Dynamique familiale et gestion de l'environnement en chefferie de Ngweshe. une analyse praxéo-interdiscursive( Télécharger le fichier original )par Pierre BAKENGA SHAFALI Université Officielle de Bukavu - Doctorat en Sociologie 2012 |
6.6. Principaux changements intervenus au sein de la familleLa famille de Ngweshe a subi des changements en son sein, de profondes modifications et ce dans différents domaines tels que : - Le nom : selon Le petit Larousse, le nom est un mot servant à désigner une personne, une chose. Chez les Bashi, le nom est considéré comme étant la personne même. (Izino ye muntu signifie littéralement « le nom, c'est la personne »). Chez ce même peuple, l'on se défendra d'avoir un mauvais nom. Pour les Bashi, un mauvais nom est une pourriture (izino libi cibolwe). Le nom des Bashi était tiré, ancré strictement dans la culture shi et se référait aux circonstances dans lesquelles était né l'enfant porteur ou traduisait un souhait. Ainsi, une fille pouvait facilement être nommée Nnankafu ou détentrice des vaches pour la simple raison qu'on espérait d'elle beaucoup de vaches en termes de dot. Le nom était compris par tous les bashi parce que ayant sa racine et sa signification dans ce qui est réellement le mushi. Avec l'avènement du christianisme, c'est-à-dire, à partir de 1906, (date de la fondation de la première paroisse catholique au Bushi), les Bashi ont accédé à des prénoms occidentaux dont ils ne comprenaient pas le sens, du moins ils avaient été convaincus que c'était des noms de leurs « saints patrons » vivant au ciel et qui étaient désormais leurs protecteurs sur la terre. Porter ces noms, c'était donc une fierté, une protection et, encore plus, une assurance d'arriver au ciel après la mort. A ce jour, le nom a pris une autre ampleur : l'on se nomme et nomme son enfant comme l'on veut, souvent même par simple bonne assonance. Certains noms sont tirés de spots publicitaires, des marques des appareils, des films et des jeux, des noms des musiciens et d'acteurs de théâtres... Le nom a perdu son sens traditionnel. On a, actuellement, des noms tels que Trésor, Héritier, Plamedi, Valé, Fligolito, Fally, etc., pas parce qu'on en comprend strictement le sens mais parce que, tout simplement, on en admire le son. Les vieux ne cessent d'en demander la signification. · La dot : Chez les bashi de Ngweshe, la dot était constituée uniquement d'une ou plusieurs vaches remises solennellement au père de la jeune fille par l'homme qui la prend pour épouse. Il s'en suivait obligatoirement une chèvre et une étoffe pour la belle mère. Ces biens ne sont pas restituables même en cas de décès de la conjointe ou de divorce. On pouvait alors, pour faciliter la fête du mariage, s'échanger des vivres. La valeur de la dot relevait du statut de la famille du fiancé. Cette dot donne possession absolue de cette femme à son mari. D'ailleurs, chez les Bashi, le terme « dot » se traduit par « ngulo ou kugula » qui se traduisent par « achat ou acheter ». Actuellement, par effet d'emprunt culturel, deux houes accompagnent ces biens. On n'en connaît pas exactement la signification, mais tout semble relever de la vocation agropastorale du mushi. La dot, à ce jour, se discute et se donne en argent, et seulement en dollars américains. L'unité dotale demeure une vache, mais une vache surévaluée en dollars. D'autres biens tels le costume du beau-père, une lampe, une canne à sucre, ..., peuvent suivre, tout dépend de l'ostentation du fiancé ; la dot est devenue ostentatoire du côté des deux familles qui s'unissent par le mariage de leurs enfants. · Les études des enfants sont devenues une contrainte pour tout parent. Même pauvre, on ne s'en excuse pas, on est ridicule d'avoir des enfants qui ne vont pas à l'école. Mais, quel que soit cet engouement pour les enfants d'étudier et pour les parents de les faire étudier, l'objectif n'est toujours atteint compte tenu de la précarité économique des parents due, d'abord, au fait que ces derniers avaient été réduits au chômage depuis belle lurette ; ensuite, par suite des pillages systématiques dont a été victime l'entité ; enfin, suite à l'infertilité, l'exigüité des terres arables avec toutes répercussions sur la production agropastorale. Les enfants sont chassés intempestivement de l'école pour raison d'insolvabilité des frais