CAMEROUN
Pour garder une influence au Cameroun, tout en prenant en
compte l'âpreté de la compétition qui l'oppose aux
États-Unis, la France utilise des recettes qui, depuis
l'indépendance de cet État, lui ont permis de transformer cet
espace aux mieux de ses intérêts. Il s'agit de la diplomatie, de
la politique, de l'économique et du militaire. Nous l'illustrerons sur
le plan politico-diplomatique (paragraphe 1) et par la suite socioculturel et
économico-militaire (paragraphe 2).
Paragraphe 1 : l'usage de la politique et de la diplomatie
par la
France
L'intérêt porté par l'État
français à la politique et à la diplomatie nous
amène à les développer chacune dans un cadre
spécifique. Nous présenterons d'abord dans un aspect
bilatéral (a) puis multilatéral (b).
309 Pierre Péan 2010, Carnages: les guerres
secrètes des grandes puissances en Afrique, p.488.
310 Ibid.
Mémoire en Master II Science Politique François
Xavier NOAH EDZIMBI, UY II-SOA 93
Le projet géostratégique des
États-Unis d'Amérique dans le Golfe de Guinée : analyse
de l'action américaine au Cameroun entre 1997 et 2013
a- L'emploi de la politique et de la diplomatie dans le
cadre des relations bilatérales
a- 1- L'utilisation de la politique contre les
intérêts américains
Les richesses naturelles dont regorge le Cameroun sont d'un
intérêt vital pour la France311. Aussi son sursaut d'
« orgueil national » se renforce du moment où le rôle
moteur du Cameroun, pays laboratoire de sa politique de « mise en
valeur312 » des Etats d'Afrique Centrale, est menacé par
l'intérêt que lui portent les Etats-Unis et la Chine. Dans la
confrontation qui oppose la France aux États-Unis se mêlent en
effet enjeux politiques, stratégiques et commerciaux. Ancienne puissance
tutrice, la France, depuis l'indépendance camerounaise, s'appuie sur les
régimes en place pour défendre ses acquis313 et garder
la mainmise sur ses exploitations314. Contrairement aux
États-Unis qui, voulant avoir droit au chapitre315, tentent
de séduire une opinion camerounaise en quête d'émancipation
politique316.
A travers l'extraversion politique dont souffriront les
États Africains après leurs indépendances, la France va,
au Cameroun, s'appuyer sur le régime politique d'Ahmadou Ahidjo pour
préserver ses intérêts. Remarqué par
Foccart317, ce dernier va parvenir au pouvoir
frauduleusement318. Aussi, à travers la confiance qu'elle met
en la personne du président Biya pour préserve ses
intérêts319, cette situation d'extraversion sera
maintenue. En effet, dans le but de conserver le pouvoir politique, qu'il
détient depuis 32 ans, le président Paul Biya reçoit le
soutien et l'aide de conseillers français, formels ou informels,
constituant son proche entourage.
311 Tchetchoua Tchokonté, « Enjeux et jeux
pétroliers en Afrique... », p.58.
312 W. Mvomo Ela, « Le concept de « mise en valeur
» dans la politique de développement colonial de la France : cas du
Cameroun » in Repenser le développement à partir de
l'Afrique, sous la direction de Jean-Emmanuel Pondi, Afrédit,
Africaine d'Edition, Yaoundé, mai 2011, p.299.
313 Alain Fogue T., « Enjeux
géostratégiques et conflits politiques en Afrique... »,
p.292.
314 Tchetchoua Tchokonté, Op.Cit.
315 Idem.
316 Alain Fogue Tedom, Op.Cit.
317 Foccart parle, I, p 87 et 95 in La
FRANÇAFRIQUE, le plus long scandale de la République,
François-Xavier Verschave, p.99.
318 Selon l'ambassadeur Guy Georgy, qui commanda la région
du nord Cameroun de 1951 à 1955, des paquets de faux bulletins, à
la faveur du candidat Ahidjo, ont été mis dans l'urne. In La
FRANÇAFRIQUE, le plus long scandale de la République,
François-Xavier Verschave, p.98. De même, bien avant
son accession à l'indépendance, le ministre français
d'Outre-mer, monsieur Jacquet, répète à trois reprises au
premier ministre camerounais André-Marie Mbida que l'indépendance
du Cameroun annoncée le 1er Janvier 1960, sera une
indépendance fictive. In Jeune Afrique Économique,
février 1992, p.37, Déclaration en date du 27/02/1958.
