Partie préliminaire : PREALABLES
EPISTEMOLOGIQUES ET METHODOLOGIQUES
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SECTION I : Objet et champ de l'étude
1. Le discours nationalitaire comme objet
d'étude
Evoquer le discours sur la nationalité
nécessite, a priori, une réflexion liminaire sur le
substrat qui fonde ce discours, comme d'ailleurs nous l'impose
l'historicité de l'ethnicité que nous envisageons à
travers la perspective dynamique de ce travail. En effet, le discours
nationalitaire se fonde sur le concept de nation, et/ou la notion
d'ethnicité.
De façon générale, l'ethnicité est
une notion ambiguë. Il est donc essentiel de le définir clairement
et précisément, pour montrer sa pertinence heuristique et
éviter qu'elle serve de paravent à tous les amalgames. Lato
sensu, on peut définir l'identité ethnique comme «...la
conscience d'appartenance à un groupe qui se singularise par des
pratiques culturelles spécifiques et qui, considérant que cette
différence est niée, voit dans les luttes à tous les
niveaux une possibilité de déboucher, à terme, sur une
société autre où ces différences seraient reconnues
»10.
Etymologiquement, la notion d'ethnie vient du Grec Ethnos
et se traduit ad litteram par « peuple » ou «
nation ». C'est pourquoi, tout en ayant une «
préférence » pour le concept de nationalité
proposé par Nze-Nguema, nous admettrons, sans illusion, les allusions
à la notion d'ethnicité, car ils ont en partage, non seulement le
rhizome étymologique, mais aussi des homologies structurales que nous
développerons infra.
Que l'on évoque l'un ou l'autre concept, l'acception
générique désigne un groupement humain unit par des traits
de caractère commun et des éléments de
différenciation avec l'altérité. Cette singularité
consiste généralement entre autres, en la langue, la culture,
l'origine, et l'histoire, etc. Selon les auteurs, quatre indicateurs, dans la
structuration de l'identité ethnique permettent d'en rendre compte. Il
s'agit en l'occurrence de l'attribution catégorielle, la notion
de frontière (ou de limite), l'origine commune et la
saillance11.
Le premier élément est l'attribution
catégorielle parce que l'identité ethnique est une structure
hétérogène qui se construit dans la relation entre la
catégorisation par les autres et l'identification à un groupe
particulier.
10 D. Fabre « Les minorités nationales
en pays industrialisés », in L'anthropologie en
France. Situation actuelle et avenir, (sous la dir.
Condominas et Dreyfus-Gamelon), Paris, Ed. du CNRS, 1979, p. 293
11 Lire G. Ferréol, G. Jucquois (Dir),
Dictionnaire de l'altérité et des relations
interculturelles. Paris, Armand
Colin, coll. « Dictionnaire », 2005, P. 126.
Le deuxième élément, la notion de
frontière, réalise la fonction de la
différenciation : d'une part, l'identité ethnique ne peut exister
sans séparation avec des non-membres, sans référence
à une altérité et d'autre part, la pérennité
des groupes tient à l'existence de ces frontières,
indépendamment des changements au sein de la culture.
L'origine commune est la troisième composante.
Il s'agit : de la langue, du territoire, de la religion, de la couleur, tous
ces éléments sont naturalisés par l'idée d'une
origine commune.
La notion de saillance enfin, rend compte
des processus par lesquels l'ethnicité est mise en relief dans
l'interaction. Elle sous-entend qu'il existe d'autres modes d'identification
possible, d'autres « cercles d'appartenance ». Un individu peut
mettre en avant l'un ou l'autre mode selon la situation dans laquelle il est
placé. S'il choisit de valoriser son identité ethnique, il pourra
utiliser ses caractéristiques distinctives, son aspect extérieur
(vêtement particulier, port de barbe etc.). Par ces
caractéristiques, l'individu exprimera solidarité ou distance
sociale, ou encore il cherchera à recueillir des avantages.
Saillance qui doit d'ailleurs beaucoup à N. Poulantzas
et à son concept de conjoncture en tant qu' « objet
spécifique de la pratique politique (...) et lieu
privilégié où se réfléchit
l'individualité historique toujours singulière d'une formation
sociale »12.
Le contour par cette digression nous permet de
présenter proprement notre objet d'étude, avant de plancher sur
les tentatives de réponses. Notre propos introductif proposait en
lecture, plusieurs illustrations du discours nationalitaire. Une sociologie du
discours nationalitaire est autant une sociologie des représentations
que les acteurs se font de la nation, sur les structures et les enjeux aussi,
qui promeuvent ce discours.
Nous voulons comprendre ici, et expliquer comment fonctionne
le discours nationalitaire. Sur quel substrat le discours nationalitaire
puise-t-il son contenu ?
L'identité désigne lato sensu, la
conscience que les acteurs ont d'appartenir à un groupe humain
différent des autres et de s'en revendiquer. Cependant, la
non-réalité13 qui la sous-tend, et le fait qu'elle
n'ait «pas de nature, mais seulement des usages»14 ,
induisent d'en appréhender
12 N. Poulantzas, Pouvoirs politique et classes
sociales de l'état capitaliste, Paris, Maspero, 1968. P. 99.
13 S. Amin, La faillite du développement en
Afrique et dans le tiers monde, Paris, L'Harmattan, 1989, p.144.
14 B. Lepetit, « Histoire des
pratiques, pratique de l'histoire », dans Les Formes de
l'expérience. Une autre histoire sociale, B. Lepetit
(dir.) Paris, 1995. P.39.
15
essentiellement, les manifestations, à travers, le
discours des acteurs, car ses effets seuls sont tangibles15.
Nous entendons donc par l'identité nationale, une forme
d'identité collective, orientée vers le passé que se
représente la mémoire collective, une histoire mythique ou du
moins légendaire dans laquelle certains souvenirs deviennent des
symboles de ces significations imaginaires sociales.
Quant au discours nationalitaire, tel qu'identifié au
Gabon et eu égard à ce qui précède, c'est
un discours sur l'identité, fondé sur un substrat
socio-historique dont les références à des contenus
mythiques et/ou idéologiques consistent, soit à majorer sa
nationalité, soit à péjorer celle de
l'altérité. Le discours nationalitaire est une production sociale
qui résulte d'une distinction d'ordre symbolique dont la finalité
est de permettre une valorisation, parce qu'elle a des intérêts
économiques, politiques ou des bénéfices psychologiques,
entre autres.
Le présent propos s'attache à rendre compte de
l'évolution sur la longue durée historique du discours sur la
nationalité. Il consiste essentiellement à analyser de
façon descriptive, l'évolution du discours sur l'identité
nationale au Gabon. Discours qui implique l'ethnie, entant que forme
élémentaire d'organisation politique mais aussi l'Etat entant
structure politique moderne.
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