s'estiment mal formés en matière
de numérique, d'intelligence artificielle et de robotisation.
Ils sont presque 90 % à penser que les changements
apportés par ces technologies posent des questions en matière
d'éthique, qu'elles vont transformer leurs métiers et qu'elles
nécessitent de former mieux et plus souvent les acteurs de la
santé. Mais ils sont moins nombreux à penser que cela peut
améliorer les diagnostics (65 %) et la qualité des soins (48%).
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