Bien que ce domaine soit moins critiqué que les autres
en macroéconomie (Szarowska, 2010), on note toutefois quelques
divergences entre pro-keynésiens et pro-libéraux.
> La vision pro-keynésienne
Haavelmo(1945), énonce un résultat sous forme
de théorème : « si la fonction de consommation est
linéaire, et l'investissement total est constant, un impôt
égal à T qui est entièrement dépensé(en
biens et en services) augmente le revenu national brut d'un montant T et laisse
inchangé le revenu. » Ce théorème montre comment les
effets multiplicateurs d'un budget en équilibre tendent à
favoriser les politiques de relance par la dépense publique. Autrement
dit, même en maintenant un budget équilibré, une
augmentation des impôts se traduit par un accroissement de la richesse
nationale. Cependant, les compensations réalisées par la
dépense publique à la suite d'un prélèvement fiscal
du même montant ne sont pas automatiques. Il y a un décalage entre
l'amputation des revenus par un prélèvement fiscal au cours d'une
période et la dépense publique qui n'engendrera de nouveaux
revenus qu'au cours d'une période ultérieure (Harberler et al.
1946). Vingers (1957) approfondit ce point de vue et aboutit à la
conclusion que l'accroissement du revenu global brut n'est pas égal au
montant du prélèvement dès la première
période. Ce résultat n'est atteint qu'après un nombre
infini de périodes.
Toutefois, force est de noter que ces études ne sont
valables que dans le cas d'une économie fermée. Dans une
économie ouverte (comme c'est le cas pour toutes les économies
actuelles), la hausse de la charge fiscale, compte tenu de la mobilité
des facteurs due à la mondialisation, amènera les investissements
privés, principales sources de la création de la richesse,
à s'exiler vers des zones où la fiscalité est moins
contraignante (l'évasion fiscale). Les libéraux par contre ont
une vision encore plus négative de la fiscalité comme moteur de
la croissance, car selon Friedman (1962), si l'on accroît la
fiscalité, il en résulte incontestablement une réduction
du revenu disponible de ceux qui sont frappés par cet impôt, et
donc une baisse des ressources qu'ils peuvent affecter à leur
dépense, et par voie de conséquence, une diminution de la demande
globale. De plus, la fiscalité modifie la répartition primaire
des revenus par le biais des prélèvements obligatoires et des
transferts, ce qui peut induire des distorsions dans les choix individuels des
contribuables, qui diminuent les recettes fiscales. En d'autres termes, les
agents économiques réagissent aux hausses ou aux baisses
d'impôts, aux transferts, ou encore à l'introduction d'un
«impôt négatif», en modifiant leurs décisions de
production ou d'épargne,
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leur offre de travail, voire leurs sources de revenus. Dans
ces conditions, les économistes libéraux ont
développé la théorie de l'imposition optimale, qui est un
système de prélèvements obligatoires qui maximise les
recettes fiscales, tout en minimisant les désincitations à
l'effort chez les contribuables. Le problème posé est donc celui
du choix des barèmes et de la forme d'imposition des revenus qui
maximisent le bien-être collectif.
> Vision pro-libérale
Les libéraux pensent que la fiscalité a un
impact négatif sur la croissance économique. Cet impact
dépend, du système de taxation qui minimise les distorsions et
les inefficacités économiques, mais aussi du niveau
élevé du taux d'imposition.
En effet, le choix de la consommation ou du revenu comme
assiette de taxation ne préoccupe pas uniquement les économistes
et les philosophes contemporains. Hobbes (1651) par la suite Mill (1852) aborde
la taxation sous l'angle de la justice. En condamnant de taxer la richesse pour
empêcher qu'on décourage son accumulation, et pour éviter
la double taxation de l'épargne, les meilleures taxes
préconisent-t-ils sont celles imposées à la consommation,
pour éviter le gaspillage et l'oisiveté, mais aussi pour
réduire les distorsions dans le choix de la consommation présente
et future de l'individu.
Cette idée a été reprise et
améliorée par les théoriciens de la taxation optimale
(Ramsey, 1927 ; Mirrlees, 1971) pour étudier le système de
taxation qui minimise les distorsions et les inefficacités
économiques. En effet, une taxe sur le travail peut inciter les
individus à travailler moins qu'ils ne le désirent, de renoncer
à un emploi ou même peut les amener à consommer des biens
non désirés, diminuant ainsi leurs satisfactions. Les taxes sur
les biens et services entrainent également ce que les économistes
appellent une perte sèche. Les économistes ont ainsi
développé des modèles permettant de déterminer la
manière de taxer les biens et les revenus de telle sorte que les effets
négatifs soient minimisés. Ramsey (1927) propose de taxer
uniquement les biens et services, de telle sorte que les biens à la
demande la plus inélastique soient le plus fortement taxés.
