Paragraphe 2 : la dynamique socioculturelle et
économico-militaire
de la France au Cameroun
Pour plus de lisibilité, nous présenterons tout
d'abord la dynamique socioculturelle (a) puis la dynamique
économico-militaire (b).
356 Alain Fogue T. « Enjeux
géostratégiques et conflits politiques en Afrique... »,
p.364.
357 Ibid.
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Le projet géostratégique des
États-Unis d'Amérique dans le Golfe de Guinée : analyse
de l'action américaine au Cameroun entre 1997 et 2013
a- La dynamique socioculturelle
La France fait usage, pour limiter l'influence des
États-Unis au Cameroun, tant du Hard power que du Soft power. Le Soft
power s'inspire des préoccupations stratégiques du
général De Gaulle à savoir : comment permettre à la
France de rester une puissance malgré la faiblesse de ses moyens
(démographique, militaires, économiques etc.)358 ?
Aussi a-t-il élaboré la politique étrangère
française autour de quatre points :
- Retrouver l'indépendance de la France dans le domaine
clé où elle a été
perdue, en se dotant de la dissuasion nucléaire
sensée lui permettre de garantir seule la défense de son
territoire ;
- Placer les anciennes colonies aux services de la
défense, du développement et du rayonnement international de
la France ;
- Faire de la construction européenne le marchepied de
la France vers la reconquête d'une place de grande puissance ;
- Faire jouer à la France le rôle d'avocat des
plus faibles dans les affaires du monde. Ce dernier point permet à la
France d'engranger la sympathie de l'opinion internationale, indispensable dans
la lutte inégale qui l'oppose aux grandes puissances359.
Les colonies d'Afrique, selon le second point, sont ainsi un
tremplin pour le rayonnement international de la France. Aussi met-elle en
application la politique d'assimilation théorisée par Arthur
Girault entre 1890 et 1930. Pour ce dernier, la France doit interdire à
l'assimilé africain, dit « évolué », le
patriotisme local et lui inoculer l'amour de la patrie commune, le culte de
l'empire360.
Cette politique est appliquée par la France au Cameroun
après que cet État soit mis sous son mandat à la fin de la
première guerre mondiale361. Composé d'une
diversité de groupes ethniques (plus de 250) et de langues locales
chiffrées à 270 environ, il était impératif pour la
France d'assimiler les consciences en imposant le français comme langue
officielle de
358 Cours dispensé en Master II Science Politique par le
Docteur Alain Fogue Tedom, « Les questions stratégiques »,
année 2011-2012, p.11.
359 Idem.
360 Alain Fogue T., « Enjeux
géostratégiques et conflits politiques en Afrique... »,
p.181.
361 Selon l'Article 1 alinéa 3 de la loi no
96/06 du 18 janvier portant révision de la constitution du 02 juin 1972,
modifiée et complétée par la loi no2008/001 du
14 avril 2008, le français et l'anglais constituent les langues
officielles.
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Le projet géostratégique des
États-Unis d'Amérique dans le Golfe de Guinée : analyse
de l'action américaine au Cameroun entre 1997 et 2013
l'Etat362. Il s'en est suivi une implication
politique des ethnies dans l'élaboration de la politique
étatique. Cette politique eut pour corollaire la distribution
inégale de compétences entre les ethnies, par l'assomption de
certaines au détriment des autres, tenant non pas à une
supériorité intrinsèque, non pas à une
inégalité d'essence, mais plutôt aux constructions
symboliques, à l'imposition de la marque faite par la
France363. La politique d'assimilation appliquée pendant la
colonisation présente encore certaines répercussions aujourd'hui.
En effet, les responsable politiques au pouvoir instrumentalisent la fibre
ethnique364, par la politique d'équilibre
régional365 pour servir les intérêts de la
France qui y trouve profit, et les leurs.
