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Dynamique familiale et gestion de l'environnement en chefferie de Ngweshe. une analyse praxéo-interdiscursive( Télécharger le fichier original )par Pierre BAKENGA SHAFALI Université Officielle de Bukavu - Doctorat en Sociologie 2012 |
INTRODUCTIONA travers ce chapitre, nous allons soumettre à des analyses les ressources disponibles par secteurs d'intervention ; identifier les problèmes réels, les facteurs qui les entrainent, leurs conséquences sur les populations, les ressources disponibles pouvant contribuer à l'éradication du problème et les pistes des solutions. Etant donné que ces ressources existent pour et par les familles, bénéficiaires potentielles, nous allons procéder, à l'issue de cet inventaire à présenter d'une manière typologique les familles telles qu'elles apparaissent, vivent et agissent sur le terrain. 5.1. EVALUATION DES RESSOURCESTableau n° 15 : Evaluation des ressources par secteur d'interventions
Source : ces données sont celles recueillies par nous-mêmes et combinées avec celles du Plan local de développement de la Chefferie de Ngweshe. Commentaire : Les données regroupées dans le tableau ci-dessus peuvent être passées en revue très brièvement pour s'imprégner de la réalité sur le terrain. La famille de Ngweshe, dans sa dynamique doit se battre sur dix-huit fronts : le VIH/SIDA, le manque d'énergie, les problèmes liés à l'éducation des jeunes, la santé, le manque des moyens et les voies de communication, le défi lié à l'eau et l'assainissement, le commerce, l'agriculture et l'élevage, l'environnement, la culture / sports et loisirs, l'artisanat, le tourisme, la télécommunication, l'habitat, l'industrie et l' insécurité : 1°. Le VIH/SIDA L'épidémie du VIH/SIDA sévit en République Démocratique du Congo depuis déjà trois décennies ; sa prévalence est élevée, elle est de 3,2 %. Mais elle pourrait aller en hausse car plusieurs bailleurs des fonds se retirent de la RD Congo, ce qui risque de priver de beaucoup de patients l'accès à des anti-rétro-viraux. Il faut donc, estime MSF, renforcer le plaidoyer international et la sensibilisation en faveur de la RDC. C'est un cri d'alarme que lance cette ONG internationale. Déjà, seul un malade sur dix en RD Congo dispose de l'accès aux ARV. Il est vrai que la prévalence y est faible en comparaison avec d'autres pays, notamment l'Afrique du Sud, « mais je pense justement que c'est là où il faut agir pour éviter que la prévalence n'augmente », estime Corine Benazech, Coordinatrice du programme VIH/Sida au sein de MSF. Pour le moment, seule la Banque mondiale va permettre l'achat des médicaments pour les trois prochaines années, selon MSF. Mais il faut continuer à faire le plaidoyer pour la RDC, sensibiliser et voir d'autres possibilités de fonds intermédiaires, renchérit Corine Benazech ».94(*) La tranche d'âges la plus affectée est celle de 14 -30 ans et la maladie ne fait que s'étendre à tous les âges. Bien de facteurs justifient la propagation de la maladie - La précarité économique : les jeunes filles et femmes, pour faire face à certains de leurs besoins vitaux (alimentation, habillement, soins corporels et sanitaires) se donnent très facilement à la consommation du sexe avec des partenaires inconnus. - Le manque d'usage de préservatifs : l'usage du condom est rare, la population n'est pas tellement perméable à l'usage des préservatifs, mais en même temps, ils ne sont pas disponibles partout. A l'exception de certains centres de négoce, il est difficile de trouver un préservatif dans un village. En outre, 75 % d'hommes interrogés à ce sujet, estiment que le condom n'offre pas la satisfaction sexuelle attendue : « il en est de même de 30 % de femmes qui estiment que le besoin sexuel est comparable à une soif naturelle. Il faut sentir l'eau fraîche couler sous la gorge pour étancher la soif. Quel plaisir sortirait-il d'un vagin sec et non imbibé de ce liquide que recherche toute femme en chaleur, déclarent-elles »! - Les multiples cas des viols : le phénomène « viol » a atteint son paroxysme au sein de la chefferie de Ngweshe depuis l'année 2000 avec l'occupation de cette entité par des bandes armées et milices de tout genre. Mais comme le mal se répand plus que le bien, même dix ans après la guerre, le phénomène de