Chapitre II
Synthèse de littérature
Section I : La quête de nouvelles
stratégies
La période 1970-1980 a été
caractérisée par une période de forte croissance
Economique (5,74%), cela était dû grâce au secteur de
service qui contribuait à 38% au Produit Intérieur Brut(PIB), le
secteur secondaire qui contribuait à 44%, et le secteur agricole
à 44%. La période 1980-1990 peut être scindée en
deux : en premier lieu une forte baisse en 1980 et 1982, deuxièmement,
une stagnation de 1982 à 1990, le taux de croissance enregistré
de 1982 à 1986 s'élève à 0,24%. Cette baisse est
assimilée au choc subi par le café sur le marché
international et aux troubles socio-économiques et politiques de
1986.
La sous période 1990-2005 a été
caractérisée sur le plan politique par divers
évènements non sans conséquences sur la production en
Haïti. Le coup d'Etat de 1991 a entrainé un embargo sur le pays,
les différents cyclones, les évènements d'avant et
d'après le départ du président Aristide, tous ont
contribué à la détérioration du pays
(12).
12. Manuel statistique des nations unis, 1994
En 1954 le pays comptait 3, 500,000 individus pour une
population active de 1, 288,000 habitants. 77,4% de la population active
travaillant dans le secteur agricole. Presque toute l'activité
économique reposait sur l'agriculture.
Maintenant avec la libéralisation du marché en
1986, l'économie Haïtienne va chuter, l'agriculture moteur de
l'économie va être négligée puisque l'importation
substitue à l'exportation, les agriculteurs vont tourner le dos vers
l'agriculture. Cela va déboucher sur le phénomène de
migration où tout le monde tend à aller vers les villes. Arriver
dans les villes, la vie n'est pas meilleure, on fait face à beaucoup
plus d'exigences.
Et comme dans le pays l'agriculture se fait de manière
archaïque, et que la terre ne produit plus comme auparavant, les
négligent alors de travailler la terre. Or, Haïti est un pays
agricole. Un développement de l'économie nationale doit donc se
baser principalement sur l'agriculture. Haïti est un pays essentiellement
agricole, et cependant il ne peut même pas subvenir aux besoins
alimentaires de ses habitants. Une grande quantité de produits
alimentaires provient de l'étranger et cela en dépit du fait
qu'environ 80% de la population active s'adonne aux travaux de la terre. Nous
devons travailler à mettre fin à cette alarmante situation si
nous aspirons vraiment au progrès économique (13).
A) Le souci de survivre des gens
« Depuis toujours, la ville et les classes
dirigeantes ont voulu maintenir le peuple des campagnes dans ses villages
», écrit Henri Mendras. « Fixer le paysan à la
glèbe », renchérit Jean Paul Sartre. Donc enfermer le
paysan dans la condition paysanne. C'est que l'émigration urbaine des
paysans n'est ni innocente ni inoffensive. Elle n'est pas sans relation avec la
structure verticale des groupes sociaux. L'espace urbain, espace
privilégié et prestigieux, est l'enjeu d'une lutte de
conquête. Les petits paysans, pleins d'espoir et d'illusion,
l'envahissent. Car le niveau et la qualité de la vie y sont,
pensent-ils, meilleurs. Les citadins tentent de les refouler de cette
chasse-gardée sous prétexte que les ruraux ruralisent,
c'est-à-dire dégradent les choses urbaines. D'ailleurs, le paysan
enraciné dans ses montagnes et enfermé dans univers culturel
semble moins menaçant que le prolétaire urbain sans feu ni
lieu.
Cette volonté de refoulement se heurte au mouvement
d'urbanisation qui est « take off », décollage, rupture.
Rupture vers une société autre, à la poursuite d'un autre
genre de vie, d'un autre niveau de vie.
Comment voir ce mouvement d'urbanisation ? Quel en est
l'impact sur l'étudiant haïtien ? Quel retournement de son esprit,
quelle mutation de sa personnalité opère-t-il ?
