I.2 Les digital natives versus les digital
immigrants
Cette révolution que représente l'essor des TIC
dans la vie quotidienne et comme outil marketing et de vente pour les
entreprises, a vu naître différentes notions : celle de la
distribution omnicanal des produits et services et celle des digital natives et
digital immigrants (Collin-Lachaud, Longo, 2014).
Qu'est-ce-que la distribution omnicanal ? Une entreprise qui
adopte une stratégie de vente omnicanal s'adapte à
l'évolution des habitudes de consommation de ses clients et entend bien
être présente sur tous les canaux de contact et de vente possibles
tels que Internet, les mobiles, les tablettes, en magasin physique ...
L'enseigne se tourne vers tous les terminaux possibles pour être
omniprésente dans la vie de ses consommateurs et pour leur faciliter
l'action à l'achat ou la recherche d'information.
A titre d'exemple, et pour illustrer cette notion de
distribution omnicanal, le schéma ci-dessous reprend la stratégie
omnicanale du secteur bancaire :
Réseaux sociaux
Tablette
Stratégie omincanale du
secteur bancaire
Application mobile
Site web
Plateforme téléphonique
Agence /Distributeur
L'utilisation de ce nouveau parcours omnicanal
nécessite des compétences diverses dans l'usage des outils
digitaux et également dans l'usage des différents réseaux
de communication du web. Mais face à ces compétences, les
consommateurs ne sont pas égaux et il existe des différences
notables dans les comportements des générations dites X et Y. En
effet, il semblerait que l'appartenance à une génération
pourrait jouer un rôle clef dans le niveau de compétences
digitales et numériques des individus (Collin-Lachaud, Longo, 2014).
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Deux historiens américains, William Strauss et Neil
Howe, ont menés une étude approfondie sur les différents
types de générations d'individus et de leur fonctionnement social
respectif dans un ouvrage intitulé « Generations : The History of
America's future, 1584 to 2029 » paru en 1991. Cette étude
distingue plusieurs catégories de générations
correspondant à différentes périodes de l'Histoire ; la
génération X, qui suit celle des baby-boomers de
l'après-guerre, désignerait les individus nés entre 1960
et 1980 et qui sont les quadragénaires de notre époque actuelle.
La génération Y quant à elle, regroupe les individus
nés après les années 1980 et au début des
années 2000. Ces deux générations vont donc
présenter des inégalités quant aux compétences
qu'elles développent en matière de digital.
Premièrement, observons plus en détail la
signification des termes « digital natives » et « digital
immigrants » : les digital natives se trouvent dans la
génération Y, soit la génération la plus jeune et
qui a grandi en même temps que les nouvelles technologies se
développaient à une vitesse déroutante. La
génération X les précède, et contrairement à
leurs benjamins ils n'ont pas été imprégnés de
cette technologie digitale durant leur enfance. On pourrait donc dire que pour
les plus jeunes, la sophistication technologique est innée tandis que
les plus âgés doivent s'adapter et faire des efforts afin «
d'immigrer » dans ce nouvel espace virtuel en mutation constante
(Collin-Lachaud, Longo, 2014). Ces derniers sont donc qualifiés de
digital immigrants.
Cette observation des inégalités entre
générations face à la maîtrise et la
compréhension des outils digitaux est en partie à l'origine d'une
étude qualitative interprétative que j'ai menée dans le
cadre de mes recherches et de la rédaction de ce mémoire. Il me
faut préciser « en partie » car l'expérience
réalisée analyse en réalité deux aspects bien
distincts, le premier étant la différence de compétences
digitales entre digital natives et digital immigrants, et le second un aspect
bien différent du premier et qui sera développé en
deuxième partie de ce mémoire.
Pour mener à bien mon étude qualitative
interprétative, j'ai réalisé des expériences
individuelles d'environ 15 minutes sur 2 groupes d'individus pendant la
période du mois d'Août 2015. Le premier groupe était
composé de 5 femmes appartenant à la génération X
et le second de 5 femmes appartenant à la génération Y.
J'ai individuellement demandé à ces 10 personnes d'utiliser et de
découvrir l'application mobile Make Up Genius, la nouvelle application
beauté lancée par l'Oréal en 2014. Cette application
utilise la technologie de la réalité augmentée pour
pouvoir essayer virtuellement les produits de maquillage de la marque. Elle
propose également d'autres fonctionnalités comme des
vidéos tutoriels pour apprendre à se maquiller, un e-shop, la
possibilité de scanner des produits et des suggestions de looks à
adopter. Avant de sélectionner les participantes, je me suis
assurée qu'aucune d'entre elles n'avait ni installé, ni
utilisé cette application auparavant. Le but était d'observer
comment les membres de chaque groupes allaient appréhender
l'application, la
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comprendre, l'utiliser et se l'approprier. J'ai donc
enregistré chaque entretien au moyen d'une caméra vidéo ce
qui m'a permis de les visionner plusieurs fois, de les
évaluer6 et de les analyser.
