SECTION II : LES MOTIVATIONS STRATEGIQUES DE LA
RUEE
AMERICAINE AU CAMEROUN
La présence de plus en plus visible des
États-Unis au Cameroun s'inscrit dans la nouvelle stratégie de
sécurité nationale définie par l'administration BUSH en
septembre 2002. Les objectifs officiellement affichés sont la promotion
de la démocratie, des droits de l'Homme et la lutte contre certaines
maladies chroniques160. La présence américaine a comme
objectif l'usage du Cameroun comme allié et État pivot dans le
Golfe de Guinée161.
On peut l'affirmer au regard des réalisations
américaines dans le pays à l'exemple de leur nouvelle
chancellerie inaugurée en février 2006. Cette dernière a
coûté la bagatelle de 24 milliards de FCFA, ce qui conduira
l'ancien Ambassadeur américain, Niels MARQUARDT, à
déclarer que les États-Unis ont l'intention d'être au
Cameroun pour toujours162. L'explication de cet intérêt
provient de la production sans cesse croissante de l'or noir et d'autres
ressources dans le Golfe de Guinée et leur volonté de trouver des
marchés alternatifs au Golfe persique. Nous présenterons la
production croissante des ressources du Golfe de Guinée (paragraphe 1),
conduisant une conceptualisation de mobiles pour la conquête et le
quadrillage de cette région à partir de cet Etat camerounais
(paragraphe 2).
Paragraphe 1 : la production croissante en ressources
stratégiques
du Golfe de Guinée
160 Alain Fogue T. « Enjeux
géostratégiques et conflits politiques... », p.86.
161 Un Allié de revers se présente comme un
État à qui les États-Unis font recours, du moment
où ils se trouvent dans une situation défavorable au Nigeria,
dans cette région du Golfe de Guinée. Un État pivot quant
à lui est, pour les américains, un État d'appui par lequel
ils arrivent à se projeter vers d'autres États, ceci à
partir de la position d'axe stratégique occupée par le premier
dans la même région.
162 Nzeugang, « Une lecture de la coopération
américano-camerounaise depuis 2001... », p.15.
Mémoire en Master II Science Politique François
Xavier NOAH EDZIMBI, UY II-SOA 54
Le projet géostratégique des
États-Unis d'Amérique dans le Golfe de Guinée : analyse
de l'action américaine au Cameroun entre 1997 et 2013
Les États-Unis sont l'un des acteurs clés de la
géopolitique énergétique163. Malgré leur
statut de troisième producteur mondial et en dépit de
réserves conséquentes, les États-Unis importent
près de la moitié de leur consommation en
pétrole164. Ce phénomène s'explique par le
tarissement croissant de leurs réserves.
En effet, Les provinces pétrolières
américaines historiques sont en phase de déclin quoique leurs
productions soient partiellement compensées par celles des compagnies
industrielles, qui parviennent encore à renouveler les réserves
(en particulier le Golfe du Mexique)165. Au total, la production des
États-Unis baisse au rythme de 2% par an en moyenne- un peu moins-
depuis 1990. Les importations ont progressé de plus de 5% par an en
moyenne sur 15 ans, pour atteindre leur maximum historique en
2000166.
Elles s'élevaient alors à 11 Mb/jr, soit 54% de
la consommation totale167. En 2020, ces chiffres pourraient passer
à 19 Mb/jr et 66%168. Ainsi, l'économie
américaine présentée comme énergivore,
doublée par l'opposition des États-Unis de maitriser leur
consommation en ressources énergétiques, le pétrole en
l'occurrence, les poussent à se projeter là où se situent
les réserves pétrolières essentielles à la
poursuite de leurs activités économiques169. Cette
politique a débuté, au Moyen-Orient, par la sécurisation
du marché, à travers la mise en place de la Strategic Petroleum
Reserve (SPR) ayant pour objectif le remplissage de la réserve
pétrolière américaine d'une part et d'autre part, la
création d'un dispositif militaire d'intervention rapide au
Moyen-Orient170.
