Idées politiques et révolutions au Maghreb arabe.( Télécharger le fichier original )par Joseph APOLO MSAMBYA Université Officielle de Bukavu - Licence en Relations Internationales 2010 |
Section III. La révolution en LibyeLa révolte libyenne a débuté le 15 février 2011 en Libye. Il est un mouvement de contestation populaire, assorti de revendications sociales et politiques, comme il en a été le cas en Tunisie et en Égypte, et s'inscrivant également dans un contexte de protestations dans les pays arabes. Comme lors des révolutions tunisienne et égyptienne, les manifestants demandaient plus de libertés et de démocratie, un meilleur respect des droits de l'Homme, une meilleure répartition des richesses ainsi que l'arrêt de la corruption au sein de l'État et de ses institutions. Le « Guide de la Révolution » libyen, Mouammar El-Kadhafi, est le plus ancien dirigeant arabe toujours en fonction : il est à la tête de la Libye depuis 42 ans, lorsqu'il s'empara 177 Sophie SHIHAB, « En Egypte, la révolution fait tomber la puissante sécurité d'Etat » in Le Monde, 9 mars 2011, p. 6. 178 Jean-Noël FERRIE, Op. Cit., p.15. Idées politiques et révolutions au Maghreb arabe. 73 du pouvoir depuis le 31 aout 1969179. Militant dès l'école coranique, il en fut exclu en Octobre 1961 pour avoir organisé une réunion politique de soutien à la République Arabe Unie de Nasser. Entré dans l'armée, il réunit autour de lui un groupe d'officiers intéressés comme lui par l'idée d'unité et de justice sociale pour les pays arabes. Dès le début de son règne, il releva les royalties et la fiscalité des produits pétroliers en faveur de la nation. Il assura conjointement avec des unions syndicales, la représentation et l'exécution de la volonté démocratique du peuple. Non seulement il a tenté maintes fois de militer pour l'unité du peuple arabe, mais aussi, après une série d'échecs auprès de ses frères arabes, il s'est tourné vers l'Afrique avec un argument de poids, ses pétrodollars, qui lui permirent de trop investir en Afrique subsaharienne, surtout en Afrique de l'Ouest, dans les secteurs d'hôtellerie (avec LAICO, Libyan African Investment Company) et de la téléphonie mobile (Green Network)180. Par ces investissements qui bénéficient beaucoup aux gouvernements de ces pays, Mouammar Kadhafi profita d'asseoir sa nuisance par un réseau des obligés sur ses pairs du continent181. Mais l'aspiration progressiste du leader de la révolution dépassa l'établissement d'une simple république, il projeta un système nouveau : la Jamahiriya (l'ère des masses) dont la doctrine est synthétisée de 1969 à 1978 dans les publications des trois chapitres de son Livre Vert182. Aujourd'hui, la politique de la Jamahiriya Libyenne était totalement tournée en direction de l'Unité africaine. L'Egypte qui, depuis la mort de Nasser en 1970, petit à petit, se rangea dans le camp occidental pro-américain et pro-sioniste, et déclencha en juillet 1977 une agression contre la Jamahiriya. Pour la révolution actuelle, les principaux mouvements ont d'abord eu lieu dans des villes de Cyrénaïque (à l'Est) : à El Beïda, Darnah et surtout Benghazi ainsi que dans diverses autres localités dans une moindre mesure. Les protestations se sont développées puis étendues dans pratiquement toutes les grandes villes du pays et à Tripoli, la capitale. 179 « La révolution libyenne : socialisme - justice - identité », édicté sur le http://www.pcn-ncp.com/RevLib.htm, consulté le 12 avril 2011. Lien Internet déjà cité. 180 François SOUDAN, « Kaddafi : l'Afrique entre peur et soulagement » in Jeune Afrique, n°2617, du 6 au 12 mars 2011, pp.22-31. 181 Christophe BOISBOUVIER et FAROUK HATTAB, « Les derniers feux de Kaddafi » in Jeune Afrique, n°2618, du 13 au 19 mars 2011, pp.12-14. 