3. Les universitaires gabonais et le fait
nationalitaire.
Référence d'abord à Fidèle-Pierre
Nze Nguema, avec sa sociologie historique de l'Etat au Gabon. Sa prise de vue
de la question ethnique porte essentiellement à analyser l'ordre social
au prisme des équilibres régionaux, à travers le
recrutement et la nomination du personnel des ressources humaines dans l'Etat
et les partis politiques. Comme Bayart dans L'Illusion
63 Puisqu'Amselle entre autres affirme que «
Les ethnies ne procèdent que de l'action du colonisateur qui, dans sa
volonté de territorialiser le continent africain, a
découpé des entités ethniques qui ont été
elles-mêmes ensuite réappropriées par les populations
».
64 Amselle, op.cit. p. 140.
65 GEMDEV, Les Avatars de l'Etat en Afrique,
Paris, Karthala, 1997, p. 328.
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identitaire, il s'ensuit, la génération
des identités « politisées ». Son analyse se forge en
l'occurrence autour du concept de « régionalocratie », en
marge de la rationalité bureaucratique au sens wébérien du
terme.
Bien qu'il aborde succinctement la causalité
rétrospective dans ses analyses, la délimitation dans le temps de
l'oeuvre, en l'occurrence de 1929 à 1990, n'est cependant pas dans le
cadre de notre analyse suffisamment pertinente du manifeste de l'ethnie dans
l'Etat postcolonial au Gabon. Ce travail connexe certes, est une ressource
importante dans les rapports plurielles avec notre thématique sont
développés infra. « Il s'agit donc de
communautés humaines qui échappent à toutes forme de
structure formel... »66.
Formalité et/ou informalité
dans les nominations politico-administratives ; telle est le modèle
d'intelligibilité que propose Fortuné Matsiegui Mboula, dans la
corrélation qu'il établit entre l'Etat et le
tribalo-régionalisme au Gabon. Son intérêt porte
également sur la gestion politique des ressources humaines dans
l'administration publique et la gestion des ressources humaines politiques ;
deux variables inextricablement liés dont le cordon ombilical pointe
l'ethnicité au coeur67.
Aussi, la thèse de Jean Ferdinand Mbah postule que le
tribalisme est l'idéologie de la bourgeoisie politique qui, en
intervenant dans le champ politique, freine le processus d'émergence de
la conscience de classe, en maintenant dans les consciences le fait
d'appartenance ethnique. Le tribalisme est un alibi idéologique qui
empêche la prise de conscience des classes dominées afin
d'éviter la lutte des classes inévitable dans le mouvement
historique des sociétés (modes de production) selon la tradition
marxiste68. Point de vue partagé par Jean Ziégler, qui
écrit que les « complots, insurrections, coups d'Etat et
assassinats politiques (...) procèdent d'un phénomène
commun : la lutte des classes antagonistes pour le contrôle de l'Etat et
du pouvoir »69.
La transposition mécanique de certains chercheurs
africains et africanistes des théories décontextualisées
de leur cadre empirique de gestation et de leur application sur les terrains
africains, à part entière, sont d'un simplisme qui pour Jean
Copans procède autant des logiques
66 F.P. Nze-Nguema, Op.cit., p.55.
67 F. Matsiegui Mboula, Op.cit.
68 Jean Ferdinand Mbah, Le tribalisme,
adaptation et/ou survivance de l'idéologie dominante au Gabon,
Thèse de Doctorat 3ème Cycle, Paris V, 1979.
69 J. Ziegler, Sociologie de la nouvelle
Afrique, paris, Gallimard, coll. « idées nrf
»1964, p.12. « La lutte des classes en Afrique » fait
d'ailleurs l'objet de tout une partie de cet ouvrage. Cf. pp.9-49.
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de « manque de familiarité et/ou de
l'incompétence linguistique des chercheurs étrangers
»70. Nous nous contenterons à l'encontre de Mbah et de
Ziegler, de questionner la pertinence et l'opérationnalité du
concept de classe dans le contexte gabonais.
Aussi, Lukacs fit-il remarquer que « c'est un malheur
pour la théorie, comme la praxis du prolétariat, que l'oeuvre
principale de Marx s'arrête juste au moment où elle aborde la
détermination des classes. »71 En effet, Le Livre III
inachevé du Capital s'interrompt avec le chapitre 52 qui devait
lui être consacré, laissant ainsi libre cours à
l'exégèse, qui n'a jamais cessé de mobiliser « le
jeune Marx » contre « le Marx de la maturité », les
textes politiques contre les textes économiques, etc. L'on peut
dès lors questionner la pertinence d'une analyse « classiste »
alors que Ziegler, lui-même, titre un chapitre de son ouvrage «
l'absence d'un prolétariat africain ».
Enfin, référence indirecte peut-être par
rapport à notre travail, mais à évoquer. Adrien Ondo
Essono, étudie le nom dans sa liaison avec la stratification et la
mobilité sociale au Gabon72. L'analogie de ses travaux
à notre objet est rendue possible par l'expression de la
nationalité dans le nom, car l'identité a un nom et le nom a une
identité. Et si le nom se rapporte aux origines, à une
communauté, son identité consiste à promouvoir la
subjectivation d'une nationalité.
L'ensemble de ces théories serviront tour à tour
de référence à notre étude sur le discours
nationalitaire, par des confrontations avec l'empirie. Nous y reviendrons donc
dans l'optique d'une mise en perspective de leur lecture, dans la suite de
notre travail.
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