viol ne fait que s'exacerber. Nul ne connaît le dessein de celui qui viol. Si c'est pour un plaisir sexuel, personne ne violerait une enfant de moins de trois ans, car, pour paraphraser Delare, le plaisir sexuel ne provient et n'existe qu'à travers le « le face à face » entre les deux partenaires sexuellement engagés. Il semble que certaines personnes, se reconnaissant malades du SiDA, s'engagent à répandre la maladie même à des personnes très jeunes. - Les carrés miniers : ce sont des endroits où circule l'argent et, curieusement, l'immoralité y est très manifeste. Là, le sexe se vend et se consomme délicieusement et comme on y trouve plus d'hommes que de femmes, les hommes font réellement une véritable chasse aux femmes et vice versa. De tous les carrés visités (Mukungwe, Kaji, Luntukulu,) et des centres de négoce tels que Nzibira, Kashebeyi, Tubimbi, Madaka, Burhale, Burhuza, nulle part, on ne trouve des préservatifs en vente dans les boutiques. - Le non approvisionnement des centres des centres de santé : tous les centres de santé enquêtés sont en rupture de stock et d'approvisionnement des préservatifs depuis six à 12 mois. - La mobilité et l'absence prolongée des maris loin de leurs familles : beaucoup des bashi vivent actuellement du commerce, le sol étant devenu infertile. Les hommes vont en territoire de Shabunda, Mwenga, Fizi, Nord-Katanga à la recherche de minerais. Ils y passent beaucoup de temps. Leurs femmes restent seules. Et donc, aussi bien du côté des maris absents de leurs foyers que du côté des femmes restées à la maison, il se passe des rapports sexuels non protégés qui exacerbent la pandémie du VIH/SIDA au sein des foyers. 2°. L'énergie électrique Nous nous conviendrons tous sur le fait que la chefferie de Ngweshe ne s'engagera sur la voie du progrès que lorsqu'elle sera desservie en énergie électrique. Or, en cette année 2012, seuls deux centres (Walungu-centre et Nyangezi) sont desservis en courant électrique et cette desserte n'est que médiocre car elle ne concerne pas tout le Groupement, mais quelques maisons le long de la route au sein de ces deux centres. La chefferie dispose, cependant, d'une importante ressource hydroélectrique si les chutes, en son sein, étaient mises à profit dans la construction des barrages. C'est le cas des chutes de Nyanganda, Kazinzi, Kahungwe... La seule chute de Nyanganda (Groupement de Mulamba) peut alimenter toute la chefferie et même les chefferies voisines de Kabare, Nindja et Burhinyi. Elle pourrait produire 10 méga watts. Or, aucun projet de construction de barrage ne pointe à l'horizon. Il faudra encore un long moment pour que la chefferie soit desservie en énergie électrique. 3°. L'Education L'éducation est le fondement de toute société. Ainsi, chaque communauté doit pourvoir à l'éducation de ses jeunes enfants afin d'assurer la relève des adultes instruits ou pas et perpétuer la vie de la communauté. Conformément au DSCRP national, le taux brut de scolarisation au degré primaire a connu une forte régression, soit de 92 % en 1972 à 64% en 2002 ; au secondaire, elle est estimée à 29% en 2001-2002 contre 26% en 1977-1978. Actuellement, le degré scolaire primaire, bien que caractérisé par une forte croissance démographique, n'a pas encore pris en son sein tous les effectifs scolarisables. Il s'observe encore un grand nombre d'enfants hors de l'école, des enfants dans des zones insécurisées, de faibles compétences d'enseignants, le manque des matériels pédagogiques, une insuffisance d'infrastructures scolaires et un coût élevé de la prime des parents aux enseignants par rapport à leurs revenus. Tous ces éléments constituent un défi pour l'Etat congolais en général et pour la chefferie de Ngweshe en particulier. Pour ce qui concerne la chefferie de Ngweshe, la scolarisation apparaît de la manière suivante, à travers le tableau ci-dessous : Tableau n° 16: De la scolarisation en Chefferie de Ngweshe
