Déplacement des populations des zones en conflits et accès à l'état civil. Cas des enfants réfugiés centrafricains dans la région de l'est-Cameroun.par Théodore ENAMA AYISSI Université catholique de Louvain - Master en Sciences de la Population et du Développement, Option Développement 2019 |
III. PRÉSENTATION DU TERRAIN D'ÉTUDELes divisions administratives sont nées au Cameroun à partir du décret 61/DF du 15 au 20 octobre 1961. Puis, la révision constitutionnelle du 2 juin 1972 a créé sept provinces qu'on appelait aussi districts. Avant l'indépendance du pays, ce qu'on pourrait appeler ancien Cameroun sous protectorat de la France comptait cinq provinces : la province de l'Ouest, la province du Littoral, la province de l'Est, la province du Nord et la province du Centre-sud. Le nombre de ces provinces est passé au double le 22 août 1983 à la suite de la division de la province du Centre-Sud en province du centre et province du sud et celle du Nord en province de l'Extrême-Nord, province du Nord et province de l'Adamaoua. Cependant en 2008, le président Paul Biya a changé par décret l'appellation des « provinces ». Dès lors, les provinces du Cameroun ont gardé leur nombre mais sont désormais appelées « régions ». Cela à la suite du décret N°2008/376 du 12 novembre 2008 portant organisation administrative de la République du Cameroun. C'est dans cette perspective que la province de l'Est est devenue région de l'Est. Parler ainsi de cette région revient ici à faire une présentation sommaire et brève (A) et beaucoup plus s'atteler dans la présentation de la ville de Mandjou-centre (B) qui constitue le point géographique défini dans le cadre de cette étude. 20 A. La région de l'Est-Cameroun en bref.Située dans le Sud-Est du pays, la région de l'Est est l'une des dix régions que compte le Cameroun. Son chef-lieu est Bertoua. Cette région a pour frontière dans le pays les régions du Sud, de l'Adamaoua et du Centre. Avec l'extérieur du territoire camerounais, la région de l'Est est limitrophe à la République Centrafricaine et à la République du Congo au Sud. En plus d'être la région du Cameroun la plus vaste, la région de l'Est est couverte de forêt de type équatoriale. Appelée aussi région du soleil levant, la région de l'Est est une aire écologique dominée par les grands arbres. On y identifie près de 1500 essences végétales dont certaines sont entièrement ou partiellement protégées, ainsi que plus de 500 espèces animales qui peuplent surtout la réserve du Dja, déclarée Patrimoine Mondial de l'Humanité14. Ces atouts, nombreux et variés, prédisposent la région de l'Est à plusieurs formes de tourisme, notamment l'écotourisme, le tourisme cynégétique, le safari photo et l'aventure. La région de l'Est compte 5 à 6 aires protégées : le parc national de Deng, le parc national de la Lobéké, le parc national de Boumba Beck, le parc national de Nki et la réserve de biosphère du Dja, patrimoine mondial de l'UNESCO. Les parcs de la région de l'Est sont caractérisés par des clairières et des tours d'observation d'où on peut observer les animaux et les oiseaux tout en prenant des photos. Des images et prises de vue exceptionnelles s'offrent aux visiteurs dans les petites et grandes savanes notamment au parc national de Lobéké. En plus de cela, la région de l'Est dispose une position géographique favorable aux échanges économiques. De même, son sol est fertile. Les activités agricoles et pastorales sont propices du fait de son milieu physique et son climat. L'élevage n'est pas en reste car essentiellement pratiqué dans sa partie nord notamment dans les départements de la Kadey et du Lom-et-Djerem, tandis que les départements de la Boumba-et-Ngoko et du Haut-Nyong restent des zones de grande production agricole (café, cacao, tabac), et surtout d'exploitation forestière15. Bien que la région de l'Est-Cameroun recèle d'importantes potentialités, il faut paradoxalement noter que c'est l'une des régions du Cameroun qui accuse un important retard de 14 https://www.editions2015.com/cameroun/index.php/10-regions-formant-cameroun/region-de-lest/ consulté le 21 octobre 2019 à 18h14. 