L'opposition à la volonté universaliste du
municipalisme libertaire
Pour Janet Biehl, le municipalisme libertaire se
définit comme « le programme qui veut recréer et
élargir le champ politique démocratique comme champ d'autogestion
de la communauté »1. Murray Bookchin précise
qu'il doit être le cadre d'une « société
libératrice, enracinée dans l'éthique non
hiérarchique d'une unité des diversités, de
l'auto-éducation et autogestion, de la complémentarité de
l'entraide »2. Il ajoute que l'autogestion doit exister dans
les domaines économique, éthique et politique. L'autonomie des
communes ou municipalités apparait comme un élément
clé pour éviter la naissance d'un corps supérieur
arbitraire. Les zadistes partagent ces idées d'autogestion et
d'autonomie lorsqu'ils détaillent l'alternative au système qu'ils
entendent mettre en place. Leur objectif est de s'organiser dans sans aucune
délégation. Sur ces trois sujets, la pensée zadiste se
retrouve dans municipalisme libertaire.
Murray Bookchin envisage une démocratie libertaire
reposant sur deux éléments interdépendants : une structure
qui peut être une ville, un quartier, une place ou encore un parc et
d'une conscience qui leur donne l'impression d'appartenir à une
communauté. Cette notion de communauté est « le point de
départ »3 du municipalisme libertaire. La
communauté est composée d'individus concentrés dans un
« espace public » où la vie privée « s'efface
» derrière la vie publique. Murray Bookchin parle de « commune
». Etant donné l'enjeu de constituer une société
écologiquement saine et égalitaire, ces communes sont
géographiquement limitées. Elles sont autonomes et permettent
à chaque citoyen qui les constitue de prendre part directement au
processus de décision en participant aux assemblées de citoyens.
Ces dernières se réunissent à intervalle régulier,
l'ordre du jour est défini à l'avance et le vote se fait à
la majorité. Murray Bookchin ne rejette pas l'idée de
décision prise au consensus mais il estime que le consensus ne peut
fonctionner que dans un petit groupe dans lequel les individus se connaissent.
Lorsqu'ils décrivent les assemblées générales du
mouvement4, le Collectif Mauvaise Troupe reviennent sur l'importance
de ces lieux ouverts d'expression pour les habitants de la Zad. Les zadistes
mêlent l'utilisation d'outils d'éducations populaire à des
modes de fonctionnements plus spontanés pour permettre à tout
individu de pouvoir s'exprimer librement. Concernant le consensus, ils arrivent
au même
1 BIEHL Janet, Le municipalisme libertaire ..., Op.cit.,
p.73.
2 BOOKCHIN Murray, Pour un municipalisme libertaire...,
Op.cit., p.11.
3 BIEHL Janet, Le municipalisme libertaire ..., Op.cit.,
p.73.
4 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées...,
Op.cit., p.188
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constat que Murray Bookchin quant à sa
difficulté à fonctionner dès lors qu'il s'agit d'un groupe
important d'individu.
Murray Bookchin ne prévoit pas une multitude de
communes vivant en autarcie. Pour Janet Biehl, la mondialisation rend
impossible une « recomposition locale du pouvoir politique en de micro
entités »1 car les relations économiques et
politiques sont trop interdépendantes. De plus l'autonomie des communes
pourrait conduire certaines à adopter des principes inégalitaires
ou néfastes pour les hommes. Murray Bookchin reconnait la
nécessité d'une forme d' « organisation inter municipale
» sous la forme du confédéralisme. Cette forme conduit
à la formation d'une grande entité formée de plus petites
entités. Mais ces dernières gardent leur identité, leur
souveraineté et leur liberté en se confédérant. Il
n'y a pas de processus de délégation. S'il peut y avoir des
mandats, ceux-ci seront obligatoirement impératifs. Les zadistes ne sont
pas aussi catégoriques en ce qui concerne l'impossibilité d'une
recomposition locale du politique et ils n'abordent pas la question d'une
quelconque confédération.
Concernant l'économie, le municipalisme libertaire
envisage une économie gérée par les citoyens de la
communauté. La propriété est placée sous le
contrôle général des citoyens. Ainsi, ils seraient tous
« propriétaires collectivement des ressources économiques de
leur communauté »2.
