I.3 Le consom-acteur
La distribution omnicanal précédemment
évoquée dans ce chapitre, marque également la fin de
l'acte d'achat linéaire. Derrière le terme « achat
linéaire » on sous-entend le cheminement que le consommateur
effectue avant de concrétiser son achat, celui-ci correspondant à
l'ancien modèle d'acte à l'achat (avant l'explosion des TIC et
des communautés web) lorsque « l'internaute avait un premier
contact avec le produit/le service puis avançait sa décision
d'achat » (Fraysse, 2013). Le consommateur n'avait donc accès
qu'à l'information fournie par les entreprises elles-mêmes ...
Désormais, grâce à la distribution omnicanal et à
l'avènement du multi-écrans, le consommateur a accès
à une multitude d'informations avant de passer à l'achat d'un
produit ou d'un service. De quelle nature sont ces informations ? Grâce
à l'émergence des TIC, le consommateur peut accéder
à diverses informations croisées sur divers supports (papier,
numérique, physique...) tous ces éléments mis à sa
disposition vont lourdement influencer sur sa décision au moment de
l'achat. Pour expliquer ce phénomène, le groupe Google parle de
ZMOT7, qu'il décrit comme étant une révolution
dans la façon qu'ont les consommateurs de chercher l'information en
ligne et de faire leur choix parmi les différentes marques (Lecinski,
2014).
http://socialmediawala.com/2014/08/22/what-is-zmot-zero-moment-of-truth-all-about-and-why-is-it-important-for-your-brand/
Le schéma ci-dessus reprend le parcours de recherche
qu'effectue le consommateur avant de passer à l'acte d'achat d'un
produit ou d'un service. Le ZMOT est « le moment zéro de
vérité », celui où le consommateur s'informe en
utilisant différents supports tels que les avis des internautes sur
des
7 Zero Moment Of Truth / Le moment zéro de
vérité
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forums et sites dédiés, en posant des questions
sur les différentes communautés de réseaux sociaux, en
visionnant des vidéos sur Youtube, en naviguant sur différents
comparateurs, en lisant la presse ou les magazines ... (Il est donc
extrêmement important pour une enseigne d'être présente et
d'avoir le contrôle sur ce moment crucial qu'est le ZMOT). Puis vient
ensuite le moment de l'achat (First Moment of Truth), puis le moment de
l'expérience où l'on teste enfin le produit chez soi (Second
Moment of Truth). L'étape finale est également celle où le
consommateur qui a testé le produit ou le service va lui-même
alimenter les différents réseaux et supports du ZMOT, augmentant
ainsi les sources d'informations pour les futurs consommateurs.
Tout ce processus ZMOT montre bien que les règles de la
consommation ont changées : il existe une liberté de consommation
beaucoup plus grande que lorsque les TIC n'existaient pas ou que le Web
n'était pas encore très développé. Cette
liberté de choix place le consommateur dans un nouveau rôle, il ne
« subit » plus sa consommation, désormais il a le choix
entre plusieurs réseaux de distribution ( se faire livrer, achat en
magasin physique, paiement en ligne ou avec le mobile ...) mais aussi de se
renseigner sur différentes sources en temps réel et ce,
qu'importe l'endroit où il se trouve grâce aux supports mobiles
comme les tablettes et smartphones : le consommateur d'aujourd'hui surfe sur le
mouvement ATAWAD8.
Le consommateur est donc devenu maître de choisir de
quelle manière il va consommer, à n'importe quel endroit,
n'importe quand et il va être en mesure de se procurer toute
l'information dont il a besoin pour faire son choix. Il est désormais
acteur de ce processus d'achat, on le désigne comme étant un
consom-acteur (Fraysse, 2013).
De plus en plus d'entreprises, tous secteurs confondus,
parient donc sur le digital pour développer leur image de marque, leur
stratégie de communication et pour proposer leurs services à
cette nouvelle génération de consommateurs. Digitaliser sa marque
c'est assurer sa présence sur les différents supports digitaux et
numériques qui sont à disposition des consommateurs :
créer une application mobile, être présents sur les
différents réseaux sociaux (Facebook, Twitter ...) et
créer un site web qui serait responsive design. Un site web responsive
design désigne un site adaptable aux différentes tailles
d'écrans que l'on visionne ainsi qu'aux versions imprimées. Par
exemple, sur une tablette et un smartphone, le menu du site s'adaptera à
l'utilisation de ces deux supports, tandis que sur un PC le menu sera
différemment représenté afin de s'adapter à l'usage
du pad ou de la souris.
8 Acronyme signifiant : AnyTime, AnyWhere, AnyDevice
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Voici à titre d'exemple une illustration de ce que
comprend cette définition. On peut y voir le site de l'entreprise
Biogance regardé à partir de plusieurs terminaux
différents. Cette solution permet de s'adapter à
l'émergence des nouveaux comportements, mais elle est également
très pratique et économique pour l'entreprise car cette
méthode ne demande pas de coûts de développement
supplémentaire, le site s'adaptant automatiquement aux terminaux
utilisés par ses clients (Thiers, 2015).
