2 - Les limites de la responsabilité des
opérateurs
Malgré ce système mis en place, et le
délai accorder, un opérateur ne pourra cependant fournir que les
données dont il dispose. En effet, lors d'une transaction commerciale,
le fournisseur délivrera les documents de traçabilité
externe concernant les produits de mer vendu, documents qu'il détiendra
de son propre fournisseur. Ainsi, au bout de la chaine de commercialisation un
détaillant pourra être l'operateur final de plusieurs
intermédiaires. Lors d'une inspection, cet opérateur devra
fournir, sous un délai de 24 heures les informations concernant
l'origine du lot. Cette exigence sera particulièrement difficile
à satisfaire s'il ne possède pas une documentation parfaite des
produits vendus. En effet, si un document s'avère incomplet, ou
manquant, l'opérateur demandera à son fournisseur de lui fournir
le complément d'information. Ce dernier aura peut-être la
nécessité de demander à son propre fournisseur, et ainsi
de suite jusqu'au point de débarquement ou d'importation du produit. Le
délai pour réunir ou corriger un défaut de
traçabilité peut s'avérer long, et largement
dépasser les heures allouées. Ainsi, l'operateur final devrait
vérifier systématiquement, lorsqu'il achète un lot, que
l'ensemble des informations de traçabilité externe accompagne
bien le lot en question. Cependant, le système tel qu'il est
actuellement organisé ressemble étroitement à la
traçabilité sanitaire. En effet, les opérateurs sont
dépendants de leurs fournisseurs quant à l'accès aux
informations de traçabilité et ne peuvent, en l'état
actuel des choses, remonter à l'origine du produit commercialisé
de façon immédiate. La traçabilité externe, telle
qu'elle est actuellement mise en oeuvre dans l'attente du système SALTO,
ne présente qu'une valeur ajouté minime au regard des objectifs
assignés par le règlement « contrôle ».
Pourtant, les obligations déclaratives imposées
aux producteurs, faisant l'objet d'un suivi très strict de par les
systèmes de surveillance électroniques (VMS, journal de
pêche électronique) mis en place ainsi que les objectifs de
contrôle imposés par la réglementation européenne et
le plan national de contrôle des pêches, ou aux importateurs dans
le cadre de la certification de captures, permettent de recueillir de
façon fiable l'intégralité des informations sur l'origine
des produits lors des débarquements. La difficulté principale
réside dans la division et la fusion de lots, surtout s'ils sont
accompagnés de supports documentaires qui se démultiplieront
autant de fois qu'il y aura de mélange ou division de lots. De plus les
applications informatiques liées aux activités de production ne
sont pas communicables ou ineffaçables avec l'application SALTO ce qui
générera donc un surcroit de
La traçabilité des produits de la mer
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travail de saisie informatique auprès des premiers
acheteurs et imposera aux producteurs de communiquer les informations de zone
et de date de capture en double, une pour saisie sur les applications
réglementaires électroniques à bord et une pour le premier
acheteur.
Cette complexité du marché de par sa taille et
le nombre d'intermédiaires ne parait pas pouvoir, de façon
fiable, permettre un retraçage rapide vers l'origine d'un lot sans
informatisation de l'ensemble des informations incrémentées tout
au long de la chaine. Aussi, la responsabilité des opérateurs
devient de fait, limitée aux éléments dont il peut avoir
accès. Malgré l'obligation de résultats
édictée par la règlementation européenne qui
incombe à ces opérateurs, si l'Etat membre est défaillant
dans la mise en place de moyens permettant de tracer l'origine des produits de
la mer commercialisés, les opérateurs incriminés ne
pourront être responsables de ces carences, sauf s'il s'agit d'une
tromperie volontaire de leur part.
Actuellement, seul le Thon Rouge, (thunnus thynnus) fait
l'objet d'une traçabilité externe élaborée. En
effet, cette espèce, pêchée sous l'égide de la
Commission internationale pour la conservation des thonidés de
l'Atlantique (ICCAT ou CICTA)94, ORGP dont l'ensemble des pays
commercialisant cette espèce en sont membres. Ainsi, conformément
aux recommandations de cette organisation, l'ensemble des thons rouges
commercialisés doit être accompagné d'un document de
capture, nommé « Bluefin Catch Document », obligation
également reprise dans un règlement européen95
spécifique, qui suit chaque lot et la division de ces lots jusqu'au
détaillant. Ainsi, il s'avère donc normalement possible de
remonter à tout moment l'origine du thon rouge vendu.