L'idée est que si les taxes portent en priorité sur des biens
dont la demande varie peu en fonction du prix, le consommateur ne modifiera pas
de façon importante son comportement de consommation. Mirrlees (1971) a
façonné la théorie moderne de la taxation du revenu, en
formalisant l'arbitrage que doit réaliser le gouvernement entre
égalité d'une part, et efficacité d'autre part. Si une
taxation plus forte des salaires élevés peut apporter plus
d'égalité, elle décourage en revanche le travail et peut
faire diminuer le nombre d'heures travaillées.
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Dans le cadre de travaux portants sur les modèles de
croissance endogène, Milesi-Feretti et Roubini (1998) modélisent
une économie à trois secteurs (des biens finaux, du capital
humain et des biens non marchands) pour mesurer l'impact de l'imposition du
revenu et de la consommation sur la croissance économique dont
l'accumulation du capital humain et physique en constitue le moteur. Ils
concluent que la taxe sur la consommation conduit à la baisse de la
croissance, entrainant une distorsion qui consiste à privilégier
le temps passé en loisir (que les auteurs définissent par
production domestique ou « temps pur ») au lieu du temps
accordé aux activités productives (travail et éducation).
Aussi, les impôts sur les sociétés grèvent le plus
la croissance, suivis par les impôts sur le revenu des personnes
physiques et les impôts sur la consommation ; les impôts sur
l'immobilier semblent les moins nocifs. Ce point de vue est également
partagé par Johansson et al. (2008). Ils préconisent de
transférer la charge fiscale vers les impôts les moins
générateurs de distorsions (impôts sur l'immobilier).
Toutefois, bien qu'intéressante, cette théorie de la Taxation
Optimale ne prend pas en compte la complexité des appareils fiscaux. En
effet, pour Slemrod (1990) l'approche par la taxation optimale est
incomplète pour guider les choix des décideurs publics en
matière de politique fiscale. Elle omet le fait que la taxation
correspond à un système de collecte de revenus sous la contrainte
d'individus qui tendent à y résister. Aussi, la nature coercitive
de l'impôt génère des coûts d'efficience, à
l'exemple des coûts de collecte fiscale, ceux imputables à la
décision de se conformer à la loi fiscale, et ceux liés au
risque d'évasion fiscale et au renforcement légal.
Les économistes de l'offre ont quant à eux une
vision de la taxation légèrement différente. Selon les
anciens libéraux, la fiscalité est un frein à la
croissance. C'est le cas de Say (1826) qui conclue qu'un impôt
exagéré détruit la base sur laquelle il porte ; ou encore
de Smith (1776) pour qui, l'impôt peut entraver l'industrie du peuple et
le détourner de s'adonner à certaines branches du commerce ou du
travail, qui fournissent de l'occupation et des moyens de subsistance à
beaucoup de monde.20 Cette conception s'est vue adaptée par
Stourn (1912); Laufenburger et Pflimlin (1938) et Friedman (1962) qui restent
réservés sur l'efficacité de la politique fiscale pour
booster la croissance économique. De la même manière,
Trabandt et Uhlig (2010) ; Spagnoli (2012) et Laffer et al. (1978), estiment
que plus le taux d'imposition augmente, plus les recettes fiscales augmentent
mais seulement jusqu'à un certain seuil. Au-delà, elles finissent
même par diminuer. D'où la célèbre formule de Laffer
: «Trop d'impôt tue l'impôt »
ou encore « Les hauts taux tuent les totaux
» qui tente de théoriser ce qu'il appelle «
l'allergie fiscale ». Dans ce modèle,
deux effets contradictoires rentrent en jeu: un effet de
20 Tiré de : Revue d'économie de
développement de Brun (1998)
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substitution qui incite un agent à diminuer son temps
de travail, et un effet de revenu qui incite un agent à travailler plus
afin de retrouver le niveau de salaire qu'il disposait avant l'augmentation des
impôts. Cette vision est partagée par les adeptes de la croissance
endogène. A cette fin, si l'on en croît Lucas et Rapping (1969),
lorsque le salaire après impôt est temporairement plus faible, la
quantité de travail offerte tend à diminuer (effet de
substitution) puisque les agents qui anticipent une hausse des salaires vont
augmenter provisoirement leur temps de loisir. Cependant un salaire plus faible
appauvrit son détenteur, d'où une réduction de la demande
de loisir (effet de revenu). Ainsi, Pour des taux d'impositions
élevés, l'effet de substitution l'emporte sur l'effet de revenu.
Toutefois, il est important de noter que cette situation est propre au court
terme, car dans le long terme, toute hausse des impôts induit des effets
de revenu qui stimulent l'offre de travail et diminuent par la même
occasion le coût d'opportunité du temps consacré à
la formation. Et à l'inverse réduit le rendement de
l'investissement en capital humain : la fiscalité sur le travail est
donc un facteur de moindre accumulation du capital humain et donc de croissance
plus faible. Cette difficulté est résolue par le modèle
Aghion et Howitt (1992), où les dépenses de recherche et
développement constituent un facteur essentiel du progrès
technique et par-là, de la croissance. Tout particulièrement dans
les pays les plus développés, les dépenses de recherche et
développement bénéficient d'un statut fiscal
spécifique qui modifie en leur faveur la structure des coûts
relatifs.