La loi no 2004/017 de juillet 2004, relative
à l'orientation de la décentralisation au Cameroun et des
modalités de coopération avec d'autres collectivités
étrangères, fixées par le décret no
2011/1116/PM du 26 avril 2011, en est une illustration366. Ces lois
sont copiées sur celles de la France où la
décentralisation, présentée comme restrictive, accorde la
qualité et le statut d'acteur de la coopération
décentralisée uniquement aux collectivités territoriales
décentralisées367. Elle donne l'opportunité au
gouvernement français d'avoir une influence sur l'orientation de la
politique démographique du Cameroun et de maitriser ses populations.
L'influence de la France au Cameroun, dans l'aspect culturel,
est considérable dans le système éducatif et
communicationnel camerounais. L'histoire du Cameroun faisant allusion aux
indépendantistes tels Ruben UM NYOBE, Félix-Roland MOUMIE et
Ernest OUANDIE, s'étant opposés à la présence
française, est inconnue de la jeunesse camerounaise parce qu'elle est
sciemment écartée des programmes et manuels scolaires. Les seules
personnalités présentes sont celles qui ont fait
allégeance à l'ancienne puissance tutrice368.
L'école, au Cameroun, tend à être plus un lieu de
gardiennage social, où sont véhiculés des savoirs
mémorisés faisant la part belle aux personnalités de la
France, qu'un lieu d'acquisition
362 Nzeugang, « Une lecture de la coopération
américano-camerounaise depuis 2001... », pp.2-3.
363 Luc Sindjoun, L'État ailleurs, entre noyau dur
et case vide, Economica, 2002, p.198. Jean-François Bayart
mentionne aussi de manière rapide les Haussa et les Tikars. Cf.
L'État au Cameroun, 2e édition, Presse de la
FNSP, 1985, pp.339-348.
364 Fanny Pigeaud, Au Cameroun de Paul Biya, p.130.
365 Ibid, p122.
366 Cours dispensé en Master II Science Politique par le
Professeur NJOYA, « Coopération Décentralisée »,
année 2011-2012.
367 Idem.
368 Alain Fogue T. « Enjeux
géostratégiques et conflits politiques en Afrique... »,
p.200. Alexandre Douala Manga Bell a utilisé sa position
de prince et « d'évolué », en quelque sorte de leader
d'opinion, pour acquérir de nombreux avantages personnels divers
auprès de l'administration coloniale, ceci aux dépens des
intérêts du Cameroun. Ainsi, « il a su ménager le
pouvoir colonial tout en entretenant l'opinion noire d'une future
indépendance. (...) Puis a pris parti contre les progressistes, les
syndicalistes (camerounais) ». En échange de sa loyauté, il
devient l'un des très rares indigènes à obtenir la
nationalité française. Lorsqu'il se présente à
l'élection du 21 octobre 1945 au collège africain, il est
déjà citoyen français. Personnage fantasque et
autoritaire, il distribue des pièces de monnaie sans aucune valeur
frappées de son effigie ou menace ses contradicteurs de fouet pendant
les campagnes électorales. Voir Guy Georgy, Le petit soldat de
l'Empire, Paris, J'ai lu, pp. 47-51, voir aussi son portrait fait par le
journaliste français Georges Chaffard et repris par Philippe Gaillard
dans « Le Cameroun » Tome J, Paris L'Harmattan, 1989,
pp.176-177.
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Le projet géostratégique des
États-Unis d'Amérique dans le Golfe de Guinée : analyse
de l'action américaine au Cameroun entre 1997 et 2013
de savoir369. L'université, quant à
elle, conduit parfois uniquement à une accumulation de titres permettant
d'espérer, de manière généralement illusoire,
à des postes relativement rémunérateurs qu'à des
savoirs analytiques et pratiques favorisant des
qualifications370.
La communication n'est pas en reste. Les medias
français, Le Monde, Le Figaro, L'Express et Jeune Afrique,
bénéficient des subventions du régime politique
camerounais dans le but de veiller et d'assurer le rayonnement du
président de la République371, au détriment des
medias camerounais. Comme conséquence de cette influence
française, on constate un abandon par l'opinion camerounaise des medias
d'informations nationaux. Le « quatrième pouvoir » camerounais
est ainsi extraverti au profit de la France. La plupart des medias
d'information, qu'ils soient radiophoniques ou télévisés
usités par les camerounais sont aujourd'hui, pour la plupart,
français (RFI, France 24). Ainsi, dans le combat inégal qui
l'oppose aux États-Unis, ces moyens culturels permettent à la
France de faire pencher, par un processus d'assimilation, les consciences
camerounaises en sa faveur.