Cette particularité n'est évidemment pas
applicable à toutes les espèces car cela représenterait
non seulement une masse documentaire considérable, mais imposerait une
gestion mondiale de la traçabilité de contrôle même
si cette dernière évolution correspond à la volonté
affichée de la FAO. Ainsi, un étal de détaillant bien
achalandé devrait posséder plusieurs dizaines, voire centaines,
de documents de traçabilité externe des produits qu'il
commercialise ce qui parait très difficilement réalisable mais
qui pourtant est, dans l'attente de SALTO, la seule solution. Aussi, la
position Française, d'avoir acté dans une note, un
94 : Organisation intergouvernementale, crée en 1969 dont
le siège est à Madrid. (www.iccat.int)
95 : Règlement (CE) n° 302/2009 du conseil du
06/04/09 relatif à un plan pluriannuel de reconstitution des stocks de
thon rouge dans l'Atlantique Est et la Méditerranée
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système transitoire en attendant cette application
informatique, permet également à l'ensemble de la filière
de se concerter et de préparer la mise en place de cet outil de la
façon la plus efficace possible.
Cependant, dans l'attente des évolutions à
venir, l'absence ou la difficulté d'obtenir ces éléments
sur l'origine de la chose vendue peux générer des
difficultés importantes tant lors d'inspections que de commerce vers un
autre Etat membre.
3- La défaillance de la
traçabilité externe, un risque économique
réel.
Récemment, une entreprise française a obtenu un
marché italien concernant un lot de quelques tonnes de produits de la
mer. Ainsi, cette entreprise a expédié, via un transporteur
frigorifique, le lot commandé. Lors de l'arrivé de la cargaison
en Italie, une inspection de la marchandise a été
réalisée par les services sanitaires italiens. Ces derniers,
malgré le constat d'un bon état sanitaire et des
éléments de traçabilité interne parfaits, ont
bloqué ce lot car les mentions de traçabilité «
contrôle » étaient incomplètes. En effet, la
tolérance accordée par l'administration française
concernant la mise en place de la traçabilité externe n'a de
valeur que sur le marché français. Il aura donc fallu
l'intervention de la direction des pêches française auprès
du gouvernement Italien pour que ce lot soit débloqué.
Cette affaire a démontré les limites du
système actuellement mis en place et le manque d'harmonisation au sein
du territoire de l'Union pose de réels problèmes pouvant avoir un
impact négatif sur la filière commerciale des produits de la
mer.
En effet, tous les produits qui transitent sur le territoire
de l'Union doivent être traçables, mais si lors d'inspections les
produits commercialisés sont bloqués ou consignés, la
perte financière pour l'opérateur sera très importante. De
plus le risque de perte de parts de marché s'avère grandissant si
un exploitant ne peut expédier ses produits hors du sol national en
toute quiétude. La mise en place d'un système harmonisé
entre Etats membres s'avère donc nécessaire afin de ne pas
risquer de bloquer ou de dégrader le commerce de cette filière.
De plus, l'électronisation de cette traçabilité parait
indispensable du fait du nombre très important d'informations que
peuvent accompagner un lot. Le risque de surcoût de traitement de
l'information, du au temps nécessaire à la mise a disposition
actuelle des documents accompagnant les lots, est très
élevé. Ce qui a pour finalité
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d'augmenter les charges des operateurs alors que
paradoxalement cette traçabilité externe a vocation à
garantir une sécurité de la ressource pour assurer un
développement de l'économie liée aux produits de la
mer.
En outre, le risque de mise en oeuvre partielle ou
approximative des règles en matière de traçabilité
externe pourrait également générer des distorsions de
concurrence au sein même de l'Union Européenne car s'il existe une
inégalité d'application des règles et que cette
inégalité génère des surcouts pour certains
opérateurs, toute l'économie de production halieutique de l'Etat
membre ayant ce surcoût pourrait s'effondrer.
Actuellement, le système français de
contrôle de la filière de commercialisation des produits de la mer
est essentiellement basé sur la vérification des mentions
d'étiquetage et éventuellement de traçabilité
externe. En effet, les contrôles ciblés sur les espèces
halieutiques font partie de plans nationaux ou régionaux de
contrôle propre à chaque type de traçabilité ou de
commercialisation, il existe donc des plans de surveillance sanitaire, de
conformité à l'étiquetage ou des pêches. Les agents
de ces ministères étant plutôt spécialisés
dans leur domaine de compétence, ils auront pour objectif premier
l'application des contrôles édictés par leur direction et
collaboreront à l'atteinte des objectifs des plans des autres
directions.
