Deuxième Partie :
Comprendre les zads aux regardes d'autres
phénomènes politiques passés et contemporains
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Toutes les problématiques abordées dans la
partie précédente ont été traitées par des
mouvements de contestation sociale antérieurs aux zads. Le Larzac qui
fait figure de symbole mondial de la non-violence et de la lutte contre les
projets arbitraires de l'Etat est souvent comparé aux zads. Cette
comparaison s'avère pourtant limitée pour plusieurs raisons. Les
zads semblent plus se rapprocher de la mouvance radicale altermondialiste.
Cette mouvance qui fonctionne également en réseau
développe l'idée de créer des alternatives libertaires
dans le monde capitaliste. Enfin, il était impératif de comparer
les zads à la lutte No-TAV en Italie tant les ressemblances sont
frappantes. Les zadistes eux-mêmes ont consacré un ouvrage
à cette comparaison.
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Chapitre 4 : Une résurgence du Larzac ?
Lors d'un entretien publié par la revue
Mouvement1, Christian Roqueirol -qui a participé
à la lutte du Larzac et y est resté vivre par la suite- analyse
la situation des zads en revenant sur le Combat du Larzac. Il se voit lui et
ses compagnons de route comme les précurseurs des zadistes : « Nous
étions les premiers Zadistes en quelque sorte E...] ». Si cette
affirmation est contestable, le champ médiatique est marqué par
cette comparaison.2 Les deux luttes peuvent apparaître
similaires sur bien des points avec le temps passé. La mémoire de
l'Homme est encline à se rappeler des points communs entre deux
événements éloignés historiquement en oubliant les
différences. Dans le cas qui nous intéresse, nous allons voir que
les différences entre les deux luttes empêchent la filiation
directe entre les zads et le Larzac.
Le Larzac et les zads : des luttes locales et des
réflexions globales.
La lutte du Larzac née de la contestation d'un projet
d'agrandissement d'un camp militaire situé sur le plateau du Larzac. Le
projet d'extension existe depuis 1970 et suscite ses premières
contestations le 9 mai 1971 avec la première manifestation contre le
projet organisé par des militants de gauche et
d'extrême-gauche3. Le début de la contestation ne
rassemble pas à ces débuts les paysans qui habitent le plateau,
zone d'extension du camp militaire. C'est le 28 octobre 1971 que le mouvement
d'opposition va être rejoint par les paysans du plateau lorsque Michel
Debré, ministre de la Défense nationale, annonce au journal
télévisé régional, la décision d'extension.
Cette décision qualifiée d'action unilatérale sans
concertation pas les opposants permet dès lors au mouvement d'opposition
de s'intensifier.
1 GUICHARD Suzie et MARTINEZ Laurent, « Toutes les luttes
mènent au Larzac. Entretien avec Christian Roqueirol » dans
Mouvements n°84, 2015.
2 « Aéroport Notre-Dame-des-landes : un nouveau
Larzac ? » URL :
http://www.lavie.fr/actualite/ecologie/aeroport-notre-dame-des-landes-un-nouveau-larzac-15-11-2012-33292
8.php . « Notre-Dame-des-Landes, comme le Larzac, est le totem de nos
inquiétudes » URL :
http://www.lemonde.fr/planete/article/2013/06/29/notre-dame-des-landes-comme-le-larzac-hier-est-le-totem-de-nos-inquietudes
3438938 3244.html . « Notre-Dame-des-Landes n'est pas le Larzac
(même si ça y ressemble » URL :
http://rue89.nouvelobs.com/rue89-planete/2012/11/17/notre-dame-des-landes-nest-pas-le-larzac-meme-si-ca-y-ressemble-237113.
3 Pour une chronologie plus détaillée, voir Pour
une chronologie précise, voir : ALLAND JR. Alexander, Le Larzac et
après : l'étude d'un mouvement social novateur, Paris,
L'Harmattan, 1995, chapitre 2.
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Lorsqu'Alexander Alland décrit le mouvement du Larzac,
il ne parle pas d'un mouvement paysan mais d'un « pot-pourri
d'idées folklorique, d'idéologies et de cultures
».1 Le Larzac aurait permis la construction « d'une
culture, d'une idéologie et d'une communauté ». Cette
idée de « pot-pourri » semble se retrouver dans les zads
d'après les entretiens réalisés avec des occupants.
