2. L'émancipation féminine, un choix
économique
Depuis le début de l'indépendance du pays,
l'idéologie dominante se fonde sur la religion et la modernité.
Cette double référence est la trame centrale de
compréhension des agissements de l'État qui oscillent entre
politiques favorables aux droits universels reconnus constitutionnellement et
droits spécifiques qui concernent surtout la famille. Selon Houria
Alami23, le statut des femmes est dépendant de la
mondialisation et du désir des acteurs du pays marocain à
accréditer l'idée que la démocratie progresse. La
politique marocaine répond à un besoin d'insertion du pays dans
un monde globalisé qui a énoncé l'égalité
hommes-femmes parmi ses objectifs. Politiquement, grâce à
certaines mesures phares comme la promulgation d'un nouveau code de la famille,
elle sert de vitrine au processus de démocratisation.
Le fait que les politiques s'emparent de la question
féminine en acceptant les projets culturels visant à
l'émancipation de celle-ci, s'explique, selon Houria Alami, par le fait
que l'État marocain tenterait de contrôler ce qu'il
considère comme un soucis qui pourrait déborder et causer des
torts au pays. En effet, quoi de plus troublant que des femmes censées
être gardiennes des traditions qui changent et cherchent à imposer
de nouvelles normes ? Cette attitude de l'État peut être vue comme
une recherche de moyens pour entrer dans la modernité par une voie
sereine.
De plus, éduquer les femmes marocaines revient à
inscrire doublement le pays dans la modernité en le rendant plus
important économiquement. Les nouvelles orientations
23 Houria Alami, Les paradoxes du féminisme
d'Etat au Maroc, L'Harmattan, 2010
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favorables à l'égalité hommes-femmes
placent les femmes au centre du processus de modernisation.
L'amélioration de la scolarisation des filles, l'alphabétisation
des femmes restées en marge de l'éducation scolaire, sont les
nouveaux objectifs du pays.
Pour finir, un nouveau fait de société peut
également expliquer cet intérêt suscité par les
femmes aux yeux de l'État marocain, la migration. En 2007, la question
était soulevée dans le cadre des consultations pour la
création du Conseil de la Communauté Marocaine à
l'Etranger (CCME), où le Conseil consultatif des Droits de l'Homme
(CCDH) a organisé une rencontre internationale sur le thème
« Les marocaines d'ici et d'ailleurs ». Depuis sa création, le
CCME, instance consultative auprès du chef de l'État dont l'un
des objectifs est d'établir des liens avec les marocains de
l'extérieur, a initié deux rencontres internationales avec la
diaspora féminine marocaine en 2008 et 2009 à Marrakech. En
tenant compte des spécificités des migrations des femmes
marocaines, le CCME participe au travail de déconstruction des
représentations qui considèrent les hommes comme les seuls
acteurs de la migration et les femmes comme de simples accompagnatrices. Ces
démarches marquent un tournant de la prise en considération de la
question migratoire puisque les femmes en tant que main d'oeuvre nouvelle,
quittent également le pays sur leur propre choix. La mauvaise image
véhiculée à l'international par le Maroc est donc
doublée d'une perte économique significative due au départ
d'une main d'oeuvre qui aurait pu travailler sur ses terres. Former les femmes
aux nouveaux outils de communication et les éduquer reviendrait donc
plus à les retenir qu'à les émanciper.
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