II.3 L'expérience consommateur et la
personnalisation comme axes marketing
Comment définir concrètement ce qu'implique
l'expérience consommateur? Quels sont les aspects qui ressortent de
cette immersion dans une expérience de consommation ?
(Fornerino, Helme-Guizon, De Gaudemaris, 2005). Cette approche de consommation
suppose que le consommateur est principalement motivé par la recherche
de gratifications hédonistes (les émotions et la notion de
plaisir sont ici privilégiées) au détriment des besoins
primaires que l'on retrouve dans la pyramide des besoins de Maslow16
(Fornerino, Helme-Guizon, De Gaudemaris, 2005). A travers l'expérience
de consommation, le client est donc dans une approche beaucoup plus
poussée et beaucoup plus subjective et profonde que dans le simple geste
d'acquisition pour satisfaire ses besoins vitaux. Il cherche à
s'évader, à rêver et à s'amuser. On retrouve ce type
expériences dans les loisirs comme les sorties au cinéma,
théâtre, concert ou restaurant. L'expérience
recherchée doit être personnelle et sera subjective, chaque
expérience sera ressentie de façon unique par les clients, il est
donc nécessaire de s'adapter à ces derniers et de connaître
leurs désirs profonds et de les comprendre réellement. C'est dans
ce sens que la théorie de consom-acteur resurgie : le consommateur est
également acteur de l'expérience de consommation, il est le seul
juge et critique et il s'orientera vers l'expérience la plus
significative et qualitative selon lui.
Pour mieux comprendre cette notion d'expérience de
consommation, il est nécessaire de souligner les différences
existantes entre le marketing « traditionnel » (qui ne s'attarde pas
sur cette notion d'expérience-client) et le marketing « sensoriel
» (qui cherche à mobiliser les émotions et les sens des
consommateurs).
Le tableau ci-dessous reprend les facteurs de
différenciation de ces deux concepts, il est tiré de l'ouvrage
Marketing and designing the tourist experience publié par
Frochot et Batat en 2013 :
27
16 Annexe XIX, p.53 : La pyramide des besoins de Maslow
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|
Marketing traditionnel
|
Marketing expérientiel
|
Focus
|
Centré sur les attributs fonctionnels et les
bénéfices produits
|
Centré sur les expériences du consommateur
|
Produit
|
La catégorie du produit et les concurrents sont
étroitement définis
|
La consommation est une expérience holistique
|
Consommateur
|
Le consommateur est un décideur rationnel
|
Le consommateur est un animal irrationnel et émotionnel
|
Méthode
|
Méthodes et outils analytiques, quantitatifs
|
Méthodes et outils éclectiques
|
La différence majeure entre le marketing traditionnel
et le marketing expérientiel est l'objectif de la consommation qui ne se
focalise plus sur la maximisation de l'utilité d'un bien mais sur la
maximisation de l'expérience vécue qui s'évalue sur des
critères irrationnels et appréciatifs (Batat, Frochot, 2014).
Si l'on reprend les facteurs répertoriés pour
qualifier le marketing traditionnel du tableau ci-dessus, on remarque que cette
stratégie est essentiellement tournée vers le produit ou le
service offert par l'entreprise au détriment du consommateur. La
réussite ou l'échec de l'approche marketing traditionnelle
s'évalue grâce à des données quantitatives et par la
satisfaction client. L'approche sensorielle au contraire se concentre
d'avantage sur le consommateur et son ressenti et sa satisfaction
s'évalue sur l'intensité du souvenir et sur le plaisir
engendré par l'expérience qu'il a vécue (Batat, Frochot,
2013).
Citons un exemple de marketing expérientiel avec la
marque de vêtements Abercrombie & Fitch. Les magasins de la marque
ont été conçus et équipés pour mobiliser les
4 sens des clients : ainsi, du parfum est diffusé en continu à
l'intérieur du magasin pour mobiliser l'odorat, les
étagères de vêtements sont les seules à
bénéficier d'un éclairage car le reste du magasin est
plongé dans l'obscurité afin de recréer une ambiance
boîte de nuit, de plus les vendeurs et vendeuses sont tous
sélectionnés sur leur physique et de la musique électro
est diffusée en continu et à haut volume afin d'accentuer cette
impression de boîte de nuit. Enfin il est possible de toucher et
d'essayer les vêtements qui ont été conçus avec des
textiles très doux et agréables au toucher. Il n'est pas rare de
voir plusieurs mètres de queue à l'entrée des magasins
Abercrombie & Fitch où les consommateurs se pressent comme pour
accéder à une
29
attraction ou à une visite culturelle. Au-delà
de l'achat d'un vêtement de la marque, les consommateurs se rendent dans
les magasins pour y vivre une expérience inoubliable.