Léandra, vivant dans la Zad de Notre-Dame-des-Landes interrogée
par Hervé Kempf estime que le seul point commun entre les zadistes est
leur anticapitalisme2. Pour Marcel, paysan sur la Zad, la perception
qu'avaient les paysans des « squatteurs » était assez mauvaise
au début de la lutte à Notre-Dame-des-Landes. C'est après
l'opération César qu'il y a eu l'impression d'un groupe
homogène qui avançait ensemble3. Le Larzac et la zad
ont ceci en commun de rassembler des personnes très
éloignées en ce qui concerne leurs modes de vies et leurs
idéologies. Ces différences sont dépassées par la
lutte contre le projet d'aménagement qui unit les opposant et les oblige
à vivre ensemble.
La diversité des opposants a eu des conséquences
sur les enjeux politiques du Larzac. Pour Jean Chesneaux4, il
existait ainsi six enjeux qui se complétaient : l'enjeu
socio-économique avec la critique du productivisme agricole
délocalisé ; l'enjeu écologique et la préservation
d'un espace naturel ; l'enjeu régional et la défense de
l'Occitanie face au pouvoir de l'Etat ; l'enjeu politique avec le refus du
pouvoir arbitraire de l'Etat ; l'enjeu militaire et l'antimilitarisme et enfin
l'enjeu idéologique avec l'adoption de la non-violence comme technique
de lutte. Ces enjeux différents ont ainsi permis de
générer une mobilisation importante et de constituer le «
pot-pourri » décrit par A. Alland. De la même manière,
comme nous l'avons vu dans la première partie, différents enjeux
cohabitent sur les zads : le choix de la violence, les critiques de la
domination étatique, de la marchandisation du monde, des relations
hiérarchiques, de la privatisation des biens communs, l'exploitation
intensive des ressources, les discriminations de toute sorte... Même
Alain Bauer, qui parle de « radicalisation verte, rouge et noir »
lorsqu'il décrit les zadistes, reconnait la difficulté de parler
« d'un ensemble homogène qui pense de façon homogène
»5.
1 ALLAND JR. Alexander, Le Larzac et après :
l'étude d'un mouvement social novateur, Paris, L'Harmattan,
1995,
2 KEMPF Hervé, Notre-Dame-des-Landes, Paris,
Seuil, 2014, p.87.
3 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, « Marcel, paysan
indéracinable »,
constallations.boum.org
[en ligne] ;
https://constellations.boum.org/spip.php?article126
[réf. 17 avril 2016], p.21-25.
4 BAILLON Elisabeth, Paroles du Larzac, Toulouse,
Privat, 2012, p.9.
5 BOUTIN Gilles, « De Sivens à Notre-Dame-des-Landes,
plongée au coeur de l'extrémisme vert, ses réseaux et ses
méthodes »,
atlantico.fr [en
ligne] le 29 octobre 2014 URL :
http://www.atlantico.fr/decryptage/sivens-notre-dame-landes-plongee-au-coeur-extremisme-vert-reseaux-et-methodes-alain-bauer-sylvain-boulouque-1832032.html
[réf. 28 avril 2016].
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Philippe Subra souligne les ressemblances1 entre
Notre-Dame-des-Landes et le Larzac dans son ouvrage Zone à
Défendre : De Sivens à Notre-Dame-des-Landes. Il s'agit
d'abord de deux projets d'aménagement décidés et
imposés par une puissance supérieur. De plus, il s'agit de
conflits de longue durée. Enfin, ces deux combats ont joué le
rôle de lutte emblématique. Pour Pierre-Marie Terral, le Larzac
demeure « un lieu emblématique de la non-violence et de
l'écologie2 ». Nous verrons dans la deuxième
partie de ce chapitre que Notre-Dame-des-Landes ne peut pas être
qualifiée de « lieu emblématique de la non-violence
».
Une autre similitude entre les zads et le Larzac concerne les
techniques de lutte employées. Pour le Larzac, au moins cent
comités de soutien ont été créés partout en
France. Ces comités devaient assurer la communication de la lutte : les
besoins, les avancés, les problèmes. Ils ont ainsi permis de
financer les actions mais aussi de créer un soutien national Il s'est
illustré lors des grands rassemblements sur le plateau et en dehors avec
la présence pendant l'été 1974 de cent mille personnes
environ. De même, les créations de zads se sont
accompagnées de création de comité de soutien. Lors de la
manifestation du 17 novembre 20123 les comités de soutien ont
organisé le transport des manifestants et l'apport de matériel
pour la reconstruction de la Zad de Notre-Dame-des-Landes.