À l'heure de l'explosion urbaine du Tiers monde, la
société haïtienne se présente comme une
société rurale en cours d'urbanisation. Une société
ou un paysannat largement majoritaire pèse de tout son poids sur la vie
économique, politique et culturelle de la nation. Haïti est le pays
le plus paysan et, corrélativement, le plus famélique de
l'Amérique latine. Son retard économique va de pair avec le
retard de l'urbanisation. Son hyperruralité est unique dans la
région caraïbéenne, comme y est unique son bas niveau de
vie.
Idéalisé et maltraité : tel est le
paradoxe du sort fait à ce paysan pléthorique qu'est le paysan
haïtien. Tel est le double jeu dont il est victime. Bloqué au bas
de l'échelle économique, il est porté aux nues dans les
discours officiels. Désavantagé dans la pratique sociale, il est
privilégié dans l'idéologie nationale. Comme
l'idéalisation du pauvre au Moyen Âge, la mystique
indigéniste haïtienne affuble d'une auréole une
catégorie en guenilles. C'est en janvier 1982 que le professeur Leslie
Manigat, président d'Haïti de février à juin 1988,
déclarait au journal guadeloupéen Jakata : « Le paysan
haïtien, c'est l'âme haïtienne. Le paysan haïtien, c'est
l'indépendance nationale. Le paysan haïtien, c'est la nation
haïtienne. Tout le reste est superstructure. Tout le reste est
artificialité. Tout le reste est superficialité. Le paysan
haïtien, c'est l'Haïtien. »
Voilà l'Haïtien identifié à son
moment rural dans une Amérique qui s'urbanise. Ce qui est frappant dans
cette définition statique, c'est la consécration d'une
étape transitoire en idéal. C'est la dévalorisation de
la
13. JOSEPH DÉJOIE HAITI ET LE DÉVELOPPMENT
22
civilisation technique et de ses produits artificiels. C'est
la confusion de l'Haïtien avec l'ancien Haïtien. Cette vision inerte
de l'homme haïtien a un effet idéologique conservateur
(14).
î) Le phénomène de l'exode
rural
Malgré ce barrage, l'émigration rurale
haïtienne rejoint un mouvement mondial d'urbanisation défini comme
concentration des populations dans les villes. Une ville se définit non
par son degré d'urbanisme mais par un critère statistique. On
estime que vers l'an 2000, la moitié de la population mondiale habitera
dans des villes de plus 20 000 habitants et que vers 2050, 90% des hommes
seront des citadins.
La société haïtienne aussi est en train de
sortir du monde rural dominé par le problème agraire et celui de
la possession de la terre. Les statistiques de croissance de la population
urbaine depuis 1960 l'indiquent : elle transite vers le monde urbain
dominé par la question de l'emploi et du chômage. Cette
transition, lente et tardive en comparaison avec les voisins
latino-américains, s'opère avec un cortège de maux : faim,
ruine et dépossession des paysans, bidonvilles. Processus violent et
douloureux accompli sous la dynamique de l'appauvrissement du paysan. Dynamique
de la dépendance décrite dès 1847 dans le Manifeste
où Karl Marx montre la ville prédatrice dominant la campagne
et y prélevant un lourd tribut en biens pour son alimentation et en
hommes par l'émigration. C'est par ce genre de crises, par cette
dynamique de l'insatisfaction, que le monde capitaliste bascule dans la
civilisation urbaine. Île géographique, Haïti n'est pas une
île sociologique. Ce pays n'est pas isolé du monde et du devenir
du monde qui amène 80% de la population mondiale à vivre, d'ici
le siècle prochain, en ville. Tout se passe comme si l'humanité
change d'habitat et, allant du côté où elle croit pencher
la balance de la prospérité, déménage du rural
à l'urbain.
En marge de ce mouvement, stagne, dans la misère
rurale, un paysannat « authentique » dont le pourcentage sert de
critère du sous-développement. À ceci, le professeur
Sauveur Pierre Etienne ajoute ce qui suit : « Alors que la grande
majorité des Haïtiennes et Haïtiens vivent en milieu rural,
11% seulement bénéficient de services sanitaires ; 10% ont
accès à l'eau potable ; moins de 5% des écoles publiques
fondamentales sont installées dans les zones rurales et 0,1% des
fonctionnaires de l'État travaillent dans les sections communales. Le
milieu rural est quasiment abandonné par l'État. Cela provoque le
dépeuplement accéléré des sections communales et
une urbanisation sauvage due à la concentration dans l'espace urbain des
activités économiques, commerciales et administratives. En effet,
le pourcentage de la population urbaine est passé de 25% au recensement
de 1982 à 48% en 2009, dans l'ensemble du pays.
