IV.2. Conflits interpersonnel et mode de gestion
La question des conflits en milieu de travail a toujours
été au coeur des préoccupations de nombre
d'universitaires, de professionnels en organisation du travail, aussi bien que
des employeurs eux-mêmes. Comment se créent les foyers de tension
pouvant aboutir à des conflits entre les agents. De quelles
catégories professionnelles appartiennent les agents ? Comment se
résolvent ces situations ?
I-1.10. Origine des conflits
Il y a en chaque individu de l'entreprise, un héritage
culturel qui fait que le lieu de travail n'est pas un pur milieu de travail,
mais le point de rencontre d'une multitude de conceptions et de comportements.
Lorsqu'il y a divergences d'interprétation de certains faits pouvant
aboutir à des conflits interpersonnels, la production de l'entreprise
s'en trouve perturbée. Lorsque les travailleurs d'un même secteur
ne s'entendent pas, ils ne peuvent plus collaborer correctement dans le
processus de production, et même lorsqu'ils le font, c'est contre leur
gré. Ainsi, la prépondérance des conflits influe
négativement sur le rendement des travailleurs puisqu'à partir du
moment où ils ressentent un certain malaise à collaborer entre
collègues, l'engouement au travail diminue.
Les conflits entre collègues de travail sont des faits
qui résultent des relations de cohabitation et de collaboration entre
ceux-ci. Pour cet agent les conflits se retrouvent à
Télécel « comme partout ailleurs.On dit les dents
et la langue vivent ensemble mais, par moments peuvent se heurter.[...]
Mais ça ne dure pas »(Entretien avec M.S, Agent ADV,
effectué le 22/11/2014, Ouagadougou). Les conflits à
Télécel sont le résultat de fait plus ou moins anodins.
C'est l'interprétation des acteurs qui en donne une certaine dynamique.
Selon le DRH,
« on ne prévient jamais un conflit. Il
résulte de la nature humaine qui est incertaine. Les types de conflits
qu'on rencontre ici sont des conflits de leadership, lorsque la
légitimité du supérieur est remise en cause par exemple.
Cela résulte du nivellement par le haut, ou lorsque le supérieur
a le même niveau avec les agents qu'il coiffe. Il y a aussi le cas de
l'insatisfaction liée à la communication interne, du fait qu'on
soit dans un environnement où les gens comprennent, ont un niveau
intellectuel assez élevé, cela rend les besoins assez complexes.
Le manque de communication peut aussi subvenir du climat social qui
règne entre les employés » (Entretien avec le DRH,
effectué le 16/12/2014, Ouagadougou).
Lors de notre enquête, il ressort que la plupart des
agents d'une ancienneté de moins d'un an de contrat en moyenne disent ne
pas avoir de problèmes avec leurs collègues de travail vu
l'ambiance qui y règne.Dans d'autres cas, les conflits sont des formes
de tensions interpersonnelles entre les anciens qui n'est que
l'aboutissement d'une situation de malaise longtemps subsistée dans
l'unité de production. Dans un contexte de compétitivité,
à prédominance féminine (les femmes occupent 55% de notre
échantillon), les conflits résultent de petits faits qui peuvent
prendre une certaine ampleur et aboutir à des rixes. C'est le cas de
cette téléconseillère :
« Pour lui avoir demandé juste un service qu'elle
a refusé. Elle a continué à bouder, parler.... Je dis mais
je m'excuse,pourquoi vous continuez ? Comme si elle avait une autre dent
avant ca quoi ; je n'ai rien compris. On s'est chamaillé
jusqu'à se porter des coups [...] On s'est donné les coups hors
du service, les collègues ne se sont pas rendu compte. Parce que
personne n'était au courant au tout début. (Entretien avec I.M,
Agent call center, effectué le 23/11/2014, Ouagadougou).
