Conclusion générale
Au terme de cette analyse, il convient de
réitérer la problématique au centre de notre objet
d'étude intitulé « Dynamique du discours
nationalitaire ». Il se pose, dans ce travail, le problème
de cohésion sociale dont l'expression populaire est consacrée par
le tiers symbolique du nationalisme au Gabon : « Gabon d'abord ».
Notre intérêt a donc porté sur l'évolution du
discours à travers la longue durée historique. Il nous a ainsi
été donné de lire les velléités pouvoiristes
qui définissent le discours identitaires comme stratégie. Comment
saisir la dynamique du discours nationalitaire au Gabon ?
Dans l'optique de saisir l'intelligibilité des
représentations nationalitaires des individus, sous le prisme du
discours, nous avons formulé, une double hypothèse en une. En
effet, l'empirisme d'une archéologie de l'ethnicité met à
giorno, l'homo ethnicus, comme réalité
universelle alors la notion bourdieusienne d'habitus consacre la
dynamique du discours nationalitaire. Notre argumentaire, organisé
autour de cette double hypothèse a consisté en une planification
binaire. En effet, deux parties principales organisent notre travail.
En quête des propriétés sociohistoriques
du discours nationalitaire, il s'est agi dans un premier temps, d'une
causalité rétrospective dont l'intérêt majeur se
saisit au gré des prémisses structuro-nationalitaires qui ont
dessinés les frontières cosmogoniques, idéologiques des
peuples africains et outre atlantique. Les formes élémentaires
d'organisation politique, dont la nation (ethnos) ou plus
précisément l'ethnie constitue la base, consacre une
théorie de l'homo ethnicus. L'ethnie se structure d'abord
autour d'une communauté de destin. Ensuite, le caractère
universel des ethnocentrismes et la fonction classificatoire des ethnonymes
consacrent la singularité inhérente à chaque peuple.
Cependant, la dynamique du discours nationalitaire porte aussi
sur la période hautement marquante de la colonie et son
extrémisme de la différence. Les développements
idéologiques introduits par les anthropologues dont les récits
évoquent fallacieusement, l'existence d'une race supérieure et
d'une autre inférieure, auront des conséquences très
prononcées sur les représentations des acteurs sociaux au
Gabon.
L'oeuvre de la colonie s'accompagne en effet, de
l'idéologie de la race. La légitimation de la conquête
coloniale se fonde sur le darwinisme social. La période coloniale va
juxtaposer selon la formule d'Albert Memmi, le double portrait
colonisé/colonisateur.
128
Par ailleurs, une approche géographique met en exergue
le passage des frontières naturelles précoloniales à la
division coloniale de l'Afrique. Les estimations relatives aux
frontières africaines indiquent environ 70 % d'entre elles, telles qu'on
les connaît aujourd'hui furent définies sans concertation avec les
populations concernées, entre la conférence de Berlin et la fin
de la première décennie du XXe siècle. Les liaisons
dangereuses entre ce découpage colonial et les problématiques
actuelles, relatives à l'ethnicité en l'Afrique, sont
tributaires, non seulement du sceau des rivalités et des
intérêts des anciennes puissances coloniales, mais aussi de
l'arbitraire dans le procès de séparation et de rapprochements,
respectivement des peuples amis et des peuples opposés.
Le second grand point de notre travail consiste à ce
que nous avons nommé, la métamorphose de l'ethnicité. Il
s'organise par une double temporalité qui intègre la postcolonie
et la contemporanéité. S'agissant de la postcolonie, une mise en
perspective de l'héritage du colonialisme, entant qu'entreprise
civilisatrice, envisagée corrélativement avec l'imposition de
l'État moderne, nous a donné à juxtaposer le nationalisme
au multiculturalisme. La fabrication d'une identité nationale par
l'homogénéisation des différences va se poser comme
défi majeur des jeunes démocraties africaines. La
préexistence et la prééminence de l'ethnicité sur
le colonialisme, rendra improbable la construction d'une identité
nationale. Les populations y résisteront et opposeront pour cela
différentes attitudes face à l'État. Cette
réfraction des acteurs est une autodéfinition de ces derniers, en
référence à cet héritage qui imbrique, l'essence
même de la distinction dans la précolonie et l'expérience
coloniale de la hiérarchie des races. L'intelligibilité de cette
posture répond à une convocation bourdieusienne de la
théorie de l'habitus, dont l'hystérésis explique que la
conservation, dans une large mesure, des dispositions, même si elles sont
devenues inadaptées suite par exemple à une évolution
historique (révolutions, crises, etc.) ayant fait disparaître le
monde ambiant originel. Ainsi, la postcolonie africaine et la
compétition pour le pouvoir exacerbée, la mobilisation ethnique
s'avère être l'instrument privilégié des acteurs
engagés dans cette lutte, parce qu'elle fait sens, qu'elle est
opérationnelle et facilement manipulable.
