2.1.2 L'ethos de « caractère »
L'ethos de « caractère » se définit
par la force de l'esprit, comme quand on dit à quelqu'un qu' « il a
du caractère ». Cet ethos peut apparaître à travers
diverses figures. La vitupération qui blâme, critique et s'indigne
en s'exprimant par « coups de gueule ». Il faut noter qu'ici, le coup
de gueule est maîtrisé, il témoigne d'une indignation
personnelle et provient d'un jugement de l'esprit qui a
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besoin d'être exprimé avec force. Nous trouvons
cette figure chez certains hommes politiques de forte personnalité. Nous
constatons que pour pousser des coups de gueule - calculés - qui aient
un effet politique, il faut se trouver dans une position qui les justifie. P.
Charaudeau nous dit que ceux-ci sont toujours réactifs, sont des
réponses quasi immédiates aux déclarations,
décisions ou comportements de quelqu'un d'autre, la plupart du temps
adversaire. Cela peut être des membres de l'opposition face au
gouvernement, des ministres face aux déclarations de leurs opposants
(partis de l'opposition, syndicats, presse) etc. L'importance des opposants
justifie les répliques car il ne faut pas s'abaisser à riposter
vis-à-vis de ceux qui sont d'un rang inférieur.
Exemple 4 « Si en deux minutes il
fallait résumer l'outrance, la démagogie et le vrai visage de
l'extrême droite, vous venez de le démontrer parfaitement. [...]
Je ne veux pas que le 22 mars mon pays se réveille avec la gueule de
bois, [...] face à vous, face à vos candidats, ils sont des
dizaines à tenir des propos antisémites, racistes, homophobes,
sexistes [...] face à cela, madame, je mènerais une campagne,
toujours ! Il faut dire la vérité aux Français, vous les
trompez, vous trompez les petites gens, ceux qui souffrent ! [...] Il est temps
que dans ce pays il y a un débat, on déchire le voile, la
mascarade qui est la vôtre ! [...] Alors, madame, jusqu'au bout je
mènerai une campagne pour vous stigmatiser et pour vous dire que vous
n'êtes ni la République, ni la France !
»4.
Suite à l'intervention provocatrice de Marion
Maréchal Le Pen qui s'est permis de prononcer des propos tels que :
« Gardez donc votre mépris crétin pour votre propre
parti qui en moins de trois ans a oscillé entre phobie
4 Réponse à la question posée par
Mme Marion Maréchal-Le Pen, députée (FN), à
l'Assemblée nationale le 10 mars 2015
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administrative, comptes en Suisse et prise illégale
d'intérêt », notre sujet d'étude, Manuel Valls,
s'est exprimé avec force en défendant les valeurs de son parti
politique et en mettant en évidence le vrai visage de son adversaire. Et
notamment il se sert d'ironie pour définir ce parti de l'opposition en
affirmant que l'extrême droite s'appuie sur l'excès pour pouvoir
flatter une assemblée de personnes afin de gagner leur adhésion
ou augmenter sa popularité. L'orateur porte son regard vers l'avenir et
signale que son pays peut avoir une mauvaise surprise venant du camp adverse.
Et pour que son message puisse être entendu et compris, l'orateur
n'hésite pas à donner des qualifications à l'égard
des propos des candidats de l'opposition. Pour lui, ceux-ci représentent
un vrai danger pour le pays, car ces gens ne savent pas où
s'arrêter quant à leurs attaques verbales adressées au
gouvernement. Le sujet parlant annonce clairement son désaccord
concernant l'arrivée de l'opposition au pouvoir, puisque d'après
lui c'est la pire chose que puisse arriver à la France. Donc il prend la
responsabilité de mener une campagne jusqu'au bout et d'expliquer aux
électeurs qu'ils doivent être particulièrement raisonnables
lors des élections. Effectivement, il s'agit d'un jeu de masques et
l'émetteur dénonce ce comportement malhonnête et indigne
d'un parti politique. Dissimuler la vérité et tromper les gens
afin de tirer profit à titre personnel, cette attitude est l'origine des
coups de gueule de l'énonciateur. Ce dernier déclare publiquement
que le moment est venu et qu'il ne faut plus jeter de la poudre aux yeux des
gens. Il propose que tout le monde mette les cartes sur table afin de donner
lieu à un vrai débat ayant comme sujet l'avenir et la
prospérité de la France. Le locuteur condamne avec force les
propos et les actions des représentants de l'extrême droite. Et
face à cela, il répond présent en rappelant à ses
adversaires que leur parti politique n'est pas la France.
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La provocation et la
polémique sont des traits caractéristiques de cet
ethos. La provocation est faite de déclarations qui ont pour but
exclusif de faire réagir quelqu'un. Pour qu'une provocation soit
efficace, il faut qu'elle paraisse sincère et qu'elle reflète la
pensée du locuteur. La polémique apparaît surtout dans les
débats, car les débatteurs, étant des adversaires, se
trouvent en situation réactive les uns par rapport aux autres, chacun
contredisant les arguments de son adversaire. Cette contradiction porte surtout
sur la mise en accusation de la personne elle-même, quant à sa
moralité, son caractère ou son comportement. Il faut faire
attention à une telle stratégie car la polémique peut se
retourner contre son auteur.
Exemple 5 « Monsieur le
député, avec un peu de recul et d'expérience, il y a
quelque chose que je me suis dit ces derniers temps, notamment en vous
écoutant : je sais que je ne parlerai jamais ainsi de mon propre pays.
Jamais ! »5.