Sur les moyens d'actions pour parvenir au municipalisme
libertaire, Murray Bookchin envisage certaines méthodes rejetées
par les zadistes. La première est la volonté de participer aux
campagnes électorales. Janet Biehl précise que cette
participation doit se faire non en vue d'acquérir un siège mais
comme un moyen d'éducation populaire au municipalisme
libertaire3. Le candidat n'est plus l'individu mais
l'idéologie. Il s'agit de profiter des de la campagne municipale comme
d'une fenêtre de publicité pour présenter le l'idée
d'une démocratie libertaire. Mais il ne faut pas se concentrer sur le
succès électoral et éviter toute participation au pouvoir
exécutif qui conduirait à l'institutionnalisation du mouvement et
donc à sa métamorphose. Les zadistes critiquent la participation
à des élections car elle revient à cautionner un
système à combattre. Pour Janet Biehl, participer à une
élection municipale « dans une optique municipaliste libertaire
» revient à lutter contre l'Etat.
1 Ibid., p.109.
2 Ibid., p. 132
3 Ibid., p. 92.
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Un autre point de désaccord en les zadistes et la
théorie de Murray Bookchin concerne l'utilisation des technologies. Dans
le cadre du municipalisme libertaire, la technologie doit permettre d'accomplir
à la place de l'Homme le travail qui l'aliène. Un des aspects
principaux du socialisme libertaire pour Murray Bookchin est « l'abolition
de l'usine par une technologie écologique et par le travail
créatif »1. Il s'agit de réorienter la
technologie à des fins de solidarités et de coopérations.
Pour Janet Biehl, l'agriculture industrialisée est ainsi «
souhaitable »2 et n'est nullement incompatible avec
l'agriculture biologique. Les zadistes s'opposent à l'industrialisation
de l'agriculture qui faciliterait la marchandisation de la nature. S'ils ne
rejettent pas les nouvelles technologies en soit, ils se montrent
méfiant vis-à-vis du mythe du progrès et la recherche
perpétuelle de l'efficacité maximum3.
Enfin, une technique commune de lutte envisagée par
Murray Bookchin et les zadistes concernent l'autodéfense. Le
municipalisme libertaire envisage la formation d'un « milice »4 pour
se protéger des attaques du système capitaliste. Les zadistes
reconnaissent la nécessité de constituer une force pour en
dernier recours « faire primer le bien commun sur l'intérêt
privé »5. Mais la milice du municipalisme libertaire
doit à terme remplacer l'armée et la police. Elle doit constituer
une institution démocratique avec des officiers élus sous
contrôle des assemblées de citoyens. Même en tant
qu'institution démocratique, les zadistes n'envisagent pas la
reconstitution d'une armée ou d'une police.
Finalement, les zads pourraient constituer un type de commune
correspondant à celles imaginées par Murray Bookchin dans le
cadre du municipalisme libertaire. Mais la pensée zadiste n'envisage pas
un système politique à grande échelle. Elle ne constitue
pas ce que Murray Bookchin qualifie de « théorie sociale ».
Dans le texte Rencontre sur la Commune, les auteurs précisent
que l'idée du slogan « zad partout » ne repose pas sur
l'exportation du modèle type de Notre-Dame-des-Landes sur tout le
territoire. Il s'agit d'exporter l'idée de communisation. Ils estiment
de plus que la Commune n'est pas une « idéologie en ce qu'elle
n'est pas un absolu universelle, mais une réalité pluriverselle,
un archipel de mondes irréductibles et singuliers qu'il nous appartient
de relier ». La zad, comme la commune, n'a pas une vocation universelle et
c'est pour cette raison qu'elle ne peut être considérée
comme une idéologie contrairement au municipalisme libertaire.
1 BOOKCHIN Murray, Pour un municipalisme libertaire...,
Op.cit., p.29.
2 BIEHL Janet, Le municipalisme libertaire ..., Op.cit.,
p.73
3 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées...,
Op.cit., p.17.
4 BIEHL Janet, Le municipalisme libertaire ..., Op.cit.,
p.137.
5 ZADIST, « De la zad aux communaux, Op.cit..
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