15 Pierre Kamdem, « Scolarisation et vulnérabilité : les enfants réfugiés centrafricains dans la région de l'Est-Cameroun », Espace populations sociétés [Online], 2016/3 | 2017, Online since 31 January 2017, connection on 22 October 2019. URL : http://journals.openedition.org/eps/7019 ; DOI : 10.4000/eps.7019 21 développement. « Cette situation est due à trois principaux maux dont souffre la région. D'abord le sous-peuplement : (...) l'Est reste la région ayant la plus faible densité malgré l'apport des immigrants (...). Ensuite la marginalité de la région en équipement modernes, ce qui a pour conséquence une difficile intégration des villages dans la vie moderne. Enfin la région est enclavée 16(...) ». Cet enclavement de la région a des répercussions sérieuses dans plusieurs aspects notamment l'enregistrement continu et permanent des caractéristiques de naissance au registre national de l'état civil. Administrativement, la région de l'Est-Cameroun compte quatre départements à savoir la Boumba-et-Ngoko qui a pour chef-lieu Yokadouma ; le Haut-Nyong qui a pour chef-lieu Abong-Mbang; la kadey qui a pour chef-lieu Batouri et le Lom-et-Djérem qui a pour chef-lieu Bertoua. La région de l'Est est peuplée, entre autres tribus, par les pygmées, premiers habitants de la région qui s'adonnent à la cueillette, au ramassage et à la chasse. Aimables et accueillants, ils ont su faire de leur environnement un cadre d'hospitalité visité par de nombreux touristes. En plus des pygmées, qui sont du groupe ethnique des Baka, la région de l'Est regorge d'autres groupes ethniques (conf. Photo1). Carte1 : région de l'Est-Cameroun et ses différents groupes ethniques. 16 ANGO MENGUE Samson, La province de l'Est du Cameroun : étude de géographie humaine / Samson Ango Mengue ; Mémoire ou thèse (version d'origine) sous la dir. de François Bart Directeur de thèse, Université Bordeaux Montaigne. Organisme de soutenance Date(s) : 2004, http://www.sudoc.abes.fr/DB=2.1//SRCH?IKT=12&TRM=079021913&COOKIE=U10178,Klecteurweb,I250,B341 720009-i-,SY,NLECTEUR-i-WEBOPC,D consulté le 21 octobre 2019 à 17h38. 22 Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9giondel%27Est(Cameroun) A l'image du Cameroun tout entier, la région de l'Est fait une part belle d'une diversité en termes de groupes ethniques. Ces groupes ethniques vivent tous de l'agriculture traditionnelle et de la chasse. Ce sont d'ailleurs leurs principales activités économiques. Bien que l'extraction du bois de construction reste une éventualité, il faut reconnaitre que les contraintes légales et surtout l'enclavement de la région en générale la rendent peu plausible. A ces populations autochtones s'ajoutent d'autres populations venant du reste du pays et des pays voisins. 23 B. La ville de Mandjou La ville de Mandjou s'étend sur une superficie de 8500 km2. Désignée autrefois comme étant la commune de Bertoua rurale, Mandjou s'est vue décerner l'autonomie de sa commune en avril 2007. C'est alors une des communes rurales les plus jeunes du Cameroun. Mandjou est une commune qui s'étend sur 109 km du Nord au Sud et d'Est. Et sur 53 km de l'Est à l'Ouest. Pour davantage mieux appréhender la ville de Mandjou, il nous semble pertinent de faire une présentation de son cadre administratif (1), socio-économique (2) et Démographique. 1. Le cadre administratif, humain et physique de la ville de Mandjou Comme l'ayant précédemment évoqué, c'est suite au Décret n°2007/115 du 23 avril 2007 portant création d'arrondissements au Cameroun que la ville de Mandjou est devenue un arrondissement. Cette ville d'arrondissement fait partie des six constituant le département du Lom-et-Djerem. A ce titre, elle a à sa tête administrative un Sous-préfet nommé par Décret présidentiel. Cette ville est « un espace carrefour, bénéficiant d'une position géographique favorable pour les échanges économiques ». En plus, d'avoir à son sein divers villages et quartiers, la ville de Mandjou a la particularité d'être administrée à la fois par les interventions directes de l'Etat et des organisations internationales. En effet la présence des organisations internationales dans cette ville se justifie par l'argument que « les localités telles que Mandjou I, Mandjou II, Bazzama, Letta et Boulembé qui concentrent la plus grande partie de la population, sont aussi celles où on retrouve le plus grand nombre de réfugiés tantôt installés dans des groupements avec les autochtones et affichant ainsi une probante intégration spatiale, tantôt à proximité de ceux-ci sous forme d'une cohabitation pacifique17». De ce qui précède, il est important de souligner que c'est à peu près depuis 2005 que se sont installées les populations réfugiés Centrafricaines dans la ville de Mandjou. Et leur prise en charge est effective grâce à l'UNHCR. Cependant si « les données collectées prouvent que ces 17 DAMME W. V. (1999), « Les réfugiés du Liberia et de Sierra Leone en Guinée forestière (1990-1996) » in V. Lassailly-Jacob, J.Y. Marchal, A. Quesnel (dir.), Déplacés et réfugiés La mobilité sous contraint, Paris, IRD éditions, pp. 343-381 Cité par Pierre Kamdem, « Scolarisation et vulnérabilité: les enfants réfugiés centrafricains dans la région de l'Est-Cameroun », Espace populations sociétés [En ligne], 2016/3 | 2017, mis en ligne le 31 janvier 2017, consulté le 27 octobre 2019. URL : http://journals.openedition.org/eps/7019 ; DOI : 