La politique d'immigration choisie, instaurée par
l'ancien gouvernement de Nicolas Sarkozy, est aussi un pan de cette
stratégie culturelle française au Cameroun372. Toutes
ces initiatives, tant communicationnelles (RFI, France 24) que culturelles
(Immigration choisie), sont des réponses aux stratégies des
États-Unis pour mettre le Cameroun sous son giron stratégique
(CNN, ABC, NBC, BBC et la loterie américaine qui permet, chaque
année, aux camerounais de pouvoir vivre dans le pays de l'oncle Sam).
L'instrumentalisation de la religion par la France est un
autre pan de cette stratégie culturelle. En effet, bien qu'il existe une
distinction entre la societas humana373 et la societas
christiana374, la France influence les mentalités
camerounaises sur des débats d'actualité au travers de certains
hauts autorités religieuses qui sont favorables à l'expression de
certains agissements375. Le militantisme de l'ancien prélat
de l'Archidiocèse de Yaoundé,
369 Philippe Hugon, Géopolitique de l'Afrique,p.
179.
370 Ibid.
371 Fanny Pigeaud, Au Cameroun de Paul Biya,
pp.174-177.
372 Bien que la politique d'immigration choisie fût
instaurée par le gouvernement Sarkozy, l'idée, elle, est
ancienne. En effet, les propos tenus par l'ancien président Jacques
Chirac, au Sommet Afrique-France de Yaoundé, au Cameroun du 17 au 19
janvier 2001, en disent davantage : « Nous avons commencé par
saigner ce continent (l'Afrique) pendant quatre siècles et demi avec la
traite des Noirs. Ensuite nous avons découvert ses matières
premières et nous les avons saisies (...) Aujourd'hui, nous les
délestons de leurs cerveaux grâce aux bourses d'études, qui
consistent en définitive une autre forme d'exploitation car, les
étudiants les plus brillants ne rentrent pas chez eux (...) »,
in Le Canard enchainé du mercredi 24 janvier 2001, p.2.
373 La notion de societas humana désigne une
communauté humaine régie par des lois et des coutumes qui lui
sont propres, attachée à un roi qui légifère en son
nom. Elle se présente plus aujourd'hui son sur l'aspect
d'État-nation.
374 La notion de societas christiana quant à elle
désigne une communauté de croyants réunis par la foi et
dont la tête est le pape.
375 C'est le cas de l'homosexualité, sujet
d'actualité au Cameroun, où la position du cardinal
émérite Christian Tumi est de permettre à cette
minorité de pouvoir vivre sans inquiétude d'être mis au ban
de la société, cf. Jeune Afrique no 2769 du 2 au 8 février
2014, p28.
Mémoire en Master II Science Politique François
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Le projet géostratégique des
États-Unis d'Amérique dans le Golfe de Guinée : analyse
de l'action américaine au Cameroun entre 1997 et 2013
Monseigneur Jean ZOA, favorable au parti unique de
l'époque UNC, avait conduit ce dernier à se manifester contre le
multipartisme exigé par les partenaires au développement en mars
1990376, rappelant le discours prononcé par le roi
Léopold II devant les missionnaires se rendant au Congo en
1883377. Ainsi, pour aller dans le sens de Charles Pasqua pour qui
la démocratie s'arrête là où la raison d'État
commence378, l'État français instrumentalise, quand il
le faut, la religion pour limiter la percée américaine au
Cameroun car pour la France, l'Église s'arrête là où
la raison d'État commence.
L'assise socioculturelle de la France apporte des
réponses aux stratégies américaines au Cameroun. Cela est
aussi perceptible au niveau économico-militaire.
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