2. La géopolitique du pluralisme culturel
« L'un des problèmes majeurs qui s'est posé
à l'Etat colonial gabonais, comme certainement aux autres jeunes Etats
africains a été celui de l'unité ou de
l'intégration nationale dans des espaces tracés au gré des
intérêts de la colonisation et non des peuples concernés,
lors de la conférence de Berlin de novembre 1884 à février
1885, à l'initiative de Bismarck. Le problème de
l'intégration du Gabon, après la colonisation, se trouve
posé d'emblée, par l'existence ou par la nature même de la
nouvelle société politique qui allait très vite se
généraliser : l'Etat-nation. Or, l'Etat-nation, importé
d'Occident, apporte avec lui son soubassement idéologique qui lui
(re)commande de souder les différents peuples ethnies) qu'il
contrôle autour d'un projet politique commun. La puissance colonisatrice
française véhiculera dans tous ses territoires colonisés
son modèle de type jacobin »256.
La géopolitique est donc une réponse à
cette problématique. Or, théoriser l'ethnicité
disions-nous supra, ne revient pas à fonder le pluralisme
culturel, comme modèle d'organisation sociopolitique, mais plutôt
à examiner les modalités selon lesquelles une vision
254 Plusieurs journaux donne à de ce débat le
caractère d'un problème à prendre en compte. Lire entre
autres, Le Temps, N° 481 du Mercredi 24 juin 2015, p.1.
255 F. Matsiegui Mboula, « La
«géopolitique« au Gabon : Institution d'exercice de la
violence de l'imaginaire », Gabonica, N°5, Novembre 2011,
p.59.
256 Ibidem, p. 61.
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ethnique du monde est rendue pertinente pour les
acteurs257. Nze-Nguema propose alors de l'appréhender sous
une double finalité : « l'équilibre régionale
viserait à une meilleure répartition des ressources physiques et
humaines à toutes les régions du territoire. Le
clientélisme exprimerait l'emprise des oligarchies nationales sur
l'ensemble de la vie politique. Les deux phénomènes s'opposent
dans leurs principes d'engendrement ; ils sont convergents dans leurs
incidences empiriques. Le clientélisme, du fait de sa
généralisation, constituerait comme le tribalisme et le
régionalisme un obstacle quasi insurmontable à l'éclosion
de la conscience nationale »258.
Si les critiques sur cette organisation politique la
décrivent en général, comme une stratégie de
longévité au pouvoir, c'est son effet contre intuitif,
selon l'expression de Boudon, qui pour notre part, offre le plus
d'opportunités de lecture des usages sociaux de l'identité
ethnique. On peut dès lors porter le grief à Emmanuelle Nguema
Minko, avec sa « géopolitique du pluralisme culturel ». Mais
ce serait à tort, car elle, titre un chapitre de son ouvrage, « La
géopolitique au rabais »259.
En s'appuyant sur la « célèbre et fameuse
» réplique du « Vas-y demander au ministre de chez toi
», elle ressort les limites de cette « géopolitique
». Les conséquences qui ont suivront seront de désigner, les
ministères exempli grati, « non pas en fonction de leur
compétence, mais en fonction de la commune ou la province dont est
originaire le ministre »260.
La conscience populaire ne reprend-elle pas souvent et
toujours et aujourd'hui encore, ces conceptions : « le
ministère des gens du Haut-Ogooué » ou le «
ministère des Fang », pour parler respectivement de la
Défense nationale et l'Education nationale. Les récents
remaniements ministériels ont vu le mécontentement des Fang de
l'Estuaire, lorsque la fonction de Premier ministre a été
confiée à un Fang du Nord. Mais remplacer à ce poste un
« Fang par un Fang » à plus ou moins atténuer
les rancoeurs qui auraient pu être encore plus violentes, à en
croire les diatribes que nous rapportent les journaux261, «
si une autre ethnie » y avait été affectée.
D'ailleurs, « les Fang savent que c'est leur ministère et c'est
ainsi» nous dit un internaute. Revenons cependant, un peu plus loin
dans l'histoire du Gabon.
257 Poutignat P. et Streiff- Fenard J., Théories de
l'ethnicité, Paris, PUF, 1995. , p.17.
258 F.P. Nze-Nguema, op.cit. p.127.
259 E. Nguema Minko, op.cit. p. 248.
260 Ibid.
261 Plusieurs journaux ont en effet commenté cette
actualité qui apparemment enseignait la rationalité
technobureaucratique.
Nze Nguema, affirme que les « régions où la
scolarisation s'avère la moins élevée seraient les plus
importantes pépinières des cadres administratifs
»262. L'auteur renvoie ces faits, entre autres, au degré
du militantisme. Cela nous permet de signaler que le ministère de
l'éducation nationale est longtemps considéré, dans la
conscience commune au ministère du groupe fang.
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262 Nze-Nguema, op.cit.p.125.
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