2. « Gabon d'abord » ou le manifeste politique
des Pères de la Nation
« Pour nous c'était Gabon d'abord ; et parce que
pour nous c'était d'abord le Gabon ». V.P.
Nyonda.
Au-delà des réalités « logiquement
» ethniques de la configuration des comportements politiques des acteurs
postcoloniaux, engagés dans la construction de l'Etat, il est important
de signaler toutefois, qu'ils avaient, en partage la volonté d'un
idéal commun. En effet, « Léon Mba était Gabon
d'abord. Pour lui, le Gabon était Un, en dépit de sa
pluralité ethnique, au-delà des ethnies qui sont une
création divine. C'est l'univers dans sa diversité »,
nous dit Mouity-Nzamba. Cette reprise recontextualisée de la «
doctrine de Monroe » de 1823, devait établir la fibre patriotique
chez les Gabonais.
Guy Hermet, relativement aux sociétés
occidentales, se réfère à l'histoire, pour rappeler que
« l'émergence d'une conscience citoyenne quelque peu
cohérente leur a demandé beaucoup de temps »223.
Jürgen Habermas affirme que la nation prend une connotation contractuelle
ou politique avec la Révolution Française224. Le Gabon
ne fera pas exception à la règle. Faire sens, d'une nation
gabonaise, dans les consciences des peuples différenciés est donc
le défi majeur de l'Etat postcolonial.
Ainsi, « progressivement, le danger commun encouru
apportera la nécessité d'un élargissement des alliances
au-delà du seul clan, de la cellule ethnique »225. Si
toutefois cette assertion vaut plus pour la période coloniale que pour
le Gabon postcolonial, il n'en demeure pas moins qu'elle aboutira au «
Gabon d'abord », leitmotiv du nouveau nationalisme des Fondateurs. Sur
quel substrat « Gabon d'abord » se bâtit-il ?
C'est l'occasion de signaler, comment les dérives
interprétatives de « Gabon d'abord », vont
occasionnées, son usage à des fins xénophobes, exempli
grati, et reproduire donc les
222 Idem.
223 Guy Hermet, Culture et démocratie, Paris,
UNESCO, Albin Michel, 1993, p.193.
224 Habermas, cité par F. Matsiegui Mboula, op.cit.
p.200.
225 Nze-Nguema, op.cit.p.46.
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schèmes racialistes de la pensée
coloniales226, puisque « la fixation de ce symbolisme,
supposera l'éradication, entre autres « fléaux », de la
présence au Gabon des Africains de la sous-région, voire
au-delà »227.
La construction d'un idéal commun reproduit, les
discriminations, la pureté et l'hégémonie de la nouvelle
race gabonaise, nationalisme qui se fonde dans la différenciation avec
l'altérité et la distinction du « nous » : «
Nous devons résister aux intrigues de Brazzaville, surtout en ce qui
concerne le problème de l'éducation. Nous sommes les descendants
de ceux qui ont permis à la France d'obtenir le Moyen- Congo. Notre
développement ne saurait être retardé ; nous devons
progresser comme tout le monde »228.
L'addition, celle de la devise « Union-Travail-Justice
», qui adviendra plus tard va sceller, non seulement le pacte
d'association de la diversité culturelles et nationalitaires gabonaises
à un imaginaire qui essentialise le destin commun à cette
unité nouvelle, mais aussi le pacte de soumission à une tyrannie
de la nouvelle race ainsi créée.
Si plusieurs avancés, dont l'éducation, du fait
de cette gabonisation, avec le nombre d'école par rapport à
Brazzaville déjà significatif en 1893229, sont
à relever; les évènements sanglants opposant, à
Port-Gentil, Gabonais et Togolais en 1953, sont la conséquence de ce
nationalisme de substitution des schèmes claniques précoloniales,
des idées reçues de la race coloniale, par une réinvention
de celles-ci, une invention de la «xénophobie ».
Une substitution de l'idéologie raciste du colonialisme
sur les Nègres (les Gabonais remplacent dans un jeu de rôle les
colons et les « étrangers » deviennent les Nègres de la
postcolonie), fait sens dans les consciences, pour la construction d'un destin
commun. L'inconsistance, la vanité du « Gabon d'abord » se
trouve ainsi renforcée par le substrat idéologico-racialiste,
a contrario de ce que lui confèrent, les Pères
fondateurs.
Cette idéologie pourvoit, par ailleurs, la construction
de l'Etat au Gabon, d'une illusion communautaire permettant aux acteurs de
surseoir, autant que faire se peut, les querelles intestines qui vont revoir le
jour, une fois, les consciences seront imprégnées de ce
substrat.
226 Nous disions plus haut que le racisme est un
extrémisme de la nationalité.
227 Nze-Nguema, op.cit. p.62.
228 Idem.
229 Idem.
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L'ambiguïté d'une définition et les
interprétations populaires et stratégiques, car parfois, relevant
de manipulation, vont asseoir l'illusion identitaire, créant
l'imbroglio ethnique.
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