La paysannerie constitue encore le secteur majoritaire de la
population et, partant, la force la plus dynamique de la société.
Elle contribue à raison de 25% dans la production de la richesse
nationale. Aussi doit-elle bénéficier de tous les appuis
nécessaires pour son organisation, sa mobilisation constante, en vue de
la réhabilitation du milieu ambiant permettant la réalisation
d'oeuvres sociales ou de travaux d'infrastructures. Des actions pertinentes
seront entreprises pour l'amélioration des conditions matérielles
d'existence de la paysannerie et son épanouissement légitime. En
d'autres termes, la modernisation du monde rural est l'une des priorités
et des exigences incontournables devant faciliter l'émergence de la
NOUVELLE HAÏTI»
ii) La croissance démographique
continuelle
Ce mouvement démographique est l'aspect quantitatif
d'un mouvement culturel. La culture est ce que l'homme ajoute à la
nature. La notion philosophique de travail signifie l'action de transformation
de la nature. La mesure du progrès de l'homme, c'est sa capacité
de modifier la nature, de fabriquer de l'artificiel. Grâce au
progrès technique, l'homme corrige et améliore la nature en
fabriquant ces produits artificiels que sont, par exemple, le savon de toilette
et le déodorant. Ce progrès technique est le moteur du
progrès économique et son lieu c'est la ville. La ville avec sa
puissance d'attraction qui arrache les paysans des campagnes et les peuples
sous-développés de leurs pays agricoles. L'urbanisation ouvre une
ère nouvelle. L'ère urbaine du déclin du petit paysan, de
l'agriculture à la houe, de la culture rurale. Bref l'ère de la
folklorisation de la société traditionnelle de l'ancien
Haïtien. L'urbanisation promet l'ère
14 . Sociologie perspective d'Haïti, Claude
Souffrant, LES ÉDITIONS CIDIHCA, imprimé au Canada, Novembre
1995, pp 46-48.
23
15 . Ibid. : pp 48-51
industrielle du recul du naturel en matière de
production et de reproduction, de l'agro-industrie, des produits alimentaires
de substitution.
Cette urbanisation passe par le bidonville. Cité de la
faim, le bidonville est cependant, en plus d'un sens, cité de transit.
Transition surtout culturelle de la pauvreté résignée
à la pauvreté revendicative. Dans le bidonville s'amorce une
dialectique des aspirations et des frustrations des masses. Dialectique
redoutable pour le système social qui leur refuse le pain quotidien.
C'est fait même du déracinement et de la transplantation du paysan
en bidonville, en un milieu culturel autre, aux marges d'un milieu
économique plus favorisés qu'il peut concevoir un autre
état de choses et déclarer intolérable son état
antérieur. Cette acculturation urbaine amène l'émergence
d'aspirations à un autre niveau de vie, à une autre
qualité de vie, aspirations qui attisent les revendications
populaires.
Ainsi donc le changement du rural à l'urbain est
ambigu. Dans de tragiques conditions d'exode rural préindustriel
apparaît, en Haïti, une réalité nouvelle, la
réalité urbaine. Avec son contexte différent, avec ses
effets de transformation, l'urbanisation fonctionne comme une fenêtre qui
s'ouvre dans le ghetto vert qu'est le monde rural. Comme un moyen d'insertion
dans autre univers culturel, celui-là même où vivront, vers
l'an 2000, près de la moitié de la population mondiale.
De là une vision elle aussi ambiguë de
l'urbanisation haïtienne. Vision tragique proposée par Hubert de
Ronceray qui perçoit les douleurs qui accompagnent l'urbanisation comme
celles d'une agonie. Au contraire, vision dialectique chère à
Jacques Stephen Alexis qui tient ces douleurs par les affres d'une parturition
à nouvelle étape de l'histoire (15).
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