scolaires, ce qui entraine une déscolarisation annuelle de plus de trente pour cent. Quant aux écoles, elles sont suffisantes. · Les Eglises : elles n'étaient pas nombreuses. Tout au début, on a connu que l'Eglise catholique, puis vient l'Eglise protestante en des milieux comme Bideka, Burhuza seulement, puis elles se sont répandues à travers toute la chefferie et tous les villages. Avec l'avènement des Eglises de réveil, les églises protestantes sont devenues « million » et fonds de commerce. L'Islam ne va s'installer dans Ngweshe qu'avec l'arrivée de la Mission d'Observation de Nations Unies au Congo (MONUC). Les soldats pakistanais et égyptiens ont converti des bashi à l'Islam et construit des mosquées à Walungu, à Burhale et Mushinga. Toutes ces Eglises et ces mosquées ont un impact important sur les familles. Leurs animateurs vivent tous aux dépens de leurs pauvres fidèles. · La femme : le statut de la femme et ses rôles ont subi de profondes modifications au sein de la chefferie depuis plus de quatre décennies. On est passé de cette femme isolée, dédaignée, sans voix, discriminée, chosifiée, soumise et jamais respectée, exposée à beaucoup d'interdits même alimentaires à une femme plus ouverte, coopérative et jouissant moyennement de ses droits. Certes, le parcours est encore loin pour mettre réellement la femme à sa place mais le trajet parcouru est considérablement significatif. · La cohésion sociale, l'entraide mutuelle : la tradition communautariste qui caractérisait les bashi tend à s'effriter et s'oriente vers l'individualisme malgré la solidarité mécanique dont reflète le milieu. Il va sans dire que la pauvreté qui a élu domicile dans la contrée peut être à l'origine de cette défection sociale. · Conflits, haine et suspicion : la confiance individuelle ou collective qui caractérisait le peuple bashi s'est atténuée manifestement. Les gens se suspectent plus qu'ils ne se confient entre eux et développent des conflits entre eux, souvent pour des conflits bénins. Faute d'un cadre dynamique devant les gérer et suite à la disparition du barza local de réconciliation (ngombe), les conflits prennent une ampleur importante. · La langue : le mashi est la langue parlée des Bashi. Unique en ce genre sur le plan traditionnel, le mashi est entré en contact avec le français grâce à la colonisation et avec le kiswahili à travers son contact avec les milieux urbains fondés par ces mêmes colonisateurs. Le français, langue officielle et le kiswahili, langue nationale (au même titre que le lingala, kikongo, tshiluba) ont pris le dessus sur le mashi de façon qu'actuellement le « parler mashi pur » se raréfie surtout chez les jeunes qui, pour des raisons de fierté, préfèrent plus s'exprimer en un mélange linguistique formé du français, du kiswahili et du mashi. La défection constatée pour le nom des personnes résulte exactement de ce manque de maîtrise linguistique locale. · La culture et les valeurs. 1°. La culture Au sujet de la culture, Rocher s'est inspirée de Eddy Tylor pour la définir ; il estime que la culture est un ensemble lié de manières de penser, de sentir et d'agir plus ou moins formalisées qui, étant apprises et partagées par une pluralité de personnes, servent, d'une manière à la fois objective et symbolique, à constituer ces personnes en une collectivité particulière et distincte.124(*) Tylor a donné une définition plus énumérative à la culture. Pour lui, la culture est cet ensemble complexe qui englobe la connaissance, les croyances, l'art, la morale, la loi, la coutume et toutes les autres facultés et habitudes que l'homme a acquises en tant que membre d'une société.125(*) De toutes ces définitions, nous pouvons considérer que la culture constitue toutes ces manières d'être, d'agir, de penser propres à une peuple, et ce fait, il n'y a aucun peuple sans culture, car tout peuple n'est identifiable que par rapport à sa culture et sa spécificité par rapport à d'autres peuples ne réside que dans la culture, l'être humain étant essentiellement « culture ». Au-delà d'être propre à tous les peuples, la culture possède d'autres caractéristiques : - elle est universelle : il n'y a aucun peuple sans culture - elle est transmise : la culture n'est pas innée ; elle est acquise par l'individu nouveau- né. Ce denier, au fur et à mesure qu'il grandit et par