Mais aussi par leur investissement politique dans d'autres
régions jusque-là délaissées par eux à
savoir l'Afrique du Nord, l'Afrique subsaharienne, notamment dans le Golfe de
Guinée171 où se trouve le plus grand producteur
africain de pétrole, le Nigéria. La production
pétrolière nigériane est importante. Celle-ci l'a
propulsé, depuis quelques années, dans le cercle des quinze
premières nations productrices de pétrole au monde172.
La place du pays, dans l'équilibre du marché, s'en est
trouvée renforcée. En effet, les différents chocs
pétroliers ont permis aux grands consommateurs de voir les risques d'un
marché trop dominé
163 Pascal Lorot « Géopolitique des hydrocarbures
», p.40.
164 Ibid.
165 Pierre Noel, « Les États-Unis et le
pétrole... », p.36.
166 Ibid.
167 Ibid.
168 Ibid.
169 Pascal Lorot, Op.cit.
170 Pierre Noel, Op.cit.
171 Ibid., p.36
172 Noah Noah, « Enjeux énergétiques et
insécurité dans le golfe de Guinée... »,
p.42.
Mémoire en Master II Science Politique François
Xavier NOAH EDZIMBI, UY II-SOA 55
Le projet géostratégique des
États-Unis d'Amérique dans le Golfe de Guinée : analyse
de l'action américaine au Cameroun entre 1997 et 2013
par les producteurs du Golfe persique. Ces derniers ayant fait
étalage de leur puissance pendant les crises de 1973 et 1979, il
fallait, pour les grands consommateurs de pétrole, trouver un moyen
d'amenuiser leur capacité de nuisance et penser à trouver des
marchés alternatifs173. C'est pour cette raison qu'à
partir de la fin des années 1990, l'Afrique connaitra un
redéploiement stratégique des grandes puissances à la
recherche d'alliés de revers aux producteurs du Moyen-Orient. Le
Nigéria, comme d'autres marchés pétroliers marginaux, se
retrouve alors au centre des enjeux de puissance des grands consommateurs.
Ceux-ci tendent de se servir de lui comme une vitrine de leur
assise géostratégique dans le Golfe de Guinée,
région pétrolière la plus dynamique
d'Afrique174. Confrontés à une
insécurité de plus en plus grandissante au Moyen-Orient, les
États-Unis se voyaient dans obligation de trouver une région de
substitution à leurs préoccupations en ressources
stratégiques que sont le pétrole et d'autres matières
premières.
Doté d'un potentiel énergétique important
et de sources d'énergies diverses et variées (pétrole,
gaz, biomasse etc.), le Golfe de Guinée, jadis réputé pour
la qualité de ses produits agricoles, est devenu depuis quelques
années un véritable eldorado pétrolier175. Il
regorge de pétrole non seulement réputé pour sa
qualité, mais aussi des réserves en pleine croissance et d'un
volume de production élevé. Pour ce qui est des réserves,
la région du Golfe de Guinée où se concentre l'essentiel
des réserves d'Afrique subsaharienne est devenue depuis quelques
années l'une des zones-phares de la scène
pétrolière mondiale. N'étant pas comparable au
Moyen-Orient, ces réserves sont toutefois revues à la hausse.
Elles s'élèvent aujourd'hui à 55
milliards de barils, soit 4,8% des réserves mondiales176. Le
Golfe de Guinée compte de grands États détenteurs de
pétrole comme le Nigeria (ses réserves prouvées sont
passées de 31,5 milliards de tonnes en décembre 2002 à
35,2 milliards en avril 2005177. Elles sont si importantes qu'elles
représentent plus du double des réserves des autres États
africains détenteurs178. En fin 2006, les réserves du
Nigeria s'élevaient à environ 36,2 milliards de
barils179 et celles de l'Angola à 9 milliards de
barils180.
173 Ibid.
174 Ibid., p.43.
175 J. V. Ntuda Ebodé, « Les enjeux
pétroliers du Golfe de Guinée », in Diplomatie
Magazine, no 7, février-mars 2004, p.44.