10.4000/eps.7019 24 populations ont accès à l'éducation, aux soins de santé, aux infrastructures marchandes, hydrauliques et d'élevage », force est tout de même de constater que les aspects liés à l'enregistrement des naissances n'y figurent pas. Est-ce par leur non pertinence ? Serions-nous tentés de demander. La réponse nous sera donnée ultérieurement. Parlant toujours des réfugiés Centrafricains dans cette localité, il est à noter que leur présence est également bénéfique pour l'administration des besoins sociaux dans la ville de Mandjou. En titre illustratif, la construction des « deux forages publics de la petite agglomération de Mandjou est un des nombreux dons de l'UNHCR. Par ailleurs des écoles, centres de santé offerts ou aménagés par Première Urgence (PU) et toujours le UNHCR ». C'est d'ailleurs ce que peuvent attester les cartes suivantes. Cart2. Équipements en eau et salle de classe aux couleurs et logos du donateur, l'UNHCR Source : Pierre Kamdem-2011. Par ailleurs, avec à la fois un climat chaud et humide, la ville de Mandjou est arrosée de quatre saisons. Il s'agit en effet de deux saisons sèches et de deux saisons de pluies. Le réseau hydrographique ne comporte pas de grands cours d'eau. Il est constitué d'un ensemble de ruisseaux dont peu sont pérennes. Ils constituent d'importants affluents pour de grands cours d'eau (le Lom ou encore la Sanaga). Le couvert végétal étant constitué de savanes arborées, constitue une grande opportunité pour « les réfugiés qui arrivent de la RCA (car ces derniers) sont à majorité des Bororos qui pratiquent la transhumance. Ils se déplacent de manière 25 constante vers des zones éloignées à la recherche des meilleures conditions pour le pâturage18 ». Cependant, cette instabilité constante des Bororos d'un lieu à l'autre « empêche alors les communes à leur faire parvenir les aliments qu'elles ont souvent octroyés à leur faveur 19». Serait-il aussi le cas pour l'établissement des actes de naissances des enfants ? Nous y répondrons ultérieurement. 2. Aperçu socio-économique Selon des données municipales, la population de la ville de Mandjou serait évaluée à environ 50 000 habitants en 2012. Ces habitants sont inégalement répartis entre 25 villages et quartiers. Cette structuration territoriale entre villages et quartiers reflète sa trame mixte comprenant un centre urbain et un espace rural. Tableau 1 : Villages composant la localité de Mandjou Villages/ quartiers de la ville de Mandjou Bindia , Mandjou I , Mandjou II , Kouba , Adinkol , Gounté , Moïnam , Boulembe , Daïguene , Mboulaye I , Ndembo (Axe GB) , Grand Mboula , Koubou , Letta , Ndoumbe , Ndanga Ndengue, Bazzama I, Bazzama II, Ndembo , Ngamboula , Ndemnam , Sambi , Ndong Mbome , Kandara , Toungou. Source : Réalisé par nous-même sur base d'informations recueillies sur Wikipédia La localité regroupe de nombreuses communautés dont les trois principales sont les Gbaya, les Kako et les Bororos. Un examen socio-économique de la ville de Mandjou fait état de ce que les profils y relatifs de ces différentes communautés sont distincts. L'essentiel de l'activité économique semble être détenu par les Bororos tandis que les Gbaya et les Kako exercent des activités agricoles, artisanales et occupent subsidiairement des fonctions administratives ou relevant du service public. Le commerce vivrier est le fait des femmes Gbaya. Compte tenu de la place centrale de l'économie via le commerce dans les rapports sociétaux, les personnes qui exercent dans ce secteur dans le cas d'espèce principalement les Bororos, bénéficient 18 GAMBO, Les communes des borderlands camerounais face aux conséquences des conflits centrafricains de 1960 à 2013. Cas de Garoua Boulai, Ngaoui et Bertoua, Université de Ngaounderé-Cameroun - Master 2014 in https://www.memoireonline.com/09/19/10887/Les-communes-des-borderlands-camerounais-face-aux-consequences-des-conflits-centrafricains-de-1960.html 19 Idem. 26 d'excellents rapports avec les autorités. Ces rapports sont assimilés à du favoritisme par les Gbaya. Il s'agit là d'un élément important de l'antagonisme entre ces deux communautés. Il convient de noter néanmoins que ce problème semble mal posé ou du moins s'appuie sur des référents factuels faussés. En effet, l'activité économique semble globalement aux mains d'individus musulmans20. Ces derniers n'appartiennent pas tous au groupe Bororo. A ce niveau, l'économie ou plus précisément le marché du centre urbain de la ville de Mandjou devient également un lieu de déportation du conflit entre les deux groupes. En effet, les commerçants Bororos sont souvent accusés d'attitudes violentes vis-à-vis des femmes Gbaya, vendeuses de produits vivriers sur les marchés. |
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