Cette situation s'expliquerait par le fait qu'on arrive
très difficilement à situer avec précision l'origine des
conflits dans les « situations de travail », car
étant vécu la plupart du temps sous forme latente. Le travail
proprement dit ne sert généralement que de faux-fuyant pour
réveiller ces tensions. Etant donné qu'il est scrupuleusement
interdit de « manquer de respect à un
collègue », certains agents comme ce fut le cas de celle-ci,
se règlent les comptesen dehors du service. Lorsque des
individus dérogent à ce code de comportement une sanction peut
subvenir, allant jusqu'à la rupture du contrat comme le dit cet
agent :
« En général ils [les chefs] ne savent
même pas ce qui se passe sauf certaines personnes qui veulent se faire
remarquer. Et là la hiérarchie quand c'est comme ça, c'est
même pas évident qu'on te reconduise, surtoutau niveau des
prestataires» (Entretien avec E.O, Agent front office, effectué le
29/11/2014, Ouagadougou).
Les conflits naissent alors de situations pour le moins
négligeables ; ils peuvent provenir de petites
incompréhensions pour aboutir à des situations regrettables. Mais
comment sont-ils résolus ?
I-1.11. Gestion des conflits
A Télécel Faso, il y a des services ou le nombre
d'employés est tellement élevé qu'il est difficile de
pouvoir gérer toutes les situations ambiantes comme le dit le chef de
service du service call center :
« Ce n'est pas aisé parce que c'est beaucoup
de monde.Chacun à son comportement, chacun a son caractère, donc
il faut essayer de manager, pour comprendre un peu par moment si y a des
dérapages dans le comportement.[...] C'est pas facile, c'est
clair ; 80 personnes c'est un département»(Entretien avec M.S,
Chef de service Call center, effectué le 19/01/2015, Ouagadougou).
Les conflits peuvent naitre aussi par la mise en relation
supérieur-subordonné. En général, on demande au
supérieur d'être compréhensif, tolérant, cordial et
généreux. On lui demande de parler à ses
subordonnés de manière poli. Celui-ci peut avoir de
l'autorité, de la fermeté et de la rigueur, mais tout en
étant poli et « diplomate ». La mise en application
de différentes règles de travail peut ainsi créer des
conflits, si le supérieur ne s'y prend pas poliment.C'est le cas de
cette ancienne téléactrice en désaccord avec son
supérieur hiérarchique :
« C'était à propos de l'habillement.
Il a dit que j'ai porté une tenue extravagante. [...] Je trouve que
même si y a une remarque, on peut faire une remarque verbale, mais pas au
point qu'il y ait des attouchements. Et à mon niveau y a eu
attouchement. J'en ai référé à la supérieure
hiérarchique.Ils ont essayé d'atténuer l'affaire.Sinon il
devait être sanctionné» (Entretien avec O.S, Ancien agent
call center, effectué le 24/11/2014, Ouagadougou).
Notons du reste que la plupart des conflits amont-aval
s'inscrivent dans une logique de contestations des abus de pouvoir et du
non-respect des employés subalternes, mais aussi de
« l'insubordination ». Toute action subversive d'un
subordonné à l'égard de son supérieur est toujours
caractérisée d'indiscipline, donc répréhensible.
Mais le supérieur, par contre est protégé par sa position
hiérarchique qui lui donne un droit d'autorité sur ses
subordonnés. Nous pouvons même paraphraser cette sagesse populaire
« le pauvre a toujours tort »et dire que dans l'entreprise
« le subordonné a toujours tort ». C'est en fait une
attitude pour l'autorité de production de protéger ses
dépositaires dans les différents services.C'est une façon
de persuader les agents à la résignation et au respect de
l'autorité des supérieurs, gage d'un bon déroulement du
travail coopératif.
