CHAPITRE 4. Procédés langagiers
4.1 Les types de phrase
Dans ce chapitre nous avons choisi d'examiner attentivement
des procédés langagiers de l'ethos. Quand nous disons «
procédés langagiers », il faut bien avoir en tête
qu'il s'agit de types de phrase et de connecteurs argumentatifs. Dans le
chapitre 4, notre objectif est d'utiliser strictement les mêmes exemples
que ceux du chapitre 2 afin de mettre en lumière les atouts
linguistiques des ethos d'identification et de crédibilité. Donc
nous allons voir comment par exemple le discours de l'ethos de chef est
structuré en sachant que son but ultime est, en premier lieu, d'attirer
l'attention et si possible influencer ou même convaincre son auditoire.
Nous allons découvrir également si le chef du gouvernement se
sert plutôt de phrases exclamatives et impératives pour mettre en
valeur l'autorité de cet ethos. Idem pour les ethos de puissance et de
caractère - nous comptons les regarder de près et croiser les
résultats obtenus. En ce qui concerne les ethos de
crédibilité, peut-il avoir des surprises au niveau du choix des
phrases ayant pour but d'exprimer des idées, convictions et
compétences. Nous pouvons supposer par exemple que pour construire un
ethos de « sérieux », le locuteur utilise plutôt des
phrases déclaratives et impératives. Il prend au sérieux
tout ce qu'il affirme et ne peut pas se permettre de se ridiculiser devant son
public. Quant aux ethos de « vertu » et de « compétence
», nous imaginons un mélange de types de phrase sans avoir une
différence fondamentale entre eux au niveau du taux d'utilisation. Bien
entendu, ce ne sont que des hypothèses, donc il reste à
découvrir le rôle des types de phrase dans la construction des
ethos d'identification et de crédibilité.
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Dans son précis de grammaire, D. Maingueneau annonce
que les phrases ne sont pas seulement des organisations syntaxiques ; elles
sont aussi mises en relation de deux partenaires à travers
l'activité énonciative, et l'énonciateur y marque son
attitude à l'égard de son propre énoncé. Si nous
entendons par « phrase » toute séquence verbale douée
de sens et syntaxiquement complète, nous sommes amenés à
distinguer entre phrase verbale et phrase non verbale, selon que la phrase
s'organise ou non autour d'un verbe. Selon D. Maingueneau (Maingueneau 2015 :
85), les phrases verbales présentent des structures très
variées qui correspondent à des actes de langage fondamentaux et
sont identifiables par une intonation spécifique. Il est
intéressant de constater qu'il ne reconnaît que 3 types de phrase
: le type déclaratif (ou assertif), le type interrogatif et le type
impératif (ou injonctif). Le premier type permet d'affirmer quelque
chose de vrai ou de faux sur le monde ; c'est le type non marqué, celui
par rapport auquel se définissent les deux autres. Il correspond le plus
souvent à l'ordre GN-GV et son intonation canonique est montante puis
descendante. Il domine largement à l'écrit. Le deuxième
type permet de questionner quelqu'un, qui est ainsi placé dans
l'alternative répondre/ne pas répondre. Son intonation est en
général montante. Mais toute structure interrogative n'est pas
une question. Le troisième type est lié à l'injonction ;
il s'exprime par une intonation descendante. Sa structure est celle d'un verbe
à l'impératif, sans sujet exprimé et à la 2e
personne ou la 1re du pluriel. En définissant les phrases exclamatives,
D. Maingueneau considère qu'il s'agit d'un effet de sens qui s'ajoute
aux trois types de phrase, et non pas d'un quatrième type de phrase.
Selon lui, les phrases exclamatives permettent à l'énonciateur
d'exprimer une réaction affective forte, le plus souvent en marquant le
haut degré. Elles possèdent une intonation spécifique, qui
met en valeur le constituant sur lequel porte l'exclamation.
