Bien que l'on reconnaisse la persistance de l'évasion
et des fraudes fiscales sur le continent, le problème majeur de la
fiscalité africaine est celui de la faiblesse des taux de
prélèvements fiscaux et l'étroitesse de l'assiette
d'imposition7. Ce constat diffère légèrement
lorsqu'on situe du côté de l'Afrique en général, et
de la zone CEMAC en particulier.
> L'économie africaine en général
Après être restés presque
inchangés entre le début des années 90 et le début
des années 2000, les chiffres des recettes publiques en pourcentage du
PIB se sont constamment améliorés dans la plupart des pays
africains. Les recettes nationales (définies comme les recettes
publiques fiscales et non fiscales, à l'exclusion des dons) ont
augmenté de près de 4 points de PIB entre 2002 et 2007,
atteignant une moyenne de plus de 25 % en 2007 pour l'ensemble de l'Afrique
sub-saharienne. Si l'on exclut le Nigeria et l'Afrique du Sud, l'augmentation
des recettes publiques en pourcentage du PIB a été encore plus
prononcée pour le reste de l'Afrique sub-saharienne, puisqu'elles sont
passées de 18,8 % en moyenne au cours de la période 1997-2002
à 25,4 % en 20078. Toutefois, d'énormes efforts
restent encore à fournir. En effet, si l'on en croît Chambas
(2005), nombre d'entrepreneurs individuels, pourtant largement au-dessus des
seuils de taxation, parviennent à éluder en grande partie de
l'impôt sur les bénéfices dont ils sont redevables, de
telle sorte que moins de 700 entreprises contribuent à plus de 80 % des
impôts directs. Par conséquent, une part importante de
l'augmentation des recettes fiscales en Afrique provient des impôts sur
les ressources naturelles, tandis que les recettes non liées à
ces ressources n'ont augmenté que de moins de 1 % du PIB, et le ratio
impôt/PIB en Afrique Subsaharienne est passé de moins 15% en
moyenne à plus 18% sur une période de 25ans9. Cela
devient d'autant plus préoccupant si l'on prend en compte les effets de
la crise économique mondiale de 2008. En effet, la baisse des recettes
d'exportation en 2009, a entraîné celle du taux de croissance qui
n'était que de 2,8%, soit moins de la moitié des 5,7%
enregistrés en 2008. Dans l'ensemble, lorsqu'on compare le taux de
pression fiscale de l'Afrique à celui des pays de l'OCDE, qui est de 36
%, (moyenne non pondérée pour 2006)10, avec un secteur
informel important et échappant l'imposition (Chambas, 2005), il est
évident que les gouvernements africains souffrent d'une nette
insuffisance de leurs recettes fiscales.
7 Banque de France, rapport annuel de la zone Franc 2011.
8 P. 13, OCDE, Financement du développement en Afrique,
de Monterrey à Doha, OCDE, 2008
www.africapartnershipforum.org/dataoecd/63/17/41656352.pdf
9 Selon l'Initiative NEPAD-OCDE pour l'investissement
en Afrique sur la période 1980-2006
10 Base de données fiscale de l'OCDE, 2006.
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Par ailleurs, l'un des problèmes les plus pressants
auxquels doit faire face le continent consiste à rechercher une voie
pour libérer les pays africains d'une dépendance excessive
à l'égard des flux de capitaux d'origine externe tels que l'aide
étrangère. En effet, ces sources de financement d'origine externe
sont victimes de l'instabilité de l'environnement macroéconomique
mondiale (comme la récente crise financière ou la recrudescence
du terrorisme), et par conséquent transmettent ces instabilités
aux gouvernements bénéficiaires. Ce qui est nuisible pour la
croissance économique (Berg, 1997). A cet égard, une condition
indispensable est le renforcement de la capacité de mobilisation des
ressources nationales. Les recettes nationales doivent constituer l'une des
principales sources d'expansion de l'espace budgétaire en raison de leur
caractère durable, ce qui permet de réduire la dépendance
à l'égard de l'assistance des pays donateurs. De plus, en misant
davantage sur les recettes intérieures, les pays limitent le risque de
« syndrome hollandais » (dutch desease). En effet, la
littérature économique conclut que la dépendance des
ressources naturelles est associée à de faibles performances
économiques (Sachs et Warner, 1995). Ce résultat s'explique par
l'effet « dutch desease » et l'effet volatilité des prix des
ressources naturelles. Un boom dans le secteur produisant une ressource
naturelle conduit à une hausse du prix des biens non échangeables
alors que celui des biens échangeables est déterminé sur
le marché international (Omgba, 2010). Par ailleurs, les prix des
matières premières sont plus volatiles que les prix des produits
manufacturés (Grilli et Yang, 1988). La volatilité introduit
l'incertitude dans la prise de décision des agents économiques.
