La politique fiscale désigne l'ensemble des mesures
réglementaires et administratives (outils et mécanismes)
permettant aux autorités politiques de collecter les impôts et
taxes en vue de financer la production des biens collectifs et d'en assurer la
distribution. Elle est contrainte par les recettes fiscales qui sont le plus
souvent affectées par des chocs exogènes pesant sur les
économies (Avom, 2011). Comme l'affirme Gurria1,
l'amélioration de l'efficacité des systèmes fiscaux des
pays en développement est la nouvelle frontière de la politique
de développement. La fiscalité joue donc un rôle essentiel
dans le programme d'action actuel pour le développement. Elle fournit un
flux stable de recettes pour financer les objectifs de développement
tels que la mise en place d'infrastructures matérielles. De plus, elle
est imbriquée dans de nombreux autres domaines de politique publique,
qui vont de la bonne gouvernance à l'intégration de
l'activité économique dans le secteur formel en passant par la
stimulation de la croissance. Cette dernière est entendue comme le fait
majeur qui caractérise l'histoire économique du monde depuis les
débuts de la révolution industrielle ; et est devenue,
incontestablement, l'horizon unique que les pays industrialisés et ceux
en voie de développement, ne cessent de pointer du doigt ; c'est
l'élément principal d'appréciation économique dans
le temps et dans tout pays (Crozet, 1995). Dans l'ensemble, la
politique fiscale établit le cadre dans lequel s'effectuent les
échanges et les investissements internationaux. Par conséquent,
le principal défi des pays consiste à trouver l'équilibre
optimal entre un système fiscal qui soit favorable à l'entreprise
et à l'investissement, tout en dégageant suffisamment de recettes
pour financer les investissements publics qui contribuent au
développement local et à l'attractivité des
économies.
Ce chapitre sera segmenté en deux sections : la
première sera consacrée au contexte de notre étude, dont
l'objectif sera de présenter le problème actuel de la
fiscalité et les tentatives de solutions envisagées pour les
économies Occidentales d'une part et celles de l'Afrique d'autre part.
La seconde section quant à elle sera consacrée à la
problématique. Elle débouche sur la question de recherche qui
oriente le présent travail.
1 Secrétaire général de l'OCDE - Avril
2009
L'économie occidentale, connait aujourd'hui des
problèmes d'évasions fiscales qui sont l'évitement de
l'impôt en déplaçant tout ou partie d'un patrimoine ou
d'une activité vers un autre pays, sans que le citoyen concerné
s'expatrie lui-même. L'évaluation des montants est délicate
et dépend fortement des hypothèses de l'évaluateur. En
effet, les services fiscaux des États-Unis pensent qu'il y a un manque
de l'ordre de 330 milliards de dollars par an2, soit 16 % des
impôts fédéraux et 2 % du PIB, et l'Union européenne
estime que le manque à gagner pour l'ensemble des pays de l'Union est de
2 à 2,5 % du PIB3. Selon Rompuy (2013), président du
Conseil européen, l'évasion fiscale prive les pays de l'Union
européenne de 1.000 milliards d'euros par an4. L'explication
de ce phénomène dépend du modèle de l'Etat que l'on
utilise pour comprendre les relations politiques entre les individus. On peut
distinguer deux grands modèles : le modèle orthodoxe de l'Etat,
héritier de la philosophie politique de Hobbes et Rousseau ainsi que de
la tradition classique ; et le modèle de L'Etat Léviathan,
apparenté à la philosophie de Locke et à l'analyse
économique contemporaine des choix publics.
> Le modèle orthodoxe de l'Etat
Le modèle orthodoxe de l'Etat domine la théorie
économique des finances publiques depuis plus de deux siècles. On
part de l'idée que seule l'autorité politique peut satisfaire la
demande de biens publics comme la sécurité publique et la
défense nationale. Comme par hypothèse tout le monde profite
automatiquement de ces services, chacun sera tenté de jouer le «
passager clandestin » en refusant de payer sa part. La tentation de ce
dernier explique l'évasion fiscale. Il en résulte une production
sous optimale des biens publics et des impôts plus élevés
pour ceux
2 Les paradis fiscaux:entre évasion fiscale,
contournement des règles et inégalités mondiales
[archive], L'Économie politique, n° 042 - avril 2009.
3 Les paradis fiscaux:entre évasion
fiscale, contournement des règles et inégalités mondiales
[archive], L'Économie politique, n° 042 - avril 2009.
4 Luke Baker, Julien Dury pour le service
français, édité par Marc Angrand «
L'évasion fiscale coûterait 1.000 milliards par an à l'UE
» [archive] , Le nouvel Observateur avec l'agence
Reuters, 12 avril 2013
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qui continuent de payer leur part. L'intérêt
unanime des individus justifie donc des sanctions contre l'évasion
fiscale. Dans ce modèle, l'Etat produit les biens publics
demandés par ses membres. Le coût de cette production
détermine le niveau nécessaire des prélèvements
obligatoires. Tous profitant des biens publics, tous doivent contribuer
à leur financement. La résistance fiscale est
économiquement inefficace, c'est-à-dire entraine un faible niveau
de croissance économique.