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Par rapport à D. Maingueneau qui nous parle des actes
de langage, R. Eluerd dans sa grammaire descriptive de la langue
française (Eluerd 2008 :183), utilise le terme de modalités
d'énonciation. Ces dernières expriment l'attitude de
l'énonciateur à l'égard de son interlocuteur. Suivant
cette logique, donc, nous pouvons distinguer quatre types morphosyntaxiques et
sémantiques de phrase : déclaratif, interrogatif,
impératif et exclamatif. Toute phrase présente obligatoirement
l'une de ces modalités et une seule. R. Eluerd fait la comparaison entre
interrogation totale et interrogation partielle. Selon lui, l'interrogation
totale, ou appelée encore interrogation globale par M. Grevisse et A.
Goosse, porte sur la phrase dans son ensemble. L'interlocuteur est
sollicité pour achever l'assertion. Sa réponse doit exprimer un
oui ou un non. L'interrogation partielle porte sur un des
termes de la phrase. Une réponse réduite à oui ou
non est impossible. L'interrogation peut être insistante,
c'est-à-dire renforcée par le ton ou par un mot d'appui. R.
Eluerd nous dit que la phrase impérative est employée quand un
je attends, ordonne, souhaite que quelqu'un fasse ou ne fasse pas
quelque chose. C'est donc une modalité spécifique de
l'énonciation discours dans la forme de l'oral réel ou fictif.
L'injonction peut être insistante, c'est-à-dire renforcée
par une interjection. R. Eluerd nous propose une définition identique
à celle de D. Maingueneau concernant la phrase déclarative et la
phrase exclamative. Les deux grammairiens belges, M. Grevisse et A. Goosse,
considèrent également que dans la langue française il y a
quatre types de phrase. Nous devons tout de même préciser que la
phrase impérative se termine par un point d'exclamation quand le
locuteur prononce des propos avec une force particulière ; il s'agit
d'une demande ou d'un ordre. La phrase exclamative se caractérise par
son affectivité et l'énonciateur exprime librement ses sentiments
à haute voix. (Grevisse et Goosse 2009 : 77).
4.1.1 La phrase déclarative
Exemple 3/p.18 « Nous allons
entretenir, je l'espère, comme un feu ardent, cet état d'esprit
et nous appuyer sur la force de son message d'unité. Et en revendiquant
fièrement ce que nous sommes. En le faisant, en nous rappelant sans
cesse de nos héros, ceux qui sont tombés, ces 17, la semaine
dernière ».
Comme nous avons déjà pu constater, cet exemple
caractérise l'ethos de « puissance ». Nous avons trois phrases
déclaratives séparées par le même signe de
ponctuation. Dans la première phrase, qui est relativement longue, le
locuteur déclare publiquement son optimisme, sa volonté et son
espérance à l'égard de l'état d'esprit de son
peuple. Il affirme à haute voix que ce dernier se trouve sur la bonne
voie et doit garder cet enthousiasme et ce sentiment d'unité notamment
autour des valeurs de la République. Nous devons préciser qu'en
prononçant cette phrase, le locuteur fait référence
à la manifestation de 11 janvier 2015. L'énonciateur fait une
comparaison afin d'encourager ses compatriotes et de leur rappeler
qu'uniquement tous ensemble sont capables de changer la situation en leur
faveur, car l'unité fait la force. Le locuteur se sert d'une phrase
déclarative pour faire passer son message, en espérant que
celui-ci sera compris dans sa totalité. La deuxième phrase est
plutôt courte. Le sujet parlant annonce et rappelle en même temps
à son auditoire qu'il ne doit pas oublier ses origines, son histoire et
son identité. En s'appuyant sur la force du passé et en
particulier sur des dates remarquables et éternelles, le peuple
résiste aux difficultés actuelles et montre aux
générations à venir comment doivent-elles procéder