Source : le nombre d'écoles émane du Bureau de développement de la chefferie, tandis que les colonnes 3 et 4 retracent les effectifs cumulés dans la tranche d'âges concernée par le cycle de scolarisation. (Voir p. 136). Figure n° 7 et 8 : Les effectifs scolarisables et les scolarisés Interprétation : Les données sous analyse concernent les tranches d'âges de 0-26 ans. Etant donné que les effectifs scolarisables au niveau maternel se situent entre 3 et 5 ans et du fait que les mêmes données démographiques ne concernent pas un âge précis mais plutôt une tranche d'âge d'une amplitude 4 ou 5, nous avons divisé par deux les effectifs du niveau maternel. Tout compte fait, il est à remarquer que la scolarisation est encore très faible à travers la chefferie de Ngweshe. Des efforts devraient être fournis pour scolariser le plus grand nombre de personnes possibles. Nous reconnaissons cependant qu'il y a bien d'autres enfants de la chefferie qui suivent les cours en dehors de l'entité. Mais, que ce dénombrement de la population ait porté sur une population de fait ou de droit, il est visible que le taux de scolarisation, à tous les niveaux, demeure encore insignifiant. 4°. La santé Selon le Bureau de développement de Ngweshe, si l'on se base sur quelques indicateurs sanitaires tels que le taux de mortalité, la malnutrition, la recrudescence des maladies telles que le VIH/SIDA, le paludisme, la verminose, les infections respiratoires, la chefferie demeure un milieu où il ne fait pas beau vivre. Le système des services de santé organisé sous forme d'une pyramide à trois niveaux (Zone de Santé, Hôpital Général de Référence et Centre de Santé) nécessite un renforcement régulier de capacités. En somme, tel que décrit plus haut, la chefferie de Ngweshe (avec une population de plus de 601 306 mille habitants) ne dispose que de 5 hôpitaux, 2 centres hospitaliers, 61 centres de santé, le tout pour un total de 403 lits et 20 médecins, soit en moyenne 30 065 personnes par médecin. C'est énorme et aucun médecin ne peut être efficace en pareil cas Il y a donc un problème réel qui se pose au niveau des soins de santé et de la prévention. C'est ce manque de prévention qui est un facteur de propagation de toutes les maladies dites des mains sales (choléra, fièvre typhoïde). Quant aux soins, ils ne peuvent être que précaires étant donné l'insuffisance des formations sanitaires, du personnel soignant, le manque des médicaments et l'éloignement du patient vis-à-vis des professionnels de santé. Les longues distances à parcourir à pied provoquent des décès, des accouchements à la maison et en cours de route. La facture des soins est aussi un cauchemar pour le malade du fait de la pauvreté qui sévit dans le milieu. L'objectif, ici, doit être celui de rapprocher le malade du personnel soignant, ce qui implique, naturellement la diversité et un équipement adéquat des formations sanitaires à travers toute la chefferie. Avec le système des mutuelles de santé initié par le Diocèse catholique de Bukavu à travers son Bureau Diocésain des OEuvres Médicales (BDOM), certaines familles peuvent accéder aux soins de santé avec une réduction des frais à 80 % si l'on a été hospitalisé et à 50% pour des soins ambulatoires. Six problèmes majeurs se posent pour le fonctionnement des mutuelles de santé : - La sensibilisation de la population à adhérer aux mutuelles de santé - Le manque de cotisation annuelle : la famille n'est toujours pas capable à faire adhérer tous ses membres. (Ce sont des politiciens qui pour des fins électorales, ont fait adhérer un grand nombre des personnes pour une année en 2006 et 2011) - L'intervention territoriale limitée au seul Diocèse catholique de Bukavu pour tous les abonnés ; - L'intervention ne concerne que les malades internés uniquement dans les salles d'hospitalisation publique et ne prend pas en compte toutes les maladies - La taille de ménage très élevée ne permet d'affilier toute la famille : le taux d'affiliation est de 3 à 3.5 dollars américains par membres de la famille au sein de Ngweshe - L'immensité de l'espace est un facteur de dysfonctionnement pour les mutuelles de santé : au sein de tout le Diocèse de Bukavu fonctionnent 21 mutuelles de santé ci-reprises avec les années respectives de création : Idjwi Sud(1997), Idjwi-Nord(1998), Kalehe (1999), Nyantende(2001), Kadutu(2003), Ciriri(2003), Etudiants(2005), Bagira (2006), Katana ( 2007), Birava (2007), Ibanda (2008), Kamanyola (2008), Murhesa(2008), Kabare (2009), Walungu (2010), Mubumbano(2010), Nyangezi (2011), Chai (2011), Luvungi ( 2012), Uvira (2012) et Burhale (2012). Source : Dépliant des Mutuelles de santé (Kuhusu miungano ya afya ya jimbo la Kivu la kusini). On dénombre, ainsi, au sein de toute la chefferie de Ngweshe seulement quatre mutuelles de santé qui d'ailleurs ont débuté très tardivement par rapport à d'autres milieux. Il s'agit de mutuelles de santé de Walungu(2010), Mubumbano(2010), Nyangezi(2011), et Burhale(2012). 