Un de mes premiers constats lors de cette analyse a
été d'observer que sur 5 participantes de la
génération X 2 sont équipées d'un smartphone contre
4 pour les participantes de la génération Y. La jeune
génération a plus tendance à s'équiper en
technologie que la génération de leurs parents et ceci peut
paraître compréhensible puisqu'ils sont nés et ont grandi
en même temps que cette technologie dont l'utilisation est devenue
innée. La mise en route de l'application ne leur a posé aucun
problème tandis que certaines personnes du groupe X ont sollicité
de l'aide pour démarrer l'application. Quant à la maîtrise
technique de l'application et de ses différentes fonctions, la
génération Y est globalement plus à l'aise.
Lors de l'interview réalisée à la fin de
la partie observation de l'expérience, Ana, 49 ans admet : «
J'ai eu du mal avec l'application, je n'ai pas trop compris I Je suis
rentrée/sortie de l'application puis je l'ai perdue plusieurs fois ...
J'ai l'impression d'avoir perdu mon temps au lieu d'en gagner I ».
Ici on remarque bien que la phase d'apprentissage pour maîtriser
l'application demande un effort que les consommateurs de la
génération X ne sont pas habitués à
réaliser. La fonction de scan de l'application et la demande de «
calibrage » du visage au démarrage de l'application n'ont pas
été bien comprises par le groupe X et 3 individus sur les 5
pensaient que l'appareil prenait une photo de leur visage pour ensuite y
appliquer les visuels de maquillage. Le groupe Y a immédiatement compris
qu'il s'agissait de réalité augmentée. En effet, les
individus de ce groupe avaient déjà eu des expériences
similaires à travers d'autres applications comme en témoignent
Lisa, 24 ans : « Un opticien proposait le même principe sur son
site internet : on pouvait se scanner avec la webcam de l'ordinateur et les
différentes montures de lunettes se positionnaient sur nous »
et Karine, 26 ans : « J'avais utilisé une application de
coiffeur pour connaître une coupe ou une couleur de cheveux qui m'irait
bien, c'est un peu basé sur le même principe que l'application
l'Oréal ». La rapidité d'adaptation du groupe Y
à l'application peut aussi s'expliquer par le fait que les individus de
ce groupe passent généralement plus de temps sur des applications
mobiles ou tablettes et sur les sites internet que les individus du groupe X.
Les moyennes des réponses obtenues durant les interviews
dévoilent que le groupe Y passe entre 3 heures et 5 heures par jour
connecté contre environ 1 heure pour le groupe X. Etant moins
intéressés ou moins impliqués par le digital et le
numérique, le groupe X est donc moins en mesure d'accroître ses
compétences dans ces domaines : « il m'arrive de passer environ
30 minutes sur l'application Pinterest mais je n'y vais pas non plus tous les
jours. A par ça je ne me connecte presque jamais » (Maryline,
55 ans).
6 Annexe XVIII, p.51 : Grille évaluation étude
qualitative interprétative
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Une autre observation intéressante dans ma comparaison
entre ces deux générations, c'est que face au digital le groupe Y
semble beaucoup plus critique et beaucoup moins tolérant envers les
problèmes techniques que le groupe X. Sur les 5 participantes du groupe
Y, 4 s'accordent à dire que l'application n'est pas assez intuitive, que
l'ergonomie est inadaptée et que le rendu des visuels n'est pas assez
réaliste. Tandis que parmi les membres du groupe X les
appréciations sont beaucoup plus positives : 4 participantes ont
trouvé l'utilisation de l'application « plutôt facile »
et le rendu des visuels a suscité beaucoup d'étonnement et
d'hilarité générale. Fabienne, 54 ans s'accorde à
dire : « J'ai trouvé ça ludique, interactif et assez
sympa. Pour quelqu'un qui pratique pas trop j'ai trouvé ça assez
facile avec les icônes [ndrl : Fabienne ne possède pas de
smartphone] ». L'expérience a généralement
été perçue comme un moment ludique par le groupe X qui
s'est moins attardée sur les différentes fonctionnalités
de l'application au contraire du groupe Y qui a disséqué chaque
onglet de l'application. Cela pourrait laisser penser que le digital est
plutôt perçu comme un jeu par le groupe X et comme un outil
sérieux par le groupe Y. Ainsi donc, si l'on tient compte de cette
observation générale, il est important de bien étudier sa
cible à l'heure de développer une application mobile ou tablette
: il est peut-être nécessaire de se positionner sur un outil
simple d'utilisation et ludique pour une cible du groupe X et sur un outil plus
soigné et abouti d'un point de vue technique (pour limiter les bugs) et
ergonomique.
L'expérience réalisée ne m'a pas
réellement permis de soulever de nouvelles différences ou de
nouveaux liens de causes à effets dans l'utilisation
intergénérationnelle du digital mais elle m'a permis de confirmer
et de vérifier des théories déjà existantes sur ces
différences d'approches. J'ai également pu observer les
différentes manières d'aborder l'application de chacune des
participantes à titre individuel ainsi que les émotions
soulevées par une telle expérience ce qui m'a semblé
particulièrement enrichissant et instructif. En effet ma
compréhension de la démarche du marketing digital s'en est
trouvée améliorée.
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