Cette incertitude est coûteuse en termes de bien-être. Toutefois,
ces effets négatifs peuvent être atténués en
présence d'institutions de bonne qualité (Sala-I-Martin et
Subramanian, 2003 ; Mehlum et al., 2006). La hausse des recettes fiscales
réduit le risque du Syndrome hollandais. En outre, pour un grand nombre
de pays africains, les tarifs douaniers représentent une part importante
des recettes publiques. Bien que l'ouverture des économies aux
échanges extérieurs soit susceptible de stimuler la croissance
économique à long terme, les pays qui participent aux
négociations commerciales comme le Cycle de Doha ou les Accords de
partenariat économique (APE) sont tenus de réduire leurs tarifs
douaniers et collecteront par conséquent moins de recettes. A l'heure
actuelle, dans certains pays africains, jusqu'à 30 % des recettes
fiscales ne concernant pas les ressources naturelles (4 % du PIB) sont
collectées sous forme de tarifs douaniers et d'impôts liés
aux échanges extérieurs. La perte de cette source de recettes
à la suite de la libéralisation des échanges est
susceptible d'avoir des conséquences budgétaires importantes.
Cela rend évidemment particulièrement difficile le maintien des
niveaux de recettes actuelles, et à plus forte raison leur augmentation.
Il est nécessaire de disposer d'autres sources de recettes avant la
réduction progressive des tarifs douaniers. C'est
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le cas en particulier pour l'Afrique dans le contexte des
Accords de partenariat économique (APE) avec l'Union européenne,
car les échanges avec les pays de l'Union représentent
traditionnellement près des deux tiers du commerce extérieur des
pays africains (AfOA-UE, 2007). Les échanges transfrontaliers avec les
pays limitrophes sont beaucoup moins importants, dans la mesure où le
commerce intra régional ne représente que 10 % des
échanges extérieurs de l'Afrique (PER, 2009).
Le continent a donc intérêt à assurer sa
transition fiscale, c'est-à-dire substituer des ressources de
fiscalité interne à des recettes tarifaires décroissantes
sans voir le niveau de ses ressources publiques chuter. Du fait de
l'étroitesse de l'assiette fiscale, les impôts directs (IRPP et
IS) ne peuvent constituer des instruments majeurs de cette transition (Tanzi et
Zee, 2000). Une brèche est donc ouverte aux impôts indirects
(impôts sur la consommation : TVA et droits d'accises) pour assurer la
transition fiscale. En effet, la part des impôts directs dans les
recettes totales pour les pays africains a progressé de 14 points entre
1980-1982 et 2000-2002 (Chambas, 2005). Toutefois, cette solution pose un
problème qui est celui du choix des entreprises suffisamment
crédibles pour jouer le rôle de collectrices d'impôts
intermédiaires. Pour cela, elles doivent être assujetties au
régime d'imposition réel11. Le rôle de
collecteurs est crucial pour le fonctionnement du système de
mobilisation de l'impôt. L'assujettissement des entreprises, personnes
morales ou physiques, à un régime d'imposition réel doit
avoir pour condition l'obligation de tenir une comptabilité probante. En
raison du service de collecte rendu par les entreprises assujetties,
l'État doit veiller à minimiser la charge administrative ainsi
supportée par les entreprises (simplification des régimes
fiscaux, des procédures, réduction des tracasseries,
modernisation des contrôles) et aussi éviter que ces entreprises
supportent l'incidence de charges fiscales supplémentaires en raison de
fraudes. L'efficacité du système de mobilisation des recettes
dépend étroitement de la capacité de l'administration
fiscale à contrôler les entreprises collectrices des impôts,
en priorité les grandes entreprises, qui concentrent l'essentiel du
potentiel de recettes. Aussi, convient-il d'exclure des fonctions de
collecteurs d'impôts, par des seuils d'imposition suffisamment
élevés, les entreprises incapables d'assumer cette charge
à un coût raisonnable (Keen, 2004). Dans cette optique, la grande
majorité des pays africains s'est ainsi engagée dans la mise en
place d'un taux uniforme
11 Le régime réel repose sur
l'appréhension des flux comptables effectifs. Il constitue une condition
nécessaire à l'assujettissement à la TVA, assujettissement
qui consiste pour l'État à confier la collecte de la TVA au
contribuable assujetti. En raison du caractère central de la TVA, Le
choix du régime d'imposition s'opère essentiellement en fonction
de la TVA. Ce choix emporte celui du régime d'imposition pour les autres
impôts.