ses contact avec les adultes, il acquiert, à travers un long processus d'apprentissage, les éléments culturels de la communauté à laquelle il appartient. - elle est statique et dynamique : la culture d'une société est l'affaire de tous. Tous les membres d'une société contribuent au bon fonctionnement de leur culture et en perpétuent le statu quo. Une culture donnée présente, de ce fait, une identité propre par rapport à d'autres cultures. C'est cette identité irréductible à d'autres identités culturelles qui constitue le caractère statique de la culture. Il s'agit, en fait d'une stabilité relative puisque l'humanité évolue dans un monde toujours en changement. Il faut noter que l'incomparable facilité avec laquelle l'homme s'adapte et s'ajuste à de nouvelles conditions de vie et propose toujours des réponses appropriées à des situations les plus inattendues rend très dynamique la culture. De ce point de vue, la dynamique culturelle est précisément déterminée par la propension de l'homme à l'innovation. Toutefois, cette innovation devra s'inscrire dans le cadre culturel. En effet, des changements connus au sein de notre univers se sont opérés sans tenir des acquis culturels identitaires ; ce qui nous a conduits à une certaine acculturation, c'est-à-dire à un abandon partiel ou total de nos acquis identitaires. A ce sujet, dans « Afrique ambigüe », Georges Balandier constate que l'africain n'est devenu ni européen ni africain. Tous nos comportements répondant à nos valeurs culturelles ont cessé d'être respectés et quiconque essaie de s'y remettre est considéré comme un primitif. · La culture est préétablie : elle existe avant l'individu qui en fait usage. A sa naissance, durant toute sa vie, il entre en contact avec la culture, vit avec elle et par elle, puis à sa mort, il l'abandonne et culture continue son cours. 2°. Les valeurs Selon Guy Rocher, « la valeur est une manière d'être ou d'agir qu'une personne ou une collectivité reconnaissent comme idéale et qui rend désirables ou estimables les êtres ou les conduites auxquels elle est attribuée. »126(*) En tant qu'idéal, la valeur implique donc l'idée d'une qualité d'être ou d'agir supérieure à laquelle on aspire et dont on s'inspire. La valeur se présente comme un idéal qui appelle adhésion et qui invite au respect ; elle se manifeste dans des choses ou des conduites qui l'expriment d'une manière concrète ou symbolique. De ce point de vue, on peut distinguer cinq caractéristiques de valeurs : · La valeur est antérieure au jugement de valeur · Les valeurs sont inspiratrices des conduites · Les valeurs sont relatives, spécifiques à une société et une époque donnée · Les valeurs ont une charge affective · Les valeurs sont hiérarchisées (il existe, ainsi, une échelle de valeurs). Selon toujours le même auteur, les valeurs disposent des fonctions sociales : elles contribuent à : · la cohérence des modèles (règles et normes) · l'unité psychique des personnes · l'intégration sociale. Par rapport à cette notion de la valeur, il apparaît sur le terrain que certaines valeurs sont désuètes. C'est le cas du respect qui était sacré entre petits et grands, entre épouses et époux, entre sujet et chef, entre sujets et mwami. A ce jour, la situation se apparaît autrement. La tendance va vers une opposition nette des petits envers les grands, des sujets envers leurs chefs traditionnels et j'en passe. · L'habitat : il va en s'améliorant, la hutte en chaume, unique maison traditionnelle, tend à disparaître au profit de maisons avec une toiture de tôles ondulées et même des maisons en briques. · Les mesures hygiéniques : alors qu'au départ les matières fécales étaient éparpillées autour de l'habitation, dans la bananeraie et la prairie environnante, à ce jour, et c'est grâce à des mesures coercitives initiées par les colonisateurs que chaque ménage dispose d'une ou de deux toilettes. L'usage des toilettes et l'aménagement des sources ont contribué sensiblement à la réduction des certaines maladies endémiques telles que le choléra, la dysenterie, la fièvre typhoïde, etc. * 124 G. ROCHER, Introduction à la sociologie. L'action sociale, tome 1, Québec, Edition HMH, 1968, p.111. * 125 E. TYLOR, Primitive culture, London, s.éd, 1891, p. 46. * 126 G.ROCHER, op.cit, p. 72. |
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