5°. Transports et voies de communication Les routes, à travers la chefferie sont en très mauvais état et ceci complique la circulation des personnes, les échanges et favorisent l'insécurité. Nous relevons, ici, le cas de quelques tronçons routiers de desserte agricole en délabrement très avancé : - Mugogo-Ciherano- Mushinga- Lubona (35 Kms) - Nyangezi- Mukunamwa- Ciherano (25 Kms) - Walungu- Burhale-Chibeke- Lubona- Ciherano- Mugogo (45 Kms) - Walungu- Kaniola- Nzibira (37 Kms) - Nzibira- Luntukulu (10 Kms) - Etc. 6°. Eau et assainissement L'abondance des ressources en eau en RDC constitue un contraste avec le faible accès à l'eau potable. L'insuffisance de ressources financières allouées à l'eau constitue un facteur primordial à la faible desserte en eau potable. Il y a trop peu de sources aménagées à travers toute la chefferie. Des adductions d'eau ont été aménagées, mais l'eau ne coule pas de robinets pour de raisons essentiellement techniques : c'est le cas de l'adduction d'eau de Nyangezi et de la source Muhambwe d'Izege qui desservait en eau la population de Walungu et Burhale. Les pompes d'extraction d'eau installées dans les villages de Burhale, Kamanyola, Walungu par Monsieur Norbert Bashengezi Kantitima, alors ministre de l'agriculture, pêche et élevage en pleine campagne électorale présidentielle et législative de 2011, n'ont fonctionné qu'à titre expérimental pendant moins d'un mois. La pompe de Burhale, placée à Mashango à 55 Kms de Bukavu était déjà dysfonctionnelle avant même la fin de la cette campagne électorale qui avait duré vingt et un jour. Quant à l'assainissement, la situation, au niveau de la population se manifeste par l'incapacité des ménages à accéder à un système adéquat d'évacuation des déchets solides et liquides. L'état des latrines à travers la chefferie est désastreux : ce sont des trous où l'on défèque à ciel ouvert, non fermés totalement, desquels on extrait souvent des poussins tombés dedans, où les poules se dégustent quotidiennement, en sortent et répandent la saleté sur le manioc en plein séchage, sur les ustensiles déposés à même le sol, etc. Le projet « village assaini » semble n'avoir pas eu d'impact important au sein de la chefferie. 7°. Agriculture et élevage C'est une activité de première nécessité qui regroupe toutes les forces vives de la chefferie, mais qui est devenue improductive suite à l'infertilité du sol, l'insuffisance des terres arables, le manque des pâturages, des médicaments agropastoraux, au manque d'outils appropriés, des semences améliorées et des techniques et modes d'exploitation agropastorale modernes. Il y a 20 ans, on avait introduit dans l'agriculture les haricots volubiles plus productifs par rapport à la semence traditionnelle. Un seul haricot, semé en un endroit bien aménagé avec un support en stick de bois lui permettant de monter en hauteur, pouvait produire plusieurs gousses et donner facilement à la récolte deux mesures de haricot, soit deux kilos. Le projet n'a pas évolué pour la simple raison qu'il était très difficile de trouver des supports pour tout un champ de haricot, et en même temps, ce sont les femmes qui s'occupent de travaux des champs. Il leur est impossible de cultiver, semer et aller à la recherche des supports dans une région où les collines sont nues, et lorsqu'elles sont boisées elles n'appartiennent qu'à des individus sans aucune générosité. On est resté à l'étape de départ, avec des semences de haricot ratiné à deux ou quatre gousses de 3 à 5 grains de haricot, où d'un are cultivé, l'on récolte moins de 5 kilos de haricot. Le travail ne se faisant toujours qu'à la houe, le manque d'alternance de champs de culture, l'infertilité du sol, la taille élevée de la famille, tous ces facteurs et bien d'autres ne favorisent pas l'essor de l'économie familiale. L'élevage est resté au même stade traditionnel : les chèvres et moutons maigres sont attachés à la corde sur de petites prairies à l'herbe presque desséchée. C'est la praxis mimétique et répétitive consistant à