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de TVA, avec cependant des exonérations pour les
produits de première nécessité afin d'atténuer le
caractère régressif du taux unique. Cependant, depuis la mise en
oeuvre de la réforme, les pays africains sont confrontés à
la baisse de leurs ressources publiques du fait de plusieurs contraintes. La
première est le taux de collecte de la TVA, qui est plus
élevé que celui des droits de porte de l'ordre du double. La
seconde est la réduction de la base taxable : en contexte de
libéralisation, non seulement on assiste à une baisse des tarifs
sur l'importation, mais aussi et surtout la production se réoriente de
la consommation domestique vers l'exportation. Autrement dit, de la production
taxable vers la production non taxable. L'analyse des différents taux de
prélèvements publics des Etats, et leur évolution montre
une dimension structurelle importante : celle de la baisse des tarifs douaniers
d'une part avec une chute des droits et taxes à l'importation (DTI) et
d'autre part avec souvent une détérioration de la
fiscalité interne. Résultat, la pression fiscale diminue et les
soldes budgétaires se dégradent à l'exception des pays
exportateurs de pétrole qui bénéficient de la manne
pétrolière.
Cette revue des arguments qui ont guidé la transition
fiscale dans la plupart des pays africains nous permet de voir où en
sont les réformes sur cette transition, et surtout d'apprécier
les résultats de ces réformes sur les finances publiques en
général, et sur les finances locales en particulier. Elle montre
surtout que la pression fiscale n'est pas terminée il faudra encore du
temps pour qu'en effet, les gains de recettes introduites par la transition
fiscale compensent les pertes de recettes induites par la suppression des
droits de douanes. En outre, cette revue nous fixe sur la nature des
contraintes budgétaires à venir. Le fait que les nouvelles
ressources publiques des pays africains vont être majoritairement issues
de la fiscalité indirecte va poser un autre problème important.
Il s'agit de la volatilité des ressources publiques, et donc des
politiques budgétaires pro-cycliques. En effet, les ressources les plus
stables sont celles issues de la fiscalité directe, elles assurent une
stabilité financière, et sont peu liées à la
conjoncture économique. Par contre, les recettes issues de la
fiscalité indirectes sont connues pour être
particulièrement instables (Yatta, 2009), exposant les budgets nationaux
à des chocs économiques plus importants et entrainant de ce fait,
une volatilité de la croissance économique. Cette situation aura
tendance à pousser les décideurs nationaux à des
fréquents ajustements budgétaires soit en ayant recours à
l'emprunt, soit à l'aide publique, soit aux recettes non fiscales telles
que celles issues de l'exploitation des matières premières comme
le pétrole. Cette dernière solution est la principale
stratégie des pays de l'Afrique Centrale, particulièrement ceux
de la zone CEMAC qui bénéficient de la manne
pétrolière (Avom, 2011).
