Dilemme du rapprochement américano-iranien: réflexion sur une politique étrangère d'adaptabilité( Télécharger le fichier original )par Christophe BALEMA LIMANGA Université de Kisangani - Licence 2015 |
II.3. Les sanctions américaines face à la République Islamique d'IranForce est de reconnaitre que l'imbroglio posé dans les relations américano-iraniennes a certainement ouvert le corridor d'une série de sanctions contre le gouvernement iranien. Considéré dans son ensemble, l'arsenal est impressionnant. Les premières sanctions se sont mises en place au lendemain même de la prise de l'ambassade américaine en 1979. Lorsque le ministre des finances du gouvernement révolutionnaire, BANI SADR, annonce que l'Iran s'apprête à retirer tous ses avoirs des banques américaines, ce qui leur aurait certainement créé de sérieuses difficultés, 12 milliards de dollars sont aussitôt gelés par Washington. Il faudra attendre 1981 et l'Accord d'Alger pour les voir à peu près restitués. Durant la guerre Iran-Iraq, une série de dispositions interdisent les ventes d'armes, mais aussi tous les prêts au gouvernement iranien. Le Président Reagan prohibe en 1987 toute importation de produits ou de services iraniens93(*). À partir de 1995, les sanctions américaines ont aussi poursuivi un objectif d'empêchement de l'Iran d'accéder à des armes de destruction massive et de développer ses capacités balistiques94(*). En 1995, le Président Clinton interdit à son tour toutes les opérations de compagnies américaines ou de leurs filiales dans le domaine de l'exploitation pétrolière et renforce l'embargo sur tous les échanges commerciaux et financiers avec l'Iran. Il revient à la charge en 1997 pour resserrer encore le dispositif. Entre-temps, en 1996, le Congrès a voté l'Iran-Libya Sanctions Act (ILSA) qui cherche à décourager l'Iran de mener des opérations terroristes ou de développer un arsenal d'armes de destruction massive, en interdisant tout investissement égal ou supérieur à 40 millions de dollars dans le domaine pétrolier. Voté pour cinq ans, l'ILSA est renouvelé en 2001. Durcie en 2006, sous le nom d'IFSA (Iran Freedom Support Act), la loi élargit alors le régime de sanctions à toutes opérations d'appui au programme iranien de développement d'armes de destruction massive et prévoit des crédits spécifiques pour le soutien de la démocratie en Iran : de l'ordre de 70 millions de dollars par an. Et le Congrès ne s'arrête pas là. A l'automne 2007 s'y élabore un nouveau texte qui renforcerait les moyens de rétorsion contre les compagnies pétrolières étrangères récalcitrantes et qui interdirait au Président d'y prévoir des exceptions ponctuelles95(*). Le droit qu'a les Etats-Unis de sanctionner est foisonnant, du fait de la diversité des normes qui le constituent : executiveordersprésidentiels, législations fédérales, législations des États fédérés et interventions du Bureau de contrôle des avoirs étrangers (Office of ForeignAssets Control, OFAC) du Trésor. L'Iran, pour ce qui concerne les États-Unis, relève ainsi d'une série de sanctions provenant de textes dont les natures sont différentes, et les effets cumulatifs96(*). Au cours de l'année 2007, le gouvernement américain, frustré de la timidité des sanctions votées par le Conseil de sécurité sur le dossier nucléaire, essaie encore de mettre l'Iran en difficulté, d'une part en gênant les opérations internationales des banques iraniennes, d'autre part en tentant de convaincre les grandes banques européennes et asiatiques de cesser toute transaction avec l'Iran. L'opération rencontre un succès certain : on sait qu'au moins trois banques allemandes et deux banques suisses - la Dresdner Bank, la Deutsche Bank, la Commerzbank, le Crédit Suisse et l'Union de banques suisses - se sont rangées aux arguments américains97(*). Ces textes consistent d'ailleurs souvent en des régimes complexes, à l'instar du plus récent executiveorderen la matière, daté du 3 juin 2013. Ce dernier, introduisant une nouvelle série de sanctions économiques à l'encontre de l'Iran, a désigné, en plus d'entités iraniennes réputées liées au programme nucléaire du pays ou impliquées dans une violation des droits de l'homme, quelque trente-sept sociétés considérées comme utilisées par le régime iranien afin de contourner les sanctions internationales. Les sanctions instituées à cette occasion ont visé les activités financières liées au rial - la monnaie iranienne : d'une part, les opérations d'achat ou de vente de rials ou de dérivés financiers ; d'autre part, le maintien de fonds ou de comptes libellés en rials à l'extérieur de l'Iran. Ces sanctions ont également visé un large périmètre d'opérations en lien avec le secteur automobile iranien, frappant, en premier lieu, les sociétés engagées dans des exportations