faire ce qu'on a toujours fait et de la manière dont on l'a toujours fait. L'innovation de garder le bétail domestique en stabulation n'a pas aussi réussi pour plusieurs raisons : - Le manque d'étable appropriée - Le manque de fourrage - L'insécurité : une chèvre laissée attachée seule à la maison risque d'être volée par des groupes d'inciviques alors que le paysan, tout en cultivant son champ, surveille sa chèvre attachée non loin de lui. Nous retiendrons, cependant qu'il s'observe des avancées par rapport à l'élevage de la vache. Chaque paysan recourt, en ce jour, à des produits vétérinaires pour soigner sa vache, c'est ce qui justifie l'accroissement du cheptel en dépit de multiples pillages de bétail par les milices armées. Quant à l'élevage du porc répandu partout, il ne progresse pas non plus du fait que l'alimentation est centrée sur celle de l'homme. Or, si les familles ont déjà du mal à se nourrir, il en est plus difficile pour les porcs. Tout compte fait, l'élevage est resté traditionnel dans toutes les catégories domestiques (bovidés, suidés, caprins et volailles). 8°. Environnement, habitat et tourisme L'environnement a été suffisamment détruit avec la présence des réfugiés rwandais et les guerres à répétition, les feux de brousses, la recherche de braises et de bois de chauffe... L'habitat s'améliore peu à peu, la couverture en chaume tend à céder place à la tôle ondulée, mais cette innovation est encore insuffisante, elle n'est manifeste que dans les centres commerciaux. Il est bon de faire remarquer que la destruction de l'environnement physique aura des retombées négatives sur l'habitat, car la rareté de la paille et des arbustes constituera un défi majeur dans la construction et les renouvellements des cases à travers les villages. Quant au tourisme, il n'existe que peu ou pas du tout d'infrastructures pouvant favoriser le tourisme à travers la chefferie. A cela s'ajoute l'insécurité qui ne permet pas du tout la mobilité tant des étrangers que nationaux. 9°. La gouvernance Elle est susceptible de beaucoup de modifications en ce sens que les dirigeants des groupements ne sont pas du tout à la hauteur de leurs tâches. Certains estiment que diriger un groupement se limite à trancher les petites palabres et recevoir des pots de vin, alors qu'il y a des questions pertinentes auxquelles doit s'atteler, à tout moment, un responsable de groupement. Il s'agit, par exemple, de dénombrements démographiques devant être parfaitement faits par âge et par sexe, les entrées et les sorties de la population, la projection des activités de développement, le contrôle des acteurs sociaux locaux. Mais, pour arriver à avoir des dirigeants locaux capables de bien diriger les groupements, il faut rompre avec cette gouvernance axée sur la famille royale et les estimes personnelles basées sur les sentiments, les émotions et les passions ou alors les « résidus », pour utiliser le terme cher à Vilfredo de Pareto. Tendre et parvenir à la gouvernance, tel doit être l'épine dorsale de toutes les stratégies de gestion de la chefferie. Toutefois, la gouvernance de la chefferie de Ngweshe s'inscrit dans un système global de la gouvernance en RDC qui elle-même est à relativiser. Mais, cela ne signifie pas qu'au niveau local on ne puisse pas envisager d'améliorer les modes de gestion de l'administration locale pour qu'elle devienne compétitive avec les autres systèmes de la République. Les théoriciens de la gouvernance mènent un débat houleux sur la gouvernance et ne s'accordent que sur six principes : - La gouvernance se conçoit comme un mode de gestion d'affaires complexes dans lequel les acteurs principaux se déploient sur le même plan, à l'horizontal, sinon à l'égalité ; - La gouvernance commande de gérer les affaires publiques comme si leur traitement ne devait pas différer sensiblement de celui des affaires privées ; - La gouvernance signifie aussi que la relation verticale entre les gouvernants et les gouvernés se transforme en relations purement horizontales ; - La gouvernance correspond à un processus de décision toujours révocable et provisoire, elle ne désigne pas le site des pouvoirs ultime et exclusifs des autres comme le font les notions de gouvernement ou d'Etat ; - Selon la logique de gouvernance, les décisions ne sont plus le produit