Force est de noter que le problème de
l'économie de l'offre réside dans le recherche du taux qui
maximise le montant des recettes fiscales. Une réponse a
été donnée par Barro (1991) à travers son
modèle de croissance endogène où les taux de croissance du
capital et de la production sont fonctions du taux de prélèvement
fiscal. Ce taux a une influence ambivalente sur le niveau de croissance. D'une
part, les prélèvements fiscaux réduisent directement la
production et l'épargne privée, et d'autre part, ils permettent
à la productivité du capital de se maintenir, car ils financent
les biens publics purs, produisant des effets externes positifs, qui
bénéficient à l'économie toute entière. La
résultante est alors une augmentation du niveau de croissance. Les
responsables de la politique économique doivent donc choisir la valeur
du taux de prélèvement qui maximise le taux de croissance.
Au total, l'économie de l'offre est l'économie
de l'incitation à travailler et à investir par une baisse de la
pression fiscale. Parallèlement, les prestations sociales doivent
diminuer pour rétablir l'incitation au travail (lutte contre le
chômage). Ainsi, des réformes fiscales neutres, qui
réduisent les taux d'imposition, augmentent la base fiscale, diminuent
les exonérations et
mettent en place des systèmes fiscaux
décourageant le moins possible l'accumulation du capital, peuvent
stimuler la production et l'emploi (Kesnerskreb ,1999).
Cependant, le modèle théorique sous-jacent
à la courbe de Laffer a fait l'objet de nombreuses critiques. Notamment,
les hypothèses sur lesquelles il repose sont peu souvent
justifiées et recouvrent ainsi un caractère ad hoc (Théret
et Uri, 1988). Aussi, l'analyse de l'impact de l'impôt sur l'offre des
facteurs de production, dans l'approche « individualiste »
traditionnelle, conclut en général à une
indétermination théorique suite à l'existence de deux
effets contradictoires : l'effet de substitution et l'effet revenu. En effet,
un accroissement du taux d'imposition, donc une diminution du salaire net
après impôt, incite les salariés à réduire
leur offre de travail et crée ainsi un effet de substitution en faveur
du loisir. Mais, en réduisant le revenu perçu, il favorise un
accroissement de l'offre de travail afin de maintenir le niveau
antérieur de consommation, il s'agit ici d'un effet de revenu qui
s'oppose à l'effet de substitution. L'analyse théorique ne permet
donc pas de trancher sur l'importance relative de ces deux effets. De plus, les
impôts les plus massifs sont généralement ceux dont
l'assiette est définie de la façon la plus large. Dès
lors, l'élasticité de cette assiette au taux d'imposition peut
moins vraisemblablement avoir une valeur forte, les possibilités de
substitution de l'offre en faveur d'autres facteurs, non ou moins taxés,
ou la demande en faveur d'autres biens et services, étant plus
réduites. Une courbe de Laffer globale serait dès lors d'autant
plus improbable que l'évolution contemporaine des systèmes
fiscaux a plutôt été dans le sens d'une suppression des
impôts spécifiques et d'une généralisation de
quelques « grands prélèvements » (Théret et Uri,
1988).
Face à ces limites, d'autres économistes
privilégient l'utilisation des taux marginaux de d'imposition. C'est le
cas des auteurs comme Easterly et Rebelo (1993) et Koester et Kormendi (1989)
qui estiment que le taux de pression fiscale (ratio recettes fiscales sur PIB)
est trop général pour être un bon indicateur de politique
fiscale.
Certains auteurs pensent même que l'impact de la
politique fiscale sur la croissance est négligeable (Harberler, 1964 ;
Mendoza et al., 1997 ; Engen et Skinner, 1996), et concluent que cet impact est
modeste et est de court terme. Ils pensent également que mis à
part la taxation absolue, la structure de la fiscalité est
également importante pour la croissance économique. De ce qui
précède, il ressort que l'impôt direct sur le revenu ou
l'investissement peut avoir un impact négatif sur la croissance à
long terme. La croissance peut seulement être soutenable s'il existe une
motivation qui oriente les individus à investir dans le capital
(physique ou humain). Dans la plupart des modèles de croissance
endogène, cette motivation est exprimée par le taux du retour sur
investissement. Puisque les impôts sur le revenu ou l'investissement
jouent sur
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l'efficacité marginale du capital, ils
réduisent aussi la motivation des individus à investir dans les
actifs fixes ou à s'éduquer, donc contribuent à freiner la
croissance. Toutefois, les pays qui s'arrangent à collecter des
impôts aux moyens d'une large base d'impôt et d'une organisation
efficiente réalisent probablement une croissance plus rapide que les
pays ayant une base fiscale limitée et une organisation fiscale
inefficace (Engen et Skinner, 1996).