Il s'agit d'une réponse provocatrice de la part du
locuteur qui se permet de juger et même d'accuser le député
d'avoir mal parlé à propos de son pays. Le sujet parlant a pris
de la distance et du temps pour pouvoir bien qualifier et analyser les propos
du député. Cette provocation semble réelle, le locuteur
est plutôt sincère en prononçant cet énoncé,
parce qu'il s'exprime en se basant sur son expérience professionnelle.
Et si nous allons plus loin dans nos raisonnements, nous constatons la
présence d'une légère nuance de sarcasme.
C'est-à-dire que le locuteur a attentivement écouté les
discours récents du député et il est resté à
la fois impressionné et choqué par une « chose ». La
question que le
5 Réponse à la question posée par
M. Philippe Gosselin, député (UMP) de la Manche, à
l'Assemblée nationale le 7 octobre 2014
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locuteur se pose, c'est : « Comment est-il possible
d'avoir le statut de député de France et d'utiliser un
vocabulaire qui n'est pas digne d'une personne publique ? ». Le sujet
parlant se montre ferme concernant la manière dont un homme politique
doit respecter lors d'un discours visant la France. Le bilan est que le
locuteur met son propre pays sur un piédestal, tandis que son opposant
fait preuve d'irrévérence.
L'ethos de « caractère » se manifeste
également par la figure de courage et
la figure de l'orgueil. La figure de courage
laisse entendre au citoyen que l'homme politique qui en est doté
saura affronter l'adversité sans faiblir, et sans céder à
la démagogie. La démocratie souhaite que les dirigeants
répondent aux exigences et aux aspirations du peuple en oubliant ou
négligeant leur ambition personnelle. Cependant nous savons qu'il n'est
de meilleur chef que celui qui est animé par l'ambition de
réaliser un grand projet. Donc la figure de l'orgueil est
nécessaire à l'homme politique parce qu'elle garantirait son
désir de défendre les valeurs et l'intégralité
identitaire de son peuple, jusqu'au sacrifice. Le côté
négatif de cette figure est qu'elle conduit celui qui en est pourvu
à se comporter de façon impitoyable, voire cruelle.
Exemple 6 « Et je comprends les
impatiences, les doutes, les colères. Ils sont légitimes quand le
chômage atteint des niveaux aussi élevés, et depuis si
longtemps. Mais face à cela, quelle attitude faut-il adopter ? La
fébrilité ? Le virage ? Le zigzag ? Le renoncement ? Non !
Gouverner, c'est résister. Gouverner, c'est tenir. Gouverner, c'est
réformer. Gouverner, c'est dire la vérité. Gouverner,
c'est aller chercher la confiance surtout quand c'est difficile...
»6.
6 Déclaration de politique
générale du Premier ministre, M. Manuel Valls, à
l'Assemblée nationale le 16 septembre 2014
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Le locuteur prononce ces propos dans un moment difficile que
la France et son peuple traversent. Le sujet parlant exprime sa bienveillance
en se mettant d'accord avec l'opinion commune. Il se met à la place des
citoyens et comprend l'origine de leurs réactions négatives, et
notamment le manque de résultats. L'orateur assume complètement
ses responsabilités et a le courage d'affirmer que le gouvernement ne
doit pas adopter une attitude de vaincu. Bien au contraire, il doit essayer de
revaloriser les aspirations du peuple, redonner confiance et recréer du
lien social. L'émetteur, en tant que Chef du gouvernement, annonce
courageusement à haute voix sa réponse. Il déclare
publiquement que les difficultés existent pour être
surmontées et que les réformes sont faites pour être
appliquées. Donc le locuteur a la motivation et l'ambition de changer
les choses en faveur du peuple. Surtout quand c'est difficile, les dirigeants
de la France doivent faire preuve de diligence et d'affronter les défis
du long terme.
La figure de fierté - l'ethos
de caractère fort se caractérise par une attitude de
revendication de l'action accomplie, en faisant preuve de fermeté
énergique (qui n'est ni l'énervement, ni l'agressivité) et
même de dureté inébranlable, toutes choses qui seraient le
propre des grands hommes politiques.
Exemple 7« Questionner,
débattre, porter la contradiction, tout cela est légitime. Le
dialogue c'est la démocratie. Et moi, je veux dire à la
majorité que ce qui nous unit est bien plus fort que ce qui nous
distingue. C'est une gauche moderne, qui a le courage de gouverner, le courage
de réformer. Soyons en fiers ! Et je veux dire, aussi, à
l'opposition que je considère l'écoute et le respect comme des
principes fondamentaux pour l'accomplissement de notre mission
»7.
7 Déclaration de politique
générale du Premier ministre, M. Manuel Valls, à
l'Assemblée
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En tant que Chef du gouvernement, le locuteur exprime son
point de vue à l'égard de la démocratie et ses principes.
Le sujet parlant déclare que le débat et le dialogue social font
partie de ce régime politique dans lequel le peuple a le pouvoir.
Premièrement, l'orateur s'adresse aux socialistes pour leur rappeler que
l'idéal commun a plus de valeur et d'importance que les
préférences individuelles de chacun d'eux. Autrement dit, les
valeurs de la république et le drapeau tricolore unissent cette
assemblée des personnes ayant comme mission la réussite et
l'avenir de la France. Le locuteur se sent fier d'annoncer que son parti
politique n'a pas peur de prendre des risques, essayer de changer les choses et
affronter les difficultés quotidiennes. Le sujet parlant fait ce constat
pour revendiquer que les gouvernants ont le sens des responsabilités, et
être au service des autres, fait partie de leurs priorités.
Deuxièmement, l'orateur s'adresse à l'opposition pour
énoncer ses attentes concernant l'attitude et le comportement des
membres du camp adverse. Il existe un minimum de considération et
politesse qui doit être respecté par tous les
députés, peu importe leurs convictions politiques, afin que la
mission du gouvernement soit accomplie.
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