d'un débat et d'une délibération. Elles sont les résultats de négociation, voire de marchandage et de trocs entre les différentes parties ; - La gouvernance est un mode de gestion qui tend à se codifier au regard des normes ou des codes de conduites plutôt que les lois votées en vertu du principe majoritaire, ou issues d'une tradition jurisprudentielle.95(*) Nous pourrions estimer, en termes de conclusion que la RD Congo, en général et la chefferie de Ngweshe, en particulier, ne disposent ni d'une idéologie conative incitant à l'action ni de celle visant à organiser la société, à la gouverner correctement, moins encore elles ne souscrivent pas aux objectifs du millénaire du développement. En effet, en 2000, il s'est tenu à New York (aux Etats- Unis d'Amérique), l'Assemblée Générale des Nations Unies à laquelle avaient pris part 191 pays dont la RDC et où l'on a opté pour les huit objectifs du millénaire du développement qui sont : OMD1 : réduire de moitié l'extrême pauvreté et la faim OMD2 : assurer l'éducation primaire à tous OMD3 : promouvoir l'égalité des sexes et l'autonomie des femmes OMD4 : réduire la mortalité infantile OMD5 : améliorer la santé maternelle OMD6 : combattre le VIH/SIDA, le paludisme et d'autres maladies contagieuses OMD7 : assurer un environnement durable OMD8 : mettre en place un partenariat mondial pour le développement. Comme on le remarque sur le terrain, la RDC est très loin de ces objectifs et, de ce point de vue, tous les acteurs sociaux doivent prendre conscience de maux qui guettent et mettent en mal le développement de leurs familles. C'est cette prise de conscience rationnelle qui justifie l'Approche participo-praxéo-dynamique avec son principe directeur de l'unanimité participative rationnelle (voir supra) et qui nous amène à trouver pour la famille de notre milieu d'étude, et sans doute pour bien d'autres, des pistes de solution à leurs problèmes du vécu quotidien. C'est exactement la Transmutation créatrice de l'énergie conscientielle concentrée, un des principes de la méthode d'analyse usagée dans cette thèse. C'est ainsi que, pour reprendre les mots de Joseph Ki-Zerbo, il faut un « projet d'ensemble basé sur des questions telles que : qui sommes-nous ? Où voulons-nous aller ? Depuis que nous sommes indépendants, nous n'avons pas répondu à ces questions. Qu'est-ce que nous avons fait ? Qu'est ce que nous avons réalisé ? Que nous reste-t- il à faire ? »96(*) Ce questionnement s'avère indispensable car il reflète trois aspects importants de la vie de toute communauté : l'identité, l'histoire, l'idéal et les ressources. a. L'identité : Chaque peuple doit se faire une identité propre. Ceci relève de la culture, entendue, ici, comme étant les diverses manifestations d'agir, de penser et d'être propres à un peuple. Elle traduit les modes de comportement, les valeurs, les us et coutumes, les actions. C'est un cadre de socialisation et d'intégration. A travers la socialisation, la communauté transmet ses normes et valeurs au néophyte social. Ce dernier, en s'appropriant la culture, en se conformant à ses normes et valeurs, s'intègre alors socialement. En somme, socialisation et intégration sont des aspects de la culture qui, elle, en fait, différencie les peuples les uns des autres. Il n' ya pas de peuple sans culture. Elle dispose d'un caractère universel ; elle préexiste avant l'individu ; elle est acquise, transmise par les adultes aux jeunes membres de la communauté ; elle n'est pas innée ; elle est apprise. Bien que les hommes meurent, la culture ne meurt pas avec eux ; elle subsiste et ne cesse d'orienter les conduites des survivants et des générations à venir sans pour autant rester statique. En effet, en vertu de contacts existant entre communautés, il s'opère des emprunts et des rejets entre peuples en contact. Les emprunts peuvent être très significatifs et dominer les acquis locaux de telle sorte que le peuple empruntant ne se retrouve plus qu'avec les aspects culturels étrangers. C'est de l'acculturation que peuvent provenir des emprunts opérés localement ou de l'émigration. Cette acculturation peut aboutir à une assimilation culturelle (qualifiée par d'autres l'acculturation) qui désigne l'adoption par les migrants des modèles culturels de la société d'installation, et une assimilation