et quels moyens doivent-elles utiliser pour faire face à des situations
extrêmement délicates. En prononçant cette phrase
assertive, le locuteur s'adresse à son peuple pour affirmer
qu'être fier signifie avoir de la
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dignité dans son caractère et que les autres lui
doivent le respect. La troisième phrase est plutôt longue et
l'énonciateur rend hommage aux victimes des attentats contre Charlie
Hebdo et l'Hyper Cacher, en déclarant que l'histoire de la France vient
de connaître ses nouveaux héros. Ces derniers ont fait preuve de
courage, de patriotisme, de sang-froid, de fidélité, et le peuple
doit faire en sorte que leur exploit ne soit pas rapidement oublié. Le
locuteur qualifie ces victimes en utilisant le mot « héros »,
car elles représentent un modèle de comportement rarement vu, et
ces héros méritent d'avoir le respect de toute la
société. Etre fidèle à la République et ses
valeurs signifie prendre des risques, se mettre en danger si nécessaire,
défendre sa patrie et ses compatriotes, défendre
l'intérêt général et être prêt à
se sacrifier entièrement au nom de la France et ses biens
précieux. Nous pouvons constater que le locuteur prononce ces trois
phrases déclaratives afin d'informer et en même temps rassurer son
auditoire (le peuple français) qu'il s'agit d'une situation
délicate mais l'unité nationale et l'esprit collectif entre les
citoyens de tout un pays, donneront des résultats positifs à
l'égard de cette guerre contre l'ennemi, donc le terrorisme et notamment
l'islamisme radical.
Exemple 11/p.31 « Le peuple
Français, une fois encore, a été à la hauteur de
son histoire. Mais, c'est aussi, pour nous tous sur ces bancs, vous l'avez dit,
un message de très grande responsabilité. Etre à la
hauteur de la situation est une exigence immense. Nous devons aux
Français d'être vigilants quant aux mots que nous employons et
à l'image que nous donnons.»
Cet exemple caractérise l'ethos de «
sérieux » et il est composé de quatre phrases
déclaratives. En lisant la première phrase, nous comprenons qu'il
s'agit d'un jugement positif de la part du chef du gouvernement, porté
sur le comportement de ses compatriotes. Le locuteur déclare clairement
que le
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peuple français a réagi correctement face aux
attentats ayant eu lieu à Paris. Les Français ont répondu
présents et ont montré explicitement au monde entier que le droit
à la parole est sacré et fait partie des valeurs de la
République. Ceux qui s'attaquent à ce droit prioritairement
démocratique, s'attaquent à la liberté des gens et
notamment leur besoin d'exprimer leur point de vue. L'orateur affirme que le
peuple français a vigoureusement défendu ses principes et ses
idées de liberté, égalité et fraternité. Le
sujet parlant s'adresse également à tous les
députés et déclare qu'ils doivent être un bon
exemple pour le peuple. Il prend les choses au sérieux et arrive
à estimer réellement la gravité de la situation. L'orateur
annonce que les députés et surtout les hommes de pouvoir (les
ministres) doivent être capables de répondre aux exigences et aux
attentes du peuple. Ils doivent assumer pleinement leurs responsabilités
et agir adéquatement dans des situations complexes, comme celle dont
l'orateur évoque publiquement. Cette situation délicate demande
des efforts collectifs, de la part du peuple français mais
également de la part du gouvernement. L'orateur appelle à
l'unité nationale, car c'est uniquement tous ensemble qu'ils pourront
faire face au péril mortel. Le sujet parlant déclare que le chef
de l'Etat et le gouvernement ont la lourde tâche de prendre des
décisions et des mesures exceptionnelles (exemple : l'état
d'urgence) afin de défendre la liberté de leurs compatriotes.
