§3. Le triangle stratégique : Etats-Unis,
Russie et Chine
Le terme triangle stratégique trouve son origine dans
le système international marqué par la guerre froide. Un
programme élaboré par le président américain
Richard Nixon et son conseiller à la sécurité nationale
Henry Kissinger, avec le projet plus vaste en tête: triangle
centré sur l'équilibre des grandes puissances et des calculs
géopolitiques au sens large.
Pour mieux piger sur les lignes de ce triangle, Bobo Lo ayant
à sa direction une étude consacrée audit triangle. Il
précise que le terme même stratégique va au-delà des
seules capacités militaires nucléaires et leurs
caractéristiques (posture, dissuasion, etc.) et que l'expression se
réfère d'abord à l'influence globale d'un pays qui
comprend plusieurs dimensions. Un arsenal nucléaire est certainement un
atout stratégique, mais c'est également le cas de
l'autorité politique internationale, de la force économique, des
performances technologiques ou de l'influence des valeurs culturelles
normatives. Lorsqu'on traite de buts et de priorités, le terme «
stratégique » implique les concepts de « structurel »,
« essentiel » et de « long terme », à l'inverse de
« tactique » qui décrit des considérations à
court terme, généralement opportunistes. Stratégique
suppose une pensée planificatrice à long terme, par opposition
aux politiques réactives et ad hoc. Le terme sert également
à souligner le statut particulier des relations entre les acteurs. La
Russie par exemple, déclare systématiquement qu'elle entretient
des relations stratégiques avec la Chine, l'Inde et
l'UE155.
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Cet auteur dit que même si, à force d'être
fréquemment employée, cette expression est galvaudée, elle
peut servir de « baromètre » des relations bilatérales.
En outre, stratégique mais non pas le partenariat stratégique,
est certainement un terme adéquat pour caractériser les
interactions distinctes existant entre les Etats-Unis et la Chine, les
Etats-Unis et la Russie, la Russie et la Chine. de façon similaire, dit
cet auteur, l'idée de triangle stratégique va au-delà
d'une relation nucléaire à trois. En effet, le triangle
nucléaire Russie-Etats-Unis est déséquilibré. Etant
donné l'asymétrie de capacités entre, d'un
côté, les deux superpuissances nucléaires et de l'autre, la
Chine.
La quasi-totalité des triangles sont virtuels, plus que
réels, et encore moins stratégiques. La Russie souhaiterait, par
exemple, exploiter la carte chinoise dans ses relations avec l'occident, tout
en utilisant ses relations avec le Japon, l'Inde ou les Etats-Unis afin de
contrebalancer l'émergence de la Chine, et ses relations avec l'Europe
pour contenir la puissance américaine. Ce ne sont là que des
projets mort-nés, naïfs et irréalistes. Un triangle
pertinent a besoin de trois côtés qui, à défaut
d'être égaux, soient suffisamment puissants et profondément
impliqués dans les relations trilatérales pour pouvoir les
influencer d'une manière significative. Dans le système
international contemporain ce type de triangle n'existe pas.
a. L'évolution du triangle
Le triangle stratégique entre la Russie, la Chine et
les Etats-Unis date de la décision prise par Mao Zedong, en 1949, de
pencher d'un côté vers l'URSS et contre les Etats-Unis. le choix
de Mao, en partie idéologique et historique, reflétait la
fraternité des liens entre les partis communistes soviétiques et
chinois. Cependant, sa motivation principale restait d'ordre pratique. La
dépendance de la République populaire de Chine à
l'égard de l'économie soviétique et de son assistance
militaire, ainsi que l'absence de pays protecteur alternatif lui laissaient peu
de choix. Par la suite, la guerre de Corée et l'intervention militaire
chinoise pour le compte de Pyongyang ont plongé la RPC et les Etats-Unis
dans l'hostilité pendant les deux décennies suivantes.
La confrontation stratégique sino-américaine ne
s'est toutefois pas traduite en relations triangulaires opérationnelles
entre Moscou, Pékin et Washington. Au moins trois raisons permettent de
l'expliquer : premièrement, au cours de la guerre froide, la politique
était essentiellement centrée sur la bipolarité
américano-soviétique. Le déséquilibre notable des
capacités politico-militaires entre les deux superpuissances et les
autres puissances, révélait l'absence de la principale condition
pour constituer un triangle stratégique : l'existence d'une
troisième partie influente156.
Deuxièmement, la profonde faiblesse chinoise
après un siècle d'humiliation sous la domination des puissances
étrangères ne lui avait guère permis de mener une
politique étrangère affirmée. Les principales
préoccupations de Mao demeuraient forcement nationales et comprenaient
la consolidation du gouvernement communiste. La reconstruction d'une
économie anéantie par des décennies de guerre civile et
d'occupation japonaise et la refondation des relations sociales. Mao n'avait ni
l'envie ni les moyens d'être un partenaire stratégique actif de
l'URSS contre les Etats-Unis. Même pendant la guerre de Corée
(1950-1953), la Chine a davantage agi selon ses propres intérêts,
inquiétudes sécuritaires sur la présence militaire
américaine en Asie du Nord-Est, affinités idéologiques
avec le régime de Kim II-Sung, que dans ceux de Moscou157.
Troisièmement, même durant leur âge d'or,
les relations sino-soviétiques ont été compliquées.
Alors que la RPC dépendait de l'aide soviétique pour la
reconstruction nationale, des tensions politiques sérieuses subsistaient
entre Moscou et Pékin. Celles-ci se sont considérablement
aggravées à la fin des années 1950, culminant en 1960 avec
le retrait de Chine par Nikita Khrouchtchev de 1390 conseillers
soviétiques. Les soupçons de la Chine sur les motivations
soviétiques et le mépris soviétiques vis-à-vis de
ce pays, perçu comme arrière, ont anéanti toute
possibilité de coordination stratégique efficace contre les
Etats-Unis.
156 Lo, B., op.cit., p. 9
157 Fenby, J., cité par Lo, B., op.cit., pp.
9-10
158 Lo, B., op.cit., p. 14
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En raison de ces contradictions, le triangle s'est
révélé une proposition davantage théorique que
pratique au cours des deux premières décennies de l'existence de
la RPC. Si jamais un triangle existait, il était constitué de
pôles antagonistes : pendant la plus grande partie de cette
période, la Chine, la Russie et les Etats-Unis ont fait preuve d'une
hostilité comparable chacun pour les deux autres. La probabilité
qu'une partie puisse en utiliser une autre pour faire pression sur la
troisième semblait donc faible.
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