176 M. Kounou 2006, « Pétrole et
pauvreté au sud du Sahara : analyse des fondements de l'économie
politique du pétrole dans le Golfe de Guinée »,
Yaoundé, éditions Clé, p.33.
177 Ibid.
178 Ibid.
179 Poissonnier H., HUISSOUD J.M, « Vers de nouvelles
stratégies de rente : pourquoi le pétrole ne suffit pas... »
in Enjeux, no 36, juillet 2008, p.20.
180 Ibid.
Le projet géostratégique des
États-Unis d'Amérique dans le Golfe de Guinée : analyse
de l'action américaine au Cameroun entre 1997 et 2013
Selon les dernières évaluations, les
réserves angolaises s'élèvent à 12 milliards de
barils et celles de la Guinée-Équatoriale à 1,8 milliards
de barils181.
Tableau 5 : Production et réserves
d'hydrocarbures en Afrique fin 2006.
PETROLE GAZ
Pays
|
Réserves en mds de barils
|
%
Mondial
|
Réserves en années de production
|
Production en milliers de barils par jour
|
%
mondial
|
Réserves (mds de M3)
|
%
mondial
|
Réserves en années
|
Production en milliards de M3
|
%
mondial
|
Algérie
|
12,
3
|
1,00
|
16,8
|
2005
|
2,20
|
4,5
|
2,50
|
53,2
|
84,5
|
2,90
|
Angola
|
9
|
0,70
|
17,6
|
1409
|
1,80
|
|
|
|
|
|
Autre
|
0,6
|
0,10
|
24,6
|
68
|
0,10
|
1,21
|
0,70
|
100+
|
8,2
|
0,30
|
CMR
|
|
|
|
63
|
0,10
|
|
|
|
|
|
Egypte
|
3,7
|
0,30
|
15
|
678
|
0,80
|
1,94
|
1,10
|
43,3
|
44,8
|
1,60
|
Gabon
|
2,1
|
0,20
|
25,3
|
232
|
0,30
|
|
|
|
|
|
Guinée Eq
|
1,8
|
0,10
|
13,8
|
358
|
0,50
|
|
|
|
|
|
Libye
|
41,
5
|
3,40
|
61,9
|
1835
|
2,20
|
1,32
|
0,70
|
88,9
|
14,8
|
0,50
|
Nigeria
|
36,
2
|
3,00
|
40,3
|
2640
|
3,00
|
5,21
|
2,90
|
100+
|
28,2
|
1,00
|
Congo
|
1,9
|
0,20
|
19,9
|
262
|
0,30
|
|
|
|
|
|
Soudan
|
6,4
|
0,50
|
44,23
|
397
|
0,50
|
|
|
|
|
|
Tchad
|
0,9
|
0,10
|
16,1
|
153
|
0,20
|
|
|
|
|
|
Tunisie
|
0,7
|
0,10
|
27,5
|
69
|
0,10
|
|
|
|
|
|
Total
|
117
,2
|
9,70
|
32,1
|
9990
|
12,10
|
14,18
|
7,80
|
78,6
|
180,5
|
6,3
|
Source : Enjeux no 36 Juillet
2008, p20.
D'après le tableau, en 2006, l'Afrique produisait un
peu plus de 12% du pétrole mondial et 6,3% de gaz. Les réserves
de pétrole s'élevaient quant à elles à 117,2
milliards de barils soit 9,70% des réserves mondiales. Pour ce qui est
du gaz en cette date, les réserves
181 Tchetchoua Tchokonté, « Enjeux et jeux
pétroliers en Afrique... », pp.28-29.