Concernant la lutte interne, les opposants à
l'extension sont venus sur le plateau habiter des fermes occupées par
l'armée et commencer une activité agricole. En août 1972,
les paysans organisent l'opération « Ferme Ouverte » qui est
une invitation à la France entière se de se rendre sur le plateau
pour rencontrer les paysans et comprendre leurs revendications. Le 10 juin
1973, il y a eu la construction collective de la Bergerie. Ce type d'action est
utilisé par les zadistes lors de manifestation de réoccupation,
la création de chantier collectif ou encore les week-ends de
débat et d'auto-formation. Le convoi de tracteurs et de vélo
parti de Notre-Dame-des-Landes pour aller à la COP 21 rappelle
indéniablement la marche « des 26 du Larzac » parti le 4
janvier 1973 pour Paris. De même, les zadistes ont décidé
de s'installer à Versailles4 lorsque les paysans du Larzac
établissaient leur campement sous la Tour Eiffel. Le Larzac publiait un
journal - Garderem Lo Larzac- et tenait une radio diffusée sur
le plateau et à l'extérieur afin de diffuser les nouvelles du
plateau et des analyses politiques, économiques ou sociales. Bien que
les moyens de communication aient évolué, les zads comme le
Larzac
1 SUBRA Philippe, Zones A Défendre..., Op.cit.,
p. 49-50.
2 TERRAL Pierre-Marie, Larzac : de la lutte paysanne à
l'altermondialisme, Toulouse, Privat, 2011, p. 372.
3 Voir Chapitre 1
4
http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2015/11/28/97001-20151128FILWWW00101-cop21-des-zadistes-festoyent-devant-le-chateau-de-versailles.php
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communiquent énormément avec l'extérieur.
Ces deux luttes utilisent des actions dont l'objectif est double : investir le
terrain contesté par la construction d'habitation et revendiquer une
certaine conception du politique.
Un autre élément de comparaison à
considérer et le lien qu'entretenait le Larzac avec d'autres foyers de
lutte sur la planète. Alexandre Allard décrit les relations des
paysans du Larzac avec le combat des Kanaks pour l'indépendance en
Nouvelle-Calédonie ou encore la lutte palestinienne.1Ainsi,
Jean-Marie Tjibaou, leader du Front de Libération Nationale Kanak et
Socialiste a rendu plusieurs visites aux Paysans du Larzac. Une parcelle de
terre fut donnée symboliquement au Kanak le lendemain du « drame
» d'Ouvéa. Les zads diffusent et reçoivent
régulièrement des appels ou textes de soutien des mouvements en
lutte dans le monde comme par exemple la lutte au Chiapas ou encore la lutte au
Rojava pour l'autonomie au Kurdistan2. Après l'abandon du
projet en 1981, l'Association pour la Promotion de l'Agriculture au Larzac -
chargée d'organiser la récolte et la distribution des dons
pendant la lutte - devient l'Association Pour l'Aménagement du Larzac
chargée de développer la culture, le tourisme et
l'aménagement local sur le plateau. Dans un de ses rapports, elle
développe un projet qualifié d' « utopique » par les
paysans du Larzac3 qui doit servir de modèle pour promouvoir
des formes novatrices d'agricultures et établir une nouvelle
communauté rurale. Il est question de s'interroger sur les alternatives
au modèle d'agriculture intensive. A Notre-Dame-des-Landes s'est mis en
place depuis l'année 2013 « Sème ta zad » qui est une
assemblée bimensuelle réunissant les habitants de la Zad et des
paysans qui a pour objectif de « discuter et d'organiser collectivement
les problématiques agricoles sur la zone, notamment la rotation des
cultures »4. C'est cette assemblée qui a mis en place le
non-marché sur la Zad. Le collectif « Sème ta zad » a
ainsi permis d'installer « un rapport de force » avec la Chambre
d'Agriculture et les autres paysans « productivistes » qui a
facilité l'exploitation des terres occupées. Plus
généralement, l'idée de repenser l'agriculture pour sortir
du modèle productiviste et intensif dominant se retrouve sur les
différentes zads. Lors de leurs installations, la question de
l'exploitation des terres est l'une des premières qui se posent.
1 ALLAND JR. Alexander, Le Larzac et après :
l'étude d'un mouvement social novateur, Paris, L'Harmattan, 1995,
p.90.
2
http://espoirchiapas.blogspot.fr/2014/09/la-societe-civile-de-las-abejas-se.html
et
http://zad.nadir.org/spip.php?article3180
3 Ibid., p.122.
4 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires
croisées..., Op.cit., p.46.
43
La filiation entre les zads et le Larzac semblent naturelle
tant ces deux mouvements s'opposent aux décisions arbitraires de
l'appareil étatique et partagent les mêmes techniques de lutte.
Pour autant, l'imaginaire non-violent figé à la lutte du Larzac a
connu de profonds changements avec le temps et l'évolution des
contestations sociales. Cette métamorphose marque l'une des principales
distinctions entre les deux luttes avec également l'existence d'une
hiérarchie entre les opposants.
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