Ainsi, la répartition des effectifs de contrôle
correspondra aux principaux centres d'intérêts des plans de
l'administration dont dépend l'unité de contrôle. Les
agents des Directions Départementales de la Protection des Populations
(DDPP), ayant pour direction de tutelle la DGAL ou la DGCCRF seront en premier
lieu focalisés sur les contrôles liés à l'aspect
sanitaire ou au respect du code de la consommation. Les agents des douanes,
sous l'autorité du ministère des finances, seront axés sur
la bonne validité des certificats de capture dans les postes
d'inspection frontaliers. Enfin, les agents du Dispositif de Contrôle et
de Surveillance (DCS) de la Direction des Affaires Maritimes seront
plutôt axés sur l`application des plans de contrôle des
pêches et notamment l'application de la traçabilité
externe.
Cependant, même si l'ensemble des inspecteurs
participent aux inspections sur cette traçabilité externe, les
enjeux liés à ces actions de contrôle ne peuvent pas
être perçus à l'identique des agents du DCS dont c'est le
coeur de métier. En effet, les notions d'épuisements des stocks
halieutiques, de lutte contre les pêches INN, de maintien de
l'activité socio-économique de la pêche ne seront pas
forcément les infractions recherchées par un inspecteur d'une
administration concourante à ces plans et qui exerce, par exemple,
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dans l'Est du territoire Français, à plusieurs
centaines de kilomètres de la mer. De plus, les agents
spécialisés dans ce domaine étant essentiellement
basés le long des départements littoraux, ils ne conduisent pas
d'inspection au sein du territoire national, exception faite des investigations
menées par le réseau INN de la DIRM NAMO qui, pour l'instant,
reste à l'échelle des régions Pays de Loire et
Bretagne.
Le risque économique de par le manque de
spécialisation des unités de contrôle est réel car
l'écoulement des produits issus de modes de productions illégaux
se feront sur des marchés de masse, de par la quantité vendue.
Ces marchés étant évidement proportionnels aux
populations, les grandes métropoles sont principalement les zones ou
l'écoulement de produits d'origine illégale se fera plus
facilement. Si ces métropole ne dispose pas d'un système
d'inspection spécialisé, ou si les systèmes en place ne
sont pas suffisamment formés, il sera aisé pour un
opérateur mal intentionné de commercialiser des produits
frauduleux. En effet, un inspecteur n'ayant pas une expertise
particulière à l'architecture du système de
traçabilité contrôle pourra facilement croire qu'une
absence de mention peut être un simple oubli, ou bien ne verra pas
forcément qu'une espèce présentée sur un
étal est commercialisée malgré une interdiction de
capture, un quota fermé ou provenant d'un état non
coopérant.
Le fait que la surveillance de la traçabilité
externe ne puisse se faire sans pouvoir vérifier immédiatement la
légalité de l'origine de la chose vendue, crée un risque
que des circuits frauduleux se pérennisent au détriment des
activités légales de production et de commercialisation.
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La traçabilité des produits de la mer
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Conclusion - Lutter contre la pêche illicite en se servant
de la traçabilité, une utopiste réalité.
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Etre en capacité de remonter à l'origine d'un
produit de la mer en partant de n'importe quel point de la filière
commerciale est en soit un objectif plébiscité par l'ensemble des
pays occidentaux et particulièrement par l'Union Européenne. Les
différentes réglementations, ainsi que les résolutions et
recommandations internationales, ont toutes comme objectif de vouloir
préserver les océans en luttant activement contre les
pêches Illicites, Non déclarées et Non
réglementées avec, pour action principale, de certifier l'origine
des captures. Sur le territoire européen, les règles en
matière de traçabilités externe existent mais se heurtent
à des difficultés importantes de mise en oeuvre de par la
complexité du marché et la différence des types de
gouvernance nationale.
Les pouvoirs alloués tant aux inspecteurs qu'au
système d'inspection peuvent permettre, de façon laborieuse
actuellement, le temps que cette réglementation se mette en place, de
remonter jusqu'à l'origine d'un produit. Mais le fait qu'il n'existe pas
de système identique dans chaque Etat Membre peut facilement poser des
problèmes de communication d'information de traçage entre ces
Etats.
Cependant cette origine ne pourra être que le point
d'entrée sur le territoire de l'Union. En effet les limites juridiques
des pouvoirs des Etats ne peuvent permettre d'enquêter sur un sol
étranger. Cela restreint donc les effets de cette
traçabilité comme outil de lutte contre les pêcheries
illicites car il ne sera que très difficilement possible de
vérifier l'origine d'un produit au delà des frontières de
l'Europe.
La traçabilité externe pourra surement
être le meilleur moyen de lutter contre les pêches illicites, si et
seulement si les règles en la matière deviennent internationales
et fassent l'objet, à l'identique de certaines pratiques maritimes
illicites, telle la piraterie, d'un traité ou accord international
permettant de mener des actions de contrôle sur tous les navires suspects
et offrant la possibilité de sanctionner lourdement ces pilleurs des
océans.
La traçabilité des produits de la mer
permet-elle de lutter contre les pêches INN ?
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