Basculer vers le digital n'est pas seulement une question
d'équipement technologique : il faut aussi tenir compte des
compétences des utilisateurs en matière d'informatique et de
digital. Le consommateur d'aujourd'hui est donc un consom-acteur qui
n'hésite pas à exploiter tous les différents outils de
communication qu'il a à sa disposition avant d'adopter le service ou le
produit d'une marque. Cependant, les individus ne sont pas tous égaux en
termes de compétences digitales. En effet, le précédent
chapitre de cette étude a démontré qu'il existait des
différences dans les niveaux de compétences numériques et
digitales entre les générations X et Y. Même si ces deux
générations tendent à suivre le même schéma
de consommation moderne, elles ne perçoivent pas ces nouvelles
opportunités d'achat de la même manière. L'étude
qualitative interprétative développée dans le chapitre
précédent soulignait les difficultés rencontrées
par le focus groupe appartenant à la génération X,
à utiliser et à s'adapter à l'application mobile Make Up
Genius de l'Oréal, tandis que le focus groupe appartenant à la
génération Y réussissait à maîtriser et
comprendre celle-ci plus rapidement que leurs aînés. Cette
différence tient dans le fait que cette révolution digitale
dans
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laquelle nous nous trouvons nécessite de faire des
efforts quelle que soit la génération à laquelle nous
appartenons. Cependant, les digital natives de la génération Y
étant nés avec l'avènement des TIC, leurs efforts
d'adaptation pour maîtriser le digital et le numérique sont
moindres en comparaison avec les digital immigrants de la
génération X qui doivent s'engager dans un processus
d'apprentissage, plus complexe et moins instinctif que pour les plus jeunes
(Collin-Lachaud, Longo, 2014). Les digital immigrants sont donc beaucoup plus
critique face à cette nouvelle façon de consommer et s'estiment
mis au travail contre leur gré (Collin-Lachaud, Longo, 2014).
Pour comprendre ce sentiment de frustration exprimé par
les digital immigrants, il est nécessaire de se replacer dans le
contexte des années antérieures, lorsque le modèle de
consommation n'avait pas encore été bouleversé par
l'arrivée des TIC et du web. En effet, la génération X a
grandi dans un environnement commercial dans lequel les relations
interpersonnelles étaient beaucoup plus fréquentes
(Collin-Lachaud, Longo, 2014). Le vieil adage « le client est roi »
n'a jamais été aussi vrai que lorsque le contact physique entre
vendeurs et consommateurs était le ZMOT de l'époque : les clients
étaient habitués à être servis et à ce que le
personnel effectue un certain nombre de tâches pour eux. L'environnement
omnicanal et sa multitude de possibilités en termes de parcours de
consommation mobilise des efforts pour d'une part maîtriser les
différents canaux, et d'une autre part pour trier les informations, les
évaluer, les classer, les comparer ... C'est pourquoi les digital
immigrants ont une désagréable impression de devoir travailler
pour tirer profit au maximum de l'expérience de consommation.
Pourquoi cette notion de différences
intergénérationnelles dans l'utilisation du digital et du
numérique pour la consommation, est-elle extrêmement importante
à l'heure de digitaliser sa marque ? Car il faut impérativement
tenir compte des différents niveaux de compétences digitales de
ses clients. Par exemple, si le service ou produit proposé cible les
individus de plus de 50 ans il faudra miser sur le digital certes, mais tout en
gardant une prédilection pour les relations interpersonnelles (call
center pour écoute et service client, stratégie de web to store
ou store to web ...). A l'inverse, si la cible est plutôt jeune et
appartient à la génération connectée, miser sans
hésiter sur le digital via des applications intuitives et originales
peut être une stratégie très adaptée. Si la
cible-client est plus âgée il est également
préférable d'adapter ses outils digitaux en fonction de leurs
compétences, par exemple dans le cadre d'une application pour mobile et
tablette il faudra penser à simplifier l'utilisation de celle-ci et
qu'elle soit intuitive et ergonomique, en intégrant un guide
d'utilisation au lancement de l'application et en paramétrage de
façon permanente.
Le passage au digital implique donc une mûre
réflexion et une très bonne connaissance de son marché
afin que le changement soit effectif et réussi, car le digital
répond à certaines contraintes si l'on tient
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compte des spécificités des consommateurs
ciblés ainsi que du secteur dans lequel se trouve l'entreprise. C'est le
cas pour le secteur de la beauté et de la cosmétique qui
présente certaines particularités au niveau du marketing et
surtout au niveau de l'expérience consommateur. Cette
problématique propre au secteur est la question centrale de cette
étude qui s'attache à comprendre comment la révolution
digitale peut-elle avoir lieu pour les marques de cosmétiques, et qui va
être traitée en détail dans le chapitre suivant du
présent mémoire.
COMMENT LES MARQUES DE COSMETIQUES ADAPTENT-ELLES LEURS STRATEGIES
MARKETING FACE A LA DIGITALISATION ?
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