significatives de biens et services liés à ce secteur, ainsi que les maison mères, filiales et entreprises codétenues par ces sociétés aux États-Unis, et, en second lieu, les institutions financières contribuant au financement de ces opérations. Un délai d'un mois a été laissé aux sociétés en cause pour quitter le marché iranien. Ce droit est caractérisé par son applicabilité extraterritoriale. C'est ainsi qu'en 2014 la banque BNP-Paribas, accusée d'avoir accompagné, en violation des mesures d'embargo américaines, des opérations en lien avec l'Iran notamment (mais aussi avec Cuba et le Soudan) qui étaient compensées en dollars, et d'avoir délibérément dissimulé ces transactions, a dû reconnaître publiquement sa culpabilité, licencier plusieurs de ses cadres dirigeants et acquitter, après négociation avec les régulateurs américains du secteur financier, une amende de quelque 8,8 milliards de dollars. Au début du mois de septembre 2015, la presse révélait que le Crédit agricole, dans une situation comparable, se trouvait menacée de devoir payer une amende, en cours de négociation, proche d'un milliard de dollars98(*). Toutes ces sanctions avaient un poids pour les produits courants, moins de créer la pénurie que de les renchérir. Le passage par Dubaï de l'essentiel des produits occidentaux disponibles sur les marchés de Téhéran a évidemment un coût pour le consommateur. En ce qui concerne les circuits financiers, la première conséquence a été de conduire la Banque centrale d'Iran à convertir en euros et en autres devises fortes la plus grande partie de ses réserves en dollars. Pour les particuliers et les entreprises, les transactions avec l'extérieur leur coûtent certainement plus cher et sont de plus en plus difficiles. Enfin, la quasi-absence d'investissements étrangers contribue à l'atonie de la vie économique locale. Dans les domaines de haute technologie, l'embargo américain est certainement efficace. Cela est notamment visible dans le secteur pétrolier et dans celui de l'aviation civile. Dans le premier, l'Iran souffre d'équipements vieillissants et de techniques obsolètes dans l'exploitation de champs eux-mêmes en fin de vie; sa production baisse lentement mais sûrement d'année en année et ne parvient pas à remplir les quotas qui lui sont alloués par l'Organisation des pays producteurs de pétrole (OPEP). Certes, il y a d'autres gisements à exploiter, mais les investissements sont insuffisants. Dans le secteur de l'aviation civile, l'embargo américain est aussi clairement efficace. Le gouvernement américain n'interdit pas aux avions de ligne vendus par Boeing ou Airbus les opérations de maintenance réglementaires qui leur permettent de répondre aux normes de l'aviation civile internationale. En revanche, aucun avion de moins de sept ans d'âge et contenant 10% ou plus de part américaine ne peut être vendu à l'Iran sans que se déclenchent des mesures de rétorsion du Département du commerce américain à l'égard du vendeur. Compte tenu de l'intérêt qu'éprouvent presque tous les acteurs de l'aviation civile à être présents sur le marché américain, la disposition est parfaitement dissuasive : d'ailleurs, aucun avion Airbus ne contient moins de 10% de part américaine; la question est donc réglée. Seuls les Russes ou les Ukrainiens ne se laissent pas intimider. La flotte iranienne est donc gravement vieillissante; n'étant pas soumis aux règles et contrôles internationaux de qualité, ses avions dédiés aux lignes intérieures posent de sérieux problèmes de sécurité - les accidents sont fréquents - et les choses ne vont pas mieux pour sa flotte d'hélicoptères. Dans tous les domaines de technologie avancée, l'Iran est donc sérieusement gêné99(*). L'un dans l'autre, le bilan d'un quart de siècle de sanctions américaines est néanmoins mitigé. Il n'a en tout cas pas atteint son objectif principal : faire tomber la République islamique ou, à tout le moins, la mettre hors d'état de nuire à la région et au monde. L'accord nucléaire du 14 juillet 2015 favorisera-t-il la levée de ces sanctions ? * 93NICOULLAUD, F., Op.cit., p. 490 * 94 MM. Jacques LEGENDRE, Daniel REINER, Mme Michelle DEMESSINE et M. Joël GUERRIAU, L'Iran : le renouveau d'une puissance régionale ?, rapport d'information n° 22 (2015-2016) déposé le 7 octobre 2015, in http://www.liberation.fr/planete/2015/ 07/14/un-accord-sur-le-nucleaire-iranien-a-ete-trouve_1347659, p. 25 * 95NICOULLAUD, F., Op.cit., p. 491 * 96 MM. Jacques LEGENDRE, Daniel REINER, Mme Michelle DEMESSINE et M. Joël GUERRIAU, Op.cit., p. 25 * 97NICOULLAUD, F., Op.cit., p. 491 * 98 MM. Jacques LEGENDRE, Daniel REINER, Mme Michelle DEMESSINE et M. Joël GUERRIAU, Op.cit., pp. 26-27 * 99NICOULLAUD, F., Op.cit., pp. 491-492 |
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