Les zones a defendre: d'un mouvement de contestation sociale à un nouveau courant de pensée politique( Télécharger le fichier original )par Antoine Vieu Université de Bordeaux - Master 2 2016 |
« O tempora, O mores » : Le Larzac, lieu historique de l'écologie et de la nonviolence.La première différence majeure entre les zads et le Larzac repose sur leur rapport à la violence. Au Larzac, dès le début de la lutte, la communauté de l'Arche est présente. Lors de la première manifestation du 9 mai 1971 ses membres réprouvent les insultes envers le gouvernement.1 Cette communauté fondée par Lanza del Vasto prône la non-violence. L'influence de Lanza del Vasto va être déterminante pour la suite de la lutte. Si le Larzac demeure l'emblème de la non-violence, c'est en partie du fait de cet homme. Il a permis selon Gérard Duruy de « fédérer la lutte » en offrant aux paysans une alternative à la violence2. Pour Alexander Alland le choix de la non-violence des opposants s'est fait soit par conviction, soit pour des raisons techniques. Elle a servi de liant à la lutte. Il insiste sur la forte influence de Lanza del Vasto qui aurait fourni aux paysans « une idéologie et un moyen d'agir en parfait accord avec leurs convictions religieuses »3. La non-violence est devenue une « règle essentielle et irrévocable ». Christian Roqueirol compare la non-violence entre le Larzac et les zads lorsqu'il est allé à Sivens4. Il rappelle qu'au Larzac, « il y avait interdiction d'être violent ». Les opposants se surveillaient mutuellement pour prévenir tout débordement violent. Il faut noter que pour une partie des opposants au Larzac c'est la violence contre les personnes qui est proscrite. L'attaque contre les biens a ainsi été utilisée par les paysans le 21 février 1975 lors de l' « opération commando » visant à détruire les dossiers d'expropriations des fermes mené sur le camp militaire. D'autre part, Christian Roqueirol dit ne pas comprendre la lutte 1 TERRAL Pierre-Marie, « La lutte du Larzac : dix ans de protestation contre l'extension du camp militaire », universitépopulairedetoulouse.fr [en ligne] le 4 mars 2012 ; URL : http://www.universitepopulairetoulouse.fr/spip.php?article104 [réf. 30 juin 2016]. 2 BAILLON Elisabeth, Paroles du Larzac, Toulouse, Privat, 2012, p.40. 3 ALLAND JR. Alexander, Le Larzac et après ..., Op.cit., p.74. 4 GUICHARD Suzie et MARTINEZ Laurent, « Toutes les luttes..., Op.cit., p.13. 44 « masquée ». Il qualifie de « paranoïa moderne » l'argument qui consiste à justifier l'anonymat en raison de l'augmentation de la répression. La non-violence menée au Larzac n'est pas anonyme. Les acteurs l'assument publiquement. Or, comme nous l'avons vu1, il existe sur les zads une cohabitation entre les pratiques non-violentes et violentes. Etre nonviolent n'implique pas empêcher l'autre d'être violent. Les zadistes appellent d'ailleurs à la diversité des pratiques pour assurer une efficacité maximale dans la contestation. Concernant l'anonymat, il leurs permet de se protéger de la police et de la justice mais aussi d'éviter la mise en avant de certains ce qui conduirait à une situation hiérarchique. Si la non-violence est devenue un absolu c'est parce qu'elle a été choisie par les paysans en lutte. Jean Chesneaux rappelle qu'il a toujours été question de « se soumettre aux choix des paysans »2. Il existait ainsi sur le Larzac une hiérarchie entre les 1033 et le reste des opposants. Contrairement aux zads, très peu d'opposants sont venus s'installer sur le plateau. Opposants et habitants du plateau se retrouvaient lors des grandes manifestations ou lors des grands rassemblements. Contrairement au Larzac comme l'explique Philippe Subra4, les zadistes « disposent d'une totale autonomie ». Ils habitent le territoire de lutte à côté des paysans. Ainsi, sur la Zad d'Agen, si les occupants sont venus d'abord s'installer sur le terrain privé de Joseph Bonnotto suite à son invitation, ils ont par la suite investi des lieux appartenant à l'agglomération d'Agen5. Il n'y a pas selon les zadistes de chefs ou de groupes de chefs sur les zads au moins du point de vue formel. Les décisions ne dépendent ni des personnes installés avant la zad, ni des nouveaux occupants. Si chaque zad connaît son propre processus de construction, l'absence de leader est commune à toutes les zads. A titre d'exemple, Marcel, paysan à Notre-Dame-des-Landes, revient sur les conflits lors de son entretien par le collectif Mauvaise Troupe. De l'usage des terres aux choix des techniques de luttes, toutes les décisions sont discutées6. Comme le rappelle le rappel le collectif, « à la zad, c'est pour l'essentiel le foisonnement qui ôte à l'organisation formelle des prises de décision toute possibilité d'hégémonie »7. 1 Chapitre 2 2 BAILLON Elisabeth, Paroles du Larzac, Toulouse, Privat, 2012, p.10. 3 Les 103 paysans qui ont fait le serment de ne pas vendre leurs terrains à l'armée 4 SUBRA Philippe, Zones A Défendre..., Op.cit., p. 55-56. 5 OVLFC, « Notre combat est votre combat », zadagen.tumblr.com [en ligne] le 13 juillet 2015 ; URL : http://zadagen.tumblr.com/post/123144896731/notre-combat-est-votre-combat [réf. 19 juin 2016]. 6 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, « Marcel... Op.cit., p.23, 33-35. 7 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires croisées..., Op.cit., p.195. 