Les cas de conflits pour indiscipline ou manquement à
certaines règles de l'entreprise conduisent à des sanctions, si
la faute de l'auteur est vraiment avérée. Dans ce cas, plusieurs
stratégies sont mises en place dans la gestion de ces conflits. Les
agents peuvent le gérer en « interne », afin de ne
pas « salir l'image » du service avec des questions qui ne
rapportent pas de plus-value à la compagnie :
« Quand il y a un conflit, on essaie de gérer
ca d'abord entre nous, de discuter. Maintenant, s'il y a pas
d'amélioration, je rapporte à la hiérarchie, afin qu'une
décision soit prise ;et cette décision, ça peut
être l'arrêt du contrat tout simplement » (Entretien avec
A.B, Responsable chargée du phoning, effectué le 24/12/2015,
Ouagadougou).
Dans d'autres cas, une lettre d'explication est
demandée. Cela peut aboutir à des mises à
pieds ou suspension temporaire du contrat de travail sans
rétribution pour le temps d'arrêt. Mais il y a aussi d'autres
stratégies dont usent les agents entre eux, comme le cas des chauffeurs
de véhicule dont un ancien membre en parle :
« Ils ont des sanctions dans leurs conditions.Des
mises à pieds de 2 jours, sans salaire. C'est ce qui est écrit
dans les contrats.Mais ils n'utilisent pas ça. Qu'est-ce qu'ils
font ? Ils savent que dans le mois, ils font sortir presque tous les
chauffeurs en missions. [...] C'est les missions qui sauvaient les chauffeurs.
Par exemple si c'est une mission d'une journée ou 2 ; pour les
missions de 2 jours tu as 60 à 65 mille. Donc si tu as eu
çaajouter au salaire, ça bloque quelques trous. Donc on ne te
donne plus 2 jours de mise à pieds. Tu es toujours là tu
travailles, mais c'est qu'on va bloquer tes missions ; tu vas plus sortir
en mission, et si tu ne fais pas attention, tu vas faire 6 mois sans missions.
Donc, ça devenait,c'était devenu maintenant une lutte. Chacun
essaie de mettre les bâtons dans les roues de l'autre pour qu'on le
bloque. Ça veut dire pour aller à une mission, il faut être
une lèche botte» (Entretien avec S.J, Ancien chauffeur,
effectué le 24/11/2014, Ouagadougou).
On voit d'après les dires de ce enquêté
que les conflits peuvent naitre de questions de leadership, mais surtout
d'intérêts économiques et professionnels. Pour avoir les
avantages auprès de la hiérarchie il faut être à
leurs services, collaborer avec ceux-ci ou se conformer impérativement
à leur choix, saugrenus soient-ils. C'est en cesensque Elias (2007)
disaitque :
« Practical considerations compelled people fromboth
groups quiteoften to collaborate. Whilequarrellingtheybecame in fact more and
more dependent on eachother, and theirgrowinginterdependence caused them to
quarrel. It wasthissimultaneity of antagonism and co-operationwhich gave to
this struggle, as to others of thiskind, itspecularcharacter »
(Elias2007: 53).
Ainsi, pour résoudre les différents conflits, il
ya la méthode formelle qui consiste à appliquer la loi dans toute
sa rigueur. Mais étant donné que nous sommes dans un espace
où la densité des relations sociales dicte une ligne de conduite,
la gestion des conflits est aussi assujettie à des règles
informelles.
Un recrutement fondé sur un réseau
d'interconnaissance et une initiation professionnelle faite sur le
tas, sont illustratifsdu processus d'intégration professionnelle
à Télécel Faso. Ce processus est guidé par un corps
de normes qui l'encadre. Bien qu'à certains moments, les règles
connaissent une certaine flexibilité, il n'en demeure pas moins que
concernant la gestion de la clientèle, elles sont appliquées dans
toute leur rigueur. Les interactions entre collaborateurs sont de primes abords
conciliants, même si parfois des situations conflictuelles font leur
apparition. A présent voyons comment l'individu s'accommode aux
conditions de travail en vue de la construction de sa carrière
professionnelle.
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