structurelle (souvent qualifiée d'intégration) qui désigne la participation aux différents groupes primaires. L'assimilation structurelle entraîne, par exemple, la fin des mariages endogames. En d'autres termes, l'individu se dépouille de plus en plus de son identité culturelle précédente et en adopte une nouvelle. Un peuple peut s'avérer imposant sur un autre sur le plan culturel et déposséder l'autre de ses valeurs culturelles. Dans le cas d'espèce, les Bashi de Ngweshe étaient suffisamment encrés dans leur culture. Ils disposaient des valeurs caractérisées par le respect mutuel, la soumission aux normes établies, la solidarité, l'entraide, l'hospitalité, l'honnêteté, le courage, le travail, la soumission de la femme vis-à-vis à son mari et de l'enfant par rapport à ses parents et ainés, le respect envers les normes sociales, les supérieurs et le Mwami. Mais, ces valeurs paraissent, à ce jour, dépravées. On a cédé à des pratiques étrangères prônant la malhonnêteté et la désobéissance, la tricherie, la légèreté, de façon que la société tend à devenir de plus en plus pathologique. b. L'histoire : Elle est la connaissance d'un peuple de toutes ces péripéties à travers lesquelles il s'est formé et forgé. Il s'agit donc de la connaissance de son passé humain afin de reconnaître ses failles, ses faiblesses, ses forces et en vue de se faire, se refaire et parfaire. Chaque peuple a son histoire à travers laquelle elle reconnaît ses héros, ses valeurs, ses us et coutumes, ses forces et ses déboires. La mémoire d'un peuple n'existe et ne forge qu'à travers son histoire. C'est de cette manière qu'on dit qu'un peuple sans histoire est un peuple mort, sans repères. En effet, la société fonctionne comme un tout qui n'est pas curieusement égal à la somme de ses parties. Ngweshe dispose d'une histoire riche. Son esprit de conquête et d'autodéfense illustre la bravoure des hommes forts ; la détermination d'un peuple qui a même fait obstacle à la colonisation, à certaines rebellions telles que celle de Pierre Mulele en 1964; la force de gestion et la conservation des valeurs morales, politiques, économiques, familiales et culturelles. A ce sujet, Aristide Kagaragu, dans son livre en mashi « Omulala gw'omushi ou la famille du mushi, 1974», estime que la famille du mushi était un modèle pour l'humanité. Bien attendu, la dynamique des peuples dispose d'un impact sur tout : famille, environnement, culture, modes de gestion, etc. Cette famille n'est plus, certes, ce qu'elle était lorsque l'auteur écrivait. Elle doit avoir subi des modifications très profondes telles que cela a été démontré dans les chapitres précédents. C'est donc toute une dynamique d'un peuple vivant à travers des coups et sévices, mais qui persiste et se maintient à travers ses familles et son environnement. Il est bon de noter que cette bravoure manifeste chez les familles de Ngweshe pour se maintenir, sont entrain de perdre lentement mais surement leur histoire. Les épopées, les proverbes, les histoires éducatives ne sont plus à la portée des jeunes, et donc, l'acculturation ne fait que gagner du terrain. Contrairement, aux barega (voisins aux groupements de Mulamba, Kaniola, Tubimbi) qui ont conservé l'initiation clanique pour les jeunes, chez les bashi de Ngweshe, il n'existe, à ce jour, aucune initiation culturelle proprement shi. Il convient de louer les efforts de l'Eglise catholique qui persévère à donner ses enseignements en langue mashi, contrairement aux Eglises protestantes où homélies, chants, instructions, prières se déroulement en très grande partie en langue swahili. Le catéchisme de base est enseigné à des jeunes enfants (à partir de 3 ans) dans des séances dites « Ecole de dimanche » en swahili. c. l'idéal et les ressources : L'identité et l'histoire d'un peuple apparaissent à travers ses idéaux et ses diverses ressources matérielles, humaines, financières, environnementales, culturelles, etc. Dans les points précédents, nous avons pu relever un certain nombre de ressources qui démontrent que Ngweshe dispose des atouts importants pour se développer si et seulement si elles sont gérées avec détermination et rationalité dans un système global rationnalisé. La question essentielle est de connaître quel est réellement l'idéal que se fixe le peuple de Ngweshe dans un avenir proche et lointain. Au vu du déséquilibre dont a été victime la famille de Ngweshe, celle-ci doit repenser ses stratégies dans le but de ne pas développer plus de pathologies que des qualités humaines, et en même temps développer des mécanismes de protection durable de son environnement. 