45 Si les habitants du Larzac ont réfléchi à de nouvelles formes d'agriculture et à la mise en place d'alternative, la bataille première est l'abandon du projet. Pour les zadistes, dans le cadre de Notre-Dame-des-Landes, «le projet d'aéroport est la simple conséquence d'un système »1 et c'est contre ce système qu'il s'agit de lutter. Cette différence des rapports entre paysans et opposants conduit à envisager différemment l'après projet en cas d'abandon. Pour le Larzac, l'abandon du projet d'extension avec l'arrivée au pouvoir de François Mitterrand en 1981 conduit à la création d'une Société Civile des Terres du Larzac (SCTL). Elle fonctionne sur un bail emphytéotique de soixante ans renouvelables trente ans qui lui permet de louer les terres et bâtiments agricoles à des gens qui devront les quitter lors de l'arrêt de leur activité professionnelle. Les terres appartenant à l'Etat sont désormais soumis à une gestion locative. Cette SCTL a permis d'intégrer les occupants qui souhaitaient s'installer professionnellement sur le plateau en leur permettant une installation à moindre coût. La création de la SCTL a été permise avec l'arrivée du nouveau gouvernement au pouvoir et la promesse électorale de l'abandon du projet. Contrairement au Larzac, les zads sont très peu soutenues par les partis politiques. Pour Marcel, le problème de la Zad de Notre-Dame-des-Landes est qu'elle suscite l'opposition de toutes les institutions2. De plus créer une structure du type de la SCTL pose des problèmes pour certains occupants de la Zad en ce qu'elle constitue une « instance de pouvoir » et impose de fait une obéissance. Pour autant, en novembre 2015 est publié un texte rédigé et approuvé par toutes les composantes de la lutte « après plus d'un an de discussion »3. Ce texte en six points détaille les engagements des personnes vivant sur la Zad en cas d'abandon du projet d'aéroport. Il stipule que toutes les personnes vivant sur la Zad doivent pouvoir y rester après ; Les terres cultivés appartenant à AGO Vinci doivent pouvoir continuer à l'être ; que l'alternative tant politique que agricole puisse demeurer ; que soit mise en place une entité rassemblant toutes les composantes de la lutte pour déterminer le sort des terres redistribuées sous forme de baux précaires par la Chambre d'Agriculture et que ces terres ne servent pas à agrandir la propriété d'un habitant ; que l'après aéroport sera une gestion collective, « une destinée commune ». 1 « Pourquoi on est là », constellations.boum [en ligne] le 1er décembre 2010 ; URL : https://constellations.boum.org/spip.php?article139 [réf. 17 mars 2016]. 2 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, « Marcel..., Op.cit., p.39. 3 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, « Défendre la zad..., Op.cit., p32 ; voir aussi : https://www.acipa-ndl.fr/actualites/divers/item/591-parce-qu-il-n-y-aura-pas-d-aeroport 46 D'autres réflexions zadistes envisagent quant à elle la formation de commune comme prolongement des zads. Dans un texte intitulé « De la zad aux communaux »1, les auteurs s'interrogent sur le devenir des zads. Ils définissent les communaux comme « un territoire partagé, les terres communales, et les infrastructures de l'autonomie qui s'y élaborent, les communs ». Concernant les communs, ils précisent qu'il s'agit de tous les éléments qui permettent à la zad d'exister et de lutter. Sur les terres communales, ils précisent que les parties exploitées par les paysans le resteront. L'instauration d'une commune constitue pour les auteurs la poursuite logique de la lutte. Il faut que « nul ne puisse vendre, acheter monnayer l'usage des terres, cabanes et fermes, friches et champs que nous avons en partage ». Ils imaginent une « Assemblée des communaux » qui serait une structure horizontale et coutumière dans laquelle s'inventerait une « manière de vivre à l'échelle de la zad ». Cette commune doit constituer une force collective capable de lutter contre l'Etat et les individus hostiles à la commune. Dans un texte plus récent du 2 mai 2016 intitulé « Rencontre sur la commune », des zadistes appelle à « faire Commune »2. Ils reviennent d'abord sur l'apport en termes de matériel et d'idées des successions des contestations sociales. Ainsi la lutte contre l'aéroport a transformé une « juxtaposition de forces aux stratégies divergentes » en une « communauté de lutte » liée par l'idée d'habiter le territoire de façon collective. Pour ces auteurs, la Zad de Loire-Atlantique n'est qu'une forme de commune. Chaque commune possède sa singularité en ce qu'elle dépend de l'histoire du territoire où elle se crée. Les auteurs dressent ensuite la chronologie des différentes communes dans l'histoire de l'humanité. Ils entrevoient finalement Notre-Dame-des-Landes comme une commune parmi d'autres à ceci près qu'elle peut générer un élan de contagion. Cette volonté de former une commune marque une grande différence entre les zads et le Larzac. Bien que cette idée ne fasse sûrement pas l'unanimité pour l'ensemble des occupants des zads, l'ambition communale n'a jamais été une revendication des paysans du Larzac. Construits sur un imaginaire de lutte contre l'arbitraire, les zads ne peuvent pas être considérées comme la résurgence du Larzac. 1 ZADIST, « De la zad aux communaux », zad.nadir.org [en ligne] le 17 juin 2015 ; URL : http://zad.nadir.org/spip.php?article3067 [réf. 7 mars 2016]. 2 ZADIST, « Rencontre sur la Commune », zad.nadir.org [en ligne] le 22 mai 2016 ; URL : http://zad.nadir.org/spip.php?article3778 [réf. 8 juin 2016]. 47 |
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