C'est une immense responsabilité car ces décisions concernent des
millions de gens. Mais aussi parce que si le peuple français reste
déçu, les responsables politiques devront affronter un vent de
critiques et d'attaques personnelles. Par ailleurs les défis existent
pour être surmontés et le gouvernement a l'occasion de prouver ses
compétences. Le locuteur affirme que les députés doivent
être particulièrement attentifs lors de leurs allocutions ou tout
simplement activités publiques, car l'image qu'ils dégagent est
censée répondre aux attentes du peuple français. En
d'autres termes, les hommes politiques ont pour mission d'être
exemplaires et de bien soigner leur image professionnelle et publique. Cela est
également valable en
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ce qui concerne le vocabulaire dont ils se servent parce que
leur statut social ne leur permet pas d'utiliser n'importe quel propos dans
n'importe quelle situation. Donc la popularité et le pouvoir politique
exigent des sacrifices et des privations personnelles.
Exemple 12/p.32 « Je vous dois cette
vérité, et nous devons cette vérité aux
Français. Pour y faire face, partout sur le territoire, des militaires,
des gendarmes, des policiers sont mobilisés. »
Cet exemple illustre l'ethos de « vertu » et il est
composé de deux phrases assertives. Le locuteur se montre honnête
et déclare que le peuple français mérite de savoir la
vérité. Etre sincère et ne pas avoir peur de dire la
vérité, signifie que le locuteur préfère la
transparence et la loyauté. Mais de quelle vérité
s'agit-il exactement ? Nous devons rappeler que cet extrait fait partie de
l'allocution de Manuel Valls dans laquelle il rend hommage aux victimes des
attentats, mais aussi il déclare publiquement que la France est en
guerre. Donc il est question de cette vérité, dite et
assumée pleinement par le chef du gouvernement. Ce dernier
considère que ses compatriotes ont le droit de savoir qui sont leurs
ennemis et surtout pourquoi ils s'attaquent à un pays laïque, et
notamment à la liberté de culte, de conscience et d'opinion.
Ainsi les députés, élus par le peuple français,
doivent la vérité à ce dernier car grâce au vote des
électeurs, ils ont obtenu le pouvoir. Le locuteur déclare
également quelles mesures sont prises afin de garantir la
sécurité des citoyens. Donc en prononçant ces deux phrases
déclaratives, l'orateur énonce la vérité attendue
par les Français, et en même temps rassure ces derniers en
affirmant que des décisions étaient prises en faveur du
peuple.
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Exemple 14/p.34 « Je le dis
modestement, avec mon expérience, non pas de Premier ministre ou de
ministre de l'Intérieur, mais d'élu de la banlieue parisienne, de
maire d'Évry pendant onze ans : les mots que j'ai utilisés hier,
en parlant de processus de ségrégation, de ghettoïsation,
d'apartheid territorial, social, ethnique, pour un certain nombre de quartiers,
je les ai toujours employés car, comme d'autres, ici, sur tous les
bancs, j'ai vécu directement les situations qu'ils désignent.
»
Cet exemple décrit l'ethos de « compétence
» et il est composé d'une longue phrase assertive. En
prononçant cette phrase, le locuteur déclare et rappelle en
même temps qu'il a occupé deux postes en tant que responsable
politique avant d'être nommé Premier ministre. C'est-à-dire
qu'il a de l'expérience dans le domaine de la politique et qu'il peut se
permettre de donner des leçons ou des conseils quant à
différents types de situations. L'orateur a connu de près le
terrain et est capable de proposer des idées, projets et même des
solutions aux problèmes et aux préoccupations des habitants. Nous
pouvons remarquer que son expérience est justifiée, car il
explique brièvement son parcours et fait comprendre qu'il a du
vécu. Le sujet parlant se sert d'une longue phrase déclarative
pour illustrer la réalité telle qu'elle est en tenant des propos
fiables et cohérents. Il emploie des paroles précises afin de
nommer les choses et de mettre en évidence la vraie signification des
termes en question. La compétence est une capacité reconnue dans
un domaine, et ici en l'occurence il s'agit d'un locuteur qui parle de ses
connaissances acquises par le biais de la pratique.
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