10°. L'insécurité Ses sources sont connues. L'insécurité à l'Est de la RDC en général et au sein de la chefferie de Ngweshe, en particulier, émane du conflit ethnique au Rwanda entre Tutsi et Hutu. La chefferie de Ngweshe n'avait connu des hostilités armées que lors de la rébellion de Pierre Mulele en 1964 et dès lors, à part quelques incidents mineurs, la population avait réellement vécu dans la paix jusqu'en 1996, deux ans après le génocide rwandais qui a déversé sur la chefferie une grande partie de l'Armée patriotique rwandaise. Il s'en est suivi la naissance des groupes d'autodéfense locale ou mai-mai qui, pour survivre, durent s'attaquer sur les civils innocents. C'est le cas du groupe armé Mudundu 40 (ou M40) né dans le Groupement de Mushinga qui a terrorisé, au vrai sens du terme, les groupements de Mushinga, Lubona, Burhale, Irongo, Luchiga, Lurhala, Nduda. A titre d'exemple, pour des faits divers tels que de petites mésententes entre citoyens dont se saisisait un responsable de M40, la peine consistait à être plongé pendant plusieurs heures dans un trou, à moitié pleine d'eau, appelé « hindaki) et une amende de plus de deux vaches. On était battu à mort jusqu'à ce que l'on s'acquitte de l'amende. L'on peut s'imaginer l'angoisse que vivaient les populations sous contrôle de ce groupe armé, de triste mémoire, qui ne fut démantelé qu'en 2004 par le RCD ou Rassemblement Congolais pour la Démocratie avec l'appui de l'Armée patriotique rwandaise. Tout compte fait, la chefferie a connu des moments difficiles d'insécurité. Les cas d'insécurité en groupement de Kaniola ont été portés à la connaissance de tous par les médias étrangers les plus célèbres. Des poches d'insécurité existent encore ça et là. Au cours de cette année 2012, le groupe Raiya Mutomboki, venu du territoire de Shabunda, sème la terreur dans les groupements de Mulamba, Tubimbi, Kaniola et d'autres bandits non connus, car, il faut le reconnaître, la démobilisation de certains hommes en armes, la dissémination des armes et munitions sur toute la partie Est de la RDC ont favorisé les cas de banditisme et d'insécurité. Un autre phénomène appelé « kabanga » qui tire ses origines du territoire de Kalehe et qui consiste à tuer quelqu'un par étranglement à l'aide d'une corde vient de s'installer dans le milieu. Il semble que la corde « kabanga » qui a servi à l'étranglement de la victime est porteuse de beaucoup chances. D'où il faut étrangler quelqu'un à l'aide d'une corde et s'en servir pour être bénéficiaire de beaucoup d'opportunités. Entre 2010 et 2012, douze personnes ont été trouvées étranglées par corde entre les groupements de Walungu, Nduba et Irongo. Les malfaiteurs n'ont jamais été identifiés. C'est avec peur qu'on se rend au champ, à la source, à la recherche du bois mort si l'on n'est pas accompagné. A ce jour, il faut penser autrement, chercher des voies et moyens de juguler ces poches d'insécurité et permettre à la population de vaquer paisiblement à ses occupations pour subvenir à ses besoins les plus fondamentaux. Pour y arriver, il faut renforcer la conscience collective entre les membres de la communauté. Cette sensibilisation doit commencer au sein des familles, car les acteurs de l'insécurité, les fauteurs des troubles sociaux sont issus et existent au sein des familles. Comme dit précédemment, une communauté n'est que ce que sont ses familles. Toute pathologie vécue au sein d'une famille a des répercussions sur une partie de la communauté. C'est donc à tous les acteurs locaux, les Eglises, les leaders politiques, la société civile qu'il incombe de faire large conscientisation pour parer à l'insécurité au sein de la chefferie. * 94 Wikipédia, 10 avril 2012. * 95 P. VERCAUTEREN, « Gouvernance et démocratie ; quel ordre » ?, in FEDERALISME ET REGIONALISME, Volume VII, 2007, p. 12. * 96 J. KI-ZERBO, A quand l'Afrique ? Entretien avec René Holenstein, s.l. Editions de l'aube/éditions d'en bas, 2003, p. 182. |
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