§3. Les idées politiques du XXIème
siècle
Si à l'après première guerre mondiale ont
succédé le fascisme et le nazisme, si l'après
deuxième guerre mondiale a donné naissance à l'antagonisme
Est-Ouest, l'après-guerre froide, quant à elle, accouche d'un
monde incertain, voire dangereux. Le monde a basculé dans une nouvelle
ère des idées, de nouveaux mots, porteurs des nouvelles visions
du monde se sont imposés. Avec ces mots (tiers-monde, commerce
international, néo-libéralisme, déclin des États,
réseaux, finance mondiale, gouvernance mondiale, crise financière
ou économique, les pays du Nord et du Sud, pays émergents...),
surgit une nouvelle carte du monde, avec ses nouveaux centres de gravité
et rapports de force64.
Le XXIe siècle est envahi par les
idées de globalisation et du fanatisme fondamentaliste et
derrière elles, la démocratie, l'économie libérale
de marché imposées à tous et qui ne suffisent pas pour
stabiliser la donne internationale aujourd'hui, la culture, la science et la
religion65.
La globalisation est, certes, une tendance objective et, dans
une grande mesure, irréversible, résultant des progrès de
la technique, en particulier celle des communications. Elle ne résulte
pas d'une conspiration occulte et mérite encore moins d'être
transfigurée en l'impérialisme. Mais il reste qu'elle correspond
à une certaine idéologie, celle du libéralisme, à
une certaine politique économique, celle du libre-échange, et
à un certain nombre d'idées fortes, comme le déclin des
États. En outre, elle est évidemment encouragée et
utilisée par la seule puissance globale, les États-Unis, dont la
position assure, même si elle n'y vise pas consciemment, que la
globalisation charrie inévitablement ses modèles culturels, et
qui, de surcroît, associe dans son discours les progrès de la
globalisation, ceux du capitalisme, de la démocratie et de la paix. Sur
le plan théorique, Francis Fukuyama attribue la « fin de
l'histoire » à la fois au triomphe idéologique de la
démocratie libérale sur les idéologies concurrentes et aux
conséquences inévitables de la science moderne66.
C'est pour cela même que, pour remédier les problèmes
liés à la globalisation ou mondialisation, l'on a forgé le
concept de gouvernance qui repose sur l'idée de mettre en place un
nouveau système de régulation
64 Jean-François DORTIER, « La nouvelle
carte des idées » in Sciences humaines, n°222, janvier
2011, pp.6-7.
65 Diur KATOND et al, Histoire des relations
internationales, Kinshasa, Editions Sirius, 2008, p.129.
66 F. FUKUYAMA, cité par Pierre HASSNER,
Op. Cit., p.695.
internationale dépassant l'action des seuls
États pour peser collectivement sur l'avenir du monde en assurant la
paix et en développant la coopération entre les
peuples67.
Aussi de façon générale, le mouvement de
sécularisation et de désenchantement du monde se poursuit plus
vigoureusement au double niveau de l'influence des Églises et d'une
vision du monde offrant, d'une part, une orientation stable et
cohérente68, mais aussi d'autre part, en revanche, les
croyances religieuses jouent un rôle politique ambigu mais essentiel dans
trois cas de figures. Premièrement, celui des pays non chrétiens
qui sont le théâtre d'une lutte intérieure dont l'enjeu est
la définition laïque ou religieuse de leur identité (cas de
l'Israël où l'affrontement entre religieux et laïcs est de
plus en plus direct et brutal ; de l'Inde, dont la conception laïque de
l'unité héritée de NEHRU est mise à mal par le
nationalisme hindouiste). Deuxièmement, celui des sectes, dont la
prolifération, la croissance et la diffusion internationales sont le
phénomène le plus frappant des dernières décennies.
Dans ce second cas, la religion se moque des frontières, comme en
témoigne le succès des pentecôtistes en Amérique
latine ou de la secte japonaise Aoum en Russie. Le troisième cas est
celui de l'islam où le spectre de la révolution islamique a
remplacé celui du communisme69.
Ce qui est certain, c'est que nous assistons non pas à
un conflit global de civilisations comme le croit Samuel HUNTINGTON ou à
de nouvelles croisades entre des coalitions fondées sur leur
appartenance aux grandes religions. Les affrontements religieux augmentent
malgré la déchristianisation et le déclin de l'islamisme,
mais ils se déroulent entre musulmans et chrétiens dans des pays
asiatiques ou africains (cas des conflits entre coptes et musulmans en
Égypte, chrétiens et musulmans au Nigeria), de
l»Indonésie au Soudan70, entre hindouistes et musulmans
laïcs en Inde, entre nationalistes laïcs et religieux en
Israël.
Finalement, les deux idéologies émergentes et
concurrentes, aujourd'hui, sont celles du communautarisme et celle des droits
de l'homme. Les deux idéologies encouragent la coopération entre
les États-nations tout en promouvant les valeurs universelles, les
États étant ainsi invités à encourager la
coopération pour résoudre ensemble les multiples problèmes
qui rongent la planète terre. L'individu et le groupe vécu sur le
modèle familial, à un bout, la
67 Robert KOLB, « L'idée de gouvernance
et sa première incarnation : la société des Nations »
in Questions internationales, n°43, mai - juin 2010,
p.10.
68 P. Michel, cité par Pierre HASSNER, Op.
Cit., p.697.
69 E. GELLNER, cité par Pierre HASSNER,
« Le rôle des idées dans les relations internationales
» in Politique étrangère 3-4/2000, p.698.
70 « Les points chauds du conflit entre islam et
christianisme » in Le monde, 6 juillet 2000.
Idées politiques et révolutions au
Maghreb arabe. 36
globalisation socio-économique et l'universalisme
moral, à l'autre, ont donc fait irruption au premier plan et
réveillé les États de leur sommeil
diplomatico-stratégique. Certes, ce que perdent les États est
moins souvent gagné par des institutions internationales ou
transnationales que par des groupes organisés dont les
intérêts sont au moins aussi particuliers que ceux des nations. Il
n'empêche que l'idée d'intervention ou d'ingérence contre
l'inhumanité ou pour les droits de l'homme monte en puissance, et cela
malgré les déconvenues parallèles de l'humanitaire
d'État et de l'angélisme sans frontières.
Ainsi, après avoir fait ressortir les idées
majeures ayant caractérisé chaque période de l'histoire
dans ce premier chapitre, notre démarche consiste maintenant, dans le
second chapitre, à donner une esquisse sur les notions de
révolutions en relations internationales.
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Maghreb arabe. 37
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