Citée par Dieudonné Oyono, Avec ou sans la France
?...
319 Cette idée est soutenue par l'ancien président
français Jacques Chirac qui, le 24 février 1990 sur RFI, encore
maire de Paris à l'époque, affirmait que : « Le
multipartisme est un luxe superflu pour les jeunes pays en voie de
développement comme les pays africains ; le parti unique leur convient
mieux », in Maurice Kamto, L'urgence de la pensée :
réflexion sur une précondition du développement en
Afrique, Yaoundé, 1993, Mandara, p.23, d'où la
confiance, pour préserver les intérêts français au
Cameroun, mise dans le régime politique de Paul Biya.
Mémoire en Master II Science Politique François
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Le projet géostratégique des
États-Unis d'Amérique dans le Golfe de Guinée : analyse
de l'action américaine au Cameroun entre 1997 et 2013
Nous avons comme exemple Patricia BALME, conseillère en
stratégie et communication, et Stéphane FOUKS, expert en
communication. Patricia BALME reconnait participer au succès des actions
du président Biya320. Elle dit s'occuper de
l'amélioration de l'image camerounaise à l'extérieur
depuis 1999321. C'est elle qui a en effet préparé la
défense du président sur la chaine télévisée
française France 24, lors de la présidentielle de 2011, et s'est
ensuite attachée les services de François MATTEI pour la
rédaction du Code Biya322. Stéphane FOUKS, quant
à lui, a établi le projet AFRICA 21 qui a rassemblé
l'intelligentsia africaine et européenne, du 17 au 19 mai 2010. Il a
ensuite, le 3 décembre 2010, suivi les conclusions de ladite
conférence323. On peut ainsi, à travers ces
conseillers français faisant partis de l'entourage présidentiel,
démontrer la possibilité pour les autorités
françaises d'anticiper sur les décisions et les agissements des
responsables politiques camerounais.
Cette possibilité d'influence peut être
démontrée au travers des relations amicales qu'entretiennent des
responsables politiques camerounais et français. Tel est le cas de
l'ancien Secrétaire Général de la Présidence de la
République du Cameroun, ancien ministre, Marafa HAMIDOU YAYA, avec des
autorités françaises.
Avant son incarcération, « L'homme des
français324 » a eu de bons rapports avec des
personnalités d'horizons variés (homme d'affaires, anciens
ministres et ancien président de la République) comme : Vincent
Bolloré, Charles Pasqua, Claude Guéant en passant par Nicolas
Sarkozy325. A partir des postes de responsabilités qu'il a
occupé, surtout celui de SG de la Présidence, l'on peut conclure
que la France exerçait, et exerce encore, une forte influence dans les
décisions politiques camerounaises326.
L'influence de la France se ressent aussi dans les
règlements juridiques avec l'aide de juristes français pour leur
établissement. L'exemple le plus récent est l'apport du
constitutionnaliste Guy CARCASSONNE dans la modification constitutionnelle, du
14 avril
320 Elle affirme en effet : « j'ai veillé
à ce que la communication du président, dans ce pays et à
l'étranger, et son aura soit bien faite et préservée. J'ai
amené les professeurs Luc Montagnier et Robert Gallo au Cameroun. J'ai
aidé la première Dame à développer tout ce qu'elle
fait contre la lutte contre le sida. » In Repères,
no 208 du 2 février 2011, p5.
321 Ibid.
322 Ibid.
323 Ibid.
324 Jeune Afrique, no 2670, mars 2012,
pp.32-33.
325 Ibid.
326 Dans sa première lettre ouverte, publiée dans
Le Jour, Marafa HAMIDOU YAYA fait part de son ancienneté aux
postes de responsabilités que lui avait confié le
président Paul Biya : « J'ai été votre
collaborateur pendant dix-sept (17) années sans discontinuité.
D'abord comme conseiller spécial, ensuite comme secrétaire
général de la Présidence de la République et,
enfin, comme ministre de l'Administration Territoriale et de la
Décentralisation pendant près d'une décennie ».
Aussi, de la confiance que lui a accordé le Chef de l'État en lui
remettant le pouvoir de nomination, et la confidence de sa non-connaissance de
la majorité de ministres : « Monsieur le Ministre
d'État, vous êtes combien de ministres dans ce gouvernement ?
Peut-être dix (10) ou quinze (15) tout au plus. Le reste, ce sont des
fonctionnaires à qui j'ai donné le titre ». Le Jour
no 1179 du 02 mai 2012.