> L'économie des pays de la zone CEMAC
Le cas particulier des pays de l'Afrique Centrale
révèle qu'ils ont enregistré au cours de ces
dernières années des performances macroéconomiques
relativement fortes et très au-dessus de la moyenne de l'ensemble des
autres pays africains au sud du Sahara. Ces résultats sont d'une part la
conséquence d'un environnement macroéconomique
particulièrement favorable, du moins jusqu'au premier semestre de
l'année 2008 et, d'autre part, celle de choix de politiques
économiques appropriées sous l'impulsion des institutions
financières internationales. Bien que la région dans son ensemble
ait obtenu de bons résultats économiques, les taux de croissance
y sont restés largement tributaires de quelques produits de base, et
notamment le pétrole. Cet état des choses montre que,
l'économie de la sous-région est non
intégrée12 . Cette économie est dans ce cas
vulnérable aux chocs exogènes. Les exemples des récentes
crises financière et de la zone euro le montrent ci-bien. Car avec les
politiques d'austérité budgétaires et la baisse de la
demande des produits de base en Europe, le socle de la croissance
économique des pays de la sous-région (les recettes fiscales
liées au commerce international) s'est effondré13.
Pour y remédier, les autorités régionales ont
organisé plusieurs séances de concertation regroupant tous les
acteurs économiques de la Sous-région, en application des
décisions de la Conférence des Chefs d'Etat de la CEMAC du 30
janvier 2009 à Libreville, en complément des mesures nationales
déjà prises. Celles-ci ont abouti à l'adoption, par le
Conseil des Ministres de la CEMAC, sur des recommandations portant sur la mise
en oeuvre de mesures d'ordre fiscal, monétaire, bancaire et financier
ainsi que sur l'amélioration du climat des affaires.
Pour ne citer que les mesures fiscales, d'après le
rapport de la Banque de France de 2008, elles portent sur l'amélioration
des revenus fiscaux ; la réforme tarifaire en vue de réduire les
taux et le nombre de catégories du Tarif Extérieur Commun (TEC)
ainsi que l'examen d'une fiscalité adaptée au secteur informel
ont été accélérés. Les avantages pouvant
être accordés aux secteurs sinistrés visent à
encourager les entreprises qui s'engagent dans un processus de transformation
locale accrue. Ce faisant, elles pourraient permettre l'élargissement de
l'assiette fiscale et assurer la préservation de l'emploi et la relance
de la consommation intérieure. Toutefois, l'adoption de ces dispositions
doit être précédée par une analyse attentive de ces
secteurs pour à la fois évaluer l'ampleur de leurs
difficultés, le coût fiscal et choisir les instruments les plus
appropriés pour y faire face de manière efficace. De plus, les
politiques budgétaires visent une
12 C'est-à-dire qu'elle base sa croissance
sur des matières premières dont elle n'a aucun contrôle sur
l'évolution des prix (termes de l'échange)
13 Banque de France, rapport 2008
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Pag
viabilité à moyen terme qui n'implique pas
nécessairement une contraction budgétaire à court terme
mais plutôt un programme temporaire de relance budgétaire
réaliste qui tient compte de la capacité de l'Etat à
mobiliser les ressources complémentaires pour faire face aux besoins de
financement nés des effets de la crise. En outre, il est
recommandé d'abaisser la TVA sur le bois vendu localement en vue de
stimuler la demande intérieure. Quant aux entreprises minières,
il est recommandé, le cas échéant, des réductions
ponctuelles sur les taxes d'importation des biens d'équipement. De plus,
la plupart des allègements fiscaux accordées en 2008 pour lutter
contre la crise alimentaire restent en vigueur ou ont été
reconduits14.
Toutes ces mesures fiscales concourent à
l'amélioration des performances macroéconomiques de la CEMAC,
afin d'atteindre les OMD d'ici la date butoir 2015. Bien que les études
de Kakwani et Son (2006) sur le coût de la réduction de la
pauvreté et de l'atteinte de ces OMD montrent qu'il reste encore
beaucoup à faire pour les pays de l'Afrique Subsaharienne en
général, et ceux de la CEMAC en particulier. Ce qui justifie
l'étude sur l'effet de la fiscalité sur la croissance
économique des Etats de la zone CEMAC.