La chute de notre travail de recherche problématise,
dans un ultime chapitre, la dynamique de la gabonité sous le prisme des
identités mondialisées. Bourdieu écrit que les
dispositions constitutives de l'habitus sont, non seulement durables, mais
aussi transposables. Autrement dit, les dispositions acquises dans une certaine
activité sociale sont transposées dans une autre activité.
Dans notre cadre, il s'agit d'entrevoir l'actualité de la
nationalité par rapport
129
à l'historicité de cette catégorie.
C'est-à-dire, les dispositions acquises pendant la socialisation et
ayant engendrées des habitus ethniques, peuvent être
transférées dans une activité sociale différente de
celle du champ de leur engendrement.
Ainsi, nous est-il donné, d'observer selon les cas, les
déclinaisons d'une gabonité légale et d'une autre
légitime. La mise en crise de la gabonité, tel que
l'expérience nous démontre, consiste à analyser, à
l'épreuve du droit, les logiques sous-jacentes à ce qu'on peut
nommer, le doute sur l'identité d'un Président de la
république et la pertinence des considérations classiques de
l'ethnicité, c'est-à-dire, la territorialité, la
consanguinité et l'utérinité, la langue et le
patronyme.
L'acquisition de la nationalité gabonaise est
régie par la loi n° 37/98 du 20 juillet 1999, portant Code de la
nationalité gabonaise, et le décret n° 767/PR/MJGS du 16
octobre 2002 portant application de certaines dispositions du Code de la
nationalité. Les dispositions relatives à cette loi sous-tendent
le caractère légal de la nationalité gabonaise. Cependant,
une revalorisation du discours commun, à travers les questionnements
à l'instar de « Qui est Gabonais ? », « Qui est plus
Gabonais que qui ? », « Gabonais de naissance », « Gabonais
d'origine étrangère », « Gabonais d'adoption »,
« Gabonais 100% », « il est café au lait », «
on n'est tous Gabonais », «...de naissance ou d'adoption »
laisse augurer d'un essentialisme, d'une purisme défiant parfois,
le cadre juridique.
Notre intérêt pour le sens commun consiste non
pas à confirmer ou à infirmer la gabonité de quiconque,
mais d'analyser le discours nationalitaire afin d'y lire, les stratégies
de pouvoir, qui détourne le débat politique de son champ
idéologique habituelle, pour le transposer vers une idéologie de
l'identité nationale, reproductrice de l'ethnisme originelle et
tributaire aussi, de la raciologie coloniale discriminante. A la manière
du Front National en France, le substrat idéologique repose sur un
discours nationalitaire, émancipé du Droit et dont l'optique
d'inculper, par l'arbitraire, pour fausse identité, fausse
gabonité ou nationalité douteuse, ses adversaires politiques.
Enfin, L'essor de la réflexion sur la nation et le
nationalisme est sans cesse actualisé depuis les années 1980. Ces
débats s'opèrent autour du multiculturalisme, du cosmopolitisme
et de la mondialisation qui d'emblée, se pose comme cadre de
questionnement par excellence du postnationalisme. Le multiculturalisme est
déjà mis à mal par la construction difficile des Etats
africains. Les politiques de l'identité et les stratégies
identitaires des leaders
130
politiques flirtent parfois avec la xénophobie. Un
double processus apparemment contradictoire caractérise notre
époque : la persistance des nationalismes (y compris les
ethnonationalismes) et la croissance du multiculturalisme, du
transnationalisme et du cosmopolitisme.
Ainsi, la dernière section de cette recherche consiste
en une critique de la « logique métisse » sous le prisme du
discours sur la nationalité et les stratégies d'exclusion des
binationaux. Aussi, s'est-il s'agit, d'examiner les survivances des
nationalismes malgré les redéfinitions des concepts de nation et
de territoire opérées par le droit international et la
mondialisation.
L'hypothèse binaire, de ce travail de recherche est
donc empiriquement vérifiée. A posteriori d'une analyse
pertinente du fait ethnique au Gabon, il nous est donné d'observer la
dynamique identitaire qui imbrique stratégie de pouvoir et discours
nationalitaire dont l'intelligibilité met au centre, la
réalité de l'homo ethnicus et la reproduction des
habitus ethnicistes durables et transposables, selon les propositions
bourdieusiennes.
131
|