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Le projet géostratégique des
États-Unis d'Amérique dans le Golfe de Guinée : analyse
de l'action américaine au Cameroun entre 1997 et 2013
2008, qui a permis d'effacer l'article sur la limitation des
mandats présidentiels327. Ces agissements permettent à
la France, dans la lutte inégale qui l'oppose aux États-Unis au
Cameroun, d'avoir une certaine avance par un processus d'assimilation des
responsables politiques camerounais328. L'illustration de cet
état des choses est la multiplication de rencontres entre les
exécutifs des deux États.
C'est le cas de la dernière visite de travail du
président Paul Biya en France, du 28 janvier au 8 février
2013329, ou encore la rencontre des deux présidents à
l'occasion du XIVe sommet de la Francophonie, organisé
octobre 2012 à Kinshasa en République Démocratique du
Congo (RDC)330. Cette dévotion des élites
camerounaises permet à la France de préserver ses
intérêts. Cette influence est aussi perceptible dans l'aspect
diplomatique.
a- 2- L'usage de la variable diplomatique pour réduire
l'influence américaine
Les héritages coloniaux sont nécessaires pour
comprendre la diplomatie camerounaise331. L'indépendance
camerounaise, fictive selon le ministre français d'Outre-mer, monsieur
Jacquet, est l'aboutissement d'une entente à l'ONU entre Jacques Foccart
et l'israélien ABBA EBAN332. Alors ministre israélien
des Affaires étrangères, ce dernier va rendre un service à
Ahmadou Ahidjo programmé par la France pour devenir président du
Cameroun333.
Dès cet instant, l'extraversion diplomatique
camerounaise est avérée et, à travers les accords
signés, le Cameroun fera montre d'un déficit d'autonomie
stratégique et d'une incapacité à maitriser son destin en
faveur de la France. Les propos d'Yvon OMNES, ancien ambassadeur de France au
Cameroun, de 1984 à 1993, viennent affirmer cette idée. Devenu
327 La Nouvelle, no 151 du 16 janvier 2012,
p.5.
328 Alain Fogue T., « Enjeux
géostratégiques et conflits politiques en Afrique... »,
p. 292.
329 Cameroon Tribune no 10278/6479 du vendredi 08
février 2013, p.2.
330 Hot News, hebdomadaire bilingue no 086 du mardi 16
octobre 2012, pp.2-4.
331 Philippe Hugon, Géopolitique de l'Afrique,
Editions Sedes, 2007, p.49.
332 In Mon pays, l'époque d'Israël moderne,
Buchet-Chastel, 1975.
333 Il affirme en effet : « je l'avais rencontré
sur le sol américain en 1959 ; Aryeh Ilan, un de nos plus talentueux
diplomates (...), m'avait suggérer de jouer un rôle actif dans les
discussions sur l'accession du Cameroun à l'indépendance. Pour
rompre les difficultés qui freinaient son succès, Ahmadou Ahidjo,
le leader du Mouvement National Camerounais, arpentait vainement les couloirs
du bâtiment de l'ONU, baignant dans un environnement étranger. Au
Cameroun (compte tenu de l'opposition), des groupes soutenus par le Caire
déniaient toute légalité à Ahidjo. (...) Je
m'intéressais au problème et, à la lumière de la
longue histoire plutôt troublante de nos rapports avec les Nations-Unies,
je fus à même d'offrir quelques conseils sur la manière de
présenter le dossier du Cameroun avec des chances de succès.
(...) Ahidjo m'en fut personnellement reconnaissant de nombreuses
années» in Pierre Péan 2010, Carnages: les guerres
secrètes des grandes puissances en Afrique, p.173.
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Le projet géostratégique des
États-Unis d'Amérique dans le Golfe de Guinée : analyse
de l'action américaine au Cameroun entre 1997 et 2013
par la suite conseiller du président Paul
Biya334, il va déclarer que toute décision prise au
Cameroun l'est avec le consentement de la France335. Les relations
étroites entre le président Biya et des diplomates
français, ayant été en place à Yaoundé,
semblent confirmer ces allégations. Le président Biya,
d'après des câbles du site WIKILEAKS datant de 2006 et de 2008,
aurait expliqué à l'ambassadeur de cette période, Bruno
Gain, les raisons de la suppression de la limitation des mandats
présidentiels en 2008336.