Mémoire en Master II Science Politique François
Xavier NOAH EDZIMBI, UY II-SOA 56
Mémoire en Master II Science Politique François
Xavier NOAH EDZIMBI, UY II-SOA 57
Le projet géostratégique des
États-Unis d'Amérique dans le Golfe de Guinée : analyse
de l'action américaine au Cameroun entre 1997 et 2013
africaines s'élevaient à 14,18 millions de
M3 soit 7,80% des réserves mondiales182. Ces
potentialités du Golfe de Guinée s'expriment aussi par une
production sans cesse croissante. En effet, avec une production de 4 millions
de barils par jour dont l'essentiel provient du Golfe de Guinée,
l'Afrique subsaharienne affiche une capacité de production qui
s'élève à 6% des extractions mondiales. Davantage, dans 10
ans cette production aura augmenté de 30% contre 16% seulement pour les
autres continents183. D'autre part, il faut relever que les
réserves avérées sur l'ensemble du continent africain
représentent environ 100 milliards de barils alors que sa production
actuelle n'est que de 9 millions de barils par jour dont 5 millions sont
tirés du Golfe de Guinée184 où se trouve le
Cameroun.
Cet État, bien qu'étant un producteur marginal,
voit son crédit s'agrandir auprès des États-Unis. En
effet, d'après le câble diplomatique, du 22 avril 2009,
révélé par le site WIKILEAKS, l'ancienne ambassadrice des
États-Unis au Cameroun, Janet GARVEY, pense que le secteur
pétrolier camerounais est porteur d'espérance185.
Classé septième producteur d'Afrique subsaharienne186,
le Cameroun voit sa production régulièrement augmenter depuis
2011187.
D'après les statistiques de la SNH, 65 puits
d'exploration et d'appréciation ont été forés entre
2008 et 2013. En 2012, la production a culminé à 22,3 de barils
pour atteindre la barre, en 2013, de 28,8 millions de barils fournissant 705
milliards de FCFA (1,41 milliards USD)188. Avec l'entrée en
production des champs pétroliers de Mvia, situé en on shore, dans
le bassin Douala-Kribi-Campo, et de Dissoni189, de même que la
découverte de nouveaux gisements (en octobre 2012, Addax Petroleum
découvre un gisement estimé à 20 millions de barils de
brut et 5,7 milliards de m3 de gaz dans le bassin offshore de Rio
Del Rey)190, le Cameroun, en 2014, projette une production d'un peu
plus de 30 millions de barils pour des recettes devant atteindre,
d'après le ministre des Finances, Alamine OUSMANE MEY, 718
182 Tchetchoua Tchokonté, « Enjeux et jeux
pétroliers en Afrique... », pp.28-29.
183 Ibid.
184 Alain Fogue T. « Enjeux
géostratégiques et conflits politiques... », p.259.
185 Selon ses propos : « Depuis 2007, le gouvernement
camerounais a manifesté de l'intérêt pour l'exploration du
pétrole, et du gaz, dans les blocs de Bakassi (752 km2),
Bolongo (462 km2), Lungahe (84 km2) et Mokoko Ouest (18
km2). Sur la base de tests géologiques préliminaires,
la SNH pense qu'il y a du pétrole dans l'Extrême Nord (le bassin
du Logone Birmi, 27 000 km2), dans le Nord (Garoua, 7800
km2) et dans le Sud-ouest (le bassin de Mamfé, 1775
km2) » in La Météo, no
557 du 05 décembre 2013, p6.
186 Ibid., p5.
187 Ibid.
188 Ibid.
189 Ibid., p.6.
190 Jeune Afrique, no 2750 du 22 au 28
septembre 2013, p.59.
Mémoire en Master II Science Politique François
Xavier NOAH EDZIMBI, UY II-SOA 58
Le projet géostratégique des
États-Unis d'Amérique dans le Golfe de Guinée : analyse
de l'action américaine au Cameroun entre 1997 et 2013
milliards de FCFA191. Toutes ces
potentialités amènent les États-Unis à
s'intéresser, de plus en plus, au Cameroun.
Ces différents facteurs expliquent le regain
d'intérêt actuel porté au Cameroun par les
États-Unis. Le secteur pétrolier camerounais en pleine
croissance, de même que celui de l'ensemble du Golfe de Guinée,
acquière un poids stratégique pour les États-Unis dans
leur volonté de rééquilibrage du marché
pétrolier mondial.
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