Le modèle orthodoxe de l'Etat prête flanc
à plusieurs critiques : l'école des choix publics démontre
comment les processus politiques et bureaucratiques sont incapables
d'évaluer correctement les demandes des citoyens et de produire une
quantité optimale des biens publics. Autant il existe des échecs
du marché dans la production des biens publics, autant il existe des
échecs de l'Etat. Le modèle ne rend pas bien compte de plusieurs
observations empiriques, notamment : la croissance phénoménale de
l'Etat moderne, notamment au cours du 20e siècle ; le niveau
actuel des impôts qui représente globalement 50% environs de ce
que produisent et gagnent les citoyens, alors qu'au 18e
siècle, des impôts du dixième ou du vingtième
suscitaient des résistances ; l'inégalité des impôts
parmi les contribuables et le découplage entre les impôts
payés et les avantages reçus ; l'insatisfaction montante de la
population au fur et à mesure que l'Etat agrandit son domaine
prétendument pour répondre à des demandes
générales.
> L'Etat Léviathan
Développé par Hobbes (1651), ce modèle a
été enrichi par des économistes et des politologues de
notre époque. En effet, Buchanan et Brennan (1980), chefs de file de
l'école des choix publics, modélisent l'Etat comme une
institution cherchant à maximiser ses revenus. Au nom de la justice
sociale ou pour le compte de ceux qui sont du bon côté du guichet,
l'Etat (appelé ici Léviathan) ira chercher chez les contribuables
le maximum qu'il peut en tirer sans risquer de tarir « la poule aux oeufs
d'or » ou de provoquer une révolution. Les implications
économiques de la théorie de l'Etat Léviathan sont
fondamentales. Ce ne sont plus les dépenses publiques nécessaires
qui déterminent l'impôt à lever ; tout au contraire, le
Léviathan maximisera ses revenus et ajustera le niveau des
dépenses selon ce qu'il réussit à confisquer. La
croissance de l'Etat moderne s'explique par cette logique interne.
Dans cette perspective, l'opprobre sociale et morale qui
s'attache à l'évasion fiscale relève de la propagande
étatique. Car si l'Etat cherche à lever des impôts au
maximum sans égard à la demande de biens publics, s'il exploite
les contribuables au profit d'une minorité (ou d'une majorité)
qui reçoit plus qu'elle ne paie, alors l'évasion fiscale
(notamment au moyen du travail
clandestin et de l'économie souterraine) trouve une
justification non seulement morale mais aussi économique.
L'évasion fiscale devient en effet un stabilisateur
automatique à l'exploitation étatique. A mesure que le fardeau
fiscal s'alourdit, des contribuables se réfugient dans l'économie
souterraine. Loin d'augmenter le fardeau des autres contribuables, ceux qui
évitent ainsi l'impôt freinent la capacité de l'Etat
à fournir des biens publics profitant à tous ; ce qui est
préjudiciable pour une croissance économique de long terme. C'est
pourquoi, selon Demsetz (1982), l'Etat démocratique ne peut confisquer
plus que la moitié de ce que la population produit et gagne : une fois
atteint ce niveau de prélèvement, l'économie souterraine
et l'évasion fiscale croissent en proportion des efforts de l'Etat pour
prélever des impôts additionnels. On dira alors que trop
d'impôt tue l'impôt. Ainsi, une cause de l'évasion fiscale
résiderait dans le niveau spoliateur de la fiscalité. Même
Smith (1776) en témoigne indirectement quand il écrit : «
il ne fait pas doute qu'un impôt exorbitant, équivalent par
exemple en temps de paix comme en temps de guerre, à la moitié ou
même au cinquième de la nation, justifierait, comme tout abus
caractérisé de pouvoir, la résistance du peuple.
»
Face à ces fléaux d'évasions et de
fraudes fiscales, plusieurs travaux en la matière ont été
effectués pour apporter des tentatives de résolution. Notamment
ceux de Coricelli et al. (2007) qui montrent qu'une politique menaçant
de dénoncer publiquement les fraudeurs pourrait contribuer à
réduire la fraude fiscale. Aussi, depuis 2010, les Etats Unis ont
voté une loi5 visant à garantir le respect des
obligations fiscales par tout ressortissant ou ayant droit américain
détenteur de comptes dans des banques étrangères.
L'entrée en vigueur de cette loi a été plusieurs fois
reportée et est désormais fixée au 1er janvier 2014, avec
une montée en puissance qui devrait s'étaler jusqu'en 2017. De
plus, les grandes puissances du G8, lors de leur dernière
réunion6, se sont engagées sur l'échange
automatique d'informations fiscales qu'elles considèrent comme l'arme
fatale contre les paradis fiscaux. Elles s'engagent également à
faire de cet échange automatique le « nouveau standard mondial
».
Toutefois, bien que ce fléau touche tous les pays en
général et ceux de l'Afrique en particulier, il est à
noter pour ces derniers que d'autres phénomènes d'un tout autre
ordre menacent le financement des leurs dépenses publiques.
5Il s'agit de la réglementation FATCA pour
Foreign Account Tax Compliance Act 6 Elle s'est tenue
à Lough Erne, en Irlande du nord les 17 et 18 Juin 2013.
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