Il reconnaissait l'atmosphère
délétère dans lequel se trouvait le pays : « Qu'elle
fierté aurais-je à laisser le Cameroun tel qu'il est aujourd'hui
?337 ». Avant de s'adjuger le rôle ultime d'assainir
l'espace politique par l'Opération Épervier : « C'est
à moi de le faire, car il sera impossible pour celui qui me
succèdera de commencer par cela338. »
La confidence présidentielle illustre le manque
d'autonomie dont souffre le Cameroun. Le président Biya
préfère en effet confier ses intentions à l'ancienne
puissance tutrice qui elle va profiter de la situation pour établir des
stratégies dans le but de préserver ses intérêts et
limiter la percée américaine dans le pays. La dernière
visite du ministre des Affaires étrangères français au
Cameroun, Laurent Fabius, va dans cette logique. Pour rappel, le 19
février 2013 dans la localité de DABANGA, la famille Tangui
MOULIN-FOURNIER faisait l'objet d'un rapt. Accompagné de proches
collaborateurs, Laurent Fabius sera reçu par le président Paul
Biya et cette rencontre se soldera, les jours suivants, par la
libération desdits otages339. Cette situation illustre
l'influence qu'a en effet la France dans la détermination et même
l'orientation des dossiers diplomatiques camerounais.
Cette influence se confirme par les interviews
accordées par le président de la République du Cameroun
aux médias français. Le président Biya va accorder, en
octobre 2007, une interview à la chaine France 24 où il va
dévoiler ses projets constitutionnels et annoncer que l'Opération
Épervier ira jusqu'à son terme340. Aussi, la
Présidence
334 Fanny Pigeaud, Au Cameroun de Paul Biya, p.237.
335 Un incident survenu entre Yaoundé et Paris quelque
temps après l'accession du Cameroun illustre assez bien cette
idée. Après avoir constaté que les autorités
françaises lui envoyaient d'une manière anarchique et à
une cadence anormale du personnel de l'assistance technique au titre de la
coopération, le Cameroun entreprend une démarche auprès de
l'ancienne métropole visant à rationaliser ce type d'aide de
développement. Les responsables camerounais redoutent que la France
n'utilise la coopération pour résorber le chômage de ses
anciens cadres de l'administration coloniale, voire garder le contrôle
sur le jeune État et proposent au ministère français de la
Coopération un plan visant à encourager la camerounisation des
postes de l'administration camerounaise sur une période de dix ans. Mais
il est rejeté par la France qui demande au Cameroun de choisir entre la
« confiance » et « la rupture » Cet incident suscite chez
Christian Tobie KUOH, secrétaire général de la
présidence de la République du Cameroun, entre 1960 et 1964 et
initiateur du projet ainsi enterré ce commentaire
désabusé, « Ce n'est assurément pas l'exemple
d'une politique d'assistance digne de ce nom, qui ne devrait point se
départir de certaines règles et, parmi elles, celles-ci : (...)
acceptation sincère de l'indépendance du partenaire (...) »,
« Mon témoignage. Le Cameroun de l'indépendance
(1958-1970), Paris, Karthala, 1990, in Alain Fogue Tedom, Op.cit.,
p.61.
336 Jeune Afrique, no 2647 du 2 au 8 octobre 2011,
p.24.
337 Ibid., p.25.
338 Ibid., p.24.
339 Cameroon Tribune no10303/6504 du Lundi 18 mars
2013, p.2.
340 Jeune Afrique, Op.cit., p.25.
Mémoire en Master II Science Politique François
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Le projet géostratégique des
États-Unis d'Amérique dans le Golfe de Guinée : analyse
de l'action américaine au Cameroun entre 1997 et 2013
camerounaise achète, en raison de milliers d'euros, des
pages de grands journaux comme Le Monde, Le Figaro, L'Express, ou
encore le magazine parisien Jeune Afrique. Le Monde avait,
selon le journal camerounais Le Jour, reçu en 2010 un peu plus
de 124 millions de FCFA, tandis que Jeune Afrique recevait chaque
année 650 millions de FCFA du gouvernement camerounais341. A
partir de ces agissements du régime camerounais, la France assimile
à leur politique étrangère les responsables politiques et
diplomatiques. Aussi leur carrière et leur évolution
professionnelle sont contrôlées. Ainsi, la France préserve
de ses intérêts économiques vis-à-vis des
velléités américaines342.
La France utilise, pour limiter le projet américain au
Cameroun, la politique et la diplomatie dans l'aspect bilatéral. Cette
manière d'agir est aussi perceptible dans un cadre
multilatéral.
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