Au travers de mon étude expérientielle
qualitative dont le déroulement est détaillé au chapitre
précédent, j'ai souhaité évaluer également
l'impact du marketing expérientiel digital au niveau émotionnel
et psychologique. Sur les 10 participantes de cette étude, la
totalité a été étonnée et surprise par
l'effet de la réalité augmentée sur leur visage, cependant
plus de la moitié a été déçue par le rendu
jugé « peu réaliste » et « trop figé »
et n'ont donc pas été totalement convaincues par le potentiel de
l'application Make Up Genius.
Voici ci-dessous un tableau récapitulatif des
différentes émotions ressenties par les participantes lors de la
découverte et l'utilisation de l'application :
Emotions suscitées par Make Up
Genius
|
GROUPE X
|
GROUPE Y
|
Surprise/étonnement
|
|
|
Enervement/agacement
|
|
|
Rire
|
|
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Tristesse
|
|
|
Stress/anxiété
|
|
|
Ennui
|
|
|
Echelle de valeur :
Très fréquent Parfois Rarement
Lecture du tableau : le code couleur indique la
fréquence des émotions ressenties par les participantes de chacun
des groupes. Ainsi, la couleur la plus foncée indique que
l'émotion a été ressentie par la majorité des
participantes du groupe tandis que la couleur la plus claire indique que
l'émotion en question a été ressentie par peu de
participantes du groupe.
Le concept d'essayage des produits de maquillage
l'Oréal a généralement surpris et séduit les deux
groupes, mais l'application jugée « pas assez intuitive » a
généré de l'agacement chez certain membres du groupe Y. La
génération du « tout, tout de suite » est
sûrement moins patiente que le groupe X et donc moins tolérante
envers la construction de l'application. L'aspect technique est donc
beaucoup
30
plus important pour le groupe Y que pour le groupe X qui a
surtout retenu une expérience ludique et surprenante.
Qu'en est-il de l'impact sur leur consommation future ?
L'application de l'Oréal va-t-elle les influencer à l'achat de
produits de maquillage ? Parmi les participantes plus de la moitié avoue
que l'application ne leur a pas forcément donner envie d'acheter des
produits l'Oréal. Mais elles reconnaissent que l'application est un
« plus » : « Avec ce système d'application mobile je
trouve que cela donne à la marque un côté plus qualitatif,
plus nouveau, plus moderne » (Fabienne, 54 ans). En effet, pour le
moment, le mobile demeure une zone d'investissement et non de
rentabilité pour les entreprises qui se lancent dans le digital
(Fraysse, 2013). Le m-commerce tarde donc à émerger mais parier
sur le digital est sûrement un investissement sur l'avenir même si
le retour n'est pour le moment pas encore rentable en termes d'achats sur le
site. Cependant, l'expérience apportée par l'outil digital donne
indéniablement une valeur ajoutée aux produits et services des
entreprises et constituent un outil de communication original, modulable et
surtout accessible à tous, à tout moment et n'importe où.
Le calcul du ROI17 dans le digital demeure assez complexe et trop
flou mais les entreprises ont tout intérêt à tirer parti de
cette nouvelle sphère qui ne cesse d'évoluer et d'ouvrir de
nouveaux réseaux de communication.
L'expérience réalisée sur l'application
Make Up Genius m'a permis de formuler plusieurs hypothèses : bien que
freinées par le manque de réalisme de la réalité
augmentée ou encore par l'organisation de l'application jugée
« pas assez ergonomique », les participantes de mon étude
qualitative garderont un souvenir plutôt positif de cette
expérience. Elles ont été tour à tour surprises,
perplexes, amusées, étonnées ... Elles parleront
sûrement de ce qu'elles ont vécu à leurs proches,
peut-être même qu'elles installeront l'application sur leur propres
smartphones ou tablettes, elles pourront donc suivre les améliorations
et ajustements apportés à l'application, peut-être
finiront-elles par être totalement convaincues, et un jour passer le cap
de l'achat ... Toujours est-il que l'image de l'Oréal restera plus ou
moins inconsciemment associée à ce souvenir positif,
renforçant la confiance envers la marque.
C'est dans ce sens que le secteur de la cosmétique,
comme tout autre secteur est capable de digitaliser sa stratégie
marketing et d'exploiter tous les outils de communications qu'offre le digital
afin de se moderniser et de répondre aux nouvelles habitudes de
consommation.
Le chapitre suivant donne un exemple concret de
stratégie marketing digitale avec un projet fictif de digitalisation
mobile du secteur de la cosmétique animale.
17 Retour sur investissement
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