182 Le "livre vert" de Mouammar El-Kadhafi se veut une réponse aux problèmes que rencontre le monde moderne. Persuadé que l'unité Arabe ne pourra se faire que par la volonté du peuple, il veut accompagner les masses vers le système qui leur permettra d'installer une réelle Démocratie et un véritable socialisme. Le premier chapitre du « livret vert » est une réflexion sur le problème de la démocratie, le second chapitre traite du problème économique et la troisième partie traite des fondements sociaux de la « Troisième Théorie Universelle ». Idées politiques et révolutions au Maghreb arabe. 74 §1. Les causes et contexte du départ de la révolution libyenne A. Les causes lointainesL'insurrection libyenne dont il est question actuellement peut être remontée dans les années 1990 lors du massacre d'Abou Salim, le 29 juin 1996, durant lequel Abdallah SENUSSI, chef des services secrets, ordonna l'exécution de 1.270 des 1.700 prisonniers rebelles de la prison d'Abou Salim183. Ce massacre d'Abou Salim avait plongé la Libye dans une insurrection endémique en Cyrénaïque, animée par plusieurs mouvements, dont le principal est le Groupe Islamique Combattant en Libye (GICL) faisant partie du réseau Al-Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI). L'objectif du GICL est le renversement de l'Etat laïc libyen avec qui ils refusent toute négociation. Ils refusent également l'établissement d'un régime démocratique. Après deux tentatives d'assassinat contre Kadhafi en 1996 et 1998, ces mouvements se révèlent impuissants à le renverser. Ils se tournent rapidement vers le djihad en Irak et en Afghanistan. Ils constituèrent très vite la principale filière de recrutement et fournirent le plus gros contingent de moudjahidines étrangers en Irak et en Afghanistan : c'est le bataillon des libyens ou des maghrébins. Avec les débris du Groupe Islamique Armé algérien et du Groupe Salafiste184 pour la Prédication et le Combat, ils cofondent en 2007 Al-Qaeda au Maghreb Islamique. Le chef du GICL fut tué en 2008 par un missile américain. Il était le tout premier lieutenant de Ben Laden. Le GICL révisa ses positions en 2010 et déclara rompre avec Al-Qaeda et renonça à renverser le pouvoir par les armes185. Lorsque la ligue des droits de l'homme libyenne obtint la libération progressive de 946 prisonniers politiques liés à la mouvance djihadiste et islamiste, parmi lesquels figurait ABDEL-HAKIM AL-HASIDI, chef de l'insurrection, ancien d'Afghanistan, capturé au Pakistan en 2002, libéré par Kadhafi en 2008. Plusieurs de ces prisonniers sont rentrés en Libye et participèrent aux combats. 183 Nicolas BOURCIER, « Libye : l'homme qui a fait le printemps » in Le Monde, 22 mars 2011, p. 3 184 Le « salafisme » est un mouvement sunnite revendiquant un retour à l'islam des origines, fondé sur le coran et la sunna. Aujourd'hui, le terme désigne un mouvement composite fondamentaliste, constitué en particulier d'une mouvance traditionaliste et d'une mouvance djihadiste. Toutes ces mouvances affirment la continuation sans changement de l'islam des premiers siècles. Etymologiquement, « salafisme » (en arabe : as-salafiyya) provient du mot salaf, « prédécesseur » ou « ancêtre », qui désigne les compagnons du prophète de l'islam Mahomet et les deux générations qui leur succèdent. 185 Edicté sur le http://www.magharebia.com/cocoon/awi/html1/fr/features/awi/features/2010/07/23/feature-02, mis en ligne le 23 juillet 2010, consulté le 21 avril 2011. Idées politiques et révolutions au Maghreb arabe. 75 Ainsi, les autres grandes causes à l'origine de la révolution libyenne sont les suivantes : 1. Le système politique « tribalisé » Le système politique libyen est basé en grande partie sur des alliances tribales. Mouammar Kadhafi dirigea la Libye depuis 1969 après avoir renversé le roi Idris Ier par un coup d'État186. Et depuis sa prise de pouvoir, le « Guide » a mené le pays d'une main de maître, en plaçant ses proches et les membres de sa tribu au sein de l'armée et aux postes clés du gouvernement. En quarante ans de règne, Kadhafi a conservé le système tribal et l'a idéalisé pour s'appuyer dessus. Mais parallèlement, il a réduit le rôle des tribus et les a marginalisées, en constituant une ébauche de système administratif moderne, avec préfectures (muhâfazât) et municipalités (baladîyat), ce qui a amoindri le soutien que les tribus étaient susceptibles de lui apporter. En favorisant sa propre tribu, il a encore affaibli ce soutien. La Kadhafa (ou Qadhadhafâ ou tribu des Ghedadfas), à laquelle appartient Mouammar Kadhafi, est forte d'environ 125.000 membres surtout dans le centre de la Libye. Cette tribu avait la mainmise sur le régime libyen, elle était la plus armée et était toujours la plus privilégiée par Kadhafi pour défendre son régime187. Par ailleurs, le dirigeant libyen avait de tous temps été très méfiant vis-à-vis des forces armées libyennes, préférant volontairement les affaiblir par peur des coups d'État. Le « Guide » a plutôt renforcé les milices et les forces de sécurité spéciales dirigées par ses fils et les membres de sa tribu. La Warfala (ou Warfalla ou encore Warfallah) est la plus grande des tribus de Libye avec environ un million de membres188. Elle se situe essentiellement à Benghazi, dans l'Est du pays, d'où est partie la révolte. Les officiers warfalites ont fait les frais du coup d'État manqué en 1993, nombre des membres de la tribu occupant des fonctions dirigeantes dans l'armée ont été emprisonnés ou tués. 186 « La révolution libyenne : socialisme - justice - identité », édicté sur le http://www.pcn-ncp.com/RevLib.htm, consulté le 12 avril 2011. Lien Internet déjà cité. 187 Moncef DJAZIRI, « Tribus et État dans le système politique libyen » in Outre-Terre, n° 23, mars 2009, pp. 127-134, édicté sur le http://www.cairn.info/revue-outre-terre-2009-3-page-127.htm, consulté le 1er juin 2011. 188 Ibidem. Idées politiques et révolutions au Maghreb arabe. 76 La Makarha (ou Magharbâ) est concentrée dans les régions de l'Ouest du pays. Cette tribu était l'un des principaux appuis de Kadhafi, avant les représailles de celui-ci consécutives à la tentative de coup d'État de 1993. En novembre 2008, des affrontements violents ont eu lieu à Koufra, une oasis du Sud entre la tribu arabe des Zuwayas et l'ethnie Toubou, une population noire aussi présente au Tchad voisin. Le conflit a fait plusieurs morts, un indice de la crise du système mis en place par Kadhafi189. 2. La pauvreté, la corruption et le chômage L'économie libyenne est très largement dépendante de la rente du pétrole. Le PIB par habitant en 2010 était de 13.800 dollars, ce qui en a fait l'un des pays les plus riches par habitant du monde arabe, ce chiffre s'expliquant par une relative petite population190. L'essentiel des hydrocarbures est exporté vers l'Europe (85 %), et certains pays européens en sont très dépendants : l'Irlande, l'Italie (23 % du pétrole et 13 % du gaz d'Italie proviennent de Libye), l'Autriche, la Suisse et la France importent plus de 15 % de leur pétrole de Libye. Avec ces indices, la Libye est considérée comme un pays riche avec une population plutôt bien instruite, le taux d'alphabétisation étant de 92 % pour les hommes et 72% pour les femmes en 2007191. Cependant, selon l'Indice de perception de la corruption, le degré de corruption perçu dans le pays est plus élevé en Libye qu'en Égypte ou en Tunisie. Enfin, le taux de chômage est très important. Comme en Tunisie, la proportion